Penser à des causes iatrogènes
Conséquence neurologique rare

Penser à des causes iatrogènes

Der besondere Fall
Édition
2022/42
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09110
Forum Med Suisse. 2022;22(42):699-701

Affiliations
a Klinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital Bern, Bern, b Berner Institut für Hausarztmedizin (BIHAM), Universität Bern, Bern

Publié le 19.10.2022

Le transfert de la patiente âgée de 58 ans a été effectué depuis la clinique psychiatrique en raison de variations de la vigilance, d’une prise irrégulière de nourriture et de médicaments ainsi que d’une incontinence urinaire.

Contexte

Les symptômes associés aux médicaments doivent toujours faire partie du diagnostic différentiel, mais sont toutefois souvent oubliés, ce qui peut entraîner une cascade de prescriptions et une polypharmacie inadaptée. La différenciation entre les modifications principalement dues à la maladie et les modifications iatrogènes d’un tableau clinique est parfois difficile, mais doit être envisagée en cas de survenue après modifications de la médication.
Les symptômes associés aux médicaments doivent faire partie du diagnostic différentiel, mais sont souvent oubliés.
© Myriam Zilles / Unsplash

Rapport de cas

Anamnèse

Le transfert de la patiente âgée de 58 ans vers l’hôpital somatique a été effectué depuis la clinique psychiatrique où elle était traitée en raison d’une dépression sévère chronicisée en présence d’un trouble schizo-affectif. La patiente s’y trouvait dans un état psychique fluctuant depuis environ six semaines, présentant parfois des épisodes d’état confusionnel et de mutisme. Depuis une semaine, elle nécessitait davantage de soins en raison de variations de la vigilance, d’une prise irrégulière de nourriture et de médicaments ainsi que d’une incontinence urinaire nouvellement survenue. A deux reprises, son agitation a rendu impossible la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) destinée à exclure une lésion organique cérébrale, ce qui a entraîné le transfert. Le traitement préexistant par quétiapine et clozapine avait été augmenté à la clinique psychiatrique à 150 mg/d (quétiapine) et 300 mg/d (clozapine) et complété par la fluvoxamine (50 mg/d), l’amisulpride (800 mg/d) et le lorazépam (1,5 mg/d).
Seule une anamnèse limitée a pu être recueillie à l’admission en raison de la perte de vigilance. Outre des douleurs diffuses dans la jambe droite et des troubles mictionnels non spécifiques, aucun autre symptôme n’a pu être enregistré.

Examen clinique et résultats

Lors de l’admission, la patiente était somnolente, néanmoins réveillable à tout moment, orientée sur le plan local et situationnel, mais désorientée temporellement, stable au niveau cardiorespiratoire (pression artérielle 120/58 mm Hg, pouls 97/min, fréquence respiratoire 19/min, saturation en oxygène [SpO2] 96%), afébrile et dans un état général réduit. Les statuts cardiaque, pulmonaire et abdominal étaient exempts d’anomalies. L’examen neurologique a été rendu difficile par la capacité réduite de coopération de la patiente. Les pupilles étaient isocores et promptement réactives à la lumière, l’épreuve doigt-nez dissymétrique. En présence d’un score de 14 sur la «Glasgow Coma Scale» (GCS) ont été observés un coin de la bouche tombant à droite et une allodynie dans toute la jambe droite.
Les analyses biochimiques ont révélé des valeurs de glucose et d’électrolytes normales. Ont été observés un taux de lactate déshydrogénase (LDH) accru à raison de 297 U/l, tout comme celui d’aspartate aminotransférase (ASAT) de 117 U/l, en présence de valeurs normales d’alanine aminotransférase (ALAT) et de cholestase ainsi qu’une leucocytose de 11,9 G/l et un taux de protéine C-réactive (CRP) de 23 mg/l. L’électrocardiogramme (ECG) était normal à l’exception d’un intervalle QTc légèrement prolongé (450 ms). En présence de symptômes non spécifiques et d’une perte de vigilance, des cultures sanguines et urinaires ainsi qu’un frottis SARS-CoV-2 ont été prélevés, qui étaient tous négatifs.
En raison de la perte intermittente croissante de vigilance, la patiente a été hospitalisée pour des examens complémentaires et un traitement.
Le lendemain, elle affichait une hausse de température à 38,1 °C. Elle présentait un état rigide et akinétique, sans modification de la perte de vigilance. L’ensemble des réflexes était faiblement déclenchable. En présence d’un taux accru d’ASAT et d’un taux normal d’ALAT, la créatine-kinase (CK) a été mesurée, indiquant une valeur nettement accrue de 2 440 U/l. L’IRM crânienne a été réalisée sous anesthésie en raison des épisodes d’agitation mentionnés et n’a montré aucune pathologie organique cérébrale ni vasculaire. La ponction lombaire était normale.

Diagnostic

La patiente était sous traitement antipsychotique. Elle avait précédemment fait preuve d’agitation et présentait actuellement somnolence, mutisme, désorientation ainsi qu’une rigidité accompagnée d’akinésie, une température supérieure à 38 °C, une tachycardie et, depuis peu, une incontinence urinaire. Elle remplissait ainsi tous les critères cliniques d’un syndrome malin des neuroleptiques (SMN) (tab. 1), bien que la présence de deux de ces critères aurait déjà suffi pour une suspicion.
Tableau 1: Signes cliniques d’un syndrome malin des neuroleptiques
Signes cliniques Manifestation clinique possible
Anomalie du comportementAgitationConfusionDésorientationÉtat confusionnelCatatonieMutismeStupeur à comaPlus rarement, psychose
Trouble moteur RigiditéTremblementPlus rarement, dystonie, opisthotonos, trismus, chorée ou autres dyskinésies, hypersialorrhée, dysarthrie, dysphagie
Hyperthermie>38 °C
Instabilité autonomeTachycardieHypo-/hypertensionTachypnéeArythmiesHypersudationIncontinence urinaire
Les analyses biochimiques ont révélé un taux de CK nettement accru. D’autres causes de l’état de la patiente ont été exclues. La patiente a obtenu 100/100 points au score de Gurrera et al. [1] (tab. 2), permettant d’établir le diagnostic d’un SMN.
Tableau 2: Critères diagnostiques selon Gurrera et al. [1]
Clinique Points
Prise d’antagonistes dopaminergiques ou arrêt d’agonistes dopaminergiques durant les 72 dernières heures20
Hyperthermie (>38 °C, mesurée au moins 2× oralement)18
Rigidité17
Anomalie du comportement13
Hausse de la créatine kinase (au moins 4 fois la valeur normale supérieure) )10
Instabilité autonome avec au moins 2 des symptômes suivants:
– Hypertension (systolique ou diastolique >25% au-dessus du niveau de référence)
– Fluctuations de la pression artérielle (variation systolique >25 mm Hg en 24 heures)
– Hypersudation
– Incontinence urinaire
10
Hypermétabolisme (tachycardie [>25% au-dessus du niveau de référence ], tachypnée [>50% au-dessus du niveau de référence ])5
Résultats diagnostiques négatifs concernant les causes infectieuses, toxiques, métaboliques ou neurologiques7
Total100

Traitement et évolution

La totalité du traitement médicamenteux a d’abord été interrompue et la patiente transférée pour observation à l’unité de soins intermédiaires (IMC), où une administration intraveineuse de liquides a été effectuée. Le taux de CK a ensuite régressé et la vigilance de la patiente s’est améliorée. Après une période d’observation sans anomalie, la patiente afébrile et stable sur le plan cardiorespiratoire et neurologique a été retransférée à l’unité normale. La leucocytose a régressé spontanément.
En conséquence de l’arrêt du traitement antipsychotique, la patiente était de plus en plus agitée et, sous monothérapie de benzodiazépine, ne pouvait plus être gérée à l’unité de médecine interne, tandis qu’elle sollicitait son retour à la clinique psychiatrique. Après consultation psychiatrique, elle a été évaluée comme étant orientée, non psychotique, légèrement ralentie en termes d’entrain et de psychomotricité, légèrement déprimée sur le plan affectif, mais pas dangereuse pour elle-même ni autrui, et a été retransférée à la clinique psychiatrique pour suite de prise en charge.

Discussion

Le SMN est un tableau clinique neurologique plutôt rare (0,02–3% des personnes sous antipsychotiques) [2, 3], susceptible de développer de multiples complications.
Les premiers rapports de cas proviennent des années 1960, la mortalité n’ayant cessé de diminuer depuis, ce qui est dû à l’augmentation de l’évocation du diagnostic permettant de débuter le traitement plus tôt [4].
Le tableau clinique inclut quatre signes principaux: anomalies du comportement, troubles moteurs, hyperthermie et instabilité autonome (tab. 1). L’établissement du diagnostic a lieu au vu d’une suspicion clinique élevée avec médication correspondante après exclusion d’autres causes. Il existe un consensus international selon lequel les symptômes caractéristiques d’un SMN peuvent être évalués au moyen d’un score pas encore validé (tab. 2) [1]. Du point de vue clinique, un SMN est à considérer en présence d’au moins deux des quatre signes cliniques mentionnés. Il survient souvent dans les deux semaines suivant l’augmentation du dosage ou l’ajout de médicaments déclencheurs (tab. 3), avec une manifestation de la symptomatique pendant un à trois jours. De manière générale, il peut toutefois se développer à n’importe quel moment du traitement [2]. Dans le cas décrit, le taux de clozapine était abaissé sept jours avant le transfert (38 ng/ml). La dose a ensuite été augmentée. Une nouvelle mesure aurait permis une meilleure représentation. Toutefois, la symptomatique et les résultats de la patiente concordaient avec le tableau clinique typique d’un SMN [5].
Tableau 3: Substances susceptibles de déclencher un syndrome malin des neuroleptiques (SMN)
AntipsychotiquesAntiémétiques
Aripiprazole
Chlorpromazine
Clozapine
Fluphénazine
Halopéridol
Olanzapine
Palipéridone
Perphénazine
Quétiapine
Rispéridone
Thioridazine
Ziprasidone
Amisulpride
Zotépine
Dompéridone
Dropéridol
Métoclopramide
Prochlorpérazine
Prométhazine
Liste non exhaustive. En principe, toute substance antipsychotique peut contribuer au développement d’un SMN.
Sur le plan biochimique, il convient de mentionner la hausse typique de CK (>1000 U/l – le plus probablement l’expression de la rigidité musculaire). Cette hausse corrèle avec la mortalité [3]. D’autres anomalies biochimiques non spécifiques peuvent survenir (augmentation des taux de LDH, transaminases [en particulier ASAT en raison de la rigidité musculaire] et phosphatase alcaline; légère leucocytose; déséquilibres électrolytiques; insuffisance rénale en cas de rhabdomyolyse).
En termes de diagnostic différentiel, les autres causes possibles associées aux médicaments incluent le syndrome sérotoninergique et l’hyperthermie maligne. Une première différenciation est effectuée au vu de la médication: inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) en présence de syndrome sérotoninergique, anesthésiques inhalés dans le cas de l’hyperthermie maligne, antipsychotiques ou antiémétiques avec blocage des récepteurs dopaminergiques pour le SMN (tab. 3); un SMN peut donc aussi se manifester après arrêt d’agonistes dopaminergiques chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson [2].
Dans 92% des cas, les individus concernés sont déshydratés. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un facteur de risque supplémentaire pour la survenue d’un SMN ou d’une conséquence du SMN [6]. La prise concomitante de lithium peut augmenter le risque d’un SMN (l’association entre lithium et neuroleptiques augmente la neurotoxicité) [7].
La première mesure thérapeutique consiste à arrêter les médicaments déclencheurs. Ensuite, l’accent est mis sur la surveillance et le traitement de complications, en s’assurant de la stabilité cardiopulmonaire jusqu’à l’amélioration de l’état. Cette phase peut notamment inclure déshydratation, déséquilibres électrolytiques, insuffisance rénale, arythmies avec torsade de pointes et arrêt cardiaque, infarctus myocardiques, insuffisance respiratoire et crises d’épilepsie. Il n’existe aucune évidence relative à un traitement médicamenteux spécifique. L’utilisation de benzodiazépines peut constituer une approche justifiée en cas d’agitation [8].
La durée moyenne de rétablissement est de sept à dix jours et se déroule généralement sans séquelle neurologique. Néanmoins, l’évolution peut se solder par le décès dans 5–15% des cas, la manifestation du tableau clinique et les complications concomitantes représentant les principaux prédicteurs de la mortalité [9]. Dans le cas décrits, les symptômes ont régressé plus rapidement, probablement en raison de la prise limitée de médicaments du fait de la perte de vigilance précédant le transfert.
Comme une pathologie sous-jacente nécessite l’emploi de neuroleptiques chez de nombreuses personnes concernées, la reprise de neuroleptiques est souvent nécessaire malgré un SMN. Pour réduire le taux de récidives, les recommandations suivantes sont à observer: carence thérapeutique pendant ≥2 semaines ou plus en cas de signes cliniques résiduels, préférence accordée aux substances peu puissantes, «start low – go slow», réévaluation régulière à la recherche de signes de récidive, éviter le traitement concomitant au lithium et assurer un apport suffisant en liquide [2].

L’essentiel pour la pratique

Le syndrome malin des neuroleptiques (SMN) est un diagnostic d’exclusion.
Lorsqu’au moins deux des quatre critères cliniques sont remplis (anomalie du comportement, trouble moteur, hyperthermie, instabilité autonome), en présence de la médication correspondante et d’un taux de créatine-kinase ≥4 fois accru, le diagnostic d’un SMN doit être envisagé.
Le traitement consiste à arrêter les médicaments déclencheurs et surveiller les personnes concernées jusqu’à rétablissement du tableau clinique.
Une reprise du traitement antipsychotique doit avoir lieu après une carence thérapeutique d’au de ≥2 semaines avec des substances peu puissantes à faible dosage.
Raphael C. Windlin, médecin diplômé
Klinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital Bern, Bern
Un consentement éclairé écrit est disponible pour la publication.
Raphael C. Windlin
Klinik für Allgemeine Innere Medizin
Inselspital Bern
Freiburgstrasse 16p
CH-3010 Bern
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