Traitement aigu de la fistule aorto-œsophagienne et aorto-entérique
Hémorragies gastro-intestinales

Traitement aigu de la fistule aorto-œsophagienne et aorto-entérique

Übersichtsartikel
Édition
2022/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09150
Forum Med Suisse. 2022;22(44):722-724

Affiliations
a Departement Chirurgie, Gefässzentrum soH, Bürgerspital Solothurn, Solothurn; b Universitätsklinik für Herz- und Gefässchirurgie, Inselspital, Universitätsspital Bern, Bern; c Departement Chirurgie, Allgemein- und Viszeralchirurgie, Bürgerspital Solothurn, Solothurn; d Chirurgie, Hirslanden Klinik Beau-Site, Bern; e Gastroenterologie und Hepatologie, Bürgerspital Solothurn, Solothurn

Publié le 02.11.2022

Les fistules aorto-œsophagiennes et aorto-entériques sont des causes rares d’hémorragie gastro-intes­tinale. Leur faible incidence peut être à l’origine d’un retard de diagnostic et d’une mortalité accrue.

Introduction

La fistule aorto-œsophagienne (FAO) et la fistule aorto-entérique (FAE) – ci-après désignées par FAE pour simplifier – représentent une communication pathologique entre l’aorte et le tractus gastro-intestinal. Elles sont divisées en formes primaires et secondaires. Les FAE primaires sont rares, avec quelques centaines de cas décrits dans la littérature, et résultent principalement d’anévrismes aortiques d’origine artériosclérotique. Les FAE secondaires sont aujourd’hui plus fréquentes et surviennent après un remplacement aortique ouvert ou endovasculaire, après une radiothérapie ou en postopératoire, par exemple après une œsophagogastrectomie thoracique (tab. 1). Le plus souvent, la fistule se développe entre l’aorte infrarénale et la troisième ou quatrième portion rétropéritonéale du duodénum, en raison de la proximité anatomique des deux structures [1].
Tableau 1: Aperçu des causes de la fistule aorto-entérique (FAE) [1]
FAE primaireAnévrisme de l'aorte
Tumeur
Ulcère gastro-intestinal
Ingestion d'un corps étranger
Calculs biliaires
Diverticulite, appendicite, pancréatite
Tuberculose
FAE secondairePost-chirurgicale
Remplacement aortique ouvert et endovasculaire
Œsophagogastrectomie
Post-radiothérapie
La pathogenèse exacte des FAE est inconnue. Des facteurs aortiques et gastro-intestinaux jouent un rôle dans la survenue des FAE. La pression répétitive due à la pulsation aortique, les processus inflammatoires locaux en cas d’anévrisme aortique, une infection chronique de bas grade ou des lésions duodénales pendant une intervention chirurgicale peuvent entraîner une FAE [2]. Les interventions aortiques endovasculaires, de plus en plus nombreuses au cours des dernières décennies, sont associées à une incidence annuelle similaire de 0,2% de FAE par rapport à la chirurgie ouverte, malgré l’utilisation de prothèses endoluminales [3].
Le mécanisme physiopathologique des hémorragies gastro-intestinales récidivantes et auto-limitantes, telles qu’elles se produisent fréquemment en cas de FAE, consiste en un thrombus aortique qui occlut la fistule par intermittence ou en une contraction réflexe de l’intestin en réaction à l’étirement de la paroi intestinale provoqué par l’hémorragie intestinale, ce qui entraîne une augmentation de la pression intraluminale suivie d’une fermeture de la fistule – correspondant à un mécanisme de clapet [1, 4].

Symptômes

La manifestation clinique la plus fréquente de la FAE est l’hémorragie gastro-intestinale. Initialement, 80% des personnes concernées se présentent avec un méléna, une hématémèse ou une hématochézie – en fonction de la localisation de la fistule (tab. 2) [1, 5] –, 60% se présentent avec des hémorragies récidivantes et auto-limitantes et 40% se présentent avec une hémorragie massive, à caractère explosif et généralement de couleur rouge clair [6]. En outre, les FAE secondaires après remplacement aortique s’accompagnent souvent de signes d’infection (infection du greffon aortique due à la communication avec le tractus gastro-intestinal), tels que fièvre ou sepsis (tab. 2). Sur le plan clinique, des maux de dos ou des douleurs abdominales peuvent être présents, dans la plupart des cas sans élément d’orientation à la palpation. L’intervalle de temps entre le remplacement aortique ouvert et la première manifestation de la FAE est en moyenne de deux à six ans [1]. En raison de l’observation selon laquelle de petites hémorragies auto-limitantes peuvent précéder une hémorragie massive, souvent exsanguinante, les premières sont appelées «herald bleeds» en anglais (en français: avant-coureuses, précurseuses, annonciatrices).
Tableau 2: Aperçu des symptômes de la fistule aorto-entérique (FAE) [1, 5]
Hémorragie gastro-intestinale* (80%)
Méléna (60%)
Hématémèse (53%)
Hématochézie (16%)
Choc (34%)
Fièvre (75%)
Sepsis (44%)
Embolie septique (27%)
Abdominalgie (30%)
Maux de dos (15%)
* Les hémorragies récidivantes et auto-limitantes («herald bleed») sont initialement plus fréquentes que les hémorragies massives.

Diagnostic

Le diagnostic préopératoire dépend de l’ampleur de l’hémorragie et de la stabilité de la patiente ou du patient. Bien que dans la plupart des cas, il y ait suffisamment de temps pour un diagnostic préopératoire, moins de la moitié des personnes touchées sont encore en vie 24 heures après le premier épisode hémorragique [1]. En moyenne, le diagnostic est posé six jours après le premier épisode hémorragique; chez 50% des personnes concernées, aucun diagnostic formel ne peut être établi en préopératoire [1, 6]. Ainsi, la suspicion clinique précoce est d›une importance capitale en cas de constellation correspondante [1].
L’angiographie par tomodensitométrie (angio-TDM) représente la modalité diagnostique de choix, avec une sensibilité de 90%. Dans plus de 50% des cas, elle révèle des signes indirects et subtils de FAE, qui sont souvent négligés, comme de l’air péri-aortique ou un hématome, le contact direct d’une anse intestinale avec l’aorte, un épaississement de la paroi intestinale ou des caractéristiques d’une infection du greffon (fig. 1) [1]. Des signes spécifiques, tels que la fuite directe de produit de contraste aortique dans la lumière intestinale ou la fuite de produit de contraste entérique dans la région péri-aortique, sont rares.
Figure 1: Angiographie par tomodensitométrie (angio-TDM). De l’air péri-aortique (flèche) est visible, signe de l’infection du greffon. La fistule aorto-entérique est confirmée en intra-opératoire.
L’examen endoscopique ne permet pas de mettre en évidence une pathologie dans 50% des cas [6]. Si c’est néanmoins le cas, il s’agit là aussi le plus souvent de signes indirects tels qu’une compression excentrique, des ulcérations, une hémorragie et, rarement, du matériel de greffe visible [1]. L’examen endoscopique de la troisième et de la quatrième portion du duodénum est crucial, car c’est là que se trouvent la plupart des FAE.
En outre, il convient de prélever des hémocultures et de mettre en culture les tissus prélevés en intra-opératoire et le matériel prothétique explanté [2], car la mise en évidence microbiologique d’agents pathogènes est essentielle en cas de FAE dans le cadre d’une greffe aortique afin de garantir le meilleur traitement possible.

Traitement

L’opération en urgence est le seul traitement curatif sans lequel il existe une mortalité de 100% pour cette affection grave. La mortalité opératoire est en moyenne de 10–22% [7]. L’accent est mis sur le contrôle des hémorragies, la réhabilitation du tractus gastro-intestinal et la restauration vasculaire avec maintien de la perfusion distale.
En présence d’une fistule aorto-entérique secondaire après un remplacement aortique, il faut toujours partir du principe qu’il y a une infection du greffon aortique [8]. L’infection d’une prothèse synthétique aortique est associée à une morbidité et une mortalité très élevées [2, 9]. L’éradication définitive de l’infection ne peut pas être obtenue par le seul traitement antimicrobien, mais nécessite la résection de l’ensemble de la prothèse synthétique, qui doit être remplacée après un débridement étendu du lit artériel. Historiquement, la reconstruction artérielle en dehors de la zone infectée, appelée reconstruction extra-anatomique, était l’approche de référence, mais elle était associée à une morbidité élevée en raison du faible taux de perméabilité et à une mortalité élevée en raison des ruptures fréquentes du moignon aortique [1]. Aujourd’hui, la reconstruction in situ à l’aide de greffons biologiques est recommandée en premier lieu [2]; alternativement, des prothèses synthétiques imprégnées (imprégnées de rifampicine ou recouvertes d’argent) sont également utilisées. Les greffons biologiques utilisés peuvent être des homogreffes cryopréservées ou des veines autologues. Ces dernières années, l’utilisation de prothèses confectionnées à partir de patchs de péricarde bovin s’est également établie dans de nombreux centres en raison de leur disponibilité rapide et de leurs bons résultats (fig. 2 et 3) [9]. La séparation de la nouvelle prothèse aortique du tractus gastro-intestinal est déterminante et est obtenue au moyen d’un lambeau pédiculé d’épiploon [1]. L’ouverture de la fistule entérale peut être suturée directement ou réséquée, en fonction de sa taille [2]. En cas de FAE secondaire à un remplacement aortique, il est recommandé d’instaurer dès la phase préopératoire un traitement antimicrobien à large spectre couvrant également les champignons et devant être adapté par la suite en fonction de l’examen microbiologique [2].
Figure 2: Vue intra-opératoire. Prothèse tubulaire aortique confectionnée à l’hôpital à partir de patchs de péricarde bovin après explantation complète du greffon en urgence pour assainir la fistule aorto-entérique.
Figure 3: Vue intra-opératoire. Remplacement de l’aorte infrarénale au moyen d’une prothèse en Y confectionnée à l’hôpital à partir de patchs de péricarde bovin et du duodénum érodé avec une sonde d’alimentation jéjunale. Dans ce cas particulier, l’infection du greffon aortique due à l’érosion du duodénum était au premier plan, sans qu’il y ait eu d’hémorragie menaçant le pronostic vital.
En cas de FAO, par exemple après une œsophagogastrectomie thoracique, la maîtrise de l’hémorragie gastro-intestinale supérieure est le plus souvent au premier plan. En cas d’hémorragie incontrôlable, un blocage de l’œsophage par ballon d’achalasie ou par sonde de Sengstaken-Blakemore peut constituer une mesure d’urgence à court terme permettant de sauver la vie de la patiente ou du patient. Ensuite, l’implantation d’une endoprothèse thoracique («thoracic endovascular aortic repair» [TEVAR]) peut être réalisée comme traitement de relais à moyen terme. Ici aussi, en raison de la connexion avec le tractus gastro-intestinal, un traitement antimicrobien adéquat doit être mis en place [2, 8]. Le traitement définitif complexe comprenant l’explantation de l’endoprothèse, la reconstruction aortique et la réhabilitation du tractus gastro-intestinal peut alors être réalisé secondairement, dans un cadre électif et, selon l’état des patientes et patients, en une ou plusieurs opérations. Un tel traitement endovasculaire de relais peut également être utilisé en cas de FAE dans la région de l’aorte infrarénale.

Pronostic

La mortalité opératoire est de 10–22%, le taux d’amputation de 3 à 18% et le taux de réinfections en cas de FAE secondaire avec infection du greffon aortique de 6–11% [7]. Les données historiques indiquent une survie à long terme comprise entre deux et six ans [1]. Des résultats récents font défaut en raison d’un suivi à long terme insuffisant [2]. On peut toutefois s’attendre à une augmentation des taux de survie compte tenu des progrès technologiques et scientifiques accomplis dans la prise en charge chirurgicale de ces patientes et patients. Un suivi à vie avec des contrôles de laboratoire et des examens d’imagerie est obligatoire afin de diagnostiquer précocement des complications à long terme [2].
La pose du diagnostic de la FAE est difficile et est guidée par une suspicion clinique précoce. En raison de la complexité de cette pathologie, la prise en charge doit être assurée par des centres spécialisés ayant une expérience multidisciplinaire de cette affection.

L’essentiel pour la pratique

Chez les patientes et patients présentant une hémorragie gastro-intestinale et ayant subi une opération aortique ou œsophagienne préalable, il convient de penser à une fistule aorto-entérique ou aorto-œsophagienne (FAE/FAO).
Comme ni la tomodensitométrie ni l’endoscopie n’ont une sensibilité élevée pour le diagnostic de la FAE/FAO, il convient de se baser sur la présentation clinique typique (tab. 2), en particulier en cas d’antécédents correspondants.
Un blocage au ballon de l’œsophage peut sauver la vie en cas d’hémorragies aiguës sévères dans le cadre d’une FAO. En cas d’hémorragie incontrôlable, la réparation endovasculaire de l’aorte avec implantation d’une endoprothèse aortique constitue un traitement de relais à moyen terme.
Le traitement définitif de la FAE/FAO fait appel à la chirurgie ouverte.
Déjà en cas de faible suspicion de FAE ou de FAO, il convient, conformément à un concept thérapeutique multidisciplinaire, d’impliquer précocement les cliniques spécialisées en chirurgie vasculaire et viscérale ainsi qu’en gastroentérologie disposant de l’expertise nécessaire.
Dr méd. Dimitrios David Papazoglou
Departement Chirurgie, Gefässzentrum soH, Bürgerspital Solothurn, Solothurn; Universitätsklinik für Herz- und Gefässchirurgie, Inselspital, Bern
Les auteurs remercient le Dr méd. Andrea Carnelli, médecin de famille au cabinet Praxis am Dorfplatz à Kriegstetten, SO, pour sa relecture critique du manuscrit ainsi que l’Institut de radiologie médicale des hôpitaux de Soleure pour les clichés radiologiques.
Dr méd. Pascal Kissling
Departement Chirurgie
Gefässzentrum soH
Bürgerspital Solothurn
Schöngrünstrasse 36A
CH-4500 Solothurn
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3 Kahlberg A, Rinaldi E, Piffaretti G, Speziale F, Trimarchi S, Bonardelli S, et al. Results from the Multicenter Study on Aortoenteric Fistulization After Stent Grafting of the Abdominal Aorta (MAEFISTO). J Vasc Surg. 2016;64(2):313–20.e1.
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