Mise en évidence virale prolongée lors d’une infection par le SARS-CoV-2 sous immunosuppression
Gestion de la levée de l’isolement

Mise en évidence virale prolongée lors d’une infection par le SARS-CoV-2 sous immunosuppression

Der besondere Fall
Édition
2022/0506
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09020
Forum Med Suisse. 2022;22(0506):109-111

Affiliations
a Rehazentrum Walenstadtberg, Walenstadtberg; b Klinik für Infektionskrankheiten und Spitalhygiene, Universitätsspital Zürich, Zürich

Publié le 01.02.2022

Pour l'hospitalisation des patients avec COVID-19, il existe un consensus clair quant aux mesures stationnaires d’isolement nécessaires. Il n’est cependant pas simple de trancher lorsqu’il est question de la levée de l’isolement.

Contexte

Lorsque des patients atteints du COVID-19 doivent être hospitalisés, il existe un consensus clair quant aux ­mesures stationnaires d’isolement nécessaires. Il n’est cependant pas toujours simple de trancher lorsqu’il est question de la levée de l’isolement. En particulier chez les patients immunodéprimés, la décision d’opter ou non pour des mesures d’isolement prolongées est particulièrement délicate, car une mise en évidence virale prolongée via réaction de polymérisation en chaîne (PCR) à partir d’un frottis nasopharyngé est décrite chez ces patients. Les personnes sous traitement par ­rituximab, qui entraîne une immunosuppression empêchant la formation d’anticorps et donc la formation d’anticorps spécifiques contre le COVID-19, représentent un groupe particulier.
Cet article, qui présente le cas d’un patient sous immunosuppression par rituximab avec COVID-19 prolongé et frottis nasopharyngé positif prolongé, aborde les difficultés dans la prise de décision quant à la levée de l’isolement et à la participation à la vie publique.

Présentation du cas

Anamnèse

Début 2021, un patient immunodéprimé de 54 ans a été admis dans notre centre de réadaptation pour une réadaptation pulmonaire stationnaire suite à une infection par le SARS-CoV-2. En raison d’une granulomatose avec polyangéite (GPA) avec atteinte multiorganique diagnostiquée en 2011, il suivait depuis 2012 un traitement immunosuppresseur par rituximab, métho­trexate et prednisone à faible dose. Dans le cadre d’une fièvre, d’une toux et d’une dyspnée, une infection par le SARS-CoV-2 a été mise en évidence par PCR sur frottis nasopharyngé pour la première fois fin 2020. Après un isolement à domicile de deux semaines, le patient a dû être hospitalisé pour la première fois à l’hôpital cantonal en raison d’une dyspnée croissante, d’une fièvre élevée persistante, de diarrhées et d’une nette perte de poids.

Résultats et diagnostic

A l’admission du patient, la tomodensitométrie a révélé des infiltrats périphériques en taches avec consolidation au niveau des lobes inférieurs des deux côtés, compatibles avec une pneumonie due au COVID-19. La valeur Ct («cycle threshold») de la PCR en temps réel pour le SARS-CoV-2 sur frottis nasopharyngé était comprise entre 26 et 30 (valeur semi-quantitative) lors de l’admission.

Traitement et évolution

Durant l’hospitalisation de sept jours, un traitement par remdésivir a été mis en œuvre pendant cinq jours. Deux semaines après sa sortie, le patient s’est à nouveau présenté en urgence et a été réhospitalisé; la ­tomodensitométrie a alors montré des consolidations croissantes dans les lobes inférieurs des deux côtés et la gazométrie artérielle a révélé une insuffisance res­piratoire partielle avec un index d’oxygénation (Horowitz) de 268 mm Hg, ce qui était compatible avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) léger dans le cadre d’une pneumonie due au COVID-19. Au début de la deuxième hospitalisation, la valeur Ct de la PCR pour le SARS-CoV-2 sur frottis nasopharyngé était inférieure à 26. Une ventilation non invasive par «continuous positive airway pressure» (CPAP) a été mise en place pour une durée totale de quatre jours et un traitement par dexaméthasone a été initié. En raison de l’immunosuppression préexistante par rituximab, il a en outre été décidé d’administrer du plasma de convalescents. Sous ce traitement, le patient est rapidement devenu stable sur le plan cardiopulmonaire et il a pu être transféré en réadaptation après onze jours au total. Avant le transfert, la valeur Ct de la PCR de suivi (frottis nasopharyngé) était toujours comprise entre 26 et 30 (fig. 1). Ainsi, plus de six semaines après la première mise en évidence du virus, le patient était vraisemblablement toujours infectieux et il a été transféré en réadaptation dans le respect de mesures d’isolement.

Réadaptation

Le centre de réadaptation avait mis en place un service d’isolement pour les patients atteints du COVID-19, dont le diagnostic initial remontait le plus souvent à moins de 14 jours et qui étaient donc encore considérés comme potentiellement infectieux. Les séances d’entraînement se sont toutes déroulées dans le respect des mesures de protection en vigueur, et il a tout particulièrement été veillé à ce que les patients portent un masque facial pour protéger le personnel, car il était admis que l’activité physique était associée à une formation accrue d’aérosols. Après des jours d’isolement sans côtoyer d’autres personnes, les séances d’entraînement en petits groupes et la possibilité de se déplacer et de se rencontrer dans le couloir et sur le balcon de 30 mètres de long ont été bien accueillies (voir fig. S1 dans l’annexe joint à l’article en ligne). Des cyclo-ergomètres, des bandes de résistance, quelques poids et un escalier de 17 marches étaient également disponibles. La seule différence par rapport aux autres services du centre de réadaptation était qu’il était impossible de s’entraîner sur les appareils de musculation lourds.
Figure 1: Evolution du COVID-19 à partir du diagnostic initial, avec hospitalisations, traitements et valeurs Ct.
Ct: «cycle threshold»; CPAP: «continuous positive airway pressure».

Résultats ultérieurs

Sur recommandation de l’hôpital d’origine, une PCR de suivi sur frottis nasopharyngé a été réalisée sept jours après l’admission au centre de réadaptation et elle a toujours montré une charge virale élevée persistante du SARS-CoV-2, avec une valeur Ct de 26. Des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 n’ont pas pu être mis en évidence à la sérologie. A ce moment-là, le patient était toutefois afébrile et ne présentait plus de symptômes respiratoires, tels que toux ou expectorations. A sa sortie après près de deux semaines de réadaptation, il a été décidé conjointement avec l’infectiologue contacté à titre consultatif de lever l’isolement chez ce patient asymptomatique – 60 jours après la manifestation initiale de l’infection par le SARS-CoV-2.
Dans le cadre du séjour en réadaptation, la distance de marche au test de marche de 6 minutes était passée de 450 à 560 mètres. Une nette fatigabilité persistait néanmoins.

Traitement ambulatoire

En raison de l’activité professionnelle du patient, qui exerçait une profession médicale au contact de patients, ainsi que s’agissant de la physiothérapie am­bulatoire et de l’entraînement thérapeutique médical ultérieurs, certaines incertitudes demeuraient néanmoins en ce qui concerne une infectiosité persistante, raison pour laquelle le patient a été adressé à un spécialiste en infectiologie pour une évaluation supplémentaire après sa sortie. Le fait que seuls des conseils pragmatiques concernant la proximité de contact avec sa partenaire et sa mère aient pu lui être donnés était particulièrement pesant pour le patient.

Résultats supplémentaires et évolution

Sept jours après la sortie de réadaptation stationnaire, une évaluation quant à une infectiosité potentielle a eu lieu à la consultation post-COVID-19 du service de maladies infectieuses et d’hygiène hospitalière de l’Hôpital universitaire de Zurich. Fort heureusement, la PCR pour le SARS-CoV-2 sur frottis nasopharyngé s’est alors révélée négative pour la première fois 65 jours après le diagnostic initial, ce qui a permis d’exclure une contagiosité persistante. Par ailleurs, la réponse immunitaire à l’infection par le SARS-CoV-2 a été évaluée au moyen d’un test spécifique de différenciation des anticorps de l’Institut de virologie médicale de l’université de Zurich (ABCORA) [1], qui n’a toujours mis en évidence aucun anticorps anti-SARS-CoV-2. Cette ­absence de réponse immunitaire humorale a été interprétée comme étant liée à la déplétion des cellules B par le rituximab. Il a été recommandé au patient de se faire vacciner contre le COVID-19 avant la prochaine administration de rituximab afin de déclencher la meilleure réponse immunitaire possible.
Lors de l’évolution clinique ultérieure, le patient a malheureusement présenté des symptômes persistants, avec fatigue physique prononcée, douleurs articulaires lors de l’effort physique avec «post-exertional malaise» consécutif, ainsi que limitations fonctionnelles cognitives et baisse d’humeur. Face à une forte suspicion de syndrome post-COVID-19, le patient a finalement fait l’objet d’une prise en charge interdisciplinaire à l’hôpital universitaire par des spécialistes en infectiologie, en pneumologie, en rhumatologie, en neuro-immunologie et en neuropsychologie, ainsi qu’en externe par des spécialistes en psychiatrie et en rhumatologie et par le médecin de famille. Un nouveau frottis nasopharyngé prélevé par la suite, 86 jours après le diagnostic initial, s’est toujours révélé négatif.

Discussion

Les patients immunodéprimés peuvent excréter le SARS-CoV-2 de façon prolongée durant jusqu’à 60 jours [2]. Il est dès lors très difficile de répondre à la question de la durée d’isolement nécessaire. Dans les lignes directrices, la durée d’isolement a été réduite depuis l’automne 2020. La règle était que les patients devaient être asymptomatiques durant au minimum 48 heures avant que la durée minimale s’applique. Le «European Center for Disease Prevention and Control» (ECDC) recommandait une durée minimale de 10 jours après le début des symptômes, une durée allongée de 14 à 20 jours en cas de forme sévère, et une durée de 21 jours en cas d’immunosuppression ou chez les personnes travaillant au contact de sujets à risque d’infection (par ex. résidents d’établissements médico-sociaux) [3]. Alors que Swissnoso recommandait encore à l’été 2020 une durée d’isolement de 21 jours en cas d’hospitalisation en unité de soins intensifs et de 28 jours en cas d’intubation, cela a été reformulé en une durée de 14 jours à la fin 2020, y compris en cas de forme sévère et d’immunosuppression sévère, le moment de la levée de l’isolement devant être déterminé sur la base d’une évaluation individuelle [4] (ce qui a été maintenu ­depuis lors [5]).
La PCR pour le SARS-CoV-2 ne permet pas de répondre à la question de l’infectiosité. L’ARN mis en évidence peut provenir d’un virion infectieux encapsulé dans sa capside ou de particules d’ARN non infectieuses qui sont encore présentes après l’arrêt des défenses contre l’infection ou qui sont certes produites par une cellule atteinte mais ne sont plus encapsulées dans une capside et excrétées.
Pour une différenciation plus précise, il est possible de réaliser dans des laboratoires spécialisés une culture virale du SARS-CoV-2 parallèlement à la détermination de la charge virale. La culture virale prend quatre jours. Après le prélèvement, le frottis viral doit être placé dans un milieu de transport viral spécifique et être immédiatement acheminé vers le laboratoire en étant placé sur de la glace (4 °C). Si un acheminement immédiat est impossible, les échantillons peuvent être conservés au réfrigérateur à une température d’environ +4 °C durant au maximum 72 heures. En cas de durée de stockage supérieure à 72 heures, il convient de prendre contact avec le laboratoire. Il est en outre possible de réaliser un test d’anticorps chez les patients immunodéprimés afin d’évaluer la réponse immunitaire humorale [6], l’objectif étant de déterminer si les patients ont au juste développé des anticorps pour la fixation et la neutralisation du virus.

L’essentiel pour la pratique

• En cas d’infection par le SARS-CoV-2 chez des patients présentant une déplétion des cellules B induite par le rituximab, une mise en évidence persistante du virus durant des semaines est possible.
• Il est souvent difficile de déterminer pendant combien de temps les patients doivent être isolés dans une institution de santé et comment ils doivent se comporter s’agissant du contact avec leurs proches après leur sortie. La valeur Ct renseigne sur la quantité de virus, mais la corrélation entre la quantité détectée d’ARN et les particules virales infectieuses n’est pas claire.
• Les questions qui en résultent concernant la gestion de l’isolement sont pesantes pour les patients et requièrent un échange coopératif entre les praticiens et (pour l’instant encore) un certain pragmatisme. Dans les cas incertains, il est possible de réaliser une culture virale et une sérologie visant à déterminer la réponse immunitaire humorale.
La publication a été réalisée avec l’accord du patient.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Emanuel Steinhauer
Rehazentrum ­Walenstadtberg
Chnoblisbüel 1
CH-8881 Walenstadtberg
emanuel.steinhauer[at]med.skema.ch
1 Abela IA, Pasin C, Schwarzmüller M, Epp S, Sickmann ME, Schanz MM, et al. Multifactorial seroprofiling dissects the contribution of pre-existing human coronaviruses responses to SARS-CoV-2 immunity [Internet]. medRxiv [Preprint]. 2021; doi:10.1101/2021.04.21.21255410 [cited 2021 June 22]. Available from: https://doi.org/10.1101/2021.04.21.21255410
2 Health Information and Quality Authority. Evidence summary for the duration of infectiousness in those that test positive for SARS-CoV-2 RNA [Internet]. Dublin: HIQA; 2020 [cited 2021 Feb 25]. Available from: https://www.hiqa.ie/sites/default/files/2020-09/Evidence-summary-for-duration-of-infectiousness-of-SARS-CoV-2.pdf.
3 European Centre for Disease Prevention and Control. Guidance for discharge and ending of isolation of people with COVID-19 [Internet]. Solna (Sweden): ECDC; 2020 [cited 2021 Feb 24]. Available from: https://www.ecdc.europa.eu/en/publications-data/covid-19-guidance-discharge-and-ending-isolation
4 Swissnoso. Interims Vorsorgemassnahmen in Spitälern für einen hospitalisierten Patienten mit begründetem Verdacht oder mit einer bestätigten COVID-19 Infektion (Version 8.6) [Internet]. Bern: Swissnoso; 2020 [cited 2021 Feb 24]. Available from: https://www.swissnoso.ch/fileadmin/swissnoso/Dokumente/5_Forschung_und_Entwicklung/6_Aktuelle_Erreignisse/201211_Vorsorgemassnahmen_COVID-19_Spital_V8.6_DE.pdf
5 Swissnoso. Interim Vorsorgemassnahmen in Spitälern während der COVID-19 Pandemie (Version 9) [Internet]. Bern: Swissnoso; 2021 [cited 2021 Jul 03]. Available from: https://www.swissnoso.ch/fileadmin/swissnoso/Dokumente/5_Forschung_und_Entwicklung/6_Aktuelle_Erreignisse/210630_UPDATE_Mesures_de_precautions_COVID-19_hopital_V_9.1_FR.pdf
6 van Kampen JJA, van de Vijver DAMC, Fraaij PLA, Haagmans BL, Lamers MM, Okba N, et al. Duration and key determinants of infectious virus shedding in hospitalized patients with coronavirus disease-2019 (COVID-19). Nat Commun. 2021;12(1):267.