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Les déchirures de la coiffe des rotateurs d’origine traumatique sont fréquentes. Cet article présente une mise au point des différents critères qui permettent de déterminer si une déchirure de la coiffe est à prépondérance traumatique ou dégénérative.
Introduction
La prévalence des déchirures de la coiffe dans la population générale est estimée à 22% [1], et elles ont un impact important sur la qualité de vie des patientes et patients, avec des douleurs, un déficit fonctionnel, et des troubles du sommeil. Elles peuvent être dégénératives, accidentelles ou assimilées à un accident.
L’évolution d’une rupture tendineuse de la coiffe concerne non seulement le tendon lésé, avec une extension et une rétraction progressive, mais aussi le muscle, avec une atrophie musculaire, puis une dégénérescence graisseuse.
Certains articles laissent supposer que l’immense majorité des lésions de la coiffe sont d’origine dégénérative [2] mais, en réalité, la prévalence des lésions traumatiques varie entre 46–62% [3, 4].
Avant de débuter un traitement, il faut savoir, si la lésion de la coiffe est consécutive à un traumatisme ou si elle est liée à une usure préexistante, pour une prise en charge rapide, dans les trois semaines, garante d’un bon résultat fonctionnel [5].
Le but de ce travail est donc d’effectuer, à la lumière des connaissances scientifiques actuelles, une mise au point pour les médecins généralistes et les médecins-conseils d’assurance, en considérant les facteurs démographiques, anamnestiques, ceux liés à l’événement traumatique (action vulnérante), et l’imagerie, qui permettront de déterminer, avec une prédominance prépondérante, si la lésion de la coiffe est vraisemblablement d’origine accidentelle ou s’il s’agit d’un état antérieur.
Critères démographiques, anamnestiques et cliniques
Age
Les déchirures de la coiffe augmentent avec l’âge, et le pourcentage estimé d’avoir une lésion dégénérative en-dessous de 60 ans est de 10,7% [6]. Si l’on considère les déchiruresasymptomatiques, en-dehors des sportifs de lancer, en-dessous de 50 ans il n’y en a aucune, entre 50–59 ans le pourcentage varie entre 2–13%, entre 5,7–20% dans la soixantaine, et entre 7–40,7% au-dessus de 70 ans [7]. Il est donc peu réaliste de mettre un âge de moins de 40 ans pour déterminer une pondération [2].
Anamnèse
Suite à un traumatisme, il faut rechercher des douleurs ou une gêne fonctionnelle préalable à l’épaule incriminée. Un état préexistant signe généralement une condition dégénérative. Un craquement entendu lors d’un accident peut être le signe d’une déchirure tendineuse ou ligamentaire, d’une lésion du labrum ou de la poulie bicipitale, ou d’une fracture [8]. Son absence n’indique pas que la lésion n’est pas traumatique.
Activités sportives
La pratique de sports de lancer ou de contact peut occasionner un surmenage de la coiffe, avec habituellement une lésion située postérieurement à la jonction entre le supra-épineux (ou sus-épineux) et l’infra-épineux (ou sous-épineux) [9]. Néanmoins, des lésions traumatiques de la coiffe peuvent survenir particulièrement suite à des chutes [10].
Facteurs de risque
Plusieurs facteurs prédisposant aux déchirures de la coiffe ont été recensés comme la génétique, l’obésité, l’hypercholestérolémie, le diabète, les problèmes de thyroïde, l’alcool, la goutte, l’hypertension, et le tabac.
Critères cliniques
Selon certains médecins-conseils, la ou le patient doit décrire une impotence fonctionnelle afin qu’il y ait une corrélation entre le traumatisme et la déchirure de coiffe, mais elle n’est pas obligatoire, car relativement rare [11]. La raison est liée à l’anatomie de la coiffe. Bien que composé de quatre muscles séparés, les tendons fusionnent les uns avec les autres et avec la capsule sous-jacente pour former une coiffe continue autour de la tête humérale. Le lien est le plus apparent au niveau de la surface profonde, où l’on observe un «câble des rotateurs» robuste (voir fig. S1 dans l’annexe joint à l’article en ligne). En raison de cette anatomie particulière, la répercussion fonctionnelle d’une lésion de la coiffe ne s’apparente pas aux atteintes musculo-tendineuses d’autres localisations, avec une fonction qui peut être maintenue, malgré une déchirure pouvant être relativement large. Il faut une dysfonction complète du sous-scapulaire et du supra-épineux, ou de trois muscles de la coiffe pour avoir une impotence fonctionnelle [12] (fig. 1). Elle n’est en général retrouvée que dans les déchirures massives de la coiffe [13]. La présence d’une impotence même transitoire confirme donc le caractère accidentel, mais son absence ne signifie pas que la déchirure de la coiffe n’est pas d’origine traumatique.
© 2014 Journal of Shoulder and Elbow Surgery Board of Trustees.
Action vulnérante
Certains articles décrivent l’association d’une déchirure de la coiffe avec un traumatisme à haute énergie, comme une luxation de l’épaule, ou un accident de la voie publique. Néanmoins, elles sont le plus souvent liées à un traumatisme à basse énergie [14], lors d’une chute de sa hauteur avec un choc direct sur l’épaule, un choc indirect avec une chute sur la main ou sur le coude, ou un étirement du bras [15]. A part l’étirement du bras, les autres mécanismes lésionnels sont contestés par les médecins d’assurance, qui estiment que la coiffe est protégée par le deltoïde et l’acromion. Les tendons de la coiffe sont non seulement soumis à des forces de traction complexes, mais également des forces de compression, de cisaillement et excentriques [16]. Afin de bien réaliser les conséquences d’une chute, il faut savoir que, lors d’une chute sur la main, l’épaule absorbe la majeure partie de l’énergie de l’impact [17], et la vitesse du choc au niveau de la tête d’un mannequin qui tombe est constante et se situe vers 22–23 km/h [18]. Il est donc biomécaniquement explicable et scientifiquement prouvé qu’une chute de sa hauteur, avec un choc direct sur l’épaule, un choc indirect avec une chute sur la main ou sur le coude, sont des actions vulnérantes tout à fait adéquates pour provoquer une déchirure traumatique de la coiffe [19].
Critères radiologiques
Espace sous-acromial et morphologie osseuse
Une distance acromio-humérale en-deçà de 7 mm est un signe de lésion chronique de coiffe [20]. Néanmoins, une surélévation de la tête peut se faire précocement suite à un traumatisme [21]. Nous n’allons donc pas tenir compte de ce facteur.
Nous estimons également que les différents critères décrits pour la morphologie osseuse, comme l’acromion crochu par exemple, ne représentent pas des causes mais uniquement des facteurs de risque non prouvés et discutables dans la littérature [21], et nous n’allons donc pas entrer en matière.
Articulation acromio-claviculaire
La prévalence d’arthropathie acromio-claviculaire (AC) est de 48–82% chez des personnes asymptomatiques, et elle augmente avec l’âge. Ces troubles ne sont pas associés aux lésions de la coiffe [22]. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) ne permet pas de différencier l’arthrose AC primaire ou posttraumatique, lorsque l’examen est réalisé tardivement [23].
Autres paramètres radiologiques
Des critères comme l’ostéopénie du trochiter, la sclérose osseuse, les ostéophytes, ou les kystes sous-chondraux ont été étudiés, mais ne semblent pas associés aux lésions de la coiffe [21].
Signes IRM d’une lésion aiguë de la coiffe
Un hématome dans la bourse [24] ou un aspect ondulé de la partie centrale du tendon [21] sont des signes de lésion traumatique. Les lésions myo-tendineuses sont rares au niveau de la coiffe, mais le plus souvent d’origine traumatique, particulièrement lorsqu’il y a un œdème musculaire [25]. L’œdème doit être recherché car il peut entraîner une pseudo-infiltration graisseuse (voir fig. S2 dans l’annexe joint à l’article en ligne).
Atrophie musculaire (amyotrophie)
Suite à une rupture tendineuse, traumatique ou dégénérative, il y aura une amyotrophie progressive [26] (fig. 2), qui peut aussi être présente en cas de déchirure partielle du tendon. Celle-ci peut déjà survenir 4–6 semaines après une lésion de la coiffe [27].
Une atrophie associée à une rétraction illustrée par un signe de la tangente positif (fig. 3) est un signe de lésion chronique de la coiffe [28].
Infiltration graisseuse
Une infiltration graisseuse sévère stade 3 et 4 selon Goutallier [29] (fig. 4) se développe dans un cadre traumatique ou dégénératif sur plusieurs années. A contrario, une infiltration graisseuse faible (stade 0 à 2) ne signe en aucun cas une atteinte chronique de la coiffe; son apparition peut être naturelle [30] ou simplement le reflet d’une autre pathologie: pseudo-infiltration graisseuse associée à un œdème musculaire (voir fig. S2 dans l’annexe joint à l’article en ligne).
Lésions associées du complexe bicipito-labral
Les lésions au niveau de l’attache du long chef du biceps, ou lésions SLAP («superior labral anterior posterior [SLAP] tear»), sont souvent associées à des lésions de coiffe. Elles peuvent certes survenir sans traumatisme chez les sportifs de lancer [9], mais sont majoritairement traumatiques, avec une chute le bras écarté ou tendu [31], liées à une traction sur le long chef du biceps [31], suite à un choc direct contre l’épaule [31], ou un accident de la voie publique [32]. Les lésions labrales inférieures, antérieures ou postérieures, sont quasiment toujours d’origine traumatique [33]. Par contre, les lésions du labrum postéro-supérieur sont liées au surmenage chez les lanceurs, avec une lésion de la coiffe située à la jonction entre le supra-épineux et l’infra-épineux [(9].
Localisation
Les lésions asymptomatiques de la coiffe sont pratiquement toutes limitées au supra-épineux [34]. Les lésions de la partie postérieure du tendon supra-épineux sont plutôt dégénératives [35], alors que les lésions antérieures et antéro-supérieures de la coiffe (sous-scapulaire +/- partie antérieure du supra-épineux) sont traumatiques jusque dans 92% des cas [36], avec des lésions de la poulie bicipitale dans 77% des cas [36].
Discussion
Un accident doit être annoncé immédiatement, car le retard est un des éléments utilisés pour contester la concordance entre l’événement déclaré et les lésions constatées. Il est également primordial que les patientes et patients soitent examinés rapidement afin d’organiser d’éventuels examens complémentaires, comme une arthro-IRM qui aidera à la différentiation, les signes de lésion aiguë s’estompant avec le temps. Si une intervention est nécessaire, elle devrait se faire dans les 3 semaines afin de garantir un bon résultat fonctionnel.
Il peut être difficile de différencier une lésion purement traumatique de la coiffe, l’extension aiguë d’une lésion dégénérative préexistante, ou la simple décompensation d’une lésion dégénérative asymptomatique présente avant l’événement. Afin de faciliter le travail décisionnel permettant de clarifier l’origine dégénérative ou traumatique des lésions de la coiffe pour les médecins traitants et les médecins-conseils d’assurance, nous avons élaboré une grille d’évaluation (tab. 1), illustrée par un exemple (voir tableau S1 dans l’annexe joint à l’article en ligne).
Tableau 1: Grille d’évaluation | |||||
Critères démographiques, anamnestiques et cliniques | Commentaires | D | T | D | T |
Age | Risque de déchirure dégénérative <60 ans | 10,7% | 89,3% | ||
Déchirure asymptomatique préexistante: <50 ans (0%); 50–60 ans (2–13%); 60–70 ans (5,7–20%) | |||||
Activités sportives | Sports engendrant des lésions à l’épaule | Oui | Non | ||
Facteurs de risque | Tabac, obésité, hypercholestérolémie, alcool, thyroïde, goutte, diabète, hypertension, génétique | Oui | Non | ||
Anamnèse | Gêne préalable aux épaules | Oui | Non | ||
Craquement (non nécessaire) | Oui | ||||
Critères cliniques | Impotence fonctionnelle (non nécessaire) | Oui | |||
Action vulnérante | Haute énergie: luxation de l’épaule, AVP | Oui | |||
Basse énergie: chute de sa hauteur, ou plus haut, sur l’épaule, le coude ou la main; ou un étirement du bras | Oui | ||||
Critères radiologiques | |||||
Signes IRM de lésion aiguë | Non nécessaire, si fait tardivement | Non | Oui | ||
Amyotrophie | Peut survenir déjà après 4–6 semaines | (Oui) | Non | ||
Infiltration graisseuse | Grades selon Goutallier | 3–4 | 0–2 | ||
Lésions associées | Lésion de la poulie avec subluxation du LCB particulièrement en direction médiale | Oui | |||
Labrum inférieur (antérieur ou postérieur) | Oui | ||||
Labrum postéro-supérieur | Non | ||||
Localisation de la déchirure de coiffe | Post. | Ant. | |||
D: dégénératif; T: traumatique; +: plutôt en faveur de; Ant.: antérieur; AVP: accident de la voie publique; IRM: imagerie par résonance magnétique; LCB: long chef du biceps; post.: postérieur. |
L’essentiel pour la pratique
Les déchirures de la coiffe des rotateurs d’origine traumatique sont fréquentes.
L’action vulnérante pouvant provoquer une déchirure de la coiffe n’est pas nécessairement à haute énergie, mais peut survenir le plus fréquemment suite à un traumatisme à basse énergie comme une chute de sa hauteur sur l’épaule, le coude ou la main, ou un étirement du bras.
Différents critères permettent de déterminer si une déchirure de la coiffe est à prépondérance traumatique ou dégénérative.
Si une prise en charge chirurgicale est nécessaire, elle devrait se faire dans les 3 semaines, afin de garantir un bon résultat fonctionnel.
Ortho Centre SA, Lausanne
Les annexes avec des figures supplémentaires ainsi qu’une version longue non relue du texte accepté de l'auteur, présentant 215 références numérotées, sont disponibles en tant que documents séparés sur https://doi.org/10.4414/fms.2023.09192.
AL a déclaré avoir reçu des subventions de la part de FORE (Foundation for Research and Teaching in Orthopaedics, Sports Medicine, Trauma and Imaging in the Musculoskeletal System), des honoraires de consultants de la part de Arthrex, Medacta et Stryker; en outre AL a déclaré des redevences/licences de Stryker, des actions ou options sur les actions de Medacta; en plus, il est le fondateur de BeeMed, FORE et Med4cast. Les autres auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Image d'en-tête: Radiologie, Clinique Bois-Cerf, Lausanne
Dr. méd. Leslie Naggar
Ortho Centre SA
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