«Smarter Medicine»: Prises de sang répétées – Quels risques pour le patient?
«Smarter Medicine»: recommandations de la liste «Top 5» pour le domaine hospitalier

«Smarter Medicine»: Prises de sang répétées – Quels risques pour le patient?

Aktuell
Édition
2017/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.02875
Forum Med Suisse 2017;17(04):0

Affiliations
Universitätsspital Basel

Publié le 24.01.2017

Les examens pratiqués à l’hôpital doivent répondre à une question clinique spécifique et ne devraient être réalisés que si leur résultat peut influencer la prise en charge du patient. La surutilisation de ces tests, comme des prises de sang inutiles, comporte le risque de générer des résultats «faux positifs» et ainsi de devoir suivre et traiter des patients qui n’en ont pas besoin; ils sont potentiellement préjudiciables et augmentent les coûts de la santé.
Lors de son Assemblée de Printemps en mai 2016, soit deux ans après la parution de leur première liste de cinq interventions à éviter dans le domaine de la médecine interne ambulatoire [1], la Société Suisse de Médecine Interne Générale (SSMIG) publie sa 2ème liste «Top-5» de cinq interventions qui visent cette fois la médecine interne hospitalière [2, 3].
Recommandation 1: Ne pas faire de prises de sang à intervalles réguliers (par exemple chaque jour) ou planifier des batteries d’examens, y compris des examens radiographiques, sans répondre à une question clinique spécifique.

Introduction

De nombreuses investigations à but diagnostique sont pratiquées à intervalles réguliers en milieu hospitalier (parfois de manière quotidienne). Pour être justifiés, ces examens doivent répondre à une question clinique spécifique et ne devraient être réalisés que si leur résultat peut influencer la prise en charge du patient. L’élément clé est que le résultat du test sanguin ait une probabilité raisonnable de changer la prise en charge du patient – si tel n’est pas le cas, le test est à considérer, dans ce contexte, comme inutile.
Cette première recommandation s’inspire de la philosophie de la campagne américaine «Choosing Wisely» qui a servi de modèle à l’initiative Suisse «Smarter Medicine» et qui postule que «moins peut être mieux». Elle couvre un large panel de mesures diagnostiques courantes à l’hôpital, notamment les prélèvements sanguins, les examens radiologiques ou encore les électrocardiogrammes. Leur surutilisation en médecine interne peut avoir un impact délétère sur la prise en charge du patient (notamment risque d’anémie, mais surtout des résultats faux positifs entraînant d’avantages de tests inutiles), sans leur apporter de bénéfice et sans parler des potentiels enjeux financiers. C’est dans ce contexte visant à combattre le surdiagnostic et la surprescription médicale que s’inscrit cette première recommandation.

Prises de sang répétées et risque d’anémie secondaire

A titre d’exemple, il n’est pas rare de pratiquer régulièrement, parfois même de manière quotidienne, des prises de sang sans question particulière basée sur la situation clinique, c’est à dire sans hypothèse spécifique avec une probabilité a priori raisonnable. Ces prises de sang sont souvent pratiquées par habitude ou pour rassurer le médecin. Ces prélèvements sanguins répétés ne sont toutefois pas sans conséquence. Ils peuvent en plus de causer douleurs et inconfort chez le patient, comporter le risque, comme tout examen, de générer des résultats faux positifs et peuvent également conduire à une anémie secondaire. Les éventuelles investigations complémentaires générées par des résultats anormaux pourront être source de stress inutile dans le cas de résultats faux positifs en entraînant des investigations diagnostiques parfois invasives et risquées. Le traitement d’anémies secondaires nécessitera une transfusion sanguine, ce qui comporte également des risques pour le patient [4, 5].
On note que 20% des patients atteints d’infarctus du myocarde développent une anémie modérée à sévère lors de leur séjour à l’hôpital, qui est très souvent associée à une augmentation de la durée de séjour ou encore à une mortalité plus élevée. Ces patients subissent de nombreuses prises de sang entraînant une diminution de leur taux d’hémoglobine [6]. Pour chaque série de tests, un volume de 50 à 60 ml de sang est prélevé en moyenne et ce en raison de la taille des tubes utilisés, du nombre de tests à effectuer et en tenant compte d’un besoin potentiel de refaire l’un de ces tests [7]. Salisbury et al. [6] ont montré que chaque prélèvement de 50 ml de sang augmentait le risque de développer une anémie modérée à sévère de 18%. En effet, le volume de sang prélevé est corrélé à une diminution du taux d’hémoglobine et de l’hématocrite. Le taux d’hémoglobine diminue de 0,7 g/dl en moyenne à chaque prélèvement de 100 ml [8]. Suite aux tests sanguins effectués lors de leur admission, 65% des patients ont vu leur taux d’hémoglobine chuter de 1,0 g/dl ou plus, et 49% d’entre eux ont développé une anémie [9].
Aussi, on peut se demander si un tel nombre de prises de sang est le prix à payer pour une médecine de qualité – si tel était le cas, l’on s’attendrait à une variabilité inter-hospitalière très faible, car ceci représenterait le «state of the art». Cependant, il existe une variabilité inter- et intra-hospitalière très importante quant aux volumes sanguins prélevés pour un même panel de tests et pour le même type de malades (p.ex. infarctus aigu du myocarde), suggérant que les différences de pratique peuvent participer à ces anémies secondaires et que diminuer cette variabilité pourrait potentiellement conduire à réduire ce risque [6]. Pour pallier à cette anémie secondaire, ces patients subiront des transfusions sanguines (cf. recommandation 3) avec les risques que cela comporte (infections, réactions d’hémolyse, augmentation de la durée d’hospitalisation, mortalité, etc) [10].
Aussi, bien que l’on sache que l’anémie se développe due à des facteurs divers, les prises de sang répétées sont très clairement identifiées comme l’un de ces facteurs qui y contribuent [11].
Nous avons choisi ici de citer l’exemple des prises de sang inutiles mais d’autres examens tels que les radiographies font également l’objet de cette recommandation.

Discussion

La surutilisation de ces tests comme le montre cet exemple des prises de sang inutiles peut avoir un impact délétère sur la prise en charge du patient notamment en étant potentiellement préjudiciables et en augmentant les coûts de la santé. Ces examens comportent également le risque de générer des résultats faux positifs et ainsi devoir suivre et traiter des patients qui n’en ont pas besoin. La formation du personnel soignant, un suivi régulier des prescriptions de ces examens diagnostiques [12–14], l’utilisation d’outils informatiques qui contrôlent qu’une indication appropriée justifie le test demandé ou encore qui rappellent que le test a déjà été prescrit sont des moyens de lutter contre cette surutilisation médicale. La mise en place d’un système informatique permettant d’annuler les tests prescrits à double sur une fenêtre de temps de 24 h a permis de diminuer le volume total de tests de laboratoire de plus de 10% et les prises de sang de 20% pour les patients hospitalisés [15]. Cette approche a permis de diminuer de façon significative les tests de laboratoire et prises de sang en milieu hospitalier et ainsi permettre une baisse des coûts liée à ces tests mais également une meilleure utilisation du personnel soignant ou de laboratoire qui devient alors une nouvelle capacité de travail. L’acceptation par le personnel hospitalier et la mise en place de telles mesures préventives se sont montrées efficaces mais le plus souvent à court terme. L’arrêt de ces mesures signe très fréquemment le retour de cette pratique excessive.

Conclusion

En règle générale, les tests diagnostiques doivent répondre à des questions cliniques spécifiques et ne doivent être réalisés que si leur résultat peut influencer la prise en charge du patient. Cette première recommandation qui illustre bien le postulat de «Smarter Medicine» que «moins peut être mieux» devrait ainsi permettre de poursuivre une réflexion sur la surutilisation en médecine interne générale pour laquelle un grand besoin d’information et de concertation avec les patients est nécessaire.
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Prof. Dr méd.
Christoph A. Meier
CMO – Ärztlicher Direktor
Universitätsspital Basel
Spitalstrasse 22
CH-4031 Basel
ChristophAndreas.Meier
[at]usb.ch
Références
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2 Bavamian S, Gabutti L, Kherad O. Smarter Medicine: la liste «Top 5» pour le secteur hospitalier. Swiss Medical Forum 2016;16(32):626–9.
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