«Smarter medicine»: le concept progresse aussi en oncologie
Moins, c’est parfois plus

«Smarter medicine»: le concept progresse aussi en oncologie

Kommentar
Édition
2023/12
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09308
Forum Med Suisse. 2023;23(12):970

Publié le 22.03.2023

Dans tous les domaines de la médecine, la pertinence de tout geste et ses conséquences doivent être soigneusement pesées et une analyse risque-bénéfice individuelle effectuée.

Les progrès de la médecine des dernières décennies ont contribué à l’augmentation de la durée de vie de la population, au moins dans les pays industrialisés, même si la durée de vie en bonne santé n’a pas toujours progressé dans la même proportion. Ces développements sont survenus à la faveur d’un pourcentage toujours plus grand du produit intérieur brut (PIB) attribué à la santé (près de 12% en Suisse), sans toutefois qu’une corrélation entre les deux phénomènes soit évidente: ce sont les États-Unis qui y consacrent la proportion la plus importante (plus de 19%) et on ne peut pas dire que leur système de santé soit le plus performant.
Conséquence de ces progrès, le catalogue des prestations est constamment élargi à de nouvelles interventions considérées plus efficaces, plus adéquates ou plus économiques que les précédentes. Mais ce n’est que rarement que l’une ou l’autre intervention ancienne est retirée. Certaines interventions sont également pratiquées au-delà des indications pour lesquelles elles ont été reconnues utiles. Tous ces phénomènes induisent une sur-médicalisation inappropriée. Au-delà de ses effets négatifs sur les coûts de la médecine, elle induit un grand nombre d’effets indésirables, qui peuvent se révéler particulièrement désagréables en fin de vie lorsqu’un soutien de confort serait la seule option raisonnable.
Les listes «less is more» ou «choosing wisely» constituent un moyen d’attirer l’attention des prestataires de soins et de la population sur ces situations. Elles devraient être utilisées par tous les professionnels de santé et largement diffusées dans la population qui a tendance à retenir davantage les succès annoncés à grand renfort de titres journalistiques peu critiques que l’analyse approfondie de l’effet réel d’une nouvelle intervention, ses limites et ses effets indésirables. L’éducation de la patientèle par les médecins généralistes peut conduire à une présentation plus équilibrée des options et à des décisions plus éclairées des patientes et patients.
L’oncologie n’a pas échappé à cette évolution. Dans leur article de revue dans ce numéro du Forum Médical Suisse, Hecz et al. [1] commentent les directives de l’«American Society of Clinical Oncology» (ASCO) qui a publié dès 2012 des recommandations visant à ​une utilisation rationnelle et basée sur les preuves d’un certain nombre d’évolutions (progrès?) diagnostiques et thérapeutiques du domaine de l’oncologie. Cette liste a fait l’objet d’une mise à jour en 2021 [2], accessible sur le site web de l’ASCO. Elle déconseille notamment une imagerie (tomographie par émission de positons [PET], tomodensitométrie [TDM] ou scintigraphie osseuse) en présence d’un carcinome précoce du sein ou de la prostate. Difficile de se résoudre à cette abstention en Suisse face à la pression de la patientèle et surtout à l’importance de l’offre radiologique à disposition.
Et il en va de même du dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) chez l’homme asymptomatique, déconseillé par l’ASCO. Ce dépistage n’a aucune incidence sur la mortalité et, au mieux, un effet minime sur la mortalité par cancer de la prostate [3]. Avec une sensibilité de l’ordre de 20% et une spécificité autour de 90%, c’est un mauvais test de dépistage: 4 cancers sur 5 seront manqués et dans 10% des cas, le test sera positif alors même qu’il n’y a pas de cancer, les faux-positifs, inducteurs d’examens supplémentaires, potentiellement grevés d’effets secondaires et pour sûr générateurs d’anxiété. Et pourtant, que de tests réalisés en Suisse à la demande du patient ou à l’initiative du médecin désireux de mettre «tous les moyens» à la disposition de son patient. A tout le moins, même et surtout parce que le geste paraît anodin, il est indispensable qu’il ne soit effectué qu’après une discussion approfondie et équilibrée des avantages et des risques.
Alors, pourquoi ces tergiversations, ces haussements d’épaule de nombre de professionnels de santé devant ces recommandations de «ne pas faire» quelque chose alors même qu’il est «possible de le faire» et que l’intervention sera remboursée par la caisse-maladie? Dans tous les domaines de la médecine, la pertinence de tout geste et ses conséquences doivent être soigneusement pesées et une analyse risque-bénéfice individuelle effectuée. Les listes «choosing wisely» concernent de plus en plus de disciplines médicales en Suisse [4]. Celle consacrée à l’oncologie est en cours de rédaction par la société de discipline médicale concernée. Ces listes ne sont pas destinées en premier lieu à réduire les coûts de la médecine même si une telle réduction interviendra nécessairement, conséquence de l’amélioration de la qualité de la pratique. Dans sa feuille de route sur le développement d’un système de santé durable en Suisse, l’Académie Suisse des Sciences Médicales en fait une de ses huit recommandations et suggère un dé-remboursement des interventions jugées inutiles ou délétères [5], à n’en pas douter un pas dans la direction d’une médecine plus intelligente, une «smarter médecine».
Prof. (hon) Dr méd. Henri Bounameaux
Faculté de médecine de l’Université de Genève, Genève
L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Prof. (hon) Dr méd. Henri Bounameaux
Académie Suisse des Sciences Médicales
Maison des Académies
Laupenstrasse 7
CH-3001 Berne
1 Hecz M, Aebi S, Müller B, Zander T, Riklin C, Winterhalder R, et al. «Less is more» pour les traitements médicamenteux des cancers. Forum Med Suisse. 2023;23(12):972–977.
2 asco.org [Internet]. Alexandria: American Society of Clinical Oncology Choosing Wisely; c2021 [cited 2021 Dec 7]. Available from: https://www.asco.org/news-initiatives/current-initiatives/cancer-care-initiatives/value-cancer-care/choosing-wisely
3 US Preventive Services Task Force, Grossman DC, Curry SJ, Owens DK, Bibbins-Domingo K, Caughey AB, Davidson KW, et al. Screening for Prostate Cancer: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA. 2018;319:1901–13.
5 Académie Suisse des Sciences médicales. Feuille de route pour un développement durable du système de santé. Swiss Academies Communications. 2019;14:21–2.