Les démences du point de vue neurologique: Partie 1
Diagnostic

Les démences du point de vue neurologique: Partie 1

Übersichtsartikel
Édition
2023/13
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09290
Forum Med Suisse. 2023;23(13):986-990

Affiliations
a Stroke Center, Klinik für Neurologie, Klinik Hirslanden, Zürich; b Neurologische Klinik und Stroke Center, Universitätsspital und Universität Basel, Basel; c Universitäre Altersmedizin FELIX PLATTER, Basel; d Neurologische Klinik, Spitalzentrum Biel, Biel; e Leenaards Memory Centre, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne; f Ambulatorio della Memoria, Unita disturbi Cognitivi e Logopedia, Neurocentro della Svizzera Italiana, Ente Ospedaliero Cantonale (EOC), Lugano; g Laboratoire de recherche en neuro-imagerie (LREN) – Département des neurosciences cliniques, CHUV, Université de Lausanne, Lausanne; h Abteilung Neurologie, Max-Planck-Institut für Kognitions- und Neurowissenschaften, Leipzig, Deuschland; i Neurologische Klinik und Department, Kantonsspital und Universität Fribourg, Fribourg; j Klinik für Neurologie, Kantonsspital St. Gallen, St. Gallen; k Task Force Demenz der Schweizerischen Neurologischen Gesellschaft (SNG)

Substance active discutée

Publié le 29.03.2023

Un aperçu des aspects les plus importants et actuels du diagnostic de la démence du point de vue neurologique.

Introduction

En raison de l’évolution démographique, les démences représentent un défi médical, psychosocial (pour les personnes atteintes et leur environnement social) et socio-économique croissant pour la société.
Les démences sont des maladies liées à l’âge: alors que leur prévalence est faible chez les moins de 65 ans (environ 1%), environ une personne sur dix de plus de 65 ans souffre de démence, avec une prévalence qui continue d’augmenter avec l’âge (jusqu’à 50% chez les personnes de plus de 85 ans). Selon les prévisions, la part de la population âgée de plus de 60 ans se chiffrera à 20–35% en 2050 [1]. Pour la Suisse, cela signifie que la prévalence de la démence augmentera pour atteindre plus de 300 000 personnes d’ici 2050, soit un doublement par rapport à aujourd’hui où l’on compte déjà environ 32 000 nouveaux cas par an et environ 150 000 personnes atteintes de démence [2, 3]. Cette évolution n’a pas seulement des conséquences pour les personnes concernées, elle représente également un défi pour le système de santé (coût actuel des démences: près de 12 milliards de CHF par an) [4].
Le terme de démence ne désigne pas une maladie unique, mais décrit un syndrome de limitations cognitives ayant un impact pertinent sur la vie quotidienne. Différentes causes peuvent en être à l’origine. La cause la plus fréquente est la maladie d’Alzheimer, une maladie neurodégénérative. La deuxième cause la plus fréquente est le groupe important des maladies neurovasculaires, qui peuvent entraîner des limitations cognitives pouvant aller jusqu’au développement d’une démence vasculaire. Parmi les exemples de maladies neurovasculaires sont l’accident vasculaire cérébral ischémique ou les hémorragies cérébrales, ainsi que les encéphalopathies vasculaires chroniques progressives comme la microangiopathie cérébrale ou l’angiopathie amyloïde cérébrale (AAC), cette dernière pouvant également se manifester pour la première fois par des hémorragies cérébrales aiguës.
En outre, d’autres maladies peuvent entraîner une démence: par exemple les dégénérescences lobaires fronto-temporales (DLFT), la maladie de Parkinson et les maladies extrapyramidales atypiques, y compris la maladie à Corps de Lewy, ou l’hydrocéphalie à pression normale (HPN). Enfin, il existe souvent des formes mixtes de démence, comme par exemple en cas de présence simultanée d’une maladie de base neurodégénérative et vasculaire ainsi qu’en cas de présence possible de différents processus neurodégénératifs (démence dite mixte; en anglais: «mixed dementia»).
Cet article de revue, qui constitue la première de deux parties, a pour but de fournir un aperçu des principaux aspects du diagnostic de la démence du point de vue neurologique et de présenter les développements récents en matière de diagnostic.
Selon une enquête réalisée par Swiss Memory Clinics sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), la neurologie est, avec 49%, la discipline médicale la plus souvent impliquée dans les bilans de démence effectués dans les cliniques de la mémoire [5]. Précisément dans les cliniques de la mémoire, la collaboration interdisciplinaire entre les spécialistes en neurologie, neuropsychologie, gériatrie et gérontopsychiatrie, ainsi que d’autres professions et les médecins de famille qui assurent le suivi revêt cependant une importance particulière. Chaque discipline avec ses compétences contribue à l'amélioration de la prise en charge.

Diagnostic

En cas de déclin des performances cognitives, le diagnostic différentiel ciblé doit être effectué le plus tôt possible, c’est-à-dire avant même qu’un syndrome démentiel ne se développe, lequel peut être considéré – y compris dans le cas de la maladie d’Alzheimer – comme un stade tardif d’un processus pathologique progressif global (continuum). Celui-ci débute biologiquement déjà jusqu’à 20 ans avant la manifestation clinique, qui se caractérise initialement par des symptômes cognitifs ou d’autres symptômes psychiques. C’est souvent au cours de cette phase de la maladie que les patientes et patients ont conscience des limitations cognitives [6]. C’est aussi pour cette raison qu’il s’agit d’une fenêtre temporelle propice pour initier des interventions thérapeutiques.
De plus, le diagnostic précoce permet d’aborder des aspects individuels de la vie (comme par exemple la thématisation et l’évaluation de l’aptitude à la conduite ou la prévoyance financière).
Avant d’initier des démarches diagnostiques plus poussées, il est très important de fournir des informations et explications exhaustives aux patientes et patients, notamment en ce qui concerne les conséquences et options thérapeutiques qui en découlent. La manière d’appréhender ces questions varie considérablement d’une personne à l’autre et l’éventuel souhait des personnes concernées de ne pas procéder à des démarches diagnostiques supplémentaires doit être évalué et pris en compte.
Le diagnostic des maladies pouvant conduire à une démence se base sur différents résultats cliniques et paracliniques. Selon les symptômes, l’accent est mis sur des aspects neurologiques, (géronto)psychiatriques ou gériatriques. En conséquence, les recommandations de Swiss Memory Clinics exigent également l’implication de différentes disciplines dans l’évaluation des troubles neurocognitifs [7]. Un examen neurologique devrait toujours être effectué afin de reconnaître de manière fiable les symptômes neurologiques et de les classer correctement. Ceux-ci peuvent être pertinents dans le diagnostic différentiel des causes de démence. Toutefois, la participation des médecins internistes et des médecins de famille dans le cadre du diagnostic et de la prise en charge des patientes et patients est elle aussi très importante. Globalement, la classification diagnostique se base d’abord sur des critères cliniques. Cependant, pour la maladie d’Alzheimer comme pour d’autres démences, il est de plus en plus fait appel à des biomarqueurs afin d’améliorer la précision diagnostique [8–11].
D’une manière générale, le diagnostic comprend deux aspects: a) détection, caractérisation et quantification des déficits cognitifs et b) ​​diagnostic différentiel de l’étiologie. Un diagnostic complet devrait être accessible à toutes les personnes concernées. Pourtant, on estime que seule la moitié environ des personnes atteintes de démence en Suisse ont bénéficié d’un diagnostic médical spécialisé. L’objectif du diagnostic différentiel précis est de déterminer la ou les maladies sous-jacentes, ce qui est un prérequis pour le choix des mesures thérapeutiques appropriées et pour l’évaluation du pronostic.

Diagnostic clinique

La base du diagnostic clinique de la démence est le recueil minutieux de l’auto-anamnèse et de l’hétéro-anamnèse ainsi que l’examen clinique [7]. Lors du recueil de l’anamnèse dans le contexte des troubles cognitifs, il est particulièrement important d’obtenir une hétéro-anamnèse précise de la part de l’entourage familial, notamment afin de détecter d’éventuels changements de personnalité ou de comportement. Les médecins de premier recours, qu’ils soient médecins de famille ou médecins internistes, jouent ici un rôle essentiel dans ce que l’on appelle le «case finding» au cabinet du médecin de famille, car c’est souvent là que les inquiétudes concernant les altérations de la cognition sont exprimées pour la première fois ou que les patientes et patients commencent à manifester des anomalies comportementales.
Au cours de l’évolution, de nombreuses personnes atteintes de démence ne sont plus capables de décrire ou de reconnaître leurs propres symptômes (anosognosie). En outre, il est important de relever l’évolution de la maladie au fil du temps, les habitudes de vie avec la consommation d’alcool et de tabac, les maladies antérieures associées à des facteurs de risque vasculaires, la qualité du sommeil, l’anamnèse médicamenteuse et l’anamnèse familiale et sociale.
L’anamnèse est d’autant plus importante que les démences peuvent se manifester à un stade précoce ou prodromique par des symptômes légers, non spécifiques et non cognitifs, tels que des troubles de la motivation ou du sommeil, des changements de comportement ou des fluctuations de l’humeur.

Tests neurocognitifs

Au cabinet de neurologie comme au cabinet de médecine de famille, il convient de procéder à une première évaluation, à des fins d’orientation, des performances cognitives au sens d’un «case finding» lorsque a) la patiente ou le patient ou b) les proches font des remarques concernant la baisse des performances cérébrales ou c) des changements sont remarqués au cabinet médical. En revanche, le dépistage généralisé de toutes les personnes à partir d’un certain âge ne s’est pas avéré opportun.
Pour le dépistage cognitif, le «Montreal Cognitive Assessment» (MoCA) [12] permet d’identifier de premiers signes de déficits cognitifs avec une plus grande sensibilité que le «Mini Mental Status Examination» (MMSE) [13] et couvre un spectre un peu plus large de limitations neurocognitives. Le MoCA doit être réalisé conformément aux instructions de test définies. Dans de nombreux cas, le test de la montre, qui est intégré dans le MoCA, est en outre effectué.
Ni le MMSE ni le MoCA ne sont toutefois en mesure de fournir une évaluation suffisamment différenciée des performances cognitives, de sorte qu’en cas de résultat anormal, il convient de procéder à un examen approfondi. Pour le MoCA, il existe des normes pour un échantillon suisse qui tiennent compte des influences de l’âge, de la formation et du sexe (www.mocatest.ch). Les deux tests peuvent être utiles pour documenter l’évolution de la maladie dans le quotidien clinique.
En cas de résultats anormaux à l’un des tests mentionnés ci-dessus ou de forte suspicion anamnestique d’une détérioration des fonctions cognitives, un bilan neurocognitif exhaustif devrait être effectué dans une institution spécialisée telle qu’une clinique de la mémoire ou un service ambulatoire spécialisé.
Le «Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux» (DSM-5) [14] définit six domaines cognitifs à examiner pour une évaluation exhaustive des performances cérébrales, ce qui corrige la focalisation le plus souvent dominante des systèmes de classification antérieurs sur les troubles de la mémoire. Il s’agit des domaines «langage», «apprentissage/mémoire», «attention complexe», «performances visuo-constructives et visuo-perceptives», «fonctions exécutives» et «cognition sociale». L’établissement d’un profil de performances cognitives sur cette base permet souvent déjà, en conjonction avec les données de l’auto-anamnèse et de l’hétéro-anamnèse, de générer des hypothèses quant à l’étiologie des déficits.
En Europe germanophone, la batterie de tests neuropsychologiques du «Consortium to Establish a Registry for Alzheimer’s Disease» (CERAD) dans sa version normalisée allemande (batterie de tests CERAD-plus) s’est établie pour l’évaluation des performances cérébrales chez les personnes âgées [15]. En complément de la version originale, CERAD-plus évalue en plus les aspects de la vitesse de traitement de l’information et des performances exécutives, ce qui permet ainsi de cerner également les effets de lésions des zones frontales et sous-corticales du cerveau. Les pays francophones et italophones utilisent des batteries qui suivent les mêmes principes.
Comme Bürge et al. [7] l’ont montré en 2018, un tel examen standard doit être complété par d’autres procédures de test lorsqu’il s’agit de patientes et patients plus jeunes, de déficits subtils ou de personnes ayant un niveau de performance prémorbide élevé ou lorsqu’il existe un profil de troubles spécifique. Il faut alors veiller, lors du choix des tests, à ce que les procédures utilisées soient normalisées de manière appropriée pour le groupe d’âge. Un test neuropsychologique exhaustif est généralement réservé à un centre expérimenté et spécialisé, car l’interprétation des résultats par des personnes formées est essentielle. Sur la base des batteries de tests existantes dans les pays anglophones, des initiatives actuelles visent à harmoniser les tests neurocognitifs dans les différentes régions linguistiques [16, 17].
Le diagnostic d’une démence présuppose, d’une part, la présence de troubles significatifs des performances cognitives et, d’autre part, des difficultés à faire face aux exigences de la vie quotidienne; il ne se mesure pas uniquement à l’ampleur des déficits cognitifs détectés, de sorte qu’un résultat de test neuropsychologique ne peut pas, à lui seul, confirmer ou exclure la présence d’une démence.

Examen neurologique clinique

L’examen neurologique clinique vise notamment à identifier des déficits neurologiques focaux ou systémiques. Il convient d’accorder une attention particulière à la présence de dysfonctionnements corticaux tels qu’une aphasie, une apraxie ou une agnosie. En outre, la rigidité et la bradykinésie ainsi que les troubles des mouvements oculaires doivent être reconnus comme des signes de maladies motrices extrapyramidales. Il convient également de détecter des signes cliniques potentiels d’atteinte du premier et/ou du deuxième motoneurone.
Dans ce contexte, il est essentiel d’évaluer la marche, qui présente des altérations parfois typiques en cas de maladies vasculaires et neurodégénératives du système nerveux central. Le type de trouble de la démarche peut orienter le diagnostic, par exemple en cas d’HPN, de syndromes parkinsoniens ou de microangiopathie cérébrale. Il existe cependant souvent une altération moins spécifique de la marche, qui peut être due à plusieurs pathologies et déficits, par exemple des troubles de la marche d’origine sous-corticale dans le cadre de lésions vasculaires, une polyneuropathie, des troubles de la perception visuelle, des capacités réduites d’attention partagée ou une apraxie de la marche dans le cadre de lésions cérébrales frontales. La combinaison de ces déficits entraîne au final un risque de chute nettement accru. Celui-ci peut être réduit par des mesures physiothérapeutiques et des moyens auxiliaires appropriés, ce qui revêt à son tour une importance pronostique pour la qualité de vie. Dans ce contexte, il convient de mentionner en particulier les troubles de la marche d’origine sous-corticale, également décrits comme «higher-level gait disorder» ou apraxie de la marche [18], qui ont pour conséquence que les mouvements lors de la marche ne sont plus effectués correctement et sont trop lents. De ce fait, les mouvements ne sont pas coordonnés et semblent précipités à des endroits critiques, tels que des obstacles. Un diagnostic clinique correct permet, précisément dans le domaine des troubles de la marche, d’éviter des examens diagnostiques complémentaires coûteux.
Outre l’examen neurologique, il convient de procéder à un examen clinique afin de rechercher la présence de maladies cardiovasculaires ou de facteurs de risque cardiovasculaire (entre autres hypertension artérielle, diabète sucré, fibrillation auriculaire, insuffisance cardiaque, etc.). Souvent, cet examen a déjà eu lieu dans le cadre de la prise en charge de routine par le médecin interniste ou le médecin de famille. De même, il ne faut pas omettre d’explorer, au moins à titre d’orientation, les troubles comportementaux neuropsychiatriques, notamment en ce qui concerne la présence d’un syndrome dépressif, mais aussi d’autres symptômes tels que des idées délirantes, des hallucinations ou un trouble de la motivation et une apathie. Dans ce cadre, des questionnaires tels que la «Geriatric Depression Scale» peuvent s’avérer utiles.
Dans l’esprit de l’évaluation interdisciplinaire, les neurologues devraient faire appel à des spécialistes en gérontopsychiatrie ou en médecine interne gériatrique en cas de suspicion de symptômes correspondants; à l’inverse, un spécialiste en neurologie devrait être impliqué en cas d’anomalies neurologiques décelées dans le cadre d’une évaluation dans d’autres disciplines.

Imagerie

L’imagerie cérébrales joue un rôle majeur dans le diagnostic. Il convient de mentionner ici en particulier l’imagerie par résonance magnétique (IRM) (fig. 1). Elle doit permettre de répondre à différentes questions:
Si l’IRM n’est pas disponible ou possible, par exemple en raison de contre-indications, il convient alternativement de réaliser une tomodensitométrie, idéalement en deux plans (coronal et axial), qui permet, outre les signes d’atrophie circonscrits, d’évaluer au moins les diagnostics différentiels les plus directement pertinents sur le plan thérapeutique (tels que l’HPN ou l’HSD).
En cas de suspicion de maladie neurodégénérative, il est possible d’envisager un diagnostic de médecine nucléaire plus poussé au moyen de la TEP-FDG (tomographie par émission de positons au fluorodésoxyglucose) ou de la TEP-amyloïde (fig. 2). Des recommandations d’utilisation ont été publiées concernant les conditions de prise en charge des coûts d’une TEP, les indications à un tel examen et son interprétation [19].
Figure 2: TEP-FDG (tomographie par émission de positons au fluorodésoxyglucose) d’une patiente de 77 ans présentant une aphasie croissante depuis quelques mois avec des difficultés à trouver ses mots et une suspicion de dégénérescence lobaire fronto-temporale (DLFT). La TEP-FDG montre un hypométabolisme prédominant à gauche dans la région fronto-temporale ainsi que dans la région du précuneus (hypométabolisme quantifié en relation [valeurs Z]) avec un collectif de contrôle normalisé par le biais de «stereotactic spatial nomalization maps»).
Neuroradiologie et médecine nucléaire, Clinique Hirslanden Zurich, Zurich

Diagnostic neurovasculaire et internistique

En cas de suspicion d’une origine vasculaire d’un trouble neurocognitif, des examens neurovasculaires et cardiovasculaires plus approfondis, y compris une échographie Doppler/duplex, une échocardiographie, un électrocardiogramme de longue durée, etc., devraient être effectués en fonction de la pose de l’indication individuelle (voir également ci-dessus). Des analyses sanguines de laboratoire de base doivent être effectuées pour exclure des syndromes démentiels symptomatiques secondaires (par exemple causes métaboliques ou endocrinologiques). Il est recommandé de procéder à un diagnostic par étapes qui, en plus des analyses de routine, comprend des marqueurs de laboratoire spécifiques en fonction de la situation [20]. Les paramètres suivants sont recommandés dans le cadre des analyses de base: hémogramme, électrolytes, glycémie, HbA1c, thyréostimuline (TSH), vitesse de sédimentation ou protéine C réactive (CRP), transaminases, gamma-glutamyltransférase, créatinine, urée et vitamine B12.

Diagnostic par biomarqueurs

Avec l’introduction de biomarqueurs dans les critères diagnostiques de la démence [10, 11], l’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) joue un rôle de plus en plus important dans l’évaluation des démences, notamment parce que la détermination de l’étiologie sur la seule base des paramètres cliniques peut être difficile. Elle est souvent réalisée par des neurologues. Elle permet, grâce à la mesure des marqueurs de neurodégénérescence actuellement connus (bêta-amyloïde 42 et 40, protéine tau totale, protéine tau phosphorylée 181), une détermination plus ciblée de l’étiologie, en particulier dans la phase précoce avec des symptômes cognitifs légers. La détermination combinée de ces valeurs a montré une sensibilité et une spécificité élevées dans la maladie d’Alzheimer. La combinaison avec la bêta-amyloïde 40 est préférable à la seule détermination de la bêta-amyloïde 42, car le quotient de ces deux valeurs offre une plus grande certitude quant à la présence d’une maladie d’Alzheimer [21]. Par ailleurs, l’analyse du LCR permet bien entendu de diagnostiquer des maladies inflammatoires et infectieuses grâce à la détermination des paramètres de routine (numération cellulaire, protéines totales, lactate, glucose, albumine, production intrathécale d’IgG et bandes oligoclonales) et, le cas échéant, d’autres marqueurs sérologiques. L’analyse du LCR est particulièrement importante chez les personnes jeunes atteintes d’un syndrome démentiel, susceptible de progresser rapidement, afin de détecter des maladies inflammatoires auto-immunes ou une maladie à prions («real-time quaking-induced conversion» [RT-QuIC]). Lisez également le «Highlight Neurologie» de Felbecker et al. à la page 984 de ce numéro du Forum Médical Suisse [22].
La recherche sur les biomarqueurs se concentre actuellement sur le développement de biomarqueurs dans le sang. Certains marqueurs établis dans le LCR sont également utilisés dans ce cadre, et les biomarqueurs amyloïdes seront les premiers à être disponibles dans le sang. Toutefois, la tau 217 phosphorylée semble être le marqueur unique qui offre actuellement la meilleure qualité de test pour le diagnostic différentiel de la maladie d’Alzheimer [23]. L’utilisation de biomarqueurs sanguins en dehors du cadre de la recherche doit encore être validée. Actuellement, l’interprétation devrait se faire dans des centres spécialisés. De plus, la combinaison avec d’autres marqueurs peut s’avérer judicieuse, en particulier lorsque d’autres étiologies que la maladie d’Alzheimer doivent être évaluées. Il convient ici de mentionner les neurofilaments à chaîne légère («neurofilament light chain» [NfL]) comme marqueur sanguin sensible, qui semble jouer un rôle cliniquement pertinent dans les maladies neurodégénératives et neurovasculaires [24–26]. L’objectif à long terme est de détecter en une seule étape différentes pathologies dans le sang, afin de pouvoir ainsi émettre le plus tôt possible des recommandations thérapeutiques individuelles basées sur la pathologie, dans l’esprit d’une médecine personnalisée, et de pouvoir se prononcer sur le pronostic et la progression de la maladie à l’aide de biomarqueurs. Dans ce contexte, les procédés nanomicroscopiques, qui permettent de détecter les différents agrégats de protéines sur les érythrocytes, pourraient remplacer les différents biomarqueurs sanguins [27].

Examens diagnostiques complémentaires

Parfois, un diagnostic spécialisé complémentaire peut être utile et indiqué. Le diagnostic par électroencéphalogramme (EEG) peut être utile pour différencier les épilepsies et les encéphalopathies et fournit souvent des informations importantes dans des indications spécifiques comme la maladie de Creutzfeld-Jakob.

Résumé concernant le diagnostic

Le diagnostic de base d’une démence reste en premier lieu clinique. Toutefois, étant donné que la détermination précise de l’étiologie présente des avantages en matière de traitement et de pronostic, d’autres procédés sont de plus en plus souvent introduits. Des centres expérimentés peuvent effectuer des examens complémentaires en fonction du diagnostic de suspicion et du stade de la maladie. L’objectif reste d’obtenir une certitude diagnostique tout en évitant le surdiagnostic (voir tab. 1 pour un aperçu).
Tableau 1: Procédure diagnostique en cas de démence
Diagnostic cliniqueAnamnèse
Examen neurologique clinique
Examen neurovasculaire et internistique
Diagnostic neuropsychiatrique
Tests neuropsychologiques/cognitifsScreening-Tests
Tests complémentaires approfondis
Examens d’imagerieImagerie par résonance magnétique cérébrale
Si non disponible: tomodensitométrie cérébrale
Examens neuro-/cardiovasculaires (en cas de suspicion de démence vasculaire)Échographie neurovasculaire, examens cardiaques (échocardiographie, ECG)
Analyses de laboratoireAnalyses de laboratoire de base, le cas échéant, diagnostics différentiels spécifiques
Examens complémentairesMédecine nucléaire (par ex. TEP-FDG, TEP-amyloïde)
Analyse du LCR (marqueurs de neurodégénérescence)
Nouveaux biomarqueurs (actuellement encore dans le contexte de la recherche)
ECG: électrocardiogramme; FDG: fluorodésoxyglucose; LCR: liquide céphalo-rachidien; TEP: tomographie par émission de positons.
Il apparaît clairement que le diagnostic des démences représente souvent un défi interdisciplinaire impliquant des spécialistes en neurologie, neuropsychologie, psychiatrie, gériatrie, médecine de famille, médecine interne, cardiologie ainsi que radiologie et médecine nucléaire. Les cliniques de la mémoire jouent un rôle central à cet égard en tant que centres spécialisés interdisciplinaires. De plus, dans le contexte des maladies neurovasculaires, les services de neurologie et les spécialistes exerçant en ambulatoire assument des tâches importantes. En particulier dans le contexte des maladies vasculaires, la collaboration interdisciplinaire avec la médecine interne revêt une grande importance. Récemment, des recommandations détaillées sur le diagnostic de la démence ont été publiées dans ce cadre [7]. De plus, les lignes directrices actuellement en vigueur des sociétés de discipline concernées (lignes directrices S3 sur les démences, lignes directrices sur la démence vasculaire [28]) fournissent une vue d’ensemble.

Perspectives

En raison de l’évolution démographique, le thème des troubles cognitifs et de la démence va gagner en importance dans les années à venir, tant du point de vue médical que socio-économique et psychosocial. Le diagnostic de la maladie sous-jacente impliquera de plus en plus l’utilisation de biomarqueurs, tant d’imagerie que de laboratoire.
Dans la deuxième partie de cet article de revue, nous nous pencherons sur la prévention et le traitement des démences du point de vue neurologique.

L’essentiel pour la pratique

La démence n’est pas une maladie unique, mais un syndrome avec différentes maladies sous-jacentes.
Après la maladie d’Alzheimer, les maladies neurovasculaires sont la deuxième cause principale de démence.
Les troubles cognitifs doivent être détectés précocement. Il existe à cet effet des méthodes de dépistage neurocognitif qui peuvent être utilisées au cabinet médical.
Le diagnostic détaillé, y compris le dosage des biomarqueurs, doit être réalisé de manière interdisciplinaire dans des centres spécialisés.
Prof. Dr méd. Nils Peters
Stroke Center, Klinik für Neurologie, Klinik Hirslanden, Zürich
NP: Honoraires d’OM Pharma pour une présentation au comité consultatif. OR: Honoraires de conférencier de Biogen et OM Pharma; participation à un Data Safety Monitoring Board ou à un comité consultatif d’OM Pharma, Schwabe Pharma. LS: Subventions de GE pour des manifestations éducatives; paiement de Biogen pour une prise de position; participation à un Data Safety Monitoring Board ou à un comité consultatif de Biogen. BD: Subventions d’OM Pharma et de Roche pour des conférences et des ateliers; participation à un comité consultatif de Biogen. JMA: Collaboration au sein de la commission d’éthique de la recherche locale, Lausanne; honoraires de conférencier d’OM Pharma, Novartis, Biogen, de la Société Suisse de Neurologie ainsi que de l’Hôpital de l’Île; subventions pour des frais de déplacement (Interlaken 2022); participation à un Data Safety Monitoring Board ou à un comité consultatif d’Almirall. AF: Subventions de la promotion de la recherche de l'EMPA-KSSG, de la fondation Synapsis - Recherche Démence Suisse; honoraires de consultant (paiement à l'institution) de Roche, Biogen, eisai, OM Pharma, Specialty Care Therapiezentren AG, Nestle, Vifor Pharma; honoraires de conférencier (paiement à l'institution) de Roche, Schwabe Pharma et OM Pharma; président et membre du Comité de Swiss Memory Clinics et membre du comité directeur de la Plateforme nationale démence. Les autres auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Prof. Dr méd. Nils Peters
Stroke Center
Klinik für Neurologie Hirslanden
Witellikerstrasse 40
CH-8032 Zürich
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15 Schmid NS, Ehrensperger M, Berres M, Beck IR, Monsch AU. The Extension of the German CERAD Neuropsychological Assessment Battery with Tests Assessing Subcortical, Executive and Frontal Functions Improves Accuracy in Dementia Diagnosis. Dement Geriatr Cogn Dis Extra. 2014;4(2):322–34.
17 Boccardi M, Monsch AU, Ferrari C, Altomare D, Berres M, Bos I, et al.; Consortium for the Harmonization of Neuropsychological Assessment for Neurocognitive Disorders. Harmonizing neuropsychological assessment for mild neurocognitive disorders in Europe. Alzheimers Dement. 2022;18(1):29–42.
23 Palmqvist S., Tideman P, Cullen N, Zetterberg H, Blennow K, Dage JL, Hansson O. Prediction of future Alzheimer’s disease dementia using plasma phospho-tau combined with other accessible measures. Nat Med. 2021;27(6):1034–42.
24 Duering M, Konieczny MJ, Tied S, Baykara E, Tuladhar A, Lyrer P, et al. Neurofilament Light Chain as Serum Marker for Cerebral Small Vessel Disease Burden. J Stroke. 2018;20:228–38.
1 Alzheimer Europe Report (2020): Dementia in Europe Yearbook 2019. Estimating the prevalence of dementia in Europe.
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