Journal Club Zoom sur… Toujours digne d’être lu

Sans détour

Actualités scientifiques
Édition
2023/16
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2023.09419
Forum Med Suisses. 2023;(16):44-45

Affiliations
Rédaction scientifique Forum Médical Suisse

Publié le 19.04.2023

Zoom sur…
Hypomagnésémie acquise
Le magnésium (Mg) est – après le potassium – le deuxième cation intracellulaire le plus abondant. Le corps adulte en contient environ 24 g, dont la majeure partie se trouve dans les os. Le Mg extracellulaire représente environ 1%, le Mg sérique tout juste 0,3%. Les valeurs déterminées dans le sérum ne reflètent donc pas suffisamment le Mg intracellulaire.
Une hypomagnésémie acquise devrait être recherchée dans les situations suivantes: arythmies cardiaques (allongement de l’intervalle QT, torsade de pointes), troubles neuromusculaires (tremblements, spasmes, convulsions), consommation chronique d’alcool, hypokaliémie réfractaire au traitement, hypocalcémie inexpliquée (rappel: le ​Mg est nécessaire à la sécrétion de la parathormone). Une hypoalbuminémie entraîne des valeurs sériques de Mg faussement basses.
La cause de l’hypomagnésémie découle généralement du contexte clinique. Des déclencheurs médicamenteux entrent souvent en ligne de compte. L’indication correspondante doit par conséquent toujours être vérifiée!
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) interfèrent avec l’absorption du Mg dans le côlon. Une hypomagnésémie (prévalence sous IPP >10%) est avant tout observée en cas d’utilisation à doses élevées, en cas de traitement concomitant avec des diurétiques, en cas de traitement à long terme et chez les patientes et patients âgés.
Les diurétiques augmentent l’excrétion rénale de Mg, les thiazides davantage que les diurétiques de l’anse, et de manière accentuée lorsque les deux classes de principes actifs sont combinées. Les diurétiques d’épargne potassique ont en revanche un effet ​protecteur, tout comme les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2).
Les antibiotiques, la colchicine et les laxatifs (diarrhée), les agents chimiothérapeutiques à base de platine et l’amphotéricine B sont d’autres exemples de médicaments susceptibles d’induire une hypomagnésémie.
Le type de substitution dépend des symptômes et de la sévérité des manifestations cliniques. En cas de tétanie, de convulsions et de troubles du rythme avec instabilité hémodynamique, elle se fait par voie parentérale (1–2 g de sulfate de Mg = environ 4–8 mmol ou 8–16 mval de Mg sur 2–15 minutes).
En cas d’hypomagnésémie réfractaire au traitement – ou si un déclencheur médicamenteux ne peut être interrompu en raison d’une indication urgente –, l’ajout d’amiloride ou d’un inhibiteur du SGLT2 peut être utile.
Mayo Clin Proc. 2023, doi.org/10.1016/j.mayocp.2022.12.002. Rédigé le 12.3.23_HU.

Pertinent pour la pratique

Peut-on se contenter de surveiller un cancer de la prostate localisé?

Quelle est la bonne approche à adopter lorsqu’un cancer de la prostate localisé est découvert chez l’homme? Une opération? Une radiothérapie? Ou bien attendre?
En Angleterre, 1643 hommes atteints d’un cancer de la prostate localisé non métastatique ont été randomisés dans trois groupes différents et suivis pendant 15 ans en moyenne: 553 ont subi une prostatectomie, 545 ont reçu une radiothérapie et 545 ont été suivis sans intervention [1]. Les critères d’évaluation étaient les suivants: progression locale, survenue de métastases, initiation d’une hormonothérapie de privation androgénique, décès toutes causes confondues et décès dû au cancer de la prostate. Une progression locale a été constatée dans 10,5% (prostatectomie), 11,0% (radiothérapie) et 25,9% (surveillance) des cas, des métastases sont survenues dans 4,7%, 5,0% et 9,4% des cas et une privation hormonale a été initiée dans 7,2%, 7,7% et 12,7% des cas, respectivement. Au total, 21,7% des patients sont décédés, sans différence entre les trois groupes. Il y a eu beaucoup moins de décès dus au cancer de la prostate: 2,2% dans le groupe prostatectomie, 2,9% dans le groupe radiothérapie et 3,1% dans le groupe surveillance.
Il n’est pas étonnant qu’en cas d’attente, la progression locale et la survenue de métastases soient nettement plus fréquentes. En revanche, il est intéressant de noter qu’en l’absence de traitement, environ un quart des patients n’ont pas eu besoin de traitement anticancéreux spécifique au cours des 15 années et que, contrairement à d’autres causes de décès, le cancer de la prostate a uniquement provoqué le décès de 3,1% des patients.
Dans l’éditorial accompagnant cet article, l’auteur déconseille toutefois de se contenter d’attendre aujourd’hui [2]. Il souligne à juste titre que les constellations à haut risque (valeurs élevées d’antigène prostatique spécifique [PSA], scores de Gleason élevés) étaient sous-représentées dans cette étude. De plus, l’imagerie par résonance magnétique a aujourd’hui ouvert la voie à de nouveaux concepts thérapeutiques dans l’évaluation initiale du cancer de la prostate. Par ailleurs, il se pourrait bien que les patients acceptent difficilement de ne rien faire jusqu’à la survenue de métastases. Malgré ces limites, les résultats de ce travail extrêmement élaboré sont très précieux pour conseiller les hommes atteints d’un cancer de la prostate localisé.
1 N Engl J Med. 2023, doi.org/10.1056/NEJMoa2214122.
2 N Engl J Med. 2023, doi.org/10.1056/NEJMe2300807.
Rédigé le 27.3.2023_MK.

Pour les médecins hospitaliers

Embolie pulmonaire aiguë: quand un problème chronique se cache-t-il derrière?

L’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (HTPC) est certes une entité rare, mais c’est parfois la complication la plus grave chez les patientes et patients ayant survécu à un épisode d’embolie pulmonaire (EP) aiguë. Un dépistage de routine de tous les patients et patientes victimes d’une EP n’est pas recommandé. En revanche, une stratégie permettant d’identifier les signes d’une problématique préexistante dès la pose du diagnostic d’EP aiguë est probablement judicieuse: ces patientes et patients pourraient alors être étroitement suivis et bénéficier d’un traitement spécifique précoce – dans le meilleur des cas curatif!
Dans ce contexte, l’étude discutée ici s’est penchée sur les résultats morphologiques à la tomodensitométrie qui permettent déjà de conclure à la présence d’une HTPC en cas d’EP aiguë. Il s’agit entre autres et avec une valeur prédictive décroissante des «webs» intravasculaires, des artères pulmonaires rétrécies, des artères bronchiques dilatées et de l’hypertrophie ventriculaire droite. La détection de ces signes nécessite toutefois une grande expertise!
Il n’en reste pas moins que sur 303 patientes et patients inclus consécutivement, 46 (15%) présentaient déjà rétrospectivement des indices morphologiques d’une HTPC dans le cadre de l’EP aiguë, et le diagnostic a été effectivement posé par la suite chez quatre d’entre eux. Cela correspond tout de même à un rendement positif de près de 10% et le diagnostic a été posé précocement, en moyenne déjà après 3,6 mois.
Rédigé le 21.3.23_HU.

Cela nous a également interpellés

Puis-je encore m’améliorer?

Dans un article de revue de l’«American Journal of Medicine», J.P. Higgins donne dix conseils sur la manière dont nous pouvons encore améliorer notre pratique médicale. Il commente à ce sujet des citations qu’il essaie lui-même de mettre en pratique.
Pour faire face aux échecs et aux déceptions, il recommande de penser à Paulo Coelho: «You drown not by falling into the river, but by staying submerged in it.»
Quant à la citation «Listen to your patient; he is telling you the diagnosis» (Sir William Osler), il l’agrémente de l’histoire de son patient chez qui des épisodes de tachycardie n’étaient à chaque fois enregistrés dans l’enregistreur d’évènements qu’entre minuit et 2 heures du matin. Après avoir intensivement questionné le patient, celui-ci a fini par révéler une liaison sexuelle secrète qu’il entretenait uniquement pendant la nuit.
«People will forget what you said, people will forget what you did, but they will never forget how you made them feel» (Maya Angelou) introduit une petite digression sur l’empathie médicale, que nous pourrions apprendre, mais que nous n’appliquons pas suffisamment.
L’exercice de la médecine est marqué par une confrontation inattendue avec la maladie et la mort, le désespoir et la déception. Notre résilience nous permet d’y faire face: «It’s not the strongest of a species that survive, nor the most intelligent, but the ones most resilient and responsive to change.» (Charles Darwin)
Et lorsque, fatigués par la routine, nous nous demandons si nous sommes encore suffisants, J. Rockefeller nous aide: «The secret of success is to do the common things uncommonly well.»
Pour des raisons de place, il n’est pas possible de commenter ici l’ensemble des dix citations. Mais pour conclure, ajoutons encore celle-ci: «Your work is going to fill a large part of your life, and the only way to be truly satisfied is to do what you believe is great work. And the only way to do great work is to love what you do. If you haven’t found it yet, keep looking, don’t settle.» (Steve Jobs)
Toujours digne d’être lu
Tout est relatif – même les valeurs normales
Un plan d’étude simple, un article soigné, une conclusion importante: les valeurs thyroïdiennes de 16 hommes en bonne santé ont été mesurées chaque mois pendant un an. L’amplitude des variations – tant chez un même sujet (variations «intra-individuelles») qu’au sein de l’ensemble du groupe (variations «interindividuelles») – était impressionnante!
Les valeurs ont ensuite été comparées aux valeurs de référence connues pour la thyréostimuline (TSH), la triiodothyronine (T3) et la thyroxine (T4). En prenant l’exemple de la T4 (cf. figure), il a été constaté que l’étendue de la distribution des valeurs d’un individu donné correspondait à environ la moitié de l’étendue de la distribution de l’ensemble du groupe. En clair, cela signifie que la TSH ajuste la T4 chez un individu donné dans des marges étroites. Si le résultat du test pour la T4 se situe dans les limites de la plage de référence basée sur la population, cela ne signifie pas automatiquement que la valeur est normale pour l’individu en question. Et inversement: une valeur sérique de TSH en dehors des valeurs de référence suggère que les hormones thyroïdiennes périphériques ne correspondent pas à la valeur normale individuelle.
La distinction entre «normal» et «pathologique», ou entre maladie subclinique et manifeste, est donc quelque peu arbitraire: elle dépend en premier lieu du «set-point» individuel.
Distribution des valeurs de T4 chez 15 volontaires (barres blanches) et chez un seul individu (barres noires) sur une période d’un an (de: Andersen S, et al. Narrow individual variations in serum T(4) and T(3) in normal subjects: a clue to the understanding of subclinical thyroid disease. J Clin Endocrinol Metab. 2002;87(3):1068-72. doi: 10.1210/jcem.87.3.8165. Reproduction avec l’aimable autorisation).
© 2002 by The Endocrine Society
J Clin Endocrinol Metab. 2002, doi.org/10.1210/jcem.87.3.8165.Rédigé le 22.3.23_HU.
Am J Medicine. 2023, doi.org/10.1016/j.amjmed.2022.12.011.
Rédigé le 27.3.2023_MK.