Une ère nouvelle dans la lutte contre les maladies infectieuses
Highlight anniversaire: infectiologie

Une ère nouvelle dans la lutte contre les maladies infectieuses

Medizinische Schlaglichter
Édition
2022/0708
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09004
Forum Med Suisse. 2022;22(0708):119-120

Affiliations
Service des Maladies Infectieuses, Département de Médecine, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Université de Lausanne, Lausanne.

Publié le 15.02.2022

«Alors que nous faisons face à la pandémie, une nouvelle plateforme est inaugurée qui va révolutionner la lutte contre les maladies infectieuses.» A la mémoire de Maurice Hillemann, un des géants du développement des vaccins

Au printemps 2020, en réponse à la pandémie, les essais cliniques des vaccins à base d’acide ribonucléique messager (ARNm) contre SARS-CoV-2 ont inauguré une arme nouvelle pour la lutte contre ce virus dévastateur [1, 2]. Cette plateforme versatile permettant le développement de vaccins hautement efficaces en quelques mois est appelée à relever d’autres défis à venir, tout en offrant également un nouvel outil contre les pathogènes traditionnels.
Le vaccin ARNm consiste à délivrer un ARNm à une cellule cible. L’antigène protéique correspondant est produit en grande quantité et déclenche une réponse immunitaire et une mémoire contre l’infection. L’introduction de l’ARNm dans le cytoplasme est compliquée car l’espace extracellulaire dégrade activement l’ARN et la membrane plasmique cellulaire doit être traversée. En outre, il doit être reconnu comme un ARNm et non comme une molécule étrangère, potentiellement hostile, telle que l’ARN viral [3, 4]. Au cours des 30 dernières années, ces obstacles ont été levés un à un par la collaboration de divers groupes de scientifiques talentueux et déterminés [4].
Parmi les multiples options de conditionnement de l’ARN, les nanoparticules lipidiques (LNP) sont devenues la méthode d’administration la plus fréquemment utilisée [4]. Un lipide cationique favorise l’auto-assemblage en particules d’environ 100 nm qui protègent et délivrent l’ARNm dans le cytoplasme; le polyéthylène glycol (PEG) augmente leur stabilité; enfin, le cholestérol et les phospholipides naturels structurent la bicouche lipidique de la particule.
Les cellules ont développé un ensemble d’outils pour reconnaître et dégrader les ARN étrangers, en particulier viraux [5]. L’utilisation de nucléotides modifiés et l’adaptation de la séquence d’ARNm pour éviter la conformation en ARNm double brin utilisée par les virus et étrangère à la cellule ont permis d’échapper à ces mécanismes de défense [4].
La nature des constituants lipidiques des nanoparticules permet d’influencer le type cellulaire ciblé par ces particules délivrant l’ARNm; par exemple, les cellules présentatrices d’antigène (CPA) telles que les cellules dendritiques recrutées sur le site d’injection [6, 7]. L’antigène est produit dans le cytoplasme des CPA notamment dans les ganglions lymphatiques et présenté par les deux classes du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), stimulant ainsi les réponses humorales et cellulaires du système immunitaire, y compris les cellules CD8 cytotoxiques, importantes dans les défenses antivirales [8]. En comparaison, les vaccins inactivés ne stimulent généralement que peu les réponses cellulaires et nécessitent des adjuvants [4, 9].
Contrairement à l’inactivation ou à l’atténuation virale, les vaccins à ARNm offrent aussi la possibilité de modifications rapides et illimitées de la séquence de l’ARNm. Ainsi, dans le cas de SARS-CoV-2, l’incorporation de mutations pour stabiliser la protéine spike, la cible de notre système immunitaire face à l’infection, permet d’optimiser la production d’anticorps neutralisants. Elle permet aussi l’incorporation de mutations de variants viraux responsables d’un échappement immunitaire [4, 10].
Enfin, la production est simple. L’ARN peut être produit en grande quantité (de l’ordre de centaines de grammes). Ceci a permis la production rapide de centaines de millions de doses alors que les lignées de production n’existaient pas avant 2020. En comparaison, la production de vaccins contre la grippe nécessite l’inoculation d’un œuf de poule fécondé et la récolte du liquide allantoïdien 48 heures plus tard pour 15 microgrammes de virus, soit une dose de vaccin. Ceci impose des limites de temps et d’échelle [11, 12]. En outre, ceci présuppose que la souche virale se réplique adéquatement dans l’œuf. L’adaptation virale à l’œuf peut entraîner des modifications génétiques pouvant réduire l’efficacité du vaccin [13, 14].
Les vaccins à ARN actuellement disponibles en clinique n’ont pas la capacité de s’intégrer dans le génome de l’hôte et ne constituent donc pas une menace pour son intégrité. Contrairement aux vaccins atténués, ils ne sont pas contre-indiqués chez les patients immunocompromis. Enfin, si des réactions allergiques ont été documentées, notamment avec la formulation de PEG, leur incidence est similaire à celles des autres vaccins [15, 16].
Ces atouts ont poussé Drew Weissman, l’un des pionniers des vaccins à ARNm, à leur prédire en 2018 un avenir brillant contre les maladies infectieuses [4].
Or, début janvier 2020, alors qu’une tempête se lève en Chine, des scientifiques publient la première séquence du SARS-CoV-2 [17]. BioNTech et Moderna lancent le développement d’un vaccin ARNm contre le SARS-CoV-2. Grâce à la polyvalence de leur plateforme, tous deux adaptent la séquence de la protéine spike pour en coder une forme plus stable, améliorant ainsi les réactions immunitaires [18]. Le 16 mars et le 4 mai, Moderna et BioNTech lancent leurs essais cliniques respectifs de phase 1/2 [1, 2]. Le 11 décembre, la «Food and Drug Administration» (FDA) donne son approbation provisoire d’urgence [19]. Un rythme impressionnant, mais encore trop lent si l’on considère le tribut déjà payé à SARS-CoV-2: à leur introduction en décembre 2020, la pandémie a déjà causé 75 millions de cas documentés et 1,6 million de décès [20].
Plus impressionnant encore, avec un schéma à deux doses, ces vaccins font rapidement preuve de leur potentiel avec l’induction de fortes réponses immunitaires humorales et cellulaires, démontrant une efficacité clinique vaccinale supérieure à 90% pour la maladie symptomatique et près de 100% contre les formes graves [1, 2, 21–23]. Bien sûr, l’efficacité légèrement réduite contre les variants de SARS-CoV-2 et la baisse de l’immunité avec le temps sont également préoccupantes [24, 25]. Cependant, ces problèmes démontrent précisément la puissance de la plateforme ARNm. Ces vaccins peuvent être utilisés de manière itérative. Compte tenu de l’immunité croissante contre les vecteurs adénoviraux, une telle option pourrait ne pas être possible avec ces vaccins [26]. La plateforme de vaccins à ARNm offre également une adaptabilité face à l’évolution de la pandémie. Moderna, par exemple, a lancé un essai clinique avec la variante bêta de SARS-CoV-2 le 29 mars 2020 (NCT04785144), soit 13 jours seulement après avoir lancé l’essai de phase 1 pour le virus de type sauvage.
Cette campagne a également montré la sécurité de ces vaccins dans la vie réelle. Les effets secondaires graves, tels que la myocardite ou les réactions allergiques, sont rares (environ 10 cas/million), surtout — en ce qui concerne la myocardite — lorsqu’ils sont comparés à l’incidence de ces mêmes complications chez les personnes infectées par le COVID-19 [27–30].

Une base pour des vaccines plus ciblés

Si la lutte contre le COVID-19 est loin d’être terminée, il convient de considérer l’atout qu’est devenue la plateforme vaccinale à ARNm. Cette plateforme, maintenant éprouvée et rapidement adaptable, sera facilement disponible pour les épidémies et pandémies à venir, dont il ne s’agit pas de savoir si, mais plutôt quand, elles auront lieu [31, 32]. Au-delà d’une réponse rapide aux pandémies, cette plateforme devrait également jouer un rôle majeur dans la lutte contre la grippe, en contournant la chaîne de l’œuf et sa dérive génétique et en offrant un vaccin plus ciblé et plus puissant. Elle est prête à jouer un rôle dans d’autres maladies infectieuses telles que l’herpès génital, CMV, RSV, VIH, Ebola, Zika, la rage et le paludisme [33–38]. Une ère nouvelle en vaccinologie et maladies infectieuses, selon Drew Weissman [4].
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obliations financières ou personelles en rapport avec l’article soumis.
Sylvain Meylan, PhD
Service des Maladies ­Infectieuses
CHUV
Av. du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne
sylvain.meylan[at]chuv.ch
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