Une complication rare

Thrombose septique de la veine mésentérique supérieure dans le contexte d’une appendicite aiguë

Le cas particulier
Édition
2023/23
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09093
Forum Med Suisses. 2023;23(23):53-55

Affiliations
Réseau hospitalier Neuchâtelois (RHNe), Neuchâtel: a Département de chirurgie, b Département des urgences


Publié le 07.06.2023

Présentation du cas

Anamnèse

Un patient de 36 ans, habituellement en bonne santé, consulte les urgences pour une douleur abdominale péri-ombilicale, associée à des nausées et des vomissements dans un contexte fébrile d’apparition progressive trois jours après une appendicectomie par voie laparoscopique.
En effet, cinq jours auparavant, le patient a été opéré pour une appendicite aiguë ulcéro-phlegmoneuse rétro-cæcale, confirmée par une tomodensitométrie (TDM) abdominale et sans atypie ou signes de malignité à l’examen anatomopathologique. En préopératoire, un frottis COVID-19 était réalisé d’une façon systématique (selon les protocoles institutionnels) et a été positif chez un patient asymptomatique pour cette pathologie. Lors de l’intervention qui s’est déroulé sans incidents ni complications, la pression du pneumopéritoine était réglée à 12 mm Hg. Les suites opératoires étaient simples sans douleur et avec une cicatrice calme ce qui a permis un retour à domicile à J2 post-opératoire. Durant son séjour à l’hôpital, le patient a reçu pendant 48 heures d’antibiotique (amoxicilline/acide clavulanique 2,2 g 3×/jours) par voie intraveineuse (IV) et au vu de sa mobilité précoce, il n’a pas reçu d’anticoagulation prophylactique.

Examen clinique et résultats

Aux urgences, le patient est fébrile à 38,2 °C avec une douleur, détente et défense au niveau de l’hémi-abdomen droit ainsi que de la région épigastrique, les bruits intestinaux étaient rares à l’auscultation et la cicatrice opératoire était calme et propre.
La biologie a révélé un syndrome inflammatoire avec une leucocytose à 14,5 G/l, une protéine C réactive (CRP) à 63,8 mg/l, un fibrinogène à 6,5 g/l et une thrombocytose à 579 g/l ainsi qu’une élévation des transaminases et de la gamma-glutamyltransférase. Une complication infectieuse post-opératoire a été fortement suspecté, des hémocultures ont été faites, une antibiothérapie empirique par amoxicilline/ acide clavulanique IV (2,2 g) a été mise en route et une TDM abdominale a été réalisée mettant en évidence une thrombose de la veine mésentérique supérieure ainsi que d’une branche proximale, associée à une infiltration de la graisse en péri-thrombotique s’étendant en direction de la fosse iliaque droite et la présence de plusieurs ganglions infra-centimétriques (fig. 1).
Figure 1: Coupes scannographiques injectées frontale oblique (A) et axiale (B) avec MIP (Maximum Intensity Projection) montrant une hypodensité étendue de la veine mésentérique supérieure en rapport avec une thrombose (tête de flèche) et une infiltration de la graisse mésentérique autour (flèche).

Diagnostic

Dans ce contexte, le diagnostic d’une thrombose septique de la veine mésentérique supérieure (TSVMS) post-appendicite a été retenu et un complément par une échographie abdominale a été fait confirmant une thrombose distale de la veine mésentérique supérieure, mettant en évidence une hépatomégalie et écartant le diagnostic d’une thrombose de la veine porte.

Traitement et évolution

Le patient est alors hospitalisé, l’antibiothérapie a été poursuivie et une anticoagulation par héparine non fractionnée puis par énoxaparine (80 mg 2×/jour) a été prescrite. Rapidement, les deux paires d’hémocultures prélevées aux urgences se sont positivées à Streptococcus milleri multisensible permettant la désescalade de l’antibiothérapie à l’amoxicilline par voie orale à la dose de 1 g 3×/jour. Un bilan de thrombophilie a été réalisée et a été négatif (recherche de mutation du Facteur V de Leiden, de la prothrombine, déficit en protéine C et S, le déficit en antithrombine, le syndrome anti-phospholipide et d’hémopathies malignes mutation JAK2 V617F). Par ailleurs, devant les perturbations des tests hépatiques à la biologie et l’hépatomégalie à l’échographie, les sérologies ont permis d’éliminer une éventuelle hépatite virale ou une infection au VIH.
Sous traitement, l’évolution a été rapidement favorable avec disparition de la douleur dès le deuxième jour d’hospitalisation. Le patient est rentré chez lui, sous édoxaban (60 mg 1×/jour) pour une durée de trois mois tout en maintenant la même antibiothérapie pour une durée de quatre semaines.

Discussion

La TSVMS est une entité de plus en plus rare en raison du diagnostic plus précoce de la source infectieuse, de l’évolution de l’antibiothérapie et du traitement chirurgical. Il s’agit d’une complication rare de l’appendicite, elle survient dans près de 3% [4] des appendicites perforées, mais sa présence est exceptionnelle dans les appendicites non compliquées. Sur le plan physiopathologique la TSVMS est d’origine multifactorielle. Elle commence généralement par le drainage du site infectieux intra-abdominal par les petites veines, et le plus souvent par des diverticulites et des appendicites. Néanmoins, des états d’hypercoagulabilité locaux et systémiques peuvent favoriser cette entité (tab. 1) [1–4].
Tableau 1: Facteurs de risques de la thrombose des veines mésentériques [1–4, 8, 18]
Acquis
 Diverticulite
Appendicite
Pancréatite
Cholécystite
Cholangite
Traumatisme
Interventions chirurgicales abdominales (laparoscopie, etc.)
Cancer (colon, pancréatique, etc.)
Maladie intestinale inflammatoire
Sepsis abdominal
Cirrhose hépatique
Maladies myéloprolifératives
Grossesse
Contraceptifs oraux
Tabagisme
Héréditaire
 Mutation du Facteur V de Leiden
Mutation prothrombine
Déficit en protéine C
Déficit en protéine S
Déficit en antithrombine III
L’état inflammatoire favorise la thrombogenèse par l’augmentation des taux de fibrinogène et la thrombocytose. Le fibrinogène est un facteur déterminant de l’hyperviscosité. L’activation plaquettaire qui stabilise le caillot plaquettaire et l’activation du complément sont aussi des facteurs responsables.
La laparoscopie est un autre facteur favorisant de la TSVMS, le placement des trocarts ainsi que l’induction et le maintien du capnopéritoine sont des déclencheurs de la Triade de Virchow. Le pneumopéritoine artificiellement créé et l’augmentation de la pression intra-abdominale entraînent une stase veineuse au niveau du système porto-mésentérique avec une réduction du flux veineux allant de 35% à 84%[8]. Par ailleurs, l’utilisation du dioxyde de carbone (capnopéritoine) est à l’origine d’une hypercapnie qui provoque une vasoconstriction splanchnique et une augmentation de la pression veineuse portale qui sera majorée par la position de Trendelenburg, fréquemment utilisée pendant l’appendicectomie [7, 8].
Décrite comme une infection virale thrombogène, l’infection au SARS-COV2 s’est probablement surimposée sur l’état pro coagulant de l’infection (appendicite) et de son traitement chirurgical (appendicectomie) et a favorisé la formation de la TSVMS, sans toutefois un lien de pathogène prouvé. [5, 6, 9].
La difficulté de la prise en charge est imputable à son insaisissable diagnostic. Le tableau clinique non spécifique pourrait être suggéré par une douleur abdominale disproportionnée par rapport au status abdominal, associée à un état fébrile. En cas d’extension vers la veine porte, une hépatomégalie et un ictère peuvent survenir tardivement. Un haut indice de suspicion est primordial.
À la biologie, un syndrome inflammatoire est retrouvé précocement et une perturbation des tests hépatiques est présente chez 25% [12] des patientes et patients. La distinction entre une thrombose non septique et septique n’est pas évidente et l’imagerie seule n’est pas en mesure de la faire, nonobstant les signes les plus fiables que sont la présence d’abcès hépatiques ou la présence d’air en regard du thrombus (tab. 2).
Tableau 2: Examens complémentaires
Tomodensitométrie en phase portal C’est la modalité de choix qui détecte non seulement la thrombose septique mais également la source infectieuse intra-abdominale ou des complications associées (abcès hépatiques). La présence d’air intravasculaire peut être le premier signe d’un thrombus qui apparaîtra quelques jours plus tard (défaut de remplissage veineux ou absence de débit dans la veine mésentérique supérieure durant la phase veineuse). Un reflux du contraste dans l’aorte montre aussi une résistance veineuse. Utilisé également comme imagerie de suivi. [2]
Échographie abdominale + DopplerL’échographie abdominale pourrait être un examen intéressant étant donné son caractère non irradiant, mais n’est toutefois pas l’examen complémentaire de choix en raison de sa sensibilité approximative pour détecter une thrombose mésentérique due à la superposition de l’air intestinal, mais il permet d’exclure partiellement la thrombose de la veine porte en montrant dans la lumière une échogénicité et une dilatation du segment thrombosé ou pour documenter la reperméabilisation de la veine porte après le diagnostic. Le Doppler met en évidence un flux veineux autour du thrombus qui obstrue partiellement la veine. [1, 4, 15–17]
Imagérie par résonance magnétiqueTrès bonne fiabilité pour démontrer une thrombose mésentérique, mais les artéfacts provoqués par le péristaltisme peuvent limiter sa précision. Il est rarement utilisé car cet examen est coûteux et moins accessible. [12]
Angiographie Pourrait mettre en évidence la thrombose, mais rarement utilisée à cause de son caractère envahissant.
Endoscopie Fondamentalement pour exclure une néoplasie gastro-intestinale. Toutefois, en cas de complication par une ischémie mésentérique, l’endoscopie permet de détecter des lésions muqueuses (œdème, érythème, pétéchies, érosions ou ulcères nécrotiques) et de réaliser des biopsies.
Les hémocultures reviennent positives dans environ 85% [12] des cas et les microorganismes les plus fréquents sont, par ordre décroissant: Bacteroides fragilis, Escherichia coli, Streptococcus spp. et polymicrobiens [4, 3, 8, 10–13].
La TSVMS peut s’étendre proximalement jusqu’à la veine porte (pyléphlébite) et par conséquent jusqu’au foie, pouvant être à l’origine d’une embolisation septique avec l’apparition d’abcès hépatiques.
La forme aiguë de l’atteinte des veines mésentériques peut se compliquer d’une ischémie mésentérique avec une évolution vers l’infarctus et la nécrose intestinale.
Une prise en charge hospitalières s’impose, et le traitement doit être rapidement instauré, dès la suspicion du diagnostic. Il consiste à contrôler la source infectieuse en utilisant empiriquement des antibiotiques à large spectre qui couvrent les principales bactéries impliquées et/ou une intervention chirurgicale si cela est indiqué [1, 3, 10, 14 15].
L’antibiothérapie initiale sera évaluée et adaptée selon l’évolution clinique durant les premières 24–48 heures et selon la sensibilité du (des) germe(s) responsable(s) s’il(s) est (sont) identifié(s). Ultérieurement, face à une évolution positive, il convient de mettre en place un relais par un antibiotique dirigé en fonction du résultat de l’antibiogramme pour une durée totale de quatre semaines, ou de six semaines en cas de présence d’abcès hépatiques. Ces derniers peuvent répondre efficacement à une antibiothérapie si leur taille ne dépasse pas les 3 cm de diamètre, faute de quoi un drainage percutané est nécessaire [2, 3, 10, 12].
Devant le risque majeur de complications ischémiques, une anticoagulation efficace doit être instaurée le plus rapidement possible. L’héparine de bas poids moléculaire (HBPM) est le premier choix dans le traitement aigu. En l’absence de contre-indications, les HBPM seront relayées par un antagoniste de la vitamine K ou un anticoagulant oral. La durée de l’anticoagulation ne fait pas consensus, certaines études recommandent un traitement de 3–6 mois si une thrombophilie est exclue, dans le cas contraire une anticoagulation de durée indéfinie doit être mise en place.
En plus des antibiotiques, des anticoagulants, des moyens de soutien complémentaires sont nécessaires, à savoir, la pose d’une sonde nasogastrique en cas d’iléus, l’hydratation intraveineuse, l’antalgie et mise en repos du tube digestif.

L’essentiel pour la pratique

La thrombose septique de la veine mésentérique supérieure est une entité rare dont le pronostic peut être parfois sombre si elle provoque une ischémie, voire une nécrose intestinale.
L’examen clinique et le laboratoire sont non spécifiques et, dans ce contexte, un haut indice de suspicion est essentiel.
Une antibiothérapie et une anticoagulation doivent être instaurées le plus précocement possible dans l’intention d’améliorer le pronostic.
L’appendicite est l’urgence chirurgicale la plus fréquente et l’appendicectomie reste un traitement de premier choix. Il n’en demeure pas moins nous devons garder à l’esprit qu’une thrombose septique du système porto-mésentérique est une complication possible si le traitement standard ne parvient pas à stopper son évolution.
En cas d’échec du traitement médical, une prise en charge invasive est indispensable, plusieurs options sont disponibles (thrombolyse systémique, thrombolyse dirigée par un cathéter, thrombectomie chirurgicale ou percutanée) et doivent être discuté selon le terrain et la gravité du patient [3, 8, 14–17].
Il n’en demeure pas moins que le taux de mortalité reste élevé à cause d’une clinique atypique et d’un faible indice de suspicion [1–3].
Marta Matos, médecin diplômée
Département de chirurgie,
Réseau hospitalier Neuchâtelois,
Neuchâtel
Les auteurs tiennent à remercier le Département des urgences du RHNe, le Département de chirurgie du RHNe, en particulier le Dr Pierre-Alain Tokoto, chef de clinique adjoint, et la Dre Amira Dhouib Chargui, médecin cheffe du Département d’imagerie médicale du RHNe.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Hamza Rabhi
Réseau hospitalier Neuchâtelois (RHNe)
Département des urgences
Rue de la maladière 45
CH-2000 Neuchatel
hamza.rabhi[at]rhne.ch
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