Le long chemin vers le premier vaccin antipaludique
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Le long chemin vers le premier vaccin antipaludique

Medizinische Schlaglichter
Édition
2022/0910
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09037
Forum Med Suisse. 2022;22(0910):156-157

Affiliations
a Swiss Tropical and Public Health Institute (Swiss TPH), Basel; b Universität Basel, Basel

Publié le 01.03.2022

L’OMS a récemment recommandé l’utilisation à grande échelle du premier vaccin antipaludique chez les enfants des pays concernés. D’autres efforts majeurs restent toutefois nécessaires pour éliminer cette maladie.

Introduction

Le 6 octobre 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé l’utilisation générale du vaccin antipaludique RTS,S/AS01E pour les enfants des régions présentant une transmission modérée à élevée du paludisme par l’agent pathogène Plasmodium falciparum. Il s’agit d’un jalon dans l’histoire de la santé globale et d’une étape essentielle des quelques 40 années de ­périple à travers la recherche, les études cliniques et les programmes pilotes en vue de l’applicabilité dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Un vaccin antipaludique: un chemin de près de 40 ans

Dans les années 1980, des chercheurs de l’entreprise pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK) et du «Walter Reed Army Institute of Research» (WRAIR) ont collaboré en quête d’un nouveau vaccin antipaludique pour les habitants des pays endémiques, les militaires et les voyageurs vers les tropiques. Le premier essai clinique préliminaire réalisé auprès d’un petit groupe de sujets a montré des résultats très prometteurs [1]. Le vaccin a été optimisé dans le cadre d’un partenariat public-privé. Des fragments de la protéine de surface, la protéine circumsporozoïte (CSP), de la forme infectieuse de l’agent pathogène du paludisme P. falciparum, les sporozoïtes, ont été combinés avec le récepteur des cellules T à la surface du virus de l’hépatite B; avec l’adjuvant AS01E, cela a donné le vaccin RTS,S (Mosquirix TM). Les études cliniques étendues «proof of concept» (phase II) ont confirmé le bon profil de sécurité et la protection du vaccin candidat contre l’agent pathogène du paludisme P. falciparum chez les enfants en bas âge d’Afrique [2].
Avant de pouvoir réaliser l’étude décisive de phase III, il a encore fallu montrer que le vaccin pouvait être administré de manière concomitante avec les vaccins classiques du nourrisson dans le cadre du programme ­établi de vaccination («Expanded Programme on Immunization», EPI), c.-à-d. que le vaccin antipaludique ne perturbait pas l’efficacité des vaccins routiniers du nourrisson (diphtérie, polio, tétanos, rougeole) et vice versa. L’étude a en outre révélé que les enfants vaccinés par le RTS,S avaient aussi développé une réponse immunitaire significative contre l’hépatite B, car le vaccin destiné à stimuler la réponse des cellules T contient également le récepteur correspondant de la surface du virus de l’hépatite B. Cette étude centrale de phase II, qui a inclus 500 mères et 340 enfants, a eu lieu en 2006 dans les centres d’essais de l’«Ifakara Health Institute» (IHI) à Bagamoyo en Tanzanie. Deux ans auparavant, le «Swiss Tropical and Public Health Institute» (Swiss TPH) et l’IHI avaient érigé ensemble un nouveau centre pour études cliniques sur la côte tanzanienne. Les ­résultats de cette étude ont été publiés en 2008 et dépassé les attentes de toutes les personnes concernées. L’étude a révélé une protection vaccinale de 65,2% et confirmé le bon profil de sécurité du RTS,S/AS01E; de plus, aucune interaction avec d’autres vaccinations infantiles n’a été observée [3]. L’équipe d’experts était, dès le début, consciente qu’une protection vaccinale conventionnelle (>90%) était impossible pour un vaccin antipaludique de première génération. En principe, il est plus facile de développer un vaccin contre une bactérie ou un virus. En tant que protozoaire, le parasite du paludisme est en revanche extrêmement complexe et «habile». Il modifie constamment sa forme et les niches dans lesquelles il vit: des cellules sanguines aux cellules hépatiques, pour retourner dans les ­cellules sanguines. Se faisant, il se reproduit à grande vitesse (de manière asexuée). Cela signifie aussi que le système immunitaire est à la traîne face à la multiplication du parasite. Tout cela rend le développement d’un vaccin particulièrement délicat. Au vu de la charge de morbidité et de la mortalité que cause le ­paludisme en Afrique subsaharienne, un vaccin ne ­serait-ce que partiellement efficace peut déjà contribuer avec succès à la lutte contre le paludisme. Les mesures existantes, principalement l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticides, ainsi qu’un diagnostic et un traitement rapides restent indispensables.
Les résultats de Tanzanie ont permis de poursuivre la validation et d’aboutir ainsi à la phase III décisive des études cliniques réalisées auprès de 16 000 enfants en bas âge. Onze centres de recherche dans sept pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Est ont participé à cet essai clinique majeur de 2008. Pourtant, les résultats ne correspondaient pas à ce que laissait présager l’étude de phase II. Tandis qu’une protection vaccinale satisfaisante de 50% a été obtenue chez les enfants en bas âge (entre 5 et 17 mois), le résultat était largement moins convaincant pour les nourrissons, avec une protection vaccinale de seulement 22% [4, 5]. Le fait qu’une réponse immunitaire uniquement faible ait pu être provoquée dans le groupe des individus les plus touchés a causé la déception des chercheurs sur le paludisme. Rien de surprenant: l’OMS s’est abstenue de recommander ­directement le nouveau vaccin. En 2015, malgré l’évaluation positive du vaccin par l’Agence européenne des médicaments (EMA), l’OMS a d’abord préconisé d’autres tests cliniques et analyses coût-bénéfice. L’EMA a en outre exigé des programmes pilotes destinés à tester l’acceptation et l’applicabilité de ce vaccin antipaludique dans le cadre des programmes existants de vaccination du nourrisson, avant que le RTS,S/AS01E ne puisse être introduit de manière routinière dans le système de santé africain [6].

Le programme pilote confirme la bonne efficacité et la sécurité

En 2019, l’heure était venue: le Malawi, le Kenya et le Ghana ont été les premiers pays à administrer de manière routinière le vaccin antipaludique dans le cadre des programmes de vaccination des enfants. Ce programme pilote a été financé par «Gavi, The Vaccine Alliance», le «Global Fund for Children’s Vaccines», l’OMS, PATH, une organisation internationale à but non lucratif, UNITAID et GSK. Au vu des résultats des études de phase III, le schéma vaccinal avait été complètement modifié. Au lieu d’une vaccination durant les premières années de vie, les enfants de ces trois pays sont désormais immunisés à l’âge de six, sept et neuf mois. Un vaccin de ­rappel (booster) suit au bout de deux ans. Ce dernier renforce la protection durable contre la maladie mortelle. Près de 800 000 enfants ont été immunisés par le nouveau vaccin dans le cadre de ces études pilotes. Les expériences issues de l’utilisation routinière du vaccin dans les trois pays ont montré:
– L’introduction du RTS,S/AS01E peut facilement être réalisée par le biais des programmes de vaccination déjà établis.
– Le RTS,S/AS01E augmente l’égalité des chances en termes d’accès à la prévention du paludisme.
– Le RTS,S/AS01E présente un excellent profil de sécurité.
– L’introduction du RTS,S/AS01E n’a aucun impact négatif sur le recours aux moustiquaires, à d’autres vaccins infantiles ou sur l’évolution d’autres maladies fébriles.
– Le RTS,S/AS01E entraîne une régression significative (de 30%) du paludisme grave dont l’évolution est mortelle, même dans les régions où les moustiquaires imprégnées d’insecticides sont largement répandues et où il existe un bon accès au diagnostic et au traitement.
– Le RTS,S/AS01E est rentable dans les régions présentant une transmission modérée à élevée du paludisme.

L’avenir de la prévention du paludisme

Ces résultats clairs étaient désormais, même pour l’OMS, un argument suffisant pour recommander l’utilisation générale du vaccin le 6 octobre 2021. Il s’agit d’un grand succès, mais il n’est toutefois pas question de se reposer sur ses lauriers. De grands investissements dans la recherche et le développement de vaccins de deuxième génération resteront à l’avenir nécessaires afin de pouvoir éliminer un jour le paludisme. La technique de l’ARN messager (ARNm), développée avec succès dans le contexte de l’infection par le SARS-CoV-2, pourrait également changer la donne. Les travaux correspondants ont déjà débuté chez BioNTech. Il s’agit de porter ce nouvel élan vers l’avenir. D’autant plus que l’histoire du RTS,S/AS01E a prouvé tout ce qui est possible entre la recherche et le secteur privé: un partenariat allant au-delà des cultures et systèmes entre chercheurs, spécialistes de la santé publique du Nord et du Sud et la population concernée.
Prof. Dr phil. Marcel Tanner déclare des indemnités de déplacement pour sa participation à des essais cliniques de phase II et de phase III ainsi qu’à la mise en œuvre pilote de la «PATH Malaria Vaccine Initiative» et du Programme mondial de lutte contre le paludisme de l’OMS entre 2004 et 2019, y compris la rédaction de rapports. En outre, il déclare des honoraires pour des activités de conseil, y compris des indemnités de déplacement, en tant que membre du conseil scientifique du «Novartis Institute for Tropical Diseases» (NITD) et, en tant que président, de FIND, ainsi que pour d’autres participations aux comités de la Fondation Botnar, de l’Hôpital universitaire de Bâle, de la Fondation Gebert Rüf et de Fairmed Suisse.
Prof. Dr phil. Marcel Tanner
Swiss TPH
Socinstrasse 57
Postach
CH-4002 Basel
marcel.tanner[at]
swisstph.ch
1 Stoute JA, Slaoui M, Heppner DG, et al. A preliminary evaluation of a recombinant circumsporozoite protein vaccine against Plasmodium falciparum malaria. N Engl J Med 1997;336:86–91.
2 Alonso PL, Sacarlal J, Aponte JJ, et al. Efficacy of the RTS,S/AS02A vaccine against Plasmodium falciparum infection and disease in young African children: randomized controlled trial. Lancet. 2004;364:1411–20.
3 Abdulla S, Oberholzer R, Juma O, et al. Safety and immunogenicity of RTS,S/AS02D malaria vaccine in infants. N Engl J Med. 2008;359:2599–601.
4 RTS,S Clinical Trials Partnership. First results of phase 3 trial of RTS,S/AS01 malaria vaccine in African children. N Engl J Med. 2011;365:1863–75.
5 RTS,S Clinical Trials Partnership. A phase 3 trial of RTS,S/AS01 malaria vaccine in African infants. N Engl J Med. 2012;367:2284–95.
6 Penny MA, Galactionova K, Tarantino M, Tanner M, Smith TA: The public health impact of malaria vaccine RTS,S in malaria endemic Africa: country-specific predictions using 18 month follow-up Phase III data and simulation models. BMC Med. 2015;13(1):170.