Notre peau: une surface profonde
Highlight anniversaire: dermatologie et vénérologie

Notre peau: une surface profonde

Medizinische Schlaglichter
Édition
2022/0304
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08973
Forum Med Suisse. 2022;22(0304):46-48

Affiliations
a Dermatologie, Universitätsspital Basel, Basel; b Institut für Dermatologie und Venerologie, Stadtspital Zürich, Zürich

Publié le 19.01.2022

La dermatologie se consacre aujourd’hui aussi aux domaines situés au-dessous de la surface cutanée. Les points forts incluent la chirurgie dermatologique, les maladies cutanées systémiques et les maladies sexuellement transmissibles.

Contexte

La dermatologie a été définie il y a plus de 200 ans en tant que discipline spécialisée. A Paris et à Londres, les maladies cutanées ont commencé à être décrites de manière systématique et un nouveau vocabulaire s’est développé pour les efflorescences cutanées. Dès lors, les images de la peau sont restées à l’avant-plan de la dermatologie et attirent les consœurs et confrères qui s’intéressent volontiers aux aspects visuels. La plus grande fierté était et demeure d’établir un diagnostic visuel correct sans biopsie. A l’ère de la médecine moléculaire, la pertinence de cette approche démodée peut être remise en question. Il est par exemple possible de réaliser des tests moléculaires à la recherche de biomarqueurs permettant d’aboutir au diagnostic avec une certitude bien plus grande. Ces 20 dernières années ont-elles connu des changements qui ont ré­orienté l’attention portée à la surface de la peau?

Des domaines d’activité de plus en plus souvent sous la peau

En effet, l’activité médicale s’est élargie depuis les années 1990 pour pénétrer de plus en plus en profondeur sous la peau. La chirurgie dermatologique représente certainement l’un des principaux champs de développement [1]. A l’hôpital universitaire de Bâle, la première chirurgie dermatologique a été établie dans les années 1990 – auparavant, la dermatologie n’affichait guère d’activité opératoire. Nous ne pouvons à peine nous imaginer un contraste plus prononcé par rapport à aujourd’hui, car l’activité actuelle comporte très souvent des interventions chirurgicales. Cela inclut des milliers de biopsies diagnostiques, la cryochirurgie, la chirurgie au laser, l’excision de tumeurs, la plastie par lambeaux et les transplantations cutanées. La chirurgie de Mohs est une innovation importante. Il s’agit d’une méthode contrôlant à 100% les marges d’exérèse, qui permet d’éliminer complètement les tumeurs ­cutanées avec une sécurité maximale, tout en limitant la surface d’excision à un minimum, car il est possible de renoncer à la marge de sécurité autrement obligatoire. A la suite de l’augmentation fulgurante des ­tumeurs cutanées au cours des dernières décennies, la radiothérapie dermatologique a également connu une renaissance en mettant notamment à disposition des personnes âgées une forme thérapeutique conser­vatrice spécialement conçue pour les carcinomes ­basocellulaires dans les zones cosmétiques délicates telles que les ailes du nez et les paupières.
Ces dernières années, la dermatologie esthétique est également venue s’ajouter aux méthodes invasives dans les hôpitaux universitaires. Le traitement de ­défauts préjudiciables à la qualité de vie constitue un domaine technique exigeant. Toutes ces interventions nécessitent un niveau élevé de compétences manuelles que nous enseignons systématiquement.
Toutefois, la dermatologie ne se limite pas à enfoncer un bistouri dans la peau – d’importants progrès ont également été faits en termes de connaissances de la physiopathologie sous-jacente. Nos prédécesseurs avaient coutume de montrer que les maladies systémiques internes pouvaient aussi produire des efflorescences cutanées. Cette précieuse découverte est également utile en sens inverse – en effet, il a été montré, au cours des deux dernières décennies, que de nombreuses maladies cutanées étaient des maladies systémiques ­inflammatoires. La compréhension de ces réactions ­inflammatoires nous a donné accès aux médicaments biologiques. En 2004, les premiers représentants de cette classe de substances ont été rendus disponibles pour le psoriasis grave. Avec une prévalence de 2% dans la population, cette maladie est relativement ­fréquente. La qualité de vie est fortement perturbée en cas d’atteinte d’une grande surface ou de zones significatives sur le plan social, telles que les ongles de la main. Il n’est pas rare que cela entraîne des tendances suicidaires. Avant l’introduction des médicaments biologiques, le psoriasis résistant à la luminothérapie ­pouvait être traité uniquement par des médicaments systémiques classiques qui présentaient malheureusement un taux élevé d’effets indésirables ainsi qu’une durée thérapeutique en partie limitée. Lorsque nous avons pu utiliser les médicaments biologiques pour la première fois, nous avons observé des centaines d’évolutions impressionnantes, présentant non seulement une guérison rapide de la peau, mais aussi la perspective d’un contrôle à long terme de la maladie. Cela a ­apporté aux malades une plus grande confiance au sein de leur environnement social et leur vie professionnelle. Ces modifications ont également été observées dans d’autres domaines de spécialité, telles que la rhumatologie et la gastro-entérologie. Les évolutions à long terme ont aussi révélé de manière inattendue l’aspect de maladie systémique chronique du psoriasis ainsi que le fait que les personnes atteintes de psoriasis décèdent plusieurs années avant une population de contrôle. Cela est dû à des comorbidités métaboliques telles que la maladie coronarienne, l’hypertension ­artérielle et le diabète sucré. En interrogeant systématiquement les patientes et patients, des valeurs étonnamment élevées de prévalence allant jusqu’à 30% ont soudain été obtenues pour l’arthrite psoriasique, tandis que nous la supposions à seulement 5% dans des travaux antérieurs. D’autres maladies inflammatoires présentent elles aussi lesdites comorbidités. La raison de ce phénomène de l’iceberg semble apparente: la peau, qui est le plus grand organe de l’organisme, possède son propre compartiment immunitaire, capable de produire de grandes quantités de médiateurs ­inflammatoires et de déclencher ainsi des inflammations au niveau des vaisseaux, des articulations et d’autres tissus. Les prochaines années révéleront si les comorbidités sont uniquement à interpréter comme des dommages collatéraux ou font spécifiquement partie des différentes maladies. Du côté de la dermatologie non invasive, le domaine d’activité s’est aussi élargi pour inclure les processus sous la peau.
Ces 20 dernières années ont connu une renaissance des maladies sexuellement transmissibles que nous pensions avoir surmontées [2]. Depuis des années en Suisse, la syphilis et la gonorrhée affichent notamment une augmentation qui a entre-temps pu être freinée uniquement par le confinement lié à la COVID-19. Les raisons de cette hausse sont variées et vont de l’ignorance et du manque d’information à la mauvaise prévention. Par exemple, il a récemment été possible de documenter la transmission fréquente de gonocoques par le baiser [3].

Que nous réserve l’avenir?

Les développements ci-dessus montrent que la dermatologie s’intéresse, au-delà de la peau, à plusieurs autres niveaux. L’attention portée à la surface cutanée a-t-elle ainsi décru? Ces dernières décennies, la morphologie a en effet perdu en importance par rapport aux débuts de la dermatologie. Cela est peut-être dû au fait qu’il nous manquait des outils efficaces destinés à quantifier les efflorescences. Il ne faut toutefois pas ­oublier – spécialement en médecine moderne, axée sur le diagnostic de laboratoire – que le principal et meilleur biomarqueur demeure la manifestation anatomique pathologique. Au vu de la visibilité directe des symptômes, le défi consiste principalement à interpréter de mieux en mieux ces manifestations. Actuellement, nous sommes en train de vivre un tournant: de nouveaux outils tels que le «parallel computing» nous permettent d’évaluer des types de peau au moyen de l’intelligence artificielle [4]. En effet, il y a seulement quatre ans a été publiée la première percée éminente dans la distinction entre le mélanome et le naevus ­mélanocytaire [5]. Nos recherches soutiennent cette approche prometteuse qui se reflète déjà quotidiennement à la clinique par le contrôle automatique des grains de beauté au moyen de photographies du corps entier (fig. 1). L’avenir proche nous révélera si l’établissement du diagnostic basé sur ordinateur des maladies cutanées générales se verra en effet simplifié au point que notre activité puisse devenir encore plus interventionnelle. Pour résumer, notre discipline est plus vaste et passionnante que jamais, ce qui se reflète également dans le nombre élevé de candidatures en tant que ­médecins assistants et assistantes.
Figure 1: Contrôle automatisé des naevi à la clinique dermatologique universitaire de Bâle.

Perspectives

Les possibilités de l’intelligence artificielle et de son ­intégration dans la dermatologie clinique et la télémédecine vont simplifier le diagnostic et le traitement des maladies dermatologiques, car l’apprentissage fastidieux des images pourrait être remplacé par une aide à la prise de décision.
AN indique avoir reçu, au cours des 36 derniers mois, des honoraires de consultation de la part des sociétés suivantes: AbbVie, Almirall, Amgen, Biomed, BMS, Boehringer Ingelheim, Celgene, Eli Lilly, ­F. Hofmann-La Roche Ltd, Galderma, LEO Pharma, Janssen-Cilag AG, Novartis, Perre Fabre Pharma, Regeneron, Sandoz Pharmaceuticals, Sanofi-Aventis et UCB Pharma.
SL a déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd.
Stephan Lautenschlager
Stadtspital Zürich
Institut für Dermatologie und Venerologie
Herman Greulich Strasse 70
CH-8004 Zürich
Stephan.Lautenschlager[at]triemli.zuerich.ch
1 Hafner J, Läuchli S, Bogdan I, Allemann I, French LE. Dermatochirurgie – der operative Pfeiler der Dermatologie. Ther Umsch. 2010;67(4):195–9.
2 Lautenschlager S. Sexually transmitted infections in Switzerland: return of the classics. Dermatology. 2005;210(2):134–42.
3 Cornelisse VJ, Williamson D, Zhang L, Chen MY, Bradshaw C, Hocking JS, et al. Evidence for a new paradigm of gonorrhoea transmission: cross-sectional analysis of Neisseria gonorrhoeae infections by anatomical site in both partners in 60 male couples. Sex Transm Infect. 2019;95(6):437–42.
4 Meienberger N, Anzengruber F, Amruthalingam L, Christen R, Koller T, Maul JT, et al. Observer-independent assessment of psoriasis-affected area using machine learning. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2020;34(6):1362–8.
5 Esteva A, Kuprel B, Novoa RA, Ko J, Swetter SM, Blau HM, Thrun S. Dermatologist-level classification of skin cancer with deep neural networks. Nature. 2017;542(7639):115–8.