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Contexte
La myocardite est une maladie inflammatoire du muscle cardiaque, dont l’étiologie est hétérogène. Un déclenchement dû à des bactéries du genre Salmonella est rare et n’a jusqu’à présent été décrit que sporadiquement. Outre le SARS-CoV-2 («severe acute respiratory syndrome coronavirus 2»), les vaccins à acide ribonucléique messager (ARNm) développés contre celui-ci semblent aussi être susceptibles de provoquer une myocardite [1].
Rapport de cas
Anamnèse
Un patient âgé de 23 ans s’est présenté au service des urgences avec une diarrhée et des douleurs thoraciques. Il a rapporté le passage de selles aqueuses dix fois par jour et une mesure de sa propre température jusqu’à 38,4 °C. La diarrhée était survenue cinq jours plus tôt lors d’un voyage au Portugal, où le patient avait notamment consommé des fruits de mer et des plats à base d’œufs. Sa sœur et sa partenaire avaient également été malades. Quatre jours plus tard étaient en plus apparues des douleurs thoraciques lancinantes aiguës irradiant dans le bras gauche, qui n’étaient pas dépendantes de l’effort mais de la respiration. Treize jours avant son admission, le patient avait reçu la première dose d’un vaccin à ARNm contre la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) (mRNA-1273, Moderna). Aucun facteur de risque cardiovasculaire, ni antécédent médical pertinent n’étaient connus.
Examen clinique
Au moment de l’admission, une pression artérielle de 135/86 mm Hg, une fréquence cardiaque de 85/min et une saturation native en oxygène de 95% ont été mesurées. La température corporelle était de 37,4 °C. Les battements du cœur étaient purs et rhythmiques, aucun souffle cardiaque ni frottement péricardique n’ont été détectés. En présence de bruits intestinaux réguliers, l’abdomen présentait une douleur diffuse à la pression, mais pas de péritonite.
Résultats
L’analyse biochimique a révélé, outre une leucocytose de 14,4 G/l (valeur normale 4–9,8 G/l) avec neutrophilie, une hausse du taux de protéine C-réactive (CRP) à 54 mg/l (valeur normale <5 mg/l), de troponine T hypersensible (hs) à 1785 ng/l (valeur normale <4 ng/l) et de créatine kinase (CK) à 1 926 U/l (valeur normale <190 U/l). L’examen bactériologique des selles a pu mettre en évidence Salmonella enteritidis sur biologie moléculaire et culture, les anticorps de type H contre Salmonella enteritidis étaient positifs dans le sérum. Aucune culture sanguine n’a été prélevée. Les anticorps anti-nucléocapside de SARS-CoV-2 se sont révélés négatifs lors de la différenciation sérologique.
A l’électrocardiogramme (ECG), des élévations concaves et diffuses du segment ST ainsi qu’un sous-décalage discret du segment PQ étaient visibles en présence d’un rythme sinusal normocarde. L’échocardiographie transthoracique (ETT) indiquait une fraction d’éjection ventriculaire gauche réduite (FEVG; 35–40%) avec akinésie de l’apex au niveau latéral à mi-ventriculaire et hypokinésie généralisée des autres segments de paroi. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cœur a finalement confirmé la périmyocardite aiguë prononcée avec léger épanchement péricardique (fig. 1) sans mise en évidence d’une ischémie induite par l’effort.
Traitement et évolution
Selon la «case definition» des «Centers for Disease Control and Prevention» (CDC) [1], nous avons établi le diagnostic suspecté d’une périmyocardite aiguë et mis en place un traitement par ramipril et bisoprolol ainsi qu’un traitement analgésique par ibuprofène et pantoprazole. La diarrhée a été traitée par l’administration intraveineuse de liquide et une substitution d’électrolytes. En raison du risque accru d’arythmies, le patient a d’abord été admis à l’unité de soins intensifs, où le monitorage électrocardiographique continu pendant trois jours n’a détecté aucune anomalie et aucun signe clinique d’insuffisance cardiaque n’est apparu. Les biomarqueurs cardiaques ont atteint leur point culminant au deuxième jour d’hospitalisation (troponine T hs max. 3269 ng/l, CK max. 2597 U/l), avant de diminuer de manière concomitante aux douleurs thoraciques et à la diarrhée. Lors des contrôles ECG et ETT avant la sortie, les élévations diffuses de ST avaient nettement régressé, la FEVG s’était normalisée (60%) et plus aucun trouble régional des mouvements de la paroi n’était visible. Nous avons pu laisser le patient regagner son domicile après une hospitalisation de six jours, en présence de symptômes thoraciques résiduels.
Lors du contrôle de suivi au bout de trois mois, le patient était exempt de symptômes et les accumulations tardives de gadolinium étaient nettement régressives à l’IRM. Il subsistait néanmoins des fibroses sous-épicardiques multifocales post-inflammatoires du myocarde ventriculaire gauche sans œdème (fig. 2). En présence d’une FEVG normalisée depuis trois mois, nous avons progressivement mis fin au traitement de l’insuffisance cardiaque [2]. L’échocardiographie de suivi réalisée trois mois après l’arrêt de la médication indiquait une FEVG encore normale.
Discussion
Dans le cas décrit, le patient était atteint d’une périmyocardite aiguë en présence d’une entérite à salmonelles et peu après la (première) vaccination contre le COVID-19. Outre la manifestation extra-intestinale de l’infection à salmonelles, un effet médicamenteux indésirable est également envisageable comme déclencheur de la cardiopathie, ce qui a été déclaré auprès de Swissmedic. Les caractéristiques de la myocardite infectieuse et induite par une vaccination sont répertoriées au tableau 1. Les anticorps anti-nucléocapside de SARS-CoV-2 négatifs dans le sérum s’opposaient à une précédente infection cliniquement inapparente de COVID-19 comme déclencheur possible de la périmyocardite et étaient compatibles avec une réaction au vaccin.
Tableau 1: Comparaison entre une myocardite infectieuse à salmonelles non typhique et une myocardite post-vaccination [18, 22, 28–30] | ||
Myocardite infectieuse (NTS) | Myocardite post-vaccination (vaccins à ARNm) | |
Incidence | Inconnue | 0,3–11 cas/105 personnes vaccinées; le plus souvent dans le groupe d’âge16–29 ans; surtout après la 2e dose 5× plus souvent après mRNA-1273 par rapport à BNT162b2 |
Rapport entre les sexes (m : f) | 3 :1 | 3 :1 |
Age moyen (en années) | 44 | 26 |
Physiopathologie (hypothétique) | Auto-immunité par «molecular mimicry»: bactériémie → les récepteurs «toll-like» des cardiomyocytes reconnaissent l’antigène bactérien → activation du système immunitaire (non) spécifique Effet de toxine Influence du microbiome (Bacteroides spp. expriment une β-galactosidase présentant une forte ressemblance à la myosine → stimulation chronique des lymphocytes T auxiliaires) | «Molecular mimicry» entre la protéine spike du SARS-CoV-2 et les antigènes myocardiques → synthèse d’anticorps Reconnaissance de l’ARNm comme antigène avec activation (non contrôlée) du système immunitaire (non) spécifique Influences hormonales |
Mortalité | 20–30% | 1% |
Pourcentage des patients sous immunosuppresseurs (stéroïdes) | Jusqu’à 70% (attention: biais de publication) | Non |
Complications aiguës | Rupture ventriculaire (2%), tamponnade péricardique (souvent en présence d’une péricardite) | Choc cardiogénique (1–5%) |
Risque de développement d’une cardiomyopathie dilatée | Inconnu | Inconnu; rétablissement rapide dans 90% des cas |
Traitement | Traitement optimal de l’insuffisance cardiaque, antibiotiques (ceftriaxone ou quinolone); pas de sport de compétition pendant 3–6 mois | Expectatif; traitement optimal de l’insuffisance cardiaque; pas de sport de compétition pendant 3–6 mois |
NTS: salmonellose non typhique; ARNm: acide ribonucléique messager; mRNA-1273: vaccin anti-SARS-CoV-2 Moderna; BNT162b2: vaccin anti-SARS-CoV-2 Pfizer BioNTech. |
L’étiologie de la myocardite est hétérogène [3]. Généralement, des virus en sont la cause, les virus Coxsackie et les adénovirus, mais aussi le parvovirus B19, le virus d’Epstein-Barr, le cytomégalovirus et le SARS-CoV-2 étant principalement à mentionner [3, 4]. Une myocardite peut toutefois aussi être une manifestation extra-intestinale d’une infection à salmonelles, bien qu’elle n’ait jusqu’à présent été décrite que sporadiquement en tant que conséquence d’une salmonellose entéritique (salmonellose non typhique [NTS]) [5–16]. Celle-ci s’exprime typiquement par des symptômes abdominaux (tels que diarrhée, vomissements, douleurs abdominales), mais diverses manifestations extra-intestinales telles qu’ostéomyélite, endocardite, aortite et méningite sont en outre possibles [17]. La myocardite à NTS touche généralement les personnes immunosupprimées. Comme décrit dans notre exemple de cas, des individus jeunes jusqu’alors sains peuvent toutefois aussi en être atteints [16]. La cause mise en évidence dans de nombreux cas est Salmonella enteritidis [18]. Le traitement de la myocardite repose sur une médication optimale de l’insuffisance cardiaque (primairement inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine [ECA] et bêtabloquants, si besoin antagonistes du récepteur minéralocorticoïde et inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 [SGLT-2]). Selon un modèle animal, elle peut être aggravée par l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et la congestion peut en outre augmenter [19, 20]. Compte tenu de la péricardite douloureuse de notre patient, nous avons toutefois opté pour un traitement par AINS. En cas d’évolution sévère d’une NTS, un traitement antibiotique, par exemple par ciprofloxacine ou ceftriaxone, doit parallèlement être évalué [21, 22]. Dans notre cas, nous avons renoncé à un traitement antibiotique car le patient ne présentait pas d’état de sepsis. Les résultats de l’examen bactériologique des selles – analysées dans un laboratoire externe – ne nous sont parvenus qu’après plusieurs jours, alors que l’état du patient (tableau clinique, paramètres inflammatoires, biomarqueurs cardiaques, FEVG) s’était déjà nettement amélioré.
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, de plus en plus de cas de périmyocardite ont été signalés à la suite de l’administration de vaccins à ARNm anti-SARS-CoV-2, plus souvent après l’utilisation du vaccin mRNA-1273 (Moderna) par rapport à BNT162b2 (Pfizer BioNTech). Un rapport causal semble possible. Il s’agit généralement d’hommes jeunes préalablement sains qui développent de fortes douleurs thoraciques, parfois aussi une dyspnée et des palpitations, typiquement un à cinq jours après la deuxième dose de vaccin [23, 24]. La déclaration d’éventuels effets médicamenteux indésirables des vaccins contre le COVID-19 est importante, mais ne doit pas compromettre la confiance en la vaccination à l’heure de la pandémie actuelle. Le risque de réactions rares au vaccin est considérablement inférieur au bénéfice bien établi de la vaccination concernant la prévention de l’infection et la maîtrise de la pandémie [1, 25]. La myocardite survient en outre 100× plus souvent à la suite du COVID19 qu’après le vaccin à ARNm correspondant [26, 27].
Nous avons autorisé le patient décrit dans cet exemple à recevoir une deuxième vaccination, préférablement avec le vaccin BNT162b2 de Pfizer BioNTech.
L’essentiel pour la pratique
La périmyocardite est une manifestation extra-intestinale rare d’une infection à salmonelles non typhique. Il convient de l’envisager chez les personnes présentant une diarrhée et des douleurs thoraciques, car il pourrait s’ensuivre des complications graves (tamponnade péricardique, rupture ventriculaire, arythmies).
Outre le tableau clinique, des biomarqueurs cardiaques, l’électrocardiogramme, l’échocardiographie transthoracique et l’imagérie par résonance magnétique cardiaque sont significatifs pour l’établissement du diagnostic.
La périmyocardite est souvent mise en relation avec des vaccins à ARNm anti-SARS-CoV-2. En cas de suspicion d’une réaction indésirable au vaccin, la déclaration auprès de Swissmedic est un instrument essentiel.
Medizinische Klinik, Spital Limmattal, Schlieren
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Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d'intérêts potentiels.
Dr méd. Johann Stuby
Institut für Anästhesiologie
Universitätsspital Zürich
Rämistrasse 100
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johannstuby[at]aol.com
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