Hypoglycémie non diabétique en médecine ambulatoire
Intérêt du test de jeûne

Hypoglycémie non diabétique en médecine ambulatoire

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Édition
2022/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08996
Forum Med Suisse. 2022;22(38):630-633

Affiliations
Centre universitaire de médecine générale et santé publique – Unisanté, Lausanne: a Département de médecine de famille; b Département des policliniques; Centre hospitalier universitaire vaudois – CHUV, Lausanne: c Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme; d FAMH pluridisciplinaire, Service de chimie clinique

Publié le 21.09.2022

Un patient de 30 ans vient en consultation pour un contrôle, suite à l’intervention des ambulanciers à domicile le week-end en raison d’un état confusionnel aigu. Il s’agit d’un patient en bonne santé habituelle.

Présentation de cas

Un patient de 30 ans vient en consultation pour un contrôle, suite à l’intervention des ambulanciers à domicile le week-end en raison d’un état confusionnel aigu. Il s’agit d’un patient en bonne santé habituelle, professionnellement actif et sportif. Deux jours auparavant, il a présenté un état confusionnel au lever, sous forme de troubles de l’élocution et du comportement, ainsi qu’une agitation et une agressivité. Le patient est resucré oralement par sa conjointe avec deux tartines, deux barres de céréales et une banane. A l’arrivée des ambulanciers, il a recouvert un état habituel. Il n’y a pas eu de perte de connaissance, de perte sphinctérienne, ou de morsure de langue objectivé. La glycémie capillaire est mesurée à 3,9 mmol/l. Le patient vous décrit un épisode similaire il y a six mois, avec des tremblements et des troubles de l’élocution, pour lequel il a consulté les urgences d’une permanence médicale, où une hypoglycémie à 1,9 mmol/l avait été objectivée par la mesure de la glycémie capillaire.
Le patient est ensuite rentré à domicile sans autre investigation, avec des conseils diététiques et une modification du régime alimentaire. Dans ce contexte, vous décidez d’effectuer au cabinet une glycémie et une HbA1c plasmatiques à jeun qui s’avèrent dans la norme (glucose: 4,1 mmol/l; HbA1c 4,6 %).
Laquelle des propositions suivantes est plus exacte?
a) Une glycémie capillaire <3,5 mmol/l ne nécessite pas d’examens complémentaires
b) Effectuer une prise de sang au cabinet pour dosage du C-peptide + insuline
c) Organiser un test de jeûne à l’hôpital
d) Conseiller le patient de contrôler sa glycémie capillaire en cas de récidive des symptômes
La réponse correcte est c.

Discussion

L’hypoglycémie non diabétique (HND) est une affection rare mais qui risque d’être sous-diagnostiquée car elle peut être confondue avec des symptômes peu spécifiques. Cela peut avoir des conséquences graves au vue du fait que des hypoglycémies répétées peuvent entraîner une augmentation de la morbidité et la mortalité [1, 2].
Chez les sujets non diabétiques, l’homéostasie glucidique est normalement très finement régulée. La sécrétion d’insuline diminue en parallèle à la baisse du taux de glucose, et la libération d’hormones de contre-régulation (glucagon, adrénaline) augmente lorsque la glycémie diminue de 3,9 à 3,6 mmol/l. L’hormone de croissance et le cortisol augmentent lorsque le glucose plasmatique diminue en-dessous de 3,0 mmol/l. Ces réponses hormonales commencent avant même l’apparition des premiers symptômes d’hypoglycémie: transpiration, anxiété, palpitations, faim ou encore tremblement. Dans une situation normale, ces symptômes déclenchent une réaction de défense comportementale, sous forme de besoin d’ingestion de nourriture [1].
La constatation d’une hypoglycémie franche, définie par un taux de glucose plasmatique <3,0 mmol/l, associée à des symptômes neuroglycopéniques et leur correction à la suite de la prise orale de sucre est connue comme la triade «de Whipple» et elle est indispensable pour le diagnostic de HND. Même si la valeur-seuil déclenchant des symptômes peut varier d’un individu à l’autre, une valeur de glucose plasmatique inférieure à 3,0 mmol/l est retenue [1]. Cette mesure doit impérativement être effectuée sur un automate de laboratoire, l’imprécision de mesure des glucomètres capillaires étant trop importante pour un diagnostic précis.
En présence d’une suspicion d’HND, la démarche initiale impose une anamnèse minutieuse, en précisant la prise de médicaments, ou de toute traitement de l’entourage familiale, ainsi que la prise d’alcool (Tab. 1). L’anamnèse devra aussi écarter des antécédents de carences nutritionnelles où de chirurgie digestive majeur (estomac, intestin) source potentielle d’hypoglycémies réactionnelles. Dans ce cas, le patient n’est pas retenu comme «apparemment sain». L’anamnèse sera complétée par un examen physique du patient. Si le patient ne présente pas de causes évidentes d’hypoglycémie, le test de jeûne de 72 heures devra être programmé et effectué en séjour hospitalier. Avec ce test, en plus de confirmer la présence d’hypoglycémie, le clinicien vérifiera l’existence d’un hyperinsulinisme endogène (avec aussi le dosage du C-peptide) versus exogène [3, 4].
Tableau 1: Etiologies de HND (exogènes et pathologiques); adapté de [1]
Cause exogèneAlcool
Médicaments*:
insuline ou insulino-sécrétagogues (sulfonylurée, glinide)
quinine
pentamidine
sulfaméthoxazole
cibenzoline
indométacine
béta-bloquant
IEC
TumoraleInsulinome
Tumeur extrapancreatique (NICT): tumeurs mésenchymateuses, carcinoïdes, fibromateuses
Hématologiques (myélome, lymphome)
Carcinomateuses (colorectale, hépatocellulaire)
Déficit hormonalHypocorticisme
Déficit en glucagon et adrénaline
Production hépatique de glucoseHépatite fulminante
Hépatome
Métastase hépatique
Cirrhose
Insuffisance hépato-cellulaire avancée
AutresAuto-immune (Ac-anti-insuline ou à ses récepteurs)
Post by-pass gastrique
Nésidioblastose
HND: hypoglycémie non diabétique; IEC: inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine; Ac: anticorps.
* Liste non exhaustive.

Caractéristiques du test de jeûne

Le patient entre à l’hôpital à jeun (dernier repas la veille au soir). Le test débute à l’arrivée du patient à l’hôpital et sera interrompu en cas d’hypoglycémie très symptomatique ou poursuivi jusqu’à un maximum de 72 heures. L’objectif est d’évaluer si existe une cassure de la réponse contre-régulatrice hormonale avec apparition d’hypoglycémie. En considérant que 75% des insulinomes sont diagnostiqués dans les 24 premières heures, un test de 48 heures a été proposé, mais cela ne permettrait pas de déceler 14% de cas qui avaient été détectés qu’au-delà [5].
Au CHUV, la procédure est la suivante: prise de sang veineux toutes les 4 heures, avec dosage du glucose, de l’insuline et du C-peptide jusqu’à une glycémie <3,3 mmol/l. Dès que ce seuil glycémique est atteint, les prélèvements veineux se font aux 2 heures – ou avant en cas de symptômes – jusqu’à 2,8 mmol/l, puis aux heures. L’analyse du β-hydroxybutyrate doit être effectué à la fin du test de jeun. Le dosage de la proinsuline est également recommandé, mais dans la pratique il n’est souvent pas réalisé (analyse pas faite en Suisse).
L’arrêt du test aura lieu en cas de glycémie veineuse <2,5 mmol/l en présence des signes/symptômes neuroglycopéniques sévères (troubles de l’état de conscience, perte de connaissance, convulsion), et dans les cas d’une glycémie <2,2 mmol/l malgré l’absence des signes/symptômes évocateurs d’hypoglycémie [3].

Utilité du test et interprétation biologique

En cas d’hyperinsulinisme endogène l’étiologie principale est l’insulinome. Ce dernier est souvent recherché mais reste une pathologie rare, avec une incidence de 0,1-0,4:100 000/an [6]. Il est la tumeur neuroendocrine du pancréas la plus fréquente (40–70% [4]). Il s’agit d’une prolifération des cellules bêta le plus souvent localisée à la tête ou à la queue du pancréas qui sécrète une quantité anormalement élevée d’insuline. Il est bénin dans 90% de cas. L’âge moyen de survenue de l’insulinome est de 50 ans et il est plus fréquent chez la femme. Son diagnostic repose sur la présence d’hypoglycémies et de l’hyperinsulinisme endogène objectivé par le test de jeûne. Après la confirmation diagnostique, la localisation de la lésion est souvent compliquée et nécessitée plusieurs investigations, car la taille est dans 2/3 des cas <2 cm. L’examen radiologique de première ligne est l’IRM pancréatique, mais un CT-scan, une échoendoscopie, ou un PET/CT peuvent être requis. Le traitement consiste en une résection chirurgicale de la lésion. L’ablation par radiofréquence est aussi de plus en plus pratiquée selon la taille de la tumeur. Si aucunes démarches invasives ne sont possibles, un traitement médicamenteux par diazoxide ou octréotide, sera proposé [3].
Des valeurs augmentées d’insuline et du C-peptide peuvent être expliquées par un insulinome ou par la prise inavouée de sulfamides hypoglycémiantes. Pour ce motif le dosage sanguin des sulfonylurées est toujours demandé.
Le β-hydroxybutyrate est dosé pour corroborer le jeune du patient, car le taux sanguin serait indétectable en cas d’insulinome, en raison de l’inhibition de la cétogenèse par l’hyperinsulinisme.
L’hyperinsulinisme associé à un C-peptide non dosable peut être dû à une fausse hypoglycémie induite par un traitement exogène d’insuline. Il existe également des hypoglycémies d’origine auto-immune provoquées par d’anticorps anti-insuline ou anti-récepteurs d’insuline, qui causent alternativement des hyper-hypoglycémies selon leur attachement/détachement à l’insuline. Ceci se répercute souvent par des hypoglycémies nocturnes.
Une diminution d’insuline combinée à celle du C-peptide est, dans des rares cas, synonyme d’une tumeur extra-pancréatique sécrétrice de la molécule hypoglycémiante «Big IGF-2» [3, 4].
Si le test de jeûne ne permet pas de préciser la survenue d’hypoglycémies, d’autres investigations ambulatoires peuvent être proposées, telle qu’un repas test (mixed meal tolerance test). Ceci consiste à prendre un repas standardisé, avec prise de sang veineux avant l’ingestion du repas puis toutes les 30 min après la fin du repas (durée 5 heures). On dosera alors le glucose, l’insuline et le C-peptide. Un arrêt précoce du test est recommandé en cas de glycémie veineuse <2,5 mmol/l avec symptômes neuroglycopéniques. Le but est d’évaluer une réponse «exagérée» en insuline causant une hypoglycémie. Il est préféré au test d’hyperglycémie provoquée orale, car il est plus «physiologique» [3].
La figure 1 donne un aperçu de la démarche des évaluations.
Figure 1: Arbre décisionnel et interprétation biologique des résultats du test de jeûne. Adaptée de [3].
* Non-Insulinoma Pancreatogenous Hypoglycaemia Syndrome (NIPHS).

Validité diagnostique

En 2007, The European Journal of Endocrinology publie une étude dont le but est de parvenir à un consensus des valeurs seuils d’insuline, C-peptide et proinsuline pour le diagnostic de l’hyperinsulinisme endogène. L’objectif était de trouver la meilleure molécule pour confirmer ou infirmer un hyperinsulinisme endogène lors d’un test de jeûne. Cette étude met en évidence que des valeurs de proinsuline >5 pmol/l associées à une hypoglycémie <2,5 mmol/l représentent le meilleur critère diagnostique d’un hyperinsulinisme endogène, avec une sensibilité et une spécificité de 100%. Dans les cas d’un glucose entre 2,5–3,3 mmol/l, une proinsuline >22 pmol/l est aussi diagnostique d’un hyperinsulinisme endogène [7].
La proinsuline est le précurseur de l’insuline et du C-peptide. En dehors d’un insulinome ou d’une hyperproinsulinémie familiale, elle n’est retrouvée dans le sang qu’en très faible quantité. Elle est néanmoins peu prescrite lors d’un test de jeûne; son dosage est proposé par peu de laboratoires en Suisse et elle n’est pas remboursée par l’assurance obligatoire des soins. Plus courant, le C-peptide présente également une bonne sensibilité diagnostique à une valeur >0,2 nmol/l pour les hypoglycémies <2,5 mmol/l [7, 8].
C’est depuis 1993 et grâce à une étude menée aux États-Unis que nous connaissons l’importance du C-peptide dans le diagnostic d’un hyperinsulinisme endogène. Cette étude avait pu démontrer l’importance de confirmer le diagnostic d’insulinome par la combinaison: dosage de sulfonylurées négatives + triade de Whipple pendant le test de jeûne + concentration plasmatique de C-peptide égale ou supérieur à 0,2 nmol [8].

Bénéfice du test pour notre patient

L’objectif primordial chez ce patient était de suspecter l’hypoglycémie non diabétique et de bien agir en conséquence. L’absence d’un traitement diabétique, l’histoire clinique du patient et la prise de sang effectuée au cabinet (HbA1c combinée avec une glycémie à jeun dans la norme) font suspecter l’origine non diabétique de ses hypoglycémies sur un possible hyperinsulinisme endogène. Le test de jeûne a permis de confirmer une sécrétion inappropriée d’insuline. Les investigations par CT-scan, IRM et PET-scan ont confirmé la présence d’une lésion hyper-vasculaire de 22 mm au niveau du corps du pancréas. Finalement, le patient a bénéficié d’une résection curative par énucléation de l’insulinome via laparoscopique. Un suivi endocrinologique postopératoire a montré un patient asymptomatique, sans éléments anamnestiques, cliniques ou biochimiques d’hypoglycémies persistantes.

Messages principaux

L’hypoglycémie en l’absence du diabète doit être investiguée en cas de symptômes suspects. Elle sera impérativement investiguée chez tous les patients qui présentent des glycémies <3,0 mmol/l avec symptômes neuroglycopéniques résolus après la prise de sucre (triade de Whipple).
Une bonne anamnèse détaillée associée à un examen physique et à la mesure d’HbA1c et glucose plasmatique sont les premières étapes de la prise en charge ambulatoire.
Une fois confirmé l’hypoglycémie organique le test de jeûne en milieu hospitalier reste l’examen de référence pour confirmer l’hyperinsulinisme endogène de l’hyperinsulinisme exogène.
Carolina Rueda Romero, médecin diplômée
Département de médecine de famille, Centre universitaire de médecine générale et santé publique – Unisanté,Lausanne
AG a déclaré des honoraires versés par SWICA à son institution pour un symposium sur le thème du traitement interprofessionnel des personnes souffrant de céphalées. Les autres auteures et auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Dr méd. Alexandre Gouveia
Policlinique de médecine générale
Centre universitaire de médecine générale et santé publique Unisanté
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
1 Cryer PE, Axelrod L, Grossman AB, et al. Evaluation and management of adult hypoglycemic disorders: an Endocrine Society Clinical Practice Guideline. The Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. 2009;94(3):709–28.
2 Martens P, Tits J. Approach to patient with spontaneous hypoglycemia. Eur J Intern Med. 2014;25(5):415–21.
3 De Kalbermatten B, Malacarne S, Tran C, Jaafar J, Philippe J. L’hypoglycémie chez le patient non diabétique. Forum Med Suisse. 2016;16(34):681–6.
4 Dufey A, Köhler Ballan B, Philippe J. Hypoglycémie non diabétique: diagnostic et prise en charge. Rev Med Suisse. 2013;9:1186–91.
5 Hirshberg B, Livi A, Bartlett DL, Libutti SK, Alexander HR, et al. Forty-eight-hour fast: the diagnostic test for insulinoma. J Clin Endocrinol Metab. 2000;85:3222–6.
6 Service FJ, McMahon MM, O‘Brien PC, Ballard DJ. Functioning insulinoma--incidence, recurrence, and long-term survival of patients: a 60-year study. Mayo Clin Proc. 1991;66(7):711–9.
7 Vezzosi D, Bennet A, Fauvel J, Caron P. Insulin, C-peptide and proinsulin for the biochemical diagnosis of hypoglycaemia related to endogenous hyperinsulinism. Eur J Endocrinol. 2007;157(1):75–83.
8 Service FJ, O‘Brien PC, McMahon MM, Kao PC. C-peptide during the prolonged fast in insulinoma. The Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. 1993;76(3):655–9.