Maux de gorge et élévation du pouls après la vaccination contre le COVID
Réaction inflammatoire subaiguë

Maux de gorge et élévation du pouls après la vaccination contre le COVID

Was ist Ihre Diagnose?
Édition
2022/43
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09267
Forum Med Suisse. 2022;22(43):712-714

Affiliations
a Allgemeine Innere Medizin, Schlossberg Ärztezentrum AG, Islikon; b Endokrinologie, Kantonsspital Aarau AG, Aarau; c Allgemeine Innere Medizin, Kantonsspital Aarau AG, Aarau

Publié le 26.10.2022

Un patient de 50 ans en bonne santé, se présente avec une augmentation du pouls et des maux de gorge. Il met ces nouveaux troubles en relation directe avec la deuxième vaccination contre le SARS-CoV-2 récemment administrée.

Présentation du cas

Un patient âgé de 50 ans, en bonne santé et très actif sur le plan sportif, a signalé à sa médecin de famille qu’il avait développé des symptômes grippaux quatre semaines auparavant, après avoir reçu la deuxième vaccination contre le SARS-CoV-2 (Moderna). Dès le lendemain de la vaccination, de la fièvre et des douleurs dans la nuque sont apparues et elles ont pu être légèrement atténuées par de l’ibuprofène. De plus, le patient avait remarqué un pouls au repos très élevé et gênant de 110 battements par minute, associé à une légère sensation d’oppression thoracique. La tachycardie a été constatée très clairement lors de la lecture de sa montre cardiofréquencemètre, qui indiquait auparavant toujours un pouls au repos d’environ 60/min. Au cours des deux semaines suivantes, un enrouement, des raclements de gorge fréquents, de légères douleurs à la déglutition et une douleur à la pression locale au niveau de la gorge se sont ajoutés. Le patient a également décrit une sensation de chaleur (température corporelle mesurée à la maison de 37,5–38,0 °C), des sueurs nocturnes et une perte de poids de 2–3 kilos depuis la vaccination. L’examen physique a révélé un tremblement fin, une peau chaude et humide et un pouls au repos élevé de 96/min, avec une pression artérielle de 140/90 mm Hg. Les analyses de laboratoire ont montré une thyréostimuline (TSH) non mesurable <0,008 mU/l, avec des hormones thyroïdiennes périphériques élevées (tétraïodothyronine libre [fT4] 29,7 pmol/l [norme: 9,0–19,0], triiodothyronine libre [fT3] 8,8 pmol/l [norme: 2,5–5,8]).
Parmi les symptômes suivants, lequel ne figure pas dans les critères de diagnostic clinique de l’hyperthyroïdie (selon le score de Zulewski)?
Les données anamnestiques et les anomalies cliniques du patient concordaient avec l’hyperthyroïdie manifeste constatée en laboratoire. Celle-ci peut être quantifiée à l’aide du score de Zulewski, qui combine les données anamnestiques et les résultats cliniques. Un score de <3 points est en défaveur d’une hyperthyroïdie manifeste, tandis qu’un score de >5 points est en faveur d’une hyperthyroïdie manifeste [1]. Le patient a obtenu 10 points (tab. 1).
Tableau 1: Score d’hyperthyroïdie de Zulewski [1]
CritèresSpécificationNombre initial de points du patient
Symptômes  
Palpitations cardiaquesRemarquées spontanément, sans effort particulier1
Transpiration accruePar rapport au passé, préférence pour les pièces fraîches; peu de vêtements suffisent même par temps froid1
Accélération du transit intestinalDiarrhée ou augmentation de la fréquence des selles0
Nervosité accrue / agitation intérieureRemarquée par la personne elle-même; signalée par des tiers1
Troubles du sommeil ou nouvelle utilisation de somnifèresTroubles de l‘endormissement ou de la continuité du sommeil1
Perte de poidsDocumentée par le patient à l‘aide d‘une balance; vêtements devenus trop larges1
Signes  
Hyperkinésie, personne agitéeObservée lorsque la personne entre dans la salle d‘examen et lors de l‘entretien1
Signes d‘orbitopathie endocrinienneExophtalmie, gonflement des paupières, injection conjonctivale0
Peau humide et chaudeExamen des mains, du visage et du torse1
Thyroïde palpablePalpation en position assise1
Tremblement finPlacement d‘une feuille de papier sur les doigts tendus et écartés1
Pouls supérieur à 90/minCompté sur 30 secondes1
Somme des symptômes et signes positifs10
Critère non présent: 0 point; critère présent: 1 point; max. 12 points, ≤2 points: euthyroïdie, >5 points: hyperthyroïdie.  
Quel examen diagnostique complémentaire ne pratiqueriez-vous pas au cabinet de médecine de famille?
La médecin de famille a examiné la thyroïde, qui ne présentait aucune anomalie, à l’exception d’une légère douleur à la pression. Par ailleurs, il n’y avait pas de signes d’exophtalmie. Les valeurs inflammatoires étaient augmentées (protéine C réactive [CRP] 166 mg/l, leucocytes 14,9 G/l, ferritine 476 µg/l) et les anticorps anti-thyroperoxydase (anti-TPO) et anti-récepteur de la TSH (TRAK) n’étaient pas détectables.
Quel est le diagnostic de suspicion le plus probable?
Face à une suspicion d’adénome toxique, la médecin de famille a initié un traitement par carbimazole (3 × 15 mg par jour) et a adressé le patient à la consultation d’endocrinologie. Une nouvelle analyse sanguine y a été effectuée. Après six jours de traitement thyréostatique par carbimazole, l’hyperthyroïdie manifeste persistait, sans réponse au traitement. En outre, les valeurs inflammatoires restaient élevées (vitesse de sédimentation [VS] 86 mm, CRP 53 mg/l), tout comme la thyroglobuline (91,3 µg/l; norme <60 µg/l). L’échographie a révélé un tissu thyroïdien inhomogène avec des hypoéchogénicités en taches et une perfusion plutôt réduite (fig. 1), ainsi que des ganglions lymphatiques légèrement hypertrophiés bien différenciés dans le compartiment latéral et central droit.
Figure 1: Echographie de la thyroïde. Zone hypoéchogène diffuse dans le lobe droit (A) et dans le lobe gauche (B).
Parmi ces nouveaux résultats, lequel fait douter du diagnostic d’«autonomie focale»?
Compte tenu de l’ensemble des résultats, le diagnostic de thyroïdite de De Quervain a été posé. Outre l’hyperthyroïdie, les manifestations cliniques typiques avec des douleurs dans la région du cou, les paramètres inflammatoires élevés, la thyroglobuline élevée et les résultats échographiques avec une irrigation sanguine plutôt réduite et un parenchyme inhomogène présentant des hypoéchogénicités diffuses étaient compatibles avec ce diagnostic. En principe, une hyperthyroïdie manifeste peut être classée dans l’une des deux catégories suivantes: les hyperthyroïdies productrices (par ex. maladie de Basedow, autonomie focale, hyperthyroïdie de type 1 induite par l’amiodarone) ou les hyperthyroïdies destructrices (par ex. thyroïdite de De Quervain, hyperthyroïdie de type 2 induite par l’amiodarone, thyroïdite silencieuse survenant typiquement en post-partum). Les hyperthyroïdies productrices répondent à un traitement thyréostatique, mais pas les hyperthyroïdies destructrices telles que la thyroïdite de De Quervain, car dans ce cas, un processus inflammatoire entraîne la libération des hormones thyroïdiennes déjà produites. Les deux principaux diagnostics différentiels de la thyroïdite de De Quervain sont les hyperthyroïdies productrices suivantes: la maladie de Basedow, pour laquelle une hyperperfusion à l’échographie et des TRAK élevés seraient toutefois typiques, et l’autonomie focale, pour laquelle il faudrait s’attendre à la présence de nodules thyroïdiens à l’échographie. Dans les deux diagnostics différentiels, la thyroïde douloureuse n’est pas typique; de plus, on aurait éventuellement pu s’attendre à une diminution des hormones thyroïdiennes périphériques sous thyréostatiques, tout en sachant que dans notre cas, le traitement n’avait été initié qu’une semaine avant le contrôle de suivi. Nous avons renoncé à une scintigraphie en raison du diagnostic sans équivoque.
Quelle présentation scintigraphique s’attendrait-on à trouver en cas de thyroïdite de De Quervain?
A la scintigraphie, les hyperthyroïdies productrices se caractérisent par une absorption accrue d’iode-123 (maladie de Basedow: diffuse, autonomie: focale), alors que les hyperthyroïdies destructrices ne montrent pas de captation d’iode (bruit de fond dans la loge thyroïdienne, souvent glandes salivaires avec une accumulation relativement plus élevée).
En raison des symptômes prononcés du patient, une corticothérapie a été prescrite (prednisone 50 mg comme dose initiale, puis réduction rapide). En outre, le traitement symptomatique par propranolol, déjà initié par la médecin de famille, a été poursuivi. La prise de carbimazole a été arrêtée.
Deux semaines après le début de la corticothérapie, le patient a signalé une nette amélioration de ses symptômes. Des palpitations persistaient, raison pour laquelle il continuait à prendre du propranolol. Son score de Zulewski s’est normalisé (2 points). Les valeurs des hormones thyroïdiennes périphériques ont nettement diminué après la corticothérapie d’attaque, avec une TSH mesurable (0,06 mU/l; T3 1,09 nmol/l, fT4 14,5 pmol/l). Un mois plus tard, le patient était complètement asymptomatique et présentait une hypothyroïdie subclinique (TSH 7,72 mU/l). Encore un mois plus tard, les valeurs thyroïdiennes s’étaient complètement normalisées.

Discussion

Ce cas montre une évolution typique d’une thyroïdite de De Quervain, avec une régression rapide des troubles sous corticothérapie. La thyroïdite de De Quervain (également appelée thyroïdite subaiguë) est une maladie thyroïdienne auto-limitante qui entraîne une destruction des follicules thyroïdiens avec une sécrétion non régulée consécutive d’hormones thyroïdiennes stockées dans la lumière des follicules. Des douleurs dans la nuque et des maux de gorge / une sensibilité cervicale à la pression sont typiques, bien qu’il existe également des formes peu symptomatiques (formes «silencieuses»). La maladie s’accompagne d’une évolution typique de la dysfonction thyroïdienne: une phase d’hyperthyroïdie est typiquement suivie d’une normalisation de la fonction thyroïdienne, parfois encore suivie d’une hypothyroïdie passagère. En général, la guérison est spontanée, raison pour laquelle le traitement doit uniquement être symptomatique (anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS], bêtabloquants). Le traitement anti-inflammatoire par corticoïdes n’est pas toujours indispensable et sa nécessité doit être évaluée au cas par cas en fonction de la sévérité des symptômes.
Le lien temporel avec la vaccination contre le SARS-CoV-2 est ici particulièrement intéressant.
Que sait-on jusqu’à présent de l’étiologie et de la pathogenèse de la thyroïdite de De Quervain?
La pathogenèse exacte de la thyroïdite de De Quervain n’est pas encore élucidée. Il est admis qu’une infection virale ou une réaction inflammatoire post-virale la précède («immunological mimikry»). Les personnes concernées font souvent état d’une infection des voies respiratoires supérieures environ deux semaines avant le début des symptômes de la thyroïdite. La sévérité de l’infection n’a cependant aucune influence sur la survenue de la thyroïdite. Des cas liés à différentes infections virales ont été décrits, notamment par les adénovirus, les virus de la grippe, le cytomégalovirus, le virus de la rubéole, le virus d’Epstein-Barr, les coxsackievirus, le virus des oreillons et le virus de la rougeole [2]. Des cas de thyroïdite subaiguë sont également survenus après des infections par le SARS-CoV-2 [3–7]. Il est supposé que l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 et la protéase transmembranaire à sérine 2 jouent un rôle important dans l’infiltration des follicules, car leurs récepteurs sont fortement exprimés dans les cellules folliculaires [8].
Une association a également été trouvée avec la présence de certains génotypes d’antigènes des leucocytes humains (HLA), notamment HLA-B35 [9]. Une hypothèse courante est qu’un antigène (soit d’origine virale, soit libéré par des dommages tissulaires dus au virus) se lie à HLA-B35. Ce complexe active alors les lymphocytes T cytotoxiques qui détruisent les cellules folliculaires de la thyroïde.
En cas de vaccination, un mécanisme similaire pourrait se produire chez les personnes génétiquement prédisposées. Il existe d’anciennes descriptions de cas de thyroïdite subaiguë après des vaccinations contre l’hépatite B et la grippe [10–14].
En ce qui concerne les vaccins à ARNm contre le SARS-CoV-2, quelques descriptions de cas similaires au nôtre ont été publiées dans la littérature. Récemment, deux cas ont été publiés en Allemagne: une personne a également développé une thyroïdite subaiguë après avoir été vaccinée avec le vaccin à ARNm de Moderna; dans l’autre cas, il s’agissait d’une thyroïdite subaiguë après une vaccination avec le vaccin d’AstraZeneca [15]. Il existe également un «case report» des Etats-Unis concernant une jeune femme qui s’est présentée avec une thyroïdite après la deuxième vaccination avec le vaccin de Pfizer-BioNTech [16]. En Turquie, quatre cas au total ont été signalés après l’administration du vaccin inactivé contre le SARS-CoV-2 de Sinovac [17, 18]. Une réaction croisée entre les antigènes des cellules thyroïdiennes et les protéines Spike du SARS-CoV-2 générées par la vaccination a été postulée [19], bien que, comme mentionné, des cas aient également été décrits après des vaccins ayant d’autres mécanismes d’action.
La thyroïdite de De Quervain et son traitement ne constituent pas une contre-indication à la vaccination contre le SARS-CoV-2, même si sa survenue était associée au vaccin. Toutefois, en cas d’hyperthyroïdie fébrile, il convient, comme pour toutes les vaccinations, de traiter d’abord la cause de la fièvre ou, en cas d’infection fébrile non compliquée, d’attendre que celle-ci disparaisse.
Question 1: c. Question 2: c. Question 3: d. Question 4: e. Question 5: c. Question 6: d.
Annina Gerber, médecin diplômée
Allgemeine Innere Medizin, Schlossberg Ärztezentrum AG, Islikon
Un consentement éclairé écrit est disponible pour la publication.
Annina Gerber
Allgemeine Innere Medizin
Schlossberg Ärztezentrum AG
Schöntalweg 5
CH-8546 Islikon
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