Un régime efficace
Douleurs épigastriques et syndrome grippal

Un régime efficace

Was ist Ihre Diagnose?
Édition
2022/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09044
Forum Med Suisse. 2022;22(5152):822-824

Affiliations
Service de médecine interne, Réseau Hospitalier Neuchâtelois (RHNE), Neuchâtel
*Co-premières auteures

Publié le 21.12.2022

Une femme de 34 ans consulte pour des douleurs épigastriques irradiant en ceinture et dans le dos. S’y ajoutent inappétence, nausées et vomissements ainsi qu’une odynophagie.

Description du cas

Une femme de 34 ans consulte pour des douleurs épigastriques irradiant en ceinture et dans le dos. Celles-ci ont débuté progressivement après un régime composé uniquement de fruits et légumes durant 15 jours. S’y ajoutent inappétence, nausées et vomissements. La patiente décrit une fatigue avec une sensation d’état fébrile et odynophagie. Elle rapporte des selles flottantes associées à des urines foncées, mais n’a pas noté d’ictère.
Quel est le diagnostic le moins probable?
a) Syndrome de renutrition inapproprié
b) Cholécystite aiguë
c) Lithiase biliaire obstructive
d) Hépatite infectieuse aiguë
e) Pancréatite aiguë
Le syndrome de renutrition inapproprié est peu probable chez une patiente qui a limité son alimentation très transitoirement, et n’est pas associée à des symptômes digestifs. Les autres diagnostics sont plausibles.
A l’examen physique, les paramètres vitaux sont dans la norme. On retrouve des adénopathies cervicales, des amygdales tuméfiées avec dépôts blanchâtres. La palpation abdominale est douloureuse en épigastre et hypochondre, sans signe de Murphy.
Lequel de ces agents infectieux est le moins probable à ce stade?
a) Virus de l’hépatite B (HBV)
b) Streptocoque béta-hémolytique du groupe A
c) Cytomégalovirus (CMV)
d) Virus d’Epstein-Barr (EBV)
e) Virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
Le tableau est celui d’un syndrome mononucléosique (possible avec CMV, EBV et VIH). Une hépatite aiguë peut également se manifester avec un syndrome grippal. L’angine à streptocoque n’explique pas les douleurs abdominales chez l’adulte.
L’analyse sanguine montre des concentrations d’aspartate aminotransférase (ASAT) et d’alanine aminotransférase (ALAT) à dix fois la norme, une bilirubine faiblement élevée sans autre signe de cholestase, un syndrome inflammatoire et une lipase et une créatinine dans la norme. L’échographie abdominale montre un sludge vésical, sans signe de cholécystite ni dilatation des voies biliaires.
Les diagnostics différentiels d’élévation des transaminases (tab. 1) sont évoqués: les origines alcoolique et médicamenteuse sont écartées à l’anamnèse. A l’imagerie, il n’y a pas d’argument pour une hépatite ischémique, ni pour une stéatose hépatique. Le bilan auto-immun est négatif. Les résultats des sérologies montrent d’anciennes infections par le virus de l‘hépatite A (HAV), HBV et CMV. Les sérologies du virus de l‘hépatite C (HCV), du VIH et de la syphilis sont négatives. La virémie de l’hépatite E (HEV) est négative. Concernant l’EBV les résultats sont les suivants: IgM anti-antigène de capside virale de l‘EBV (anti-VCA) négatifs, IgG anti-VCA positifs, IgG anti-antigène nucléaire de l'EBV (anti-EBNA1) négatifs.
Tableau 1: Etiologies d’élévation des transaminases d’origine hépatique, réparties selon leur sévérité [1]
Valeurs de laboratoire pour les Transaminases (ALAT, ASAT)Etiologies
Elévation légère à 2 fois la norme• Alcool
• Stéatohépatite non alcoolique (NASH)
• Médicaments (y compris phytothérapie)
• Hépatites virales chroniques
• Hémochromatose
Elévation modérée à 5–15 fois la norme• Etiologies d’élévation légère des transaminases
• Hépatites virales aiguës
• Autoimmune (ANA, SMA, Anti-LKM)
• Maladie de Wilson
• Déficit en alpha-1-antitrypsine
Elévation sévère à plus de 15 fois la norme• Etiologies d’élévation légère et modérée des transaminases
• EBV, CMV, HSV
• Ischémique (syndrome de Budd-Chiari, thrombose d’une artère hépatique)
• Toxique (Amanite falloïde, aflatoxine)
Une même atteinte pouvant faire une élévation d’intensité variable, la classification dans ce tableau est une simplification arbitraire.

ALAT: alanin aminotransférase; ANA: anticorps antinucléaires; ASAT: aspartate aminotransférase; CMV: cytomégalovirus; EBV: virus d'Epstein-Barr; HSV: Herpes simplex virus; LKM: liver-kidney microsomal antibodies; SMA: smooth muscle antibodies.
Comment interpréter les résultats sérologiques concernant l’EBV?
a) Pas d’infection
b) Infection chronique
c) Infection aiguë avec disparition précoce des IgM
d) Ancienne infection avec perte des IgG anti-EBNA1
e) Réponses c et d
Ce profil sérologique est atypique, il peut s’agir d’une infection aiguë par l’EBV avec disparition précoce des IgM ou d’une ancienne infection avec perte des IgG anti-EBNA1 [2]. Dans cette situation, il faut exclure les autres causes de mononucléose infectieuse et effectuer un suivi sérologique à 2–3 semaines.
Durant l’hospitalisation, la patiente présente une aggravation des douleurs abdominales. Les tests hépatiques sont en amélioration, mais la lipase est à dix fois la norme.
Quel examen complémentaire est alors nécessaire au diagnostic?
a) CT-scan abdominal
b) Cholangio-pancréatographie par résonnance magnétique (cholangio-IRM)
c) Nouvelle échographie abdominale
d) Abdomen sans préparation
e) Aucun examen n’est nécessaire à ce stade
Le diagnostic de pancréatite aiguë se pose avec deux sur trois des critères suivants: douleurs abdominales typiques; lipase supérieure à trois fois la norme; imagerie compatible. Ainsi aucune imagerie n’est nécessaire au diagnostic si les deux premiers critères sont respectés. Un scanner abdominal est utile dans les 72–96 heures du début des symptômes à la recherche de complications et pour évaluer la sévérité de la pancréatite (score de Balthazar). L’échographie est un examen facilement accessible à la recherche d’une origine biliaire. La cholangio-IRM analyse les voies biliaires précisément, permettant un diagnostic précoce, mais est chère et peu accessible. L’abdomen sans préparation a sa place en cas de suspicion d’iléus et dans peu d’autres situations cliniques.
Les causes fréquentes de pancréatite aiguë (tab. 2) sont exclues chez notre patiente.
Tableau 2: Etiologies des pancréatites ainsi que leurs proportions respectives (adapté de [3])
Etiologies de pancréatite aiguëFréquence
Lithiase biliaire40%
Alcool40%
Status post-ERCP5–10%
Hypertriglycéridémie2–4%
Médicamenteuse: didanosine, métronidazole, tétracycline, furosémide, thiazide, sulindac, acide 5-amino-salicylique (5-ASA), azathioprine, L-asparaginase 2–3%
Etiologies rares:
• Infectieuse: virales (oreillons, coxsackievirus, HVB, CMV, EBV, VZV, HSV, HIV…), bactériennes (Mycoplasma, Legionella, Leptospira, Salmonella), fungiques (aspergillus) ou parasitaires (Toxoplasma, Cryptosporidium, Ascaris)
• Hypercalcémie
• Ischémique
• Autres causes obstructives
• Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
• Traumatique
• Auto-immune
• Génétique
3–10%
HBV: virus de l‘hépatite B; CMV: cytomégalovirus; EBV: virus d‘Epstein-Barr; ERCP: cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique; HSV: Herpes simplex virus; VIH: virus de l‘immunodéficience humaine; VZV: virus varicelle-zona. 
Une cholangio-IRM est effectuée, le sludge biliaire vu à l’échographie laissant suspecter une migration lithiasique. Celle-ci retrouve des voies biliaires dans la norme et des signes de pancréatite (fig. 1).
Figure 1: Reconstruction MIP («maximum intensity projection») coronale en IRM T2. Dans le panel A , (séquence IRM T2 SPACE) on observe l‘intégrité des voies biliaires. Dans le panel B (séquence IRM T2 HASTE) on met en évidence un oedème de la tête du pancréas (flèche).
Quel est le pourcentage de pancréatite aiguë d’origine infectieuse?
a) <1%
b) 3%
c) 5%
d) 10%
e) 20%
L’origine infectieuse doit être évoquée pour toute pancréatite en cas d’exclusion des étiologies classiques. Elle est retrouvée dans <1% des cas, et est principalement virale (tab. 2).
Quatre jours plus tard, la patiente rentre à domicile après amendement des douleurs abdominales et reprise de l’alimentation. Nous retenons une pancréatite le plus probablement à EBV, devant un syndrome mononucléosique.
Au contrôle d’infectiologie, les sérologies pour l’EBV restent équivoques. Une migration lithiasique ne peut être formellement écartée devant une évolution clinico-biologique favorable.

Discussion

La mononucléose infectieuse est causée à 85–90% par l’EBV (et à 10–15% par le VIH, le CMV, la toxoplasmose, les HHV6 et 7). Les symptômes sont causés par une réponse immunitaire de l’hôte, après une incubation de 30–50 jours.
L’EBV est souvent contracté dans l’enfance, alors paucisymptomatique. La clinique est plus marquée chez les adolescents et les adultes. L’atteinte des lymphocytes B se traduit par une hypertrophie des tissus lymphoïdes (amygdales, rate et ganglions lymphatiques). La triade typique est: fièvre, pharyngite et adénopathies cervicales. Une fatigue peut perdurer pendant plusieurs semaines.
La mononucléose infectieuse est habituellement autolimitée. Les cas compliqués sont rares, parmi eux la mortalité est <1%. Localement, l’œdème oro-pharyngé peut causer l’obstruction des voies aériennes. Des atteintes neurologiques et hématologiques variées sont décrites. La rupture de rate survient principalement en cas de traumatisme. Des cas isolés de néphrite interstitielle, de myocardite et de pneumonie ont été publiés.
Chez la patiente, la présence simultanée d’une hépatite et d’une pancréatite aiguës fait suspecter une origine virale. À noter que l’élévation de la lipase peut ne se manifester que tardivement avec un délai allant jusqu’à 24 heures dès la survenue des symptômes. D’après la littérature, l’EBV cause une atteinte hépatique dans 95% des cas, en revanche l’atteinte pancréatique est rare [4]. Ces complications sont généralement d’intensité légère et disparaissent spontanément sans séquelles, elles sont concomitantes au tableau mononucléosique.
Une pancréatite doit être évoquée dans tout syndrome mononucléosique lorsque des douleurs abdominales s’y ajoutent. Le diagnostic de pancréatite à EBV repose sur la clinique (présentation et résolution de la pancréatite concordant avec celle de l’infection), les sérologies, et rarement l’histologie (présence de l’agent infectieux dans le pancréas). Le mécanisme physiopathologique de pancréatite virale n’est pas connu. Quelques hypothèses ont été suggérées: une réplication virale dans les cellules acineuses du pancréas pourrait entraîner la destruction directe par fuite de protéase, et un œdème local pourrait entraîner une obstruction à l’écoulement du liquide pancréatique [5].
Le traitement de la pancréatite à EBV est symptomatique avec une alimentation par voie orale pauvre en graisse et une hydratation adéquate. Les antiviraux ne sont pas indiqués chez les patients immuno-compétents.
Dr méd. Capucine Gubert
Service de médecine interne, Réseau Hospitalier Neuchâtelois (RHNE), Neuchâtel
Dr méd. Linda L. Cavagna
Service de médecine interne, Réseau Hospitalier Neuchâtelois (RHNE), Neuchâtel
Question 1: a. Question 2: b. Question 3: e. Question 4: e. Question 5: a.
Nos remerciements à la Dre Catrina Hansen-Pham pour les images radiologiques.
Dr méd. Linda Cavagna
Service de médecine interne
Réseau Hospitalier Neuchâtelois
Maladière 45
CH-2000 Neuchâtel
Dr méd. Capucine Gubert
Service de médecine interne générale
Hôpitaux universitaires de Genève
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
CH-1205 Genève
1 Kwo PY, Cohen SM, Lim JK. ACG Clinical Guideline: Evaluation of Abnormal Liver Chemistries. Am J Gastroenterol. 2017;112(1):18–35.
2 Dumulin A, Eyer M. Causes Fréquentes de Mononucléose Infectieuse. Rev Med Suisse. 2018;14:1799–802.
3 Frossard JL, Von Laufen A, Felley C, Dumonceau JM. Diagnostic et bilan étiologique d'une pancréatite aiguë. Rev Med Suisse. 2003;11:229–33.
4 Hammami MB, Aboushaar R, Musmar A, Hammami S. Epstein-Barr virus-associated acute pancreatitis. BMJ Case Rep. 2019;12(11):e231744.
5 Simons-Linares CR, Imam Z, Chahal P. Viral-Attributed Acute Pancreatitis: A Systematic Review. Dig Dis Sci. 2021;66(7):2162–72.