Troubles du sommeil chroniques
Un syndrome gériatrique multifactoriel

Troubles du sommeil chroniques

Übersichtsartikel AIM
Édition
2017/34
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03029
Forum Med Suisse 2017;11(34):712-718

Affiliations
Département de médecine interne, réhabilitation et de gériatrie, Service de gériatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève, Thônex
Laboratoire du sommeil, Département de santé mentale et psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève, Chêne-Bourg.

Publié le 23.08.2017

Les troubles du sommeil sont fréquents dans la population gériatrique étant souvent interprétés comme partie intégrante du processus de vieillissement. En effet, l’architecture du sommeil change avec l’âge, néanmoins l’âge lui-même ne doit pas être considéré comme à l’origine des troubles du sommeil. Une plainte de sommeil, qu’elle soit quantitative ou qualitative, doit déclencher le dépistage de certaines maladies qui sont plus prévalentes chez les personnes âgées et qui peuvent bénéficier d’une prise en charge spécifique.

Introduction

Les plaintes du sommeil augmentent avec l’âge, avec une prévalence de troubles du sommeil supérieure à 50% chez les personnes âgées. Ils sont associés à une morbidité et mortalité plus élevées, impactant la cognition, la fonctionnalité et la qualité de vie du patient. Son diagnostic intègre l’évaluation gériatrique standardisée et nécessite une prise en charge globale, tenant compte notamment du profil de comorbidités.
Il y a 2 types de sommeil: le sommeil paradoxal («rapid eye movement» [REM]) et le sommeil lent (non REM) qui lui est divisé en 3 stades qui sont progressivement plus profondes (N1, N2 et N3). Les personnes âgées présentent une diminution de la proportion du sommeil lent profond (N3), (en moindre mesure) une diminution de la proportion du sommeil paradoxal, ainsi qu’une augmentation de la proportion du sommeil plus «superficiel» (stades N1 et N2). Ces modifications résultent probablement de changements au niveau de la régulation homéostatique du sommeil et contribuent à une fragmentation du sommeil manifesté par une augmentation des réveils et microréveils. Par ailleurs, les autres changements observés incluent l’augmentation de la latence d’endormissement ainsi que du temps ­total passé au lit, avec une diminution de l’efficacité du sommeil (rapport entre la durée du sommeil effective et le temps passé au lit) et les réveils précoces. Ces derniers seraient liés à une perturbation du pacemaker de l’horloge interne (noyau suprachiasmatique), ou encore à une diminution de l’exposition aux synchroniseurs externes (réduction de l’exposition à la lumière du jour et de l’activité diurne). Avec l’âge, on observe aussi une diminution progressive et continue de l’amplitude de la sécrétion de mélatonine [1].
Ces modifications débutent dès l’âge de 60 ans et n’ont pas un rapport direct avec la perception du sommeil référé par les patients. Une étude populationnelle réalisée en Suisse a montré que la plainte de somnolence diurne évaluée par l’échelle de somnolence d’Epworth diminue avec l’âge, révélant l’importance de la recherche des causes comorbides quand une somnolence diurne est présente chez les personnes âgées [2].
Le plus probable est que certains de ces changements physiologiques susmentionnés génèrent un état de vulnérabilité chez les personnes âgées favorisant l’apparition de troubles du sommeil comme le résultat de l’interaction de comorbidités médicales et/ou neuro­psychiatriques.
La classification la plus couramment utilisée pour les troubles du sommeil («International Classification of Sleep Disorders» [ICSD-3]) a été révisée en 2014 et inclut actuellement 7 grandes catégories cliniques qui comprennent 60 diagnostics spécifiques différents [3]. Elle est utile comme un point de départ et standardisation des nomenclatures, mais une approche tenant compte des particularités et nuances dans la population âgée est importante pour une prise en charge optimale.

Insomnie comorbide de la personne âgée

L’insomnie est définie par une difficulté persistante dans l’initiation, maintien, ou qualité du sommeil, malgré des opportunités et des circonstances adéquates pour s’endormir, entraînant un retentissement durant la journée (fatigue, inattention, irritabilité, etc.). Ce tableau présent depuis au moins 3 mois définit l’insomnie chronique.
Les différences entre insomnie primaire et secondaire ont été abandonnées lors de la nouvelle classification ICSD-3, afin de simplifier le diagnostic et aussi en raison de la difficulté à déterminer avec certitude une étiologie secondaire. Néanmoins, l’insomnie dans le contexte de comorbidités médicales et neuropsychiatriques concerne jusqu’à 83% des patients âgés avec troubles du sommeil. Dans l’évaluation, le dépistage des comorbidités est donc une première étape indispensable.
L’insomnie isolée sans comorbidité caractérisée par la mise en place d’une stratégie de sommeil inadapté ou l’hygiène du sommeil inadéquate restent des diagnostics d’exclusion en gériatrie.

Insomnie et douleur

Les plaintes du sommeil sont présentes chez 67 à 88% de personnes avec un syndrome douloureux chronique, mais le rapport exact entre les deux conditions n’est pas totalement clarifié. La présence de troubles du sommeil augmenterait le risque de développer un tableau de douleur chronique dans le futur.
Il n’existe pas d’évidence concernant une prise en charge spécifique de l’insomnie en fonction de différents syndromes douloureux (neurogène, musculo-squelettique, céphalées, idiopathique).
En dehors d’un probable lien physiopathologique entre les deux entités, la douleur est une cause de réveils nocturnes. Chez le sujet souffrant de douleurs, nous notons la présence d’une fragmentation excessive du sommeil, présence de réveils persomniques de durée variable, et une quantité augmentée de micro-éveils. La durée totale du sommeil se trouve en général diminuée, et le sommeil est perçu comme non réparateur. La fragmentation du sommeil peut également induire (ou majorer) une problématique respiratoire du sommeil (apnées du sommeil sont souvent favorisées par le sommeil instable). L’évaluation de la douleur chez un patient présentant une plainte de sommeil (et vice versa) est recommandée avec, par la suite, l’introduction d’un traitement spécifique pour la douleur associé aux mesures d’hygiène du sommeil.

Insomnie et dépression

L’insomnie affecte 60 à 80% des patients avec un diagnostic de dépression, quel que soit l’âge. Ainsi que pour les troubles cognitifs, il existe une association bidirectionnelle, car l’insomnie chronique est aussi un facteur de risque pour l’apparition d’une dépression comorbide. Le traitement d’un épisode dépressif peut aussi aggraver le sommeil, comme il a été démontré pour les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-norépinephrine qui provoquent une suppression du sommeil REM et même une augmentation des réveils nocturnes. De plus, une dépression comorbide peut aussi survenir dans le contexte de maladies chroniques comme l’insuffisance cardiaque ou la maladie pulmonaire obstructive chronique.
Les plaintes du sommeil intenses à l’interrogatoire peuvent masquer d’autres symptômes dépressifs, d’autant plus chez les personnes âgées qui présentent souvent des tableaux dépressifs subcliniques difficiles à reconnaître. Dans ce contexte, il est recommandé de dépister la dépression chez toute personne âgée avec une plainte du sommeil, même isolée, en utilisant des mesures objectives avec une échelle validée (exemple: «Geriatric Depression Scale» [GDS]).
L’association étroite entre sommeil, dépression et autres comorbidités rend la prise en charge de la personne âgée complexe. D’une part, les étiologies sont souvent multiples; d’autre part le traitement des troubles du sommeil doit toujours être conjoint au traitement pharmacologique et non-pharmacologique de la dépression. Les mesures comportementales et la chronothérapie sont spécialement intéressantes et efficaces et sont à implémenter le plutôt possible, dès le début de la prise en charge. Le principe de la chronothérapie est basé sur la resynchronisation du rythme veille/sommeil. Le praticien doit mettre en place des horaires de sommeil dans un protocole strict 7/7 jours. Cette méthode est dépourvue d’effet secondaire mais son application en soins ambulatoires reste limitée à l’adhérence du patient. Elle peut être associée à d’autres méthodes de synchronisation comme l’utilisation de la mélatonine et de la luminothérapie. Dans la pratique clinique, nous pouvons utiliser ce concept de resynchronisation du rythme nycthéméral en stimulant nos patients à effectuer d’avantage d’activités diurnes surtout à l’extérieur du domicile tout en évitant l’isolement qui participe à la désynchronisation psycho­sociale.

Insomnie et troubles cognitifs

Les troubles du sommeil sont fréquents et peuvent se manifester précocement dans l’évolution de la démence. Parmi les patients avec des troubles cognitifs légers, 25 à 40% présentent une plainte subjective de sommeil. Les changements les plus fréquemment observés sont les réveils fréquents, le réveil matinal précoce et la somnolence diurne. Il y aurait une corrélation avec le degré de sévérité, comme on peut l’observer dans la démence de type Alzheimer avancée, avec une déstructuration complète du sommeil.
L’étiologie est multifactorielle, avec probablement une atteinte au niveau des structures responsables de déclenchement et de maintien du sommeil (noyaux suprachiasmatique) induisant entre autres une altération dans la sécrétion de mélatonine. Dans le contexte plus large, il est probable que les patients souffrant des troubles cognitifs présentent une plus grande susceptibilité aux facteurs de l’environnement, notamment dans la présence de troubles du comportement et les autres comorbidités.
Les troubles du sommeil dans le contexte d’une démence peuvent aggraver le tableau cognitif, altérer de manière négative la qualité de vie et aussi augmenter le fardeau de l’aidant. La figure 1 propose les étapes de ­réflexion dans cette prise en charge.
Figure 1: Prise en charge de troubles du sommeil chez la personne âgée.
Abréviations : BPCO = maladie pulmonaire obstructive chronique ; IC = insuffisance cardiaque ; SAHOS = syndrome d’apnée/hypopnée obstructive du sommeil ; SJS = syndrome de jambes sans repos ; MMPJ = maladie de mouvements périodiques des jambes; CPAP = «continuous positive airway pressure»: REM = «rapid eye movement»
La première étape a comme objectif de déterminer le profil du sommeil, de dépister les comorbidités et/ou de stabiliser les comorbidités déjà existantes et de faire l’inventaire du traitement pharmacologique à la recherche de molécules affectant négativement le sommeil. Indépendamment de l’étiologie retenue le traitement de première intention est basé sur la prise en charge non-pharmacologique. Tout d’abord l’application des mesures pour l’hygiène du sommeil (tab. 1) méritent d’être mises en place, comme éviter les boissons avec caféine, la ­diminution de la durée de siestes (inférieure à 1 heure) et du temps passé en chambre qui doit être réservé pour le sommeil, ainsi que la diminution au maximum des stimulations sonores et visuelles pendant la nuit. Ensuite, quelques propositions psycho éducatives s’avèrent utiles comme d’établir un chronogramme d’activité physique d’au moins 30 minutes par jour avec marche à l’extérieur du domicile par exemple.
Tableau 1: Règles d’hygiène du sommeil (d’après [6]).
Avoir une activité physique en journée (exemple: marche).
Bénéficier d’une exposition quotidienne à la lumière du jour.
Eviter la consommation de caféine, d’alcool et de tabac 
durant la fin d’après-midi et la soirée.
Eviter les activités psychostimulantes au lit comme lire, 
regarder la télévision ou un ordinateur (le temps passé 
au lit doit être réservé au sommeil et à l’activité sexuelle).
Limiter le temps passé au lit.
Eviter la sieste en journée ou en limiter la durée 
à 30 minutes et ce avant 15h00.
Contrôle de l’environnement: adapter la température, 
éviter l’exposition au bruit et favoriser l’obscurité.
N’aller se coucher que lorsque l’on a envie de dormir.
Préférer des horaires de coucher et de lever réguliers.
Les traitements pharmacologiques symptomatiques doivent être prescrits en complément au traitement non-pharmacologique. Les plus couramment utilisés dans cette population âgée sont les antidépresseurs sédatifs (trazodone [Trittico®], mirtazapine [Remeron®]), la melatonine (Circadin®) et le zolpidem (Stilnox®), bien qu’ils ont été peu étudiés dans des essais randomisés [4]. À noter que dans le cas de l’utilisation des antidépresseurs sédatifs, les dosages sont plus faibles par rapport aux dosages habituels, 25–100 mg pour la trazodone et 7,5–15 mg pour la mirtazapine. Les benzodiazépines sont en théorie proscrits en raison de l’impact négatif au niveau de la cognition. L’utilisation de neuroleptiques est réservée aux patients avec symptômes de la lignée psychotique.
L’effet clinique des anticholinestérasiques sur le sommeil des patients avec une démence reste débattu. L’effet théorique est basé sur le rôle de l’acétylcholine dans le maintien d’un état vigilant. Cependant, dans la pratique, ces molécules peuvent être à l’origine d’une insomnie et de cauchemars.
La démence à corps de Lewy et la maladie de Parkinson s’accompagnent fréquemment d’une parasomnie bien spécifique: des troubles comportementaux en sommeil paradoxal (jusqu’à 30% dans la maladie de Parkinson avec une survenue parfois avant la maladie). L’anamnèse auprès du conjoint permet de suspecter le diagnostic (comportements anormaux, parfois complexes, ou le sujet parle, rit, gesticule, bouge – littéralement «vit ses rêves»), qui est confirmé à la polysomnographie. Les troubles comportementaux sont conséquence de la perte d’atonie physiologique durant le sommeil REM, période pendant laquelle les rêves surviennent et une association entre le contenu onirique et les comportements anormaux est souvent présente. Établir un environnement de sécurité pour le patient et le conjoint est essentiel afin d’éviter les chutes du lit ou blessures. Le traitement pharmacologique par mélatonine est l’option de première intention, suivi du clonazepamà faible dose.

Troubles respiratoires liés au sommeil

Ce groupe inclut le syndrome d’apnées d’origine ob­structive ou centrale ainsi que le syndrome d’hypoventilation pendant le sommeil.
Souvent sous-diagnostiqué en raison d’une méconnaissance des particularités gériatriques, la fréquence du syndrome d’apnées/hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) augmente avec l’âge. Une étude réalisée en Suisse (HypnoLaus) a démontré une prévalence d’un SAHOS (index apnées-hypopnées [AHI] égal ou supérieur à 15 événements par heure) chez 49,7% des hommes et 23,4% de femmes âgés de plus de 40 ans.
Une prévalence encore plus élevée est retrouvée chez les personnes avec troubles cognitifs et institutionnalisées. D’autres facteurs de risque sont la prise de benzodiazépines et opiacés, la consommation d’alcool, le tabagisme et l’obésité.
Les manifestations cliniques chez les sujets âgés peuvent être plus frustes ou atypiques. Bien que la somnolence diurne soit le principal symptôme, certains patients peuvent présenter un tableau de confusion nocturne ou de troubles de l’attention et la concentration pendant la journée. Par ailleurs, une étude récente réalisée en Suisse, montre que les sujets de plus de 65 ans présentant des troubles respiratoires liés au sommeil sont plus à risque de présenter des troubles cognitifs [6].
L’anamnèse auprès du conjoint peut donner des pistes en faveur du diagnostic lors de la présence de ronflements et/ou apnées. La somnolence diurne peut se manifester par une augmentation des siestes qui surviennent de façon involontaire pendant les activités comme la lecture et les conversations et devient dangereux lors de la conduite automobile.
La polysomnographie est l’examen de choix pour le diagnostic permettant aussi d’évaluer le degré de sévérité. Le traitement se fait par la mise en place de la «continuous positive airway pressure» (CPAP) associé aux mesures comportementales (éviter caféine, alcool, benzodiazépines et opiacés). Il est important de ne pas tenir compte de l’âge avancé comme un facteur de mauvaise compliance au traitement par CPAP; il a été démontré que même les patients avec une démence de type Alzheimer légère à modérée acceptent le traitement, d’autant plus s’il y a l’implication des aidants dans la prise en charge [6]. Un facteur de mauvaise compliance au traitement décrit dans la littérature est la dépression, raison pour laquelle une prise en charge des deux pathologies est indiquée.
Concernant le syndrome d’apnées centrales, la prévalence augmente aussi avec l’âge, et la prise en charge consiste à optimiser le traitement de la pathologie de base, cardiovasculaire ou neurologique.

Les troubles moteurs liés au sommeil

Le syndrome de jambes sans repos (SJR) est caractérisé par un besoin urgent de bouger qui peut être associé à des dysesthésies qui s’améliorent partiellement lors du mouvement. Le SJR est plus fréquent chez les femmes avec une prévalence qui augmente avec l’âge. Le diagnostic est clinique et environ 70% présentent aussi la maladie de mouvements périodiques des jambes (MMPJ), dont le diagnostic est fait par la polysomnographie. La prévalence de la MMPJ est d’environ 45% chez les personnes âgées, contrastant la prévalence de 5 à 6% chez les adultes jeunes. Les mouvements des jambes déclenchent des réveils nocturnes avec une fragmentation significative du sommeil. Chez les personnes âgées, la recherche d’une cause secondaire est prioritaire, comme le traitement par du lithium, la consommation d’alcool, la polyneuropathie, la carence martiale et l’urémie.
L’introduction des agonistes dopaminergiques (Ropinirol [Requip®], Pramipexole [Sifrol®]) ou de gabapentin (Neurontin®), prégabaline (Lyrica®), en association aux mesures comportementales visant à améliorer la qualité du sommeil, est indiqué dans le traitement de la MMPJ et du SJR primaires. Chez les personnes âgées, il est recommandé de rester attentif au risque d’hypotension orthostatique, de somnolence et d’état confusionnel secondaires à ce traitement.

Insomnie et autres comorbidités

L’insomnie est un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires. Plusieurs études ont mis en évidence qu’une durée de sommeil plus courte serait associée à un risque plus élevé d’obésité, d’hypertension, de diabète, d’hypercholestérolémie parmi d’autres comorbidités. Ces évidences ouvrent la réflexion d’une possible efficacité de la prévention des facteurs de risque cardiovasculaires par la prise en charge de troubles du sommeil précocement dans la vie adulte.
En revanche, en gériatrie les enjeux sont différents – les patients sont polymorbides, souvent fragiles et les troubles du sommeil s’insèrent dans une constellation de différents symptômes de gestion complexe impactant de manière négative leur qualité de vie. Plusieurs maladies chroniques causent et/ou aggravent l’insomnie comme la maladie pulmonaire obstructive chronique, le reflux gastro-œsophagien et l’insuffisance cardiaque.
L’association de plusieurs comorbidités rend la prise en charge de l’insomnie un défi pour les praticiens, souvent limités par la polymédication, ses interactions et effets indésirables. Eviter les décompensations aiguës de maladies chroniques est bénéfique en association au traitement non pharmacologique de troubles du sommeil. En cas de nécessité d’introduction d’un traitement médicamenteux, le risque-bénéfice individuel, tenant en compte les contre-indications, doit être orienté dans la recherche de la meilleure qualité de vie.

Insomnie et médicaments

Plusieurs médicaments agissent au niveau du sommeil, altérant l’architecture et/ou la qualité par des mécanismes distincts. Les médicaments les plus souvent incriminés sont les diurétiques, les corticostéroïdes, les antidépresseurs et les bétabloquants, ce dernier en raison d’une suppression de la sécrétion de mélatonine si pris le soir. D’autres substances comme la caféine, la nicotine, l’ingestion d’alcool le soir ainsi que le sevrage de benzodiazépines interfèrent dans l’architecture et qualité du sommeil. Une révision attentive du traitement pharmacologique, doses et horaires des prises, doit être faite face à une plainte du sommeil. À noter l’importance d’inclure les médicaments pris sans ordonnance médicale, comme des suppléments alimentaires ou vitaminiques qui peuvent contenir de la caféine.

Les principes du traitement de l’insomnie chez la personne âgée

Le retentissement sur le fonctionnement diurne est important dans l’évaluation de l’impact des troubles du sommeil et servira de guide pour estimer l’efficacité de la prise en charge. La recherche d’une cause comorbide réversible, ou qui peut être stabilisée sous traitement doit être la première réflexion du praticien.
Les mesures non-pharmacologiques sont le traitement symptomatique de première ligne et comprennent l’hygiène du sommeil, l’adaptation de l’environnement ainsi que l’approche psychoéducative auprès du patient et son entourage (tab. 1). La thérapie cognitivo-comportemental a fait preuve de son efficacité chez les personnes âgées agissant sur le contrôle des stimuli, la relaxation et la restriction du sommeil pour en améliorer son efficience (constitution d’un calendrier de sommeil).
Concernant les mesures pharmacologiques, l’utilisation de benzodiazépines et d’hypnotiques non benzodiazépine reste courante chez la personne âgée. Cependant, ces médicaments majorent le risque de chute et de somnolence diurne avec des effets délétères sur la cognition. En plus, ces molécules entraînent une tolérance avec perte d’efficacité à long terme avec un risque accru de dépendance.
L’utilisation d’un traitement antihistaminique n’est pas conseillée en raison du risque d’hypotension orthostatique et de confusion due à l’effet anticholinergique. L’utilisation off-label des antidépresseurs et neuroleptiques uniquement comme traitement symptomatique de l’insomnie ne présente pas d’évidence dans la littérature. Les antidépresseurs sédatifs comme la trazodone (Trittico®) et la mirtazapine (Remeron®) peuvent être utilisés chez les patients avec une démence ou chez ceux avec une maladie pulmonaire obstructive chronique afin d’éviter une prescription de benzodiazépines ou de neuroleptiques.
Les suppléments de mélatonine et la mélatonine synthétique semblent avoir un effet positif avec réduction du temps d’endormissement, amélioration de la perception de la qualité du sommeil et la vigilance diurne chez les personnes âgées. Ces molécules ont un profil intéressant, avec l’avantage d’avoir moins d’effets indésirables sur le risque de chute et sur la cognition, ainsi que peu d’interactions médicamenteuses. Néanmoins, leur efficacité dans le traitement symptomatique de l’insomnie comorbide du sujet âgé reste à démontrer.
Les lampes de luminothérapie (5000–10 000 lux) sont des dispositifs médicaux spécialisés, permettant de réaligner le rythme circadien du sommeil. L’heure et la durée d’utilisation de ce type du traitement dépend de la problématique clinique. Chez le sujet présentant les endormissements précoces durant la soirée, associés avec les réveils précoces durant la nuit (p. ex. l’endormissement vers 19–20 et le réveil vers 2–3 h du matin), la luminothérapie peut être utilisé à la fin de l’après-midi ou au début de la soirée. Dans le cas opposé, chez le sujet souffrant de décalage du rythme du sommeil (l’endormissement et le réveil tardifs), la lampe va être utilisée dans la matinée, le plus rapidement après le réveil spontané. Ce traitement peut être accompagné de changements très progressifs dans les horaires du coucher et du lever (chronothérapie), afin d’obtenir le rythme du sommeil souhaité. Cependant, l’utilisation de la luminothérapie n’est pas complètement dépourvue des risques (appliqué au mauvais moment peut même perturber d’avantage le rythme circadien) et une prudence s’impose chez les patients souffrant de certains pathologies psychiatriques (p. ex. trouble bipolaire) et il est contre-indiqué chez des patients souffrant des problèmes au niveau de la rétine.
La figure 1 montre les différentes molécules prescrites pour le traitement symptomatique de l’insomnie. Quelque-soit le choix du praticien, il est recommandé de débuter par de petites doses, une prescription intermittente (3 fois par semaine) pour une durée déterminée (2–4 semaines). La réussite du traitement pharmacologique repose sur la réévaluation systématique de l’efficacité ainsi que la recherche des effets indésirables sans négliger la poursuite des mesures non-pharmacologiques.

Perspectives

Actuellement, le traitement de comorbidités en association avec les mesures d’hygiène du sommeil sont les éléments principaux de la prise en charge de l’insomnie du sujet âgé. Le traitement pharmacologique symptomatique de l’insomnie en gériatrie est limité par les effets indésirables des psychotropes, relevant la nécessité de développement de nouvelles molécules présentant un profil de sécurité avantageux pour les patients polymorbides et ceux avec troubles cognitifs. Plusieurs molécules qui améliorent la qualité du sommeil avec une très bonne tolérance  sont actuellement en étude: les agonistes du récepteur de la mélatonine (ramelteon et agomelatine) et les antagonistes du récepteur de l’orexine. Néanmoins, des études randomisées sont nécessaires afin d’évaluer leur efficacité et tolérance chez les personnes âgées polymorbides.

L’essentiel pour la pratique

• Même si des modifications du sommeil peuvent être liées au vieillissement, les plaintes rapportées doivent faire l’objet d’une évaluation globale par le praticien.
• La prise en charge de troubles du sommeil chez la personne âgée repose essentiellement sur la recherche de causes comorbides et leur traitement.
• Le traitement non-pharmacologique par les mesures d’hygiène du sommeil et psycho éducatives, la thérapie cognitivo-comportementale sont la première ligne, tandis que le traitement pharmacologique symptomatique est limité par les effets indésirables et interactions médicamenteuses des psychotropes.
• L’âge avancé et/ou la présence d’une démence légère à modérée ne sont pas des contre-indications à la mise en place d’un traitement par «continuous positive airway pressure» CPAP en cas de syndrome d’apnées/hypopnées obstructives du sommeil SAHOS.
• Lors d’une suspicion de syndrome de jambes sans repos (SJR) ou maladie de mouvements périodiques des jambes (MMPJ), le praticien doit exclure une cause secondaire comme la carence martiale ou une poly­neuropathie.
Vous trouverez l’éditorial relatif à cet article à la page 704 de ce numéro.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Aline Mendes
Médecin cheffe de clinique
Département de médecine interne, réhabilitation et de gériatrie
Service de gériatrie
Hôpitaux Universitaires
de Genève
Chemin du Pont-Bochet 3 CH-1226 Thônex
Aline.Mendes[at]hcuge.ch
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