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Le nouveau diagnostic «incongruence de genre» selon la CIM-11 met fin à la psychopathologisation stigmatisante des personnes trans et formalise un changement de paradigme, qui régit l’accès aux traitements médicaux en fonction des besoins et selon des critères basés sur l’évidence.
Introduction
Les personnes vivant avec une incongruence de genre (IG) (encadré 1) osent de plus en plus faire part de leurs souhaits aux médecins de famille, aux psychothérapeutes et aux autres professionnels de la santé. Cette évolution s’inscrit dans le contexte d’une dépathologisation croissante et d’une acceptation sociale grandissante de la diversité des genres. Selon la 11e révision de la «Classification internationale des maladies» (CIM-11), l’IG se caractérise par une discordance marquée et persistante entre le genre auquel une personne s’identifie (tab. 1) et le sexe qui lui a été assigné à la naissance sur la base de ses organes génitaux [1]. L’IG entraîne dans de nombreux cas – mais pas tous – une «dysphorie de genre» («Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders», 5e édition [DSM-5]) (tab. 1), avec une souffrance importante [2].
Tableau 1: Glossaire | |
Agenre | Adjectif qualifiant une personne qui ne ressent pas de genre, ni binaire ni non binaire; le terme «agenre» peut aussi être compris comme une identité de genre non binaire. |
Attitude affirmative | Cette attitude thérapeutique aide les personnes à explorer, à affirmer, à consolider et à intégrer leur genre dans toutes ses composantes. |
Cis; également cisgenre | Adjectif décrivant plus précisément une personne dont l’identité de genre est congruente avec le sexe qui lui a été assigné à la naissance; exemples: femme cis (= personne qui a été assignée comme femme à la naissance et qui s’identifie comme femme), homme cis (= personne qui a été assignée comme homme à la naissance et qui s’identifie comme homme); pendant de «trans». |
Dysphorie de genre | Souffrance psychique liée à l’inadéquation entre les caractéristiques physiques, psychologiques et/ou sociales normatives en fonction du sexe et l’identité de genre d’une personne. |
Gatekeeping | Mécanisme de contrôle qui régit l’accès à une prestation médicale. Autrefois appliqué de manière rigide dans le contexte trans (ordre de traitement fixe et fortement hiérarchisé); cette attitude compliquait considérablement l’accès au traitement et plaçait de nombreuses personnes trans dans des situations de détresse inutiles. |
Genre/sexe | La distinction est faite entre «genre» (sexe psychosocial) et «sexe» (caractères physiques). En tant que construction bio-psycho-sociale, le genre possède plusieurs composantes dimensionnelles qui ne doivent pas nécessairement suivre les représentations normatives du genre. |
Identité de genre | Expérience intérieure qu’une personne a de son appartenance à un genre donné. |
Incongruence de genre (IG) | Discordance persistante entre le genre auquel une personne s’identifie et le sexe qui lui a été assigné à la naissance. |
Non binaire (angl. non-binary); aussi non-binaire, genderqueer | Terme générique désignant différentes identités de genre (par ex. genderfluid, demigender, multigender) qui se situent en dehors de la binarité de genre (exclusivement féminin ou masculin). |
Non-conformité de genre | Qualifie une personne qui ne correspond pas extérieurement aux normes sociales de genre; le terme ne renseigne cependant pas sur l’identité de genre de la personne. |
Orientation sexuelle / romantique | Genre – aucun, un ou plusieurs – par lequel une personne est attirée sexuellement ou romantiquement; cette attirance n’a aucun rapport avec l’identité de genre de la personne qui ressent cette attirance. |
Réassignation sexuelle | Mesures visant à se conformer extérieurement à sa propre identité de genre; le terme «changement de sexe» est obsolète et trompeur, car ce n’est pas le sexe qui est modifié, mais l’apparence physique. |
Safer Space | Endroit dans lequel les personnes ayant été victimes de discriminations peuvent se sentir «(plus) en sécurité», car il est basé sur l’élimination consciente des discriminations et a été créé par les personnes concernées pour les personnes concernées.. |
Trans; aussi transgenre | Adjectif décrivant une personne dont l’identité de genre n’est pas congruente avec le sexe qui lui a été assigné à la naissance; exemples: femme trans (= personne assignée comme homme à la naissance et qui s’identifie comme femme), homme trans (= personne assignée comme femme à la naissance et qui s’identifie comme homme); pendant de «cis». |
Transition | Processus d’adaptation extérieure d’une personne à son identité de genre; une transition peut comporter des mesures dans le domaine social, juridique et/ou médical. |
Transsexualité; aussi transsexualisme | Concept obsolète pour appréhender le vécu des personnes trans. Basé sur l’hypothèse trompeuse que les personnes trans auraient un problème psychique qui se distinguerait parfois mal d’une orientation non hétérosexuelle. |
Encadré 1: Critères CIM-11 [1] pour l’incongruence de genre à l’adolescence et à l’âge adulte (HA60)
Discordance marquée et persistante entre le genre auquel une personne s’identifie et le sexe qui lui a été assigné à la naissance.
Souvent, désir de «transition» pour vivre et être acceptée comme une personne du genre vécu, par exemple traitement hormonal, intervention chirurgicale ou autres prestations de santé pour adapter le corps de la personne autant que possible et souhaité au genre vécu.
Le diagnostic ne doit pas être posé avant le début de la puberté.
Le comportement et les préférences de variante de genre ne constituent pas à eux seuls une base pour l’attribution du diagnostic.
Comme les traitements médicaux n’ont lieu qu’à partir de la puberté, nous renonçons à présenter les critères d’incongruence de genre durant l’enfance.
La non-concordance entre les caractéristiques physiques, psychiques et/ou sociales entraîne souvent une dysphorie de genre et oblige les personnes concernées à entreprendre des démarches de transition sociale et/ou médicale (tab. 2). La transition médicale comprend des interventions qui visent principalement à modifier l’apparence, notamment au niveau des caractères sexuels primaires et secondaires (tab. 2) [3–5].
Tableau 2: Aperçu des différentes mesures de transition | |
Domaine de transition | Mesures possibles |
Social | Coming-out Utilisation d’un nouveau nom Changement de groupes gendérisés (équipes sportives) Modification de l’apparence extérieure (vêtements, coiffure, choix de bijoux et maquillage) Changement de titre de civilité («Madame», «Monsieur», néo-appellations comme «personne») Changement de pronom personnel (en «il», «elle», aucun ou néo-pronom) Changement d’espaces gendérisés (toilettes, vestiaires) |
Juridique | Changement de l’indication du sexe sur les actes d’état civil Changement de (pré)nom sur les actes d’état civil |
Médical | Traitements de médecine reproductive Traitements endocrinologiques Traitements dermatologiques Traitements phoniatriques Traitements chirurgicaux |
Un deuxième article de revue3 dans ce numéro [6], qui suit directement le présent article, s’intéresse aux options thérapeutiques médicales. Ce premier article fait le point sur le changement de paradigme en cours et se concentre sur la pose du diagnostic, la planification du traitement, ainsi que les étapes de la transition juridique et sociale (tab. 2).
Pourquoi cette mise à jour?
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît le droit humain à l’autodétermination sexuelle ancré dans les principes de Yogyakarta et en déduit l’accès aux traitements médicaux de transition pour les personnes trans (tab. 1) [7]. Sur cette base, des sociétés de discipline internationales et nationales ont publié au fil du temps des recommandations de traitement basées sur l’évidence [3–5]. Dans la CIM-10, les personnes présentant une IG étaient encore classées comme souffrant d’une maladie psychique et leur identité de genre (tab. 1) était considérée comme un «trouble de l’identité» («transsexualisme», F64.0). Cette classification reposait sur une conception déterministe biologique du genre, qui non seulement ne peut être prouvée empiriquement mais qui a également abouti à de graves violations des droits de l’homme [8].
Au cours des dernières décennies, un changement de paradigme s’est opéré dans la médecine. Aujourd’hui, les modèles qui mettent l’accent sur les tensions de genre fournissent la base pour le diagnostic et le traitement. Ces conditions cadres théoriques ne sont pas liées à des attentes concernant la personnalité, l’apparence, l’habillement et les préférences d’une personne, permettent une subdivision de la catégorie «genre» et reflètent ainsi la diversité des genres humains d’une manière plus adéquate qu’auparavant [9]. Les personnes ayant une IG ne sont plus psychopathologisées par définition, mais reconnues comme expertes de leur propre genre [10]. Ce changement de perspective entraîne les modifications fondamentales suivantes:
Alors que jusqu’à présent, le diagnostic était en grande partie posé par les psychiatres et les psychologues, ce sont désormais les affirmations des personnes en quête de traitement concernant les tensions entre le corps genré, l’identité de genre et le rôle de genre qui sont au centre du diagnostic. Les personnes trans sont les expertes de la perception, de la définition et du façonnement de leur propre genre. Dans la pratique, cela signifie que les thérapeutes n’ont plus la tâche (insurmontable) de vérifier l’identité de genre, mais qu’ils peuvent se fier à l’auto-évaluation faite par les personnes en quête de traitement [5, 10].
Il en va de même pour la planification du traitement qui, jusqu’à présent, était le plus souvent confiée aux psychiatres/psychothérapeutes dans le sens d’une «gestion de cas» et avait généralement pour objectif une «adaptation maximale» [11]. Comme dans d’autres domaines de la médecine, il est également légitime que les personnes présentant une IG choisissent et priorisent les interventions adaptées à leur situation individuelle parmi les options thérapeutiques disponibles. Dans certaines situations, une coordination peut être utile, dans d’autres non.
Pendant longtemps, la catégorie «genre» a été pensée de manière binaire. Aujourd’hui, la notion de continuum – avec entre autres des genres non binaires (tab. 1) – est largement acceptée. L’accès au traitement n’est plus réservé aux personnes ayant une identité de genre binaire [3–5].
L’assimilation incorrecte des caractères sexuels biologiques au genre est encore profondément ancrée dans le discours médical et social, mais la reconnaissance du fait que les femmes, les hommes et les personnes non binaires peuvent avoir tous les caractères sexuels physiques possibles soulage les personnes en quête de traitement et les thérapeutes.
Prévalences: une question de définition
Il n’existe actuellement pas de données officielles sur la fréquence des personnes vivant avec une IG en Suisse. Les données internationales relatives à la fréquence sont globalement ambiguës et varient en fonction des critères de définition employés. Des estimations basées sur des articles de revue indiquent qu’entre 0,3 et 0,5% des adultes et entre 1,2 et 2,7% des enfants et des adolescents s’identifient comme trans («transgender identity»). Lorsque la question de la «gender diversity» est posée plus largement, elle concerne entre 0,5 et 4,5% des adultes et entre 2,5 et 8,4% des enfants et des adolescents [12]. La comparaison des chiffres cliniques et des données issues de questionnaires montre également que toutes les personnes qui s’identifient comme trans ou qui ont une IG ne recherchent pas forcément un traitement médical.
Changement de paradigme dans la nomenclature et le diagnostic
Du temps de la CIM-10, la démarche diagnostique était marquée par la recherche de preuves qu’une personne possédait une «identité transsexuelle» et qu’elle avait le «désir de vivre en tant que membre du sexe opposé». Il fallait en outre prouver que la perception de son propre genre n’était pas due à un autre trouble psychique et qu’elle ne pouvait pas être corrigée d’une autre manière. Depuis les années 1990, cette compréhension a fortement évolué. La psychologie, la psychiatrie et la médecine reconnaissent qu’aucune identité de genre n’est pathologique en soi, mais que celles-ci représentent des variantes de la norme au sein d’un spectre. Elles ne doivent (et ne peuvent) dès lors pas être vérifiées par une démarche diagnostique basée sur la psychopathologie [10].
Avec le changement de catégorie diagnostique, il n’y a aucune raison, ni sur la forme ni sur le fond, pour que les personnes ayant une IG consultent en premier lieu un psychiatre ou un psychologue pour entamer un traitement visant à modifier leur corps. Le diagnostic d’IG, qui reste nécessaire comme base de tout traitement, peut être posé par tout professionnel médical dans le cadre d’un entretien avec les personnes en quête de traitement (encadré 2), en reconnaissance de leur droit à l’autodétermination sexuelle, sur la base de la perception qu’elles ont d’elles-mêmes [5]. Les «Standards of Care Version 8» (SOC8), publiés en septembre 2022, le soulignent également [13].
Formellement, le traitement médical requiert un diagnostic et une indication posés par un médecin du domaine de spécialisation concerné (endocrinologie, gynécologie, chirurgie, phoniatrie, psychiatrie, etc.). Jusqu’à présent, les diagnostics étaient souvent posés par des psychothérapeutes psychologiques. Pour l’instant, ce sont souvent les psychologues, les psychiatres et parfois les médecins généralistes qui adressent les personnes concernées au spécialiste somatique.
Des circonstances particulières doivent être prises en compte lors du diagnostic de l’IG. Le fait que le corps genré, l’identité de genre et le rôle de genre ne coïncident pas toujours peut déjà être source d’irritation, en particulier pour les médecins qui n’ont pas été correctement formés à cet égard. De plus, les attentes sont souvent influencées par des préjugés et des mythes sur les genres et en particulier sur les personnes trans. Il n’est pas rare que l’on s’attende à ce que les personnes en quête de traitement soient conscientes de leur IG depuis leur plus tendre enfance ou que les personnes avec une IG souffrent toujours, voire exclusivement, de leur corps. C’est la raison pour laquelle les cas qui contredisent ces récits normatifs sont appréhendés avec scepticisme quant à l’identité de genre de ces personnes. Souvent, on essaie aussi de gagner en certitude quant à cette situation en comparant une personne avec les attributions normatives de rôles de genre. Toutefois, cela conduit inévitablement à de nouvelles incertitudes, étant donné que pratiquement aucune personne ne réunit toutes les caractéristiques et préférences stéréotypées de son genre. Il existe une très grande diversité dans la manière dont le genre est vécu.
Il est donc nécessaire pour les thérapeutes de réfléchir aux normes de genre apprises. Pour cela, il suffit d’avoir des connaissances simples sur les différentes composantes du genre et de savoir que celles-ci peuvent être pensées indépendamment de l’identité de genre [9]. Le genre n’est pas déterminé par des marqueurs biologiques, psychologiques ou sociaux. Ceux-ci peuvent correspondre plus ou moins aux attentes traditionnelles chez tous les individus. Au sens d’une «attitude affirmative» (tab. 1), les thérapeutes devraient aider les personnes en quête de traitement à explorer leur propre genre et à nommer précisément les incongruences entre les différentes composantes du genre. Respecter leurs affirmations à ce sujet renforce la confiance en soi des personnes ayant une IG et permet de prendre des décisions différenciées en matière de transition.
Contrairement aux inquiétudes souvent formulées à ce sujet, il est très rare qu’une personne capable de discernement se trompe sur son identité de genre. Si une personne présente des symptômes psychotiques, l’accent doit d’abord être mis sur le recouvrement de la capacité de discernement. Après cette stabilisation, le dialogue au sujet de l’IG doit cependant être recherché avec la personne concernée.
Encadré 2: Thèmes à aborder lors d’un entretien anamnestique
Réflexion sur le genre: Dans quelles situations le thème devient-il particulièrement évident ou conscient? Depuis quand? Comment la personne s’identifie-t-elle et depuis quand?
Fardeau ressenti et apparition de tensions de genre: Qu’est-ce qui dérange particulièrement? Dans quelles situations?
Démarches de transition entreprises jusqu’à présent: Des démarches de transition sociale, médicale ou juridique ont-elles déjà été entreprises?
Rôle de l’environnement: personnes proches, travail, école, etc.?
Besoin de traitement: Quelles mesures la personne souhaite-t-elle prendre, avec quelle motivation? Est-elle sûre d’elle ou souhaite-t-elle une réflexion approfondie (par exemple psychothérapie, échange avec des pairs, entretiens avec des thérapeutes)?
Capacité de discernement en matière de traitement: La personne connaît-elle les options de traitement? Où s’est-elle déjà informée? A-t-elle besoin de plus d’informations (consultation trans, pairs)? Est-elle consciente des conséquences du traitement et connaît-elle des solutions possibles aux problèmes anticipés?
Une approche individualisée est nécessaire. Les personnes capables de discernement, bien informées et ayant des besoins concrets de traitement peuvent être directement orientées vers la spécialité correspondante. Les personnes qui ne sont pas sûres qu’un traitement leur soit profitable ont besoin d’être orientées vers des centres de conseil trans, des offres communautaires ou des psychothérapeutes spécialisés.
Rôle de la psychiatrie et de la psychothérapie?
Dans la plupart des cas, les psychiatres et les psychologues ne sont plus nécessaires pour la pose du diagnostic et la planification du traitement dans le domaine de l’IG. Il faut globalement partir du principe que ces spécialités restent impliquées dans les situations suivantes:
Souhait de bénéficier d’un soutien pour clarifier des questions d’identité ou de transition en suspens.
Souhait de bénéficier d’un soutien pendant la transition.
Troubles psychiques concomitants: Les personnes trans peuvent, comme tout un chacun, développer des troubles psychiques. Elles appartiennent en outre à une minorité sociale qui est exposée à des mécanismes d’exclusion spécifiques dans notre société. Cette situation conduit au développement de ce que l’on appelle le «stress des minorités» [14], qui peut entraîner une détérioration de la santé psychique [15]. Précisément l’absence de traitement de l’IG mène souvent à l’exacerbation de problèmes psychopathologiques préexistants. Inversement, une transition médicale entraîne généralement une amélioration rapide de la santé mentale [16, 17]. Enfin, il existe aussi des situations dans lesquelles le trouble concomitant entrave fortement le traitement de transition, de sorte que ce trouble doit être traité en parallèle.
Soutien des proches en cas de difficultés à comprendre et à assimiler l’ensemble de la situation et le processus de transition, par exemple pour éviter une rupture relationnelle.
Dans les cas où un accompagnement psychiatrique ou psychothérapeutique est souhaité par les personnes en quête de traitement, celui-ci devrait avoir lieu le plus près possible du domicile. Des spécialistes qualifiés peuvent être consultés par exemple dans les centres de consultation trans des Checkpoints de Zurich, Berne, Bâle ou Lausanne, par le biais du Fachgruppe Trans* ou via Transgender Network Switzerland.
Traitement: individuel et axé sur les besoins
Jusqu’à il y a quelques années, seules les personnes prêtes à adapter leur vie entière et leur corps autant que possible à leur identité de genre étaient diagnostiquées comme «transsexuelles». Dans cette logique, qui mélangeait et confondait symptômes et traitement, vivre conformément à son identité de genre et entreprendre les traitements médicaux souhaités n’étaient considérés que comme un «dernier recours», lorsque d’autres traitements psychothérapeutiques, qui duraient généralement des années, restaient infructueux. L’objectif thérapeutique était l’adaptation complète à la norme cisgenre (tab. 1).
En outre, une succession rigide des traitements médicaux était prescrite: l’accès aux mesures de transition médicale (tab. 2) était conditionné par les étapes de transition sociale. Cette logique de «gatekeeping» (tab. 1) compliquait considérablement l’accès au traitement et plaçait de nombreuses personnes ayant une IG dans une situation de détresse inutile. Par conséquent, les lignes directrices actuelles basées sur l’évidence ne contiennent pas de telles prescriptions – pas uniquement, mais aussi pour des raisons médico-éthiques [10]. La personne concernée a et aura toujours le droit de décider quels traitements doivent être effectués et dans quel ordre.
Les personnes trans ont des besoins variables. Le degré de souffrance des personnes en raison de caractères physiques à connotation sexuée et les traitements médicaux dont elles ont besoin varient d’une personne à l’autre et ne peuvent pas être déterminés de manière universelle à partir d’un diagnostic. Aujourd’hui, la médecine reconnaît la diversité des décisions en matière de transition. Comme pour le diagnostic, la vision des personnes en quête de traitement est au centre de la planification des étapes à mettre en œuvre. Dans le cadre d’un modèle de «shared decision making», elles définissent conjointement avec leurs thérapeutes les priorités et l’ordre des étapes de la transition médicale [18, 19]. La question de savoir si une personne correspond ou non aux représentations normatives du genre par le biais des mesures qu’elle a choisies n’est pas pertinente sur le plan médical.
Conjonction d’étapes de transition sociale, juridique et médicale
La décision de recourir à des traitements peut être motivée par des raisons à la fois physiques, psychiques et sociales. Un motif majeur et fréquent de vouloir un traitement est le désir d’être perçu par les autres comme une femme, un homme ou une personne non-binaire, conformément à sa propre identité de genre. D’un point de vue médical, il n’y a guère de contraintes quant à l’ordre ou à la combinaison des traitements.
L’objectif des mesures sociales choisies (tab. 2) est de réduire l’IG. Le principe de toutes les mesures sociales est qu’elles peuvent être appliquées dans des contextes choisis: par exemple en présence de personnes individuelles (par exemple médecin, partenaire, amis proches), dans certains domaines de la vie (famille, travail, vie privée) ou seulement de temps en temps ou dans certains lieux (vacances, «safer spaces») (tab. 1)). En particulier au début, elles sont régulièrement évaluées par la personne elle-même et adaptées aux différentes situations. Ce faisant, il peut tout à fait arriver que des décisions prises initialement concernant le plan de transition doivent être réajustées ou redéfinies.
Grâce au nouvel article 30b du Code civil suisse, entré en vigueur le 1.1.2022, la transition juridique a été entièrement démédicalisée [17]. Désormais, il est explicitement interdit d’exiger des avis psychiatriques ou médicaux ou des expertises sur l’identité de genre pour la transition juridique. Les personnes de plus de 16 ans qui souhaitent changer leur indication de sexe sur les actes d’état civil et, le cas échéant, leur prénom, peuvent le faire en déposant une déclaration et en s’acquittant d’un émolument modeste auprès de n’importe quel office d’état civil suisse. Les personnes plus jeunes et les personnes sous curatelle de portée générale doivent obtenir le consentement de leur représentant légal en plus de leur propre déclaration. Cependant, contrairement à de nombreux autres pays comme l’Allemagne et l’Autriche, il n’existe à ce jour en Suisse aucune indication de sexe au-delà de la binarité.
Les interventions médicales servent en particulier à réduire la dysphorie de genre à dominante physique. Des études montrent ainsi qu’un traitement hormonal contribue à la réduction des symptômes psychopathologiques et à l’amélioration de la qualité de vie [20]. De même, la plupart des personnes trans montrent une bonne qualité de vie après un traitement endocrinologique et chirurgical. Cela vaut aussi bien sur le plan mondial [21] que pour la Suisse [22]. Par conséquent, les interventions médicales constituent une étape de transition essentielle pour de nombreuses personnes en quête de traitement. Le prochain article de revue de ce numéro aborde ce sujet en détail [6].
Perspectives
La diversité des genres et les personnes ayant une IG en quête de traitement placent encore et toujours les professionnels médicaux devant le défi de se confronter aux représentations normatives omniprésentes du genre (tab. 3). En donnant la priorité à l’identité de genre et aux besoins individuels des personnes en quête de traitement, il est possible non seulement de relever aisément ces défis, mais aussi de prendre des décisions différenciées, efficaces et fructueuses en matière de transition.
Tableau 3: Conseils relatifs à l’approche à adopter avec les personnes en quête de traitement | |
Thème | Approche |
Respect | En employant le titre de civilité correct, vous signalez l’acceptation et créez un cadre de confiance. Demandez des précisions si vous n’êtes pas sûr de la manière dont une personne souhaite être appelée. |
Honte | L’incongruence de genre est un thème stigmatisé. Un coming-out doit donc être compris comme une preuve de confiance envers le professionnel de la santé. Dans ce contexte, montrez explicitement votre attitude affirmative. |
Incertitude/doute | Les doutes quant à sa propre identité et l’incertitude quant aux décisions de transition de la part des personnes en quête de traitement constituent une partie prévisible de la discussion. Encouragez l’exploration de ces sentiments. Mettez les personnes en quête de traitement en contact avec des pairs conseillers. |
Changement d’identité | Les traitements visant à modifier l’identité de genre (traitements de conversion) sont contraires aux normes médico-éthiques. Informez les personnes en quête de traitement sur ce point. |
Responsabilité | Les personnes savent quel est leur genre et ce dont elles ont besoin pour pouvoir vivre de manière autodéterminée en termes de genre, et peuvent donc assumer elles-mêmes la responsabilité des étapes de transition à franchir. Votre rôle est d’accompagner les personnes dans ce processus et de répondre aux questions techniques.. |
HAZ – Queer Zürich, Zürich;
anciennement Fachstelle für trans Menschen, Zürich
L’essentiel pour la pratique
La médecine a opéré un changement de paradigme majeur dans son approche des personnes trans et de la diversité des genres. L’approche affirmative de l’incongruence de genre (IG) est correcte du point de vue médico-éthique et basée sur l’évidence.
Les déclarations des personnes en quête de traitement concernant leur genre occupent une place centrale. Le diagnostic de l’IG peut être posé par les médecins de premier recours.
Le rôle de la psychiatrie et de la psychothérapie consiste à traiter les éventuels troubles psychiques concomitants. La coordination de la transition peut également être assurée par d’autres disciplines ou par des pairs.
La détermination du plan de transition devrait se faire selon les principes du «shared decision making», les déclarations des personnes avec IG constituant la base de la prise de décision.
Les traitements visant à changer l’identité de genre (traitements de conversion) sont contraires à l’éthique.
1 Membre de Transgender Network Switzerland
2 Membre du groupe de travail Fachgruppe Trans*
3 «Possibilités de traitement de réassignation sexuelle pour les personnes ayant une incongruence de genre», voir p. 862-865 dans ce numéro.
Les auteures et auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
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Dr méd. David Garcia Nuñez
Innovations-Focus Geschlechtervarianz
Universitätsspital Basel
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