Le syndrome de Sjögren primaire, une maladie systémique: partie 1
Epidémiologie, pathogenèse, manifestations cliniques et diagnostic

Le syndrome de Sjögren primaire, une maladie systémique: partie 1

Übersichtsartikel AIM
Édition
2017/47
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03065
Forum Med Suisse 2017;17(47):1027-1038

Affiliations
Klinik für Rheumatologie, UniversitätsSpital Zürich, Zürich

Publié le 21.11.2017

Le syndrome de Sjögren primaire est une maladie auto-immune chronique, qui est bien loin de se limiter à la seule atteinte des glandes salivaires et lacrymales. Il donne souvent lieu à des manifestations systémiques, pouvant parfois compromettre les organes affectés ainsi que le pronostic vital. La survenue d’un lymphome est particulièrement redoutée. Dans une première partie, cet article de revue se concentre sur les développements actuels en matière d’épidémiologie, de pathogenèse, de clinique et de diagnostic. Les possibilités thérapeutiques seront abordées dans une seconde partie1.

Introduction

Généralités

Le syndrome de Sjögren est l’une des maladies auto-immunes systémiques les plus fréquentes. Il peut survenir sous forme de maladie indépendante (syndrome de Sjögren primaire) ou sous forme de syndrome sec secondaire dans le cadre d’une autre maladie auto-immune systémique (par ex. polyarthrite rhumatoïde [PR], lupus érythémateux systémique [LES], collagénose mixte, sclérose systémique, myopathies inflammatoires) ou d’une maladie auto-immune spécifique d’organe (par ex. hépatopathie auto-immune, cholangite sclérosante primitive, maladie inflammatoire chronique de l’intestin, thyroïdite auto-immune de Hashimoto); dans le cas du syndrome sec secondaire, l’évolution est généralement bénigne et les décisions thérapeutiques sont dictées par la maladie sous-jacente [1]. Dans cet article, nous nous concentrons sur le syndrome de Sjögren primaire.

Epidémiologie

Globalement, le syndrome de Sjögren primaire est une maladie relativement fréquente, mais son incidence et sa prévalence peuvent varier considérablement en fonction de la région géographique et des critères de classification utilisés. Par exemple, d’après une méta-analyse de 2015, son incidence s’élevait à 6,92 cas pour 100 000 patients-années et sa prévalence à 60,82 cas pour 100 000 habitants [2]. Les femmes sont plus souvent touchées que les hommes (rapport d’env. 10:1). La maladie peut survenir à tout âge, mais avec un pic de fréquence entre 55–65 ans. Le syndrome de Sjögren primaire survient le plus souvent de façon sporadique. Toutefois, une étude taïwanaise est récemment parvenue à mettre en évidence une accumulation familiale. Dans cette étude, les apparentés du premier degré présentaient un risque relatif de 12,37% de développer un syndrome de Sjögren primaire [2].

Importance

Les conséquences sanitaires et économiques du syndrome de Sjögren primaire sont considérables. La maladie est souvent associée à une forte altération de la qualité de vie, même lorsque les patients ne présentent pas de manifestations extra-glandulaires (systémiques) mais «uniquement» des symptômes dits bénins, tels que la sécheresse oculaire et buccale, la fatigue, les limitations cognitives, les myalgies ou les arthralgies [3]. L’altération de la qualité de vie est parfois comparable à celle observée chez les patients atteints de PR, de LES ou de fibromyalgie [4]. Les coûts de santé chez les patients souffrant de syndrome de Sjö­gren primaire ne sont, eux non plus, pas négligeables. Ainsi, il a pu être montré dans une étude britannique que les coûts de santé annuels étaient comparables aux coûts chez les patients atteints de PR (2188 vs. 2693 livres sterling) et env. deux fois supérieurs à ceux dans la population contrôle (949 livres sterling) [5]. Il est estimé que les coûts indirects sont compris entre 7 677 et 13 502 livres sterling [6], les coûts liés aux soins dentaires pesant particulièrement lourd. En outre, les patients atteints de syndrome de Sjögren primaire travaillent significativement moins souvent ou travaillent à temps partiel et perçoivent souvent des prestations sociales [6].
Malgré la fréquence et les coûts socio-économiques élevés du syndrome de Sjögren primaire, cette affection ne bénéficie pas de la même attention que d’autres maladies rhumatologiques. Ainsi, à la fin du mois de février 2017, 15 445 articles étaient disponibles dans Pubmed avec le terme de recherche «Sjogren syndrome», alors que ce nombre était beaucoup plus élevé pour le LES ou la PR (64 191 et 131 339 articles, respectivement). Il semble toutefois que le syndrome de Sjögren primaire ait suscité un intérêt croissant au cours des dernières années. Des progrès ont ainsi pu être accomplis au niveau de la compréhension de la pathogenèse et des marqueurs pronostiques, de nouvelles approches thérapeutiques ont pu être développées et plusieurs traitements biologiques ont pu être évalués. De plus, de nouveaux critères de classification et des instruments permettant d’évaluer l’activité de la maladie ont récemment été publiés.

Etiologie et physiopathologie

L’étiologie reste incertaine. Des facteurs environnementaux et hormonaux (déficit en œstrogènes) pourraient jouer un rôle sur fond de prédisposition génétique. Des infections virales sont évoquées comme facteur déclenchant potentiel (par ex. virus d’Epstein-Barr [EBV], cytomégalovirus [CMV], virus de l’hépatite C [VHC], virus T-lymphotropique humain de type 1 [HTLV-1], virus coxsackie, virus de l’herpès), mais aucun virus n’a jusqu’à présent pu être identifié comme cause directe [7]. Ce n’est que depuis peu que des recherches évaluent l’influence potentielle du microbiome humain. A la fois le système immunitaire inné (par ex. interféron [IFN]) et le système immunitaire adaptatif (cellules B et T) jouent un rôle dans le syndrome de Sjögren [8, 9], ce qui a également été confirmé par de récentes études d’association pangénomiques. Ainsi, des gènes de risque associés au syndrome de Sjögren ont pu être identifiés pour la transduction du signal des cellules B et T, le système des IFN, la voie du facteur nucléaire kappa et la présentation d’antigènes (HLA-DRA, HLA-DQB1, HLA-DQA1) [9, 10].
L’hyperactivité des cellules B joue un rôle déterminant dans le syndrome de Sjögren primaire, se manifestant par des auto-anticorps positifs (anti-SSA, anti-SSB, facteur rhumatoïde [FR]), une cryoglobulinémie et une hypergammaglobulinémie. Les cellules épithéliales des glandes salivaires jouent également un rôle considérable, raison pour laquelle le terme «épithélite auto-immune» est parfois utilisé. Ainsi, ces cellules ne jouent pas uniquement un rôle passif, mais elles agissent comme cellules présentatrices d’antigène et sont donc impliquées dans le recrutement et l’activation des cellules B et T [11, 12]. Comme dans le LES, il a en outre pu être montré que le système des IFN avait une importance particulière. En effet, une signature IFN est retrouvée chez env. 50% des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire [8]. Il convient tout particulièrement de mentionner BAFF («B-cell activating factor»). Il s’agit d’une cytokine pouvant être produite par différentes cellules (y compris cellules présentatrices d’antigène, lymphocytes T activés ou cellules épithéliales) et dont l’expression est induite par les IFN de type I et de type II. BAFF joue un rôle essentiel dans l’activation, la prolifération, la maturation et la survie des cellules B, ainsi que dans la différenciation des plasmocytes [13]. BAFF forme dès lors le lien entre le système immunitaire inné et adaptatif et constitue de ce fait une molécule cible thérapeutique prometteuse.
Une caractéristique particulière du syndrome de Sjö­gren primaire est la formation de structures lymphoïdes ectopiques dans les glandes exocrines, composées de cellules B et T. Dans env. 25–30% des cas, des structures de type centre germinatif se forment en outre (composées de cellules B proliférantes et de cellules dendritiques folliculaires). Dans ces structures lymphoïdes ectopiques, les cellules T auxiliaires entrainent l’activation des cellules B, leur prolifération et leur différenciation en plasmocytes producteurs d’auto-anticorps [8, 9]. La figure 1 fournit des informations supplémentaires sur la pathogenèse du syndrome de Sjögren primaire.
Figure 1: Syndrome de Sjögren primaire – pathogenèse. Il est soupçonné que chez les sujets génétiquement prédisposés, il se produit dans les glandes une production accrue d’interféron (IFN)-alpha via une activation de cellules dendritiques plasmacytoïdes induite par un facteur déclencheur (par ex. virus). Sous l’influence de l’IFN-alpha, les cellules épithéliales entraînent le recrutement et l’activation de cellules B et T via une sécrétion de cytokines et chimiokines (par ex. BAFF, IL-7, IL-22, IL-6, CXCL10, CXCL12, CXCL13), ce qui se traduit alors par la formation de plasmocytes producteurs d’auto-anticorps. Via l’interleukine (IL)-12, les cellules dendritiques activent également les cellules «natural killer» (NK) et les cellules T (avant tout cellules T1 auxiliaires, mais également cellules T17 auxiliaires), qui sécrètent des cytokines pro-inflammatoires, telles que l’IL-17 ou l’IFN-gamma. A la fois l’IFN-alpha et l’IFN-gamma entraînent une surproduction de BAFF («B-cell activating factor»). Il en résulte finalement un cercle vicieux d’activation immunitaire, dans lequel d’une part la production d’IFN-alpha par les cellules dendritiques est stimulée en permanence (par médiation du complexe immun) et d’autre part l’IFN entretient le système immunitaire adaptatif.

Manifestations cliniques

Le syndrome de Sjögren primaire représente une maladie particulièrement hétérogène, avec un vaste spectre de manifestations cliniques et biochimiques. Ces manifestations sont abordées dans les lignes qui suivent.

Symptômes de sécheresse

La sécheresse oculaire et la sécheresse buccale font partie des symptômes les plus fréquents et souvent les plus précoces du syndrome de Sjögren primaire.

Xérophtalmie

Les symptômes potentiels de la xérophtalmie incluent la sensation de corps étranger, les démangeaisons, les sensations de brûlure, les douleurs, la photosensibilité, ainsi que les conjonctivites récidivantes. Les patients peuvent être plus sensibles à la fumée ou aux lentilles de contact. En cas de trouble de l’humidification sévère, les ulcérations cornéennes sont une complication possible. La xérophtalmie fait partie des symptômes les plus incommodants en cas de syndrome de Sjögren primaire et elle peut fortement altérer la qualité de vie. D’après une étude, les limitations chez les patients avec xérophtalmie sévère sont comparables à celles chez les patients atteints d’angine de poitrine modérée à sévère [14], et les patients sont en théorie prêts à «échanger» la sécheresse oculaire contre 2 années de leur vie. Il est particulièrement intéressant de noter que dans une étude, jusqu’à 40% des patients avec xérophtalmie objectivable n’avaient pas remarqué qu’ils en étaient atteints [4]. En cas de suspicion de syndrome de Sjögren, il est donc essentiel d’initier des investigations approfondies, y compris en l’absence de symptômes de sécheresse.

Xérostomie

La xérostomie, souvent moins bien tolérée que la xérophtalmie, peut se manifester par une sensation de soif accrue, des difficultés à parler ou à avaler (en particulier des aliments secs), des sensations de brûlure, des altérations du goût et une halitose. La sécheresse buccale peut perturber le sommeil. Chez les patients atteints de syndrome de Sjögren primaire, la parodontose et les caries de progression rapide constituent un problème particulier. Ces dernières peuvent survenir au niveau de localisations inhabituelles (par ex. incisives et marge gingivale) et elles sont significativement plus fréquentes chez les patients atteints de syndrome de Sjögren primaire, au même titre que les extractions dentaires, ce qui se traduit par des coûts accrus de traitements dentaires [4]. En présence de caries de progression rapide, il est essentiel de songer à l’éventualité d’un syndrome de Sjögren primaire et d’initier précocement des mesures prophylactiques. En raison de la quantité réduite de larmes et de salive, qui présentent une activité antimicrobienne, les patients sont exposés à un risque accru d’infections, qui prennent souvent la forme de candidoses dans la région buccale.

Autres symptômes de sécheresse

Le syndrome de Sjögren primaire peut également affecter les glandes de la peau (xérodermie avec prurit), du vagin (prurit, dyspareunie), des voies respiratoires (toux sèche en cas de sécheresse trachéale, infections récidivantes, enrouement en cas d’atteinte laryngée) ou du nez.

Manifestations extra-glandulaires

Les données relatives à la fréquence des manifestations extra-glandulaires varient en fonction des publications. Des études récemment publiées ont montré que le syndrome de Sjögren primaire était bel et bien une maladie systémique. Ainsi, 70–80% des patients présentaient une manifestation systémique, qui était sévère chez 15% d’entre eux [15]. Il convient de mentionner que des manifestations extra-glandulaires peuvent également être présentes sans symptômes de sécheresse et survenir comme manifestation initiale. Une étude scandinave a montré que les arthralgies, la fatigue, les myalgies et le phénomène de Raynaud comptaient parmi les symptômes extra-glandulaires les plus fréquents, alors que les manifestations hématologiques, neurologiques, rénales et pulmonaires étaient moins fréquentes [2]. En revanche, une étude espagnole a montré qu’outre les atteintes articulaires, les atteintes pulmonaires, rénales et cutanées étaient également fréquentes [15].

Symptômes généraux

Ils sont fréquents. La fatigue et la baisse générale des performances représentent souvent des symptômes de premier plan, qui altèrent la qualité de vie, la fatigue étant souvent disproportionnée par rapport à l’activité de la maladie et aux dommages causés. Parmi les autres symptômes généraux possibles, en particulier chez les jeunes adultes, figurent les températures subfébriles, la perte de poids, les sueurs nocturnes et une lymphadénopathie [12].

Atteintes musculo-squelettiques

Env. 50% des patients développent des arthralgies et des arthrites [1, 16]. Les arthralgies généralisées à la fois des petites et des grandes articulations, chroniques ou récidivantes, prédominent, alors que les arthrites sont moins fréquentes. Ces dernières peuvent précéder les symptômes de sécheresse et elles affectent essentiellement les petites et moyennes articulations (poignets, articulations métacarpo-phalangiennes [MCP] et articulations inter-phalangiennes proximales [IPP]); elles peuvent ainsi imiter une PR, mais sont habituellement légères et non érosives. Les arthralgies et arthrites sont souvent associées à d’autres manifestations systémiques.
Les myalgies généralisées sont également fréquentes, mais les myosites concomitantes manifestes sont en général exceptionnelles [2]. Dès lors, les enzymes musculaires sont habituellement normales. Les douleurs généralisées au sens d’une fibromyalgie s’observent souvent, avec une fréquence de 35–50% rapportée dans la littérature [1]. Dans une étude de 2016, il a pu être montré que le syndrome fibromyalgique était associé à une dépression sévère et à des scores subjectifs de maladie élevés chez les patients atteints de syndrome de Sjögren [2].

Atteintes cutanées

Les patients peuvent présenter des altérations cutanées très variées. Une vascularite cutanée s’observe dans env. 10% des cas, le purpura palpable étant la manifestation la plus fréquente. Parmi les autres lésions vasculitiques figurent les macules érythémateuses, les papules, les ulcérations, les altérations cutanées urticariennes, les nodules, les infarctus péri-unguéaux, ainsi que la gangrène. Un purpura non palpable s’observe généralement chez les patients présentant une hypergammaglobulinémie. Des lésions annulaires polycycliques (un équivalent du lupus érythémateux cutané subaigu) surviennent chez env. 10% des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire [1, 16]; ces lésions sont typiquement photosensibles, elles sont le plus souvent localisées au niveau du visage, de la nuque ou des bras, et elles sont associées à des anticorps anti-SSA. Il n’y a pas de cicatrices ou d’atrophie après la guérison.

Atteintes pulmonaires

En fonction de la méthode de détection, une atteinte pulmonaire est retrouvée dans 10–20% des cas de syndrome de Sjögren [1], et même dans jusqu’à 40% des cas selon les études. Il peut s’agir de bronchectasies ou ­d’atteintes pulmonaires interstitielles sous forme de pneumopathie interstitielle non spécifique (PINS), de pneumopathie interstitielle commune (PIC), de pneumopathie interstitielle lymphoïde (PIL) ou de bronchiolite [16]. Des manifestations plus rares ont également été décrites. Il convient de signaler que la pleurite et les épanchements pleuraux sont globalement rares et devraient faire songer à une autre collagénose ou à une collagénose concomitante (syndrome de chevauchement), telle qu’un LES. En général, les atteintes pulmonaires donnent lieu à des symptômes légers et présentent une évolution insidieuse, mais une étude récemment publiée a identifié une association avec une qualité de vie diminuée et une plus mauvaise survie [15]. Etant donné que le syndrome de Sjögren peut être séronégatif, il convient, face à une affection pulmonaire indéterminée, d’envisager la présence d’un syndrome de Sjögren primaire même lorsque la recherche d’auto-anticorps s’est révélée normale.

Atteintes rénales

Une atteinte rénale s’observe dans 4–30% des cas [1]. Il s’agit typiquement d’une néphrite tubulo-interstitielle (env. 10% des cas) [16], ce qui peut être à l’origine d’une acidose tubulaire distale avec troubles électrolytiques, élévation de la créatinine, protéinurie légère, paralysie hypokaliémique ou néphrolithiase. Plus rarement, le syndrome de Sjögren primaire peut également être associé à un syndrome de Fanconi. La néphrite tubulo-interstitielle est généralement une manifestation précoce. Une atteinte glomérulaire est également possible (env. 5% des cas) [16], typiquement sous forme de glomérulonéphrite membrano-proliférative; il s’agit généralement d’une manifestation tardive. Des glomérulonéphrites prolifératives ou membraneuses peuvent également survenir. Il a été montré que les patients avec atteinte glomérulaire présentaient un pronostic plus défavorable (insuffisance rénale chronique, lymphome ou décès), en particulier lorsqu’elle est causée par une cryoglobulinémie.

Atteintes du système nerveux

Le système nerveux est atteint dans jusqu’à 20% des cas et chez env. un tiers des patients, les manifestations neurologiques précèdent le diagnostic de syndrome de Sjögren primaire [1]. Dans env. 10% des cas, le système nerveux périphérique est touché (mono­névrite multiple, neuropathie sensitivo-motrice, atteinte des nerfs cérébraux, polyneuropathie ou polyradiculoneuropathie, neuropathie des petites fibres, ganglionopathie). La mononévrite multiple est associée au plus faible taux de survie, la ganglionopathie sensitive est la plus invalidante et la polyneuropathie axonale est la neuropathie la plus fréquente en cas de syndrome de Sjögren primaire [15]. Le système nerveux central peut également être touché (méningite, encéphalite, méningo-encéphalite, vascularite cérébrale, crises convulsives, accident vasculaire cérébral, myélite transverse, lésions semblables à celles de la sclérose en plaques); la prévalence exacte et la pertinence clinique des atteintes du système nerveux central font toutefois l’objet de discussions controversées, et la délimitation par rapport à d’autres maladies neurologiques n’est pas simple [15].

Atteintes gastro-intestinales

L’ensemble du tractus gastro-intestinal peut être touché. Outre la sécheresse, une dysmotilité œsophagienne peut également être responsable d’une dysphagie. Une gastrite avec mise en évidence d’infiltrats lymphocytaires, à l’instar de ceux retrouvés à la biopsie des glandes salivaires, peut être à l’origine de nausées et de douleurs épigastriques. Des élévations des valeurs hépatiques s’observent chez 10–20% des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire; dans le cadre du diagnostic différentiel, outre les causes toxiques médicamenteuses, infectieuses ou métaboliques, il convient, particulièrement en cas de profil cholestatique, de songer également à une cholangite biliaire primitive (anticorps anti-mitochondries positifs) ou, rarement, à une hépatite auto-immune. Des pancréatites aiguës et chroniques ont été décrites, mais elles sont globalement rares. L’atteinte pancréatique est généralement asymptomatique.

Cryoglobulinémie

Le syndrome de Sjögren primaire est plus souvent associé à une cryoglobulinémie de type 2 ou de type 3. Le spectre clinique s’étend de symptômes légers, tels que purpura, phénomène de Raynaud, arthralgies ou fatigue, jusqu’à des manifestations organiques sévères ou potentiellement fatales, comme par ex. glomérulonéphrite, nécroses cutanées et atteinte du système nerveux périphérique. La cryoglobulinémie est en outre associée à un risque accru de lymphome [1].

Lymphome

Le syndrome de Sjögren primaire est associé à un risque accru de lymphomes (en particulier de lymphomes non-hodgkiniens). Des études récentes ont suggéré un risque relatif plus faible par rapport à des données plus anciennes [9]. Env. 5–10% des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire développent un lymphome [17]. Ce pourcentage paraît relativement élevé aux yeux des auteurs et pourrait s’expliquer par le fait que ces chiffres proviennent de centres traitant des manifestations souvent sévères et systémiques. En particulier un complément C4 faible, une cryoglobulinémie et un purpura palpable sont associés à un risque accru de lymphome [15], mais des tuméfactions récidivantes des glandes salivaires, une lymphopénie, des anticorps anti-SSA/anti-SSB positifs ou des FR positifs sont également associés à un risque accru [2]. Des anticorps anti-SSA/anti-SSB négatifs semblent jouer un rôle protecteur. Le lymphome a une localisation extra-nodale dans env. 80% des cas et une localisation nodale dans 20% des cas (le plus souvent cervicale, supraclaviculaire et/ou axillaire). Les lymphomes se développent le plus souvent dans les glandes salivaires (avant tout dans la parotide), mais ils peuvent également avoir d’autres localisations, comme par ex. l’estomac, la thyroïde, l’orbite, les poumons ou le nasopharynx [1, 12]. Le lymphome du nasopharynx s’observe particulièrement chez les patients d’origine asiatique. Le lymphome de type MALT («mucosa-associated lymphoid tissue») est le plus fréquent, mais le lymphome diffus à grandes cellules B, par ex., peut également se rencontrer. Un lymphome devrait tout particulièrement être envisagé en présence d’une hypertrophie et d’une induration unilatérales d’une glande salivaire ou d’hypertrophie rapidement progressive, ainsi qu’en présence de symptômes B ou d’une hypogammaglobulinémie, ou lorsqu’un FR auparavant positif devient négatif. Il convient également de songer à un lymphome en cas de lymphadénopathie hilaire et/ou médiastinale ou de nodule pulmonaire, tout en sachant qu’une lymphadénopathie bénigne est souvent une manifestation du syndrome de Sjögren primaire.

Autres manifestations

L’hypertrophie des glandes salivaires, avant tout de la parotide et de la glande submandibulaire, est un «signe clé» fréquent du syndrome de Sjögren. L’hypertrophie peut être chronique ou épisodique et elle est habituellement bilatérale, mais peut être unilatérale au début [12]. La tuméfaction peut être associée à des douleurs. La figure 2 montre une hypertrophie parotidienne bilatérale.
Figure 2: Hypertrophie parotidienne bilatérale (flèches).
Un phénomène de Raynaud s’observe fréquemment (10–37% des cas), mais son évolution clinique est plus légère qu’en cas de sclérose systémique [12] et il peut précéder de plusieurs années les symptômes de sécheresse. En général, aucune altération morphologique des capillaires n’est constatée à la capillaroscopie; en particulier les signes typiques d’une microangiopathie organique font défaut.
Les atteintes cardiaques sont globalement rares; la péricardite est la manifestation cardiaque la plus fréquente, mais son évolution est généralement légère et asymptomatique. La possibilité de bloc cardiaque congénital chez les femmes avec anticorps anti-SSA positifs revêt une importance particulière. Dans ce cas, une grossesse doit être considérée à risque et les contrôles doivent être adaptés en conséquence (échographie fœtale à partir de la 16e semaine de grossesse [SG], d’abord toutes les semaines, puis toutes les 2 semaines à partir de la 26e SG).
En outre, il convient de mentionner la cystite interstitielle, qui n’est pas rare et peut provoquer des symptômes considérables (tels que douleurs suprapubiennes ou périanales, dysurie, pollakiurie et nycturie).
Les patients atteints de syndrome de Sjögren primaire présentent une prévalence accrue d’autres maladies auto-immunes, y compris de thyroïdite, de cholangite biliaire primitive et de maladie cœliaque. La maladie auto-immune la plus fréquente et qui mérite particulièrement d’être mentionnée est la thyroïdite auto-immune, qui peut se développer chez jusqu’à 30% des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire [18]; des anticorps anti-thyroperoxydase (TPO) positifs constituent un facteur de risque de développer cette affection. Des contrôles réguliers de la thyréostimuline (TSH) sont pertinents chez les patients atteints de syndrome de Sjögren, notamment dans le cadre du diagnostic différentiel de la fatigue.

Triade sécheresse-douleurs-fatigue

Une grande partie des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire ne présentent pas de symptômes extra-glandulaires. De nombreuses femmes d’âge moyen se présentent avec la triade sécheresse-douleurs-fatigue, souvent aussi associée à des troubles du sommeil, à des symptômes d’anxiété et à une dépression. Ces patients semblent constituer un sous-groupe du syndrome de Sjögren primaire, avec globalement moins d’atteintes systémiques et moins de caractéristiques immunologiques [12, 15]. Une étude de 2015 est parvenue à démontrer l’association entre fatigue et incidence accrue de troubles d’anxiété et du sommeil, de dépression et de symptômes non spécifiques, tels que myalgies, arthralgies et malaise [2].

Paramètres d’évaluation

Une difficulté dans l’évaluation des patients atteints de syndrome de Sjögren primaire, y compris dans le cadre d’études, réside dans la mauvaise corrélation entre les symptômes subjectifs décrits par le patient et l’activité de la maladie évaluée par le médecin. La «European League Against Rheumatism» (EULAR) a récemment développé deux instruments pour l’évaluation de l’activité de la maladie, ce qui doit permettre une évaluation homogène des manifestations systémiques et représente une grande avancée [19, 20]. Les deux scores sont de plus en plus utilisés dans les études en tant que critères d’inclusion et paramètres d’évaluation. L’ESSDAI («EULAR Sjögren’s syndrome disease activity index») évalue les manifestations organiques dans 12 domaines; dans l’ESSPRI («EULAR Sjögren’s syndrome patient-reported index»), la sévérité de la sécheresse, de la fatigue et des douleurs est documentée par le patient au moyen d’un questionnaire avec une échelle visuelle analogique. Les deux scores ne présentent qu’une faible corrélation entre eux, en particulier chez les patients avec triade sécheresse-fatigue-douleurs, et devraient dès lors être utilisés de manière complémentaire et être évalués séparément.

Evolution et pronostic

L’évolution est habituellement lentement progressive. En général, le pronostic est bon et la mortalité n’est pas accrue par rapport à la population normale, pour autant que les patients ne présentent pas de manifestations extra-glandulaires sévères ou de facteurs de mauvais pronostic (atteinte parotidienne sévère, vascularite, lymphome, faible complément C4, cryoglobulinémie) [12].
Comme c’est également le cas pour d’autres maladies systémiques inflammatoires (par ex. LES), une incidence significativement accrue d’évènements cérébrovasculaires et cardiovasculaires a récemment pu être démontrée chez les patients atteints de syndrome de Sjögren primaire par rapport aux contrôles sains [2]. Les décès sont principalement attribuables à des évènements cardiovasculaires, à des infections et à des tumeurs malignes, et les hospitalisations sont majoritairement dues à une activité extra-glandulaire de la maladie et à des infections [2].

Examens

Analyses de laboratoire

Le tableau 1 fournit un aperçu des anomalies de laboratoire potentielles. Parmi les plus fréquentes figurent les cytopénies légères, une élévation de la vitesse de sédimentation et une hypergammaglobulinémie polyclonale typique du syndrome de Sjögren. En particulier l’hypocomplémentémie et la cryoglobulinémie ont une influence sur le pronostic. Il a récemment pu être montré que, comme dans le LES ou la PR, les anticorps peuvent déjà être détectés 18–20 ans avant la pose du diagnostic, la présence précoce d’anticorps anti-SSA et anti-SSB pouvant indiquer la survenue ultérieure d’une maladie sévère [21]. Les patients chez lesquels le diagnostic est posé avant l’âge de 40 ans semblent en outre constituer un sous-groupe; ces patients présentent une prévalence significativement accrue d’anticorps pré-diagnostiques, avec également un titre plus élevé et globalement plus d’anticorps positifs. Il convient de signaler que les anticorps anti-SSA sont constitués de deux composantes (52kDA et 60kDA); dépendant de la lignée cellulaire utilisée par le laboratoire pour l’analyse, la composante 52kDA a une localisation cytoplasmique et les anticorps anti-SSA peuvent ainsi se révéler positifs malgré des anticorps antinucléaires négatifs.
Tableau 1: Anomalies de laboratoire potentielles en cas de syndrome de Sjögren primaire.
HémogrammeAnémieNormochrome, normocytaire, ­généralement légère
Rarement, anémie hémolytique ­auto-immune
LeucopénieGénéralement légère (3,0–4,0 G/l),
Lymphopénie > Neutropénie
ThrombocytopénieGénéralement légère (80–150 G/l)
Paramètres inflammatoiresVitesse de sédimentation souvent accrue
Protéine C réactive souvent normale
Protéines sériquesHypergammaglobulinémie
Immunoglobuline monoclonale
Valeurs hépatiquesParamètres de cholestase élevés possible
Transaminases élevées possible
Electrolytes et 
analyse urinaireFaible poids spécifique de l’urine
Urine alcaline
Bicarbonate plasmatique bas
Ph sanguin faible
Hypokaliémie
Erythrocyturie, leucocyturie, protéinurie
ImmunologieAnticorps antinucléaires (AAN): positifs dans >80% des cas
Anticorps anti-SSA: positifs dans 50 à 70% des cas
Anticorps SSB: positifs dans 25 à 40% des cas
Facteur rhumatoïde (FR): positif dans 36 à 74% des cas
Complément C3/C4: diminué dans 10 à 20% des cas
Cryoglobuline: présence dans 10 à 20% des cas

Objectivation des symptômes de sécheresse

Comme mentionné précédemment, en cas de suspicion de syndrome de Sjögren primaire, il convient d’objec­tiver la production limitée de sécrétions même lorsque le patient ne se plaint pas de symptômes de sécheresse.

Xérophtalmie

Le test de Schirmer est un instrument simple pour objectiver la xérophtalmie. Il consiste à plier une bandelette de papier buvard et à la placer dans le tiers latéral de la paupière inférieure des deux côtés. Après 5 minutes, la longueur d’imprégnation du film lacrymal dans le papier est mesurée. Une longueur de la zone humide ≤5 mm/5 min est considérée comme pathologique [12]. Dans le syndrome de Sjögren, il y a typiquement une atteinte équivalente des deux yeux. L’ophtalmologue peut en outre évaluer la surface, par ex. au moyen de fluorescéine, de rose du Bengale ou de vert de lissamine, la sévérité de la sécheresse oculaire pouvant être déterminée sur la base de l’aspect de la coloration. L’intensité de la coloration est évaluée de façon semi-quantitative, et différents scores sont disponibles à cet effet (par ex. score de van Bijsterveld [VBS] ou «Ocular Staining Score» [OSS], un VBS ≥4 correspondant à un OSS ≥5) [22]. L’ophtalmologue doit également évaluer la stabilité du film lacrymal par examen à la lampe à fente et fluorescéine (temps de rupture du film lacrymal, «tear break-up time»). Un temps de rupture court <10 secondes est considéré comme pathologique [4].

Xérostomie

La fonction des glandes salivaires peut être évaluée de différentes manières. Le test le plus simple est le test de Saxon. Il est demandé au patient de mâcher une compresse durant 2 minutes; la compresse est pesée avant et après le placement dans la cavité buccale et la différence de poids correspond à la quantité de salive. Une différence >2,75 g/2 min est considérée comme normale. Il convient toutefois de signaler que ce test n’entre pas dans les critères de classification actuels. Par ailleurs, le test est influencé par l’ingestion de nourriture et de médicaments, l’exposition à des sub­stances nocives, la consommation de chewing-gums, l’âge et le moment de la journée. La sialométrie est une alternative simple et peu onéreuse (et elle fait partie des critères de classification), mais elle dure plus longtemps que le test de Saxon et est par conséquent le plus souvent uniquement réa­lisée dans le cadre de questions d’assurance. Ce test consiste à mesurer le débit salivaire non stimulé en demandant au patient de collecter sa salive durant 15 minutes (une quantité ≤1,5 ml est considérée comme pathologique). La sialographie (représentation du système canalaire des glandes salivaires) et la scintigraphie n’ont plus leur place dans la pratique clinique quotidienne et ne sont dès lors pas abordées dans cet article.

Biopsie

Une biopsie est le plus souvent réalisée sous forme de biopsie mini-invasive des glandes salivaires de la lèvre inférieure sous anesthésie locale. Une alternative est la biopsie de la glande parotide, qui possède une sensibilité et une spécificité comparables [23]. Une biopsie devrait tout particulièrement être envisagée en cas de suspicion clinique de syndrome de Sjögren mais d’auto-anticorps négatifs.
Dans le syndrome de Sjögren primaire, des foyers lymphocytaires (sialadénite lymphocytaire focale) sont retrouvés à la coloration à l’hématoxyline-éosine (HE); il est souhaitable que cette évaluation soit réalisée par un pathologiste expérimenté. Un foyer est composé d’un agrégat d’au minimum 50 lymphocytes et histiocytes par surface de 4 mm2, de localisation péricanalaire ou périvasculaire. Une infiltration mononucléaire des glandes (avant tout composée de cellules T et B et, dans une moindre mesure, de cellules dendritiques et de macrophages) est caractéristique. Dans les lésions légères et de petite taille, l’infiltrat est principalement composé de cellules T CD4-positives, alors que dans les lésions avancées ou sévères, il est principalement composé de cellules B [24]. Un «focus score» d’au minimum 1 par surface de 4 mm2 de tissu glandulaire évalué est requis pour le diagnostic de syndrome de Sjögren primaire (correspond au minimum à un grade 3 de Chisholm et Mason; sensibilité de 60–90% et spécificité de 80–90%). Il convient de noter que les sialadénites non focales non spécifiques sont relativement fréquentes dans la population normale, en particulier chez les personnes âgées. En outre, d’autres maladies auto-immunes et des maladies infectieuses chroniques, comme par ex. l’infection par le VIH, peuvent également provoquer une sialadénite lymphocytaire. Outre les complications usuelles (hématome, gonflement, formation de granulome, cicatrice, formation de chéloïdes, douleurs, infection), les complications potentielles de la biopsie des glandes salivaires labiales consistent avant tout en des troubles sensoriels localisés (transitoires ou permanents) de la région des lèvres et du menton. La fréquence des troubles de la sensibilité est très variable dans la littérature (de <1% à 6–10%) [12, 23]. Les complications potentielles de la biopsie de la parotide incluent les fistules, les sialocèles, les troubles temporaires de la sensibilité dans la région de l’incision ou une lésion du nerf facial. La biopsie parotidienne est plus complexe sur le plan technique mais, d’après des études, elle n’est pas associée à des complications permanentes et son taux de complications est faible lorsqu’elle est réalisée par des professionnels expérimentés [23].
De plus en plus de preuves indiquent que la biopsie peut fournir des informations pronostiques relatives à l’atteinte systémique et au développement d’un lymphome. Ainsi, il a pu être montré qu’un «focus score» élevé était associé à certaines manifestations cliniques (tuméfaction des glandes salivaires, lymphome) et à certains paramètres biochimiques (hypocomplémentémie, avant tout C4, hypergammaglobulinémie, composants monoclonaux circulants, anticorps anti-SSA/anti-SSB) [2, 17, 25]. D’autres études ont révélé que la présence de structures de type centre germinatif à l’histologie était associée à des manifestations systémiques et à la survenue d’un lymphome (valeur prédictive négative de 99% en cas d’absence de structures de type centre germinatif). Il s’est en outre avéré qu’un «focus score» ≥3 était non seulement associé à un risque accru de lymphome, mais également à une survenue plus précoce des lymphomes par rapport à un «focus score» <3 (68 mois vs. 7 ans), ainsi qu’à une plus faible survie [2]. Par ailleurs, il a pu être montré dans une étude récemment publiée qu’un nombre initialement élevé de cellules B CD20-positives dans le parenchyme glandulaire était associé à une meilleure réponse au rituximab et pouvait donc également être interprété comme un marqueur pronostique [26]. Au vu de ces données, ­la question de savoir si une biopsie doit également être réalisée chez les patients chez lesquels le diagnostic a été posé sur la base de l’examen clinique et de l’immunosérologie est actuellement sujette à discussions, car la biopsie peut être utile pour identifier et stratifier les patients avec un pronostic défavorable. Des études supplémentaires sont toutefois nécessaires pour préciser l’intérêt de la biopsie à cet égard. En outre, on ne sait pas encore si les patients présentant des facteurs de pronostic défavorable pourraient profiter d’un traitement de déplétion des cellules B à visée préventive.

Examens d’imagerie

L’échographie des glandes salivaires constitue un instrument relativement récent dans l’évaluation du syndrome de Sjögren primaire. Elle peut être utile pour la pose du diagnostic, est relativement simple à mettre en œuvre, fiable et non invasive. Un volume réduit de la glande submandibulaire (<3 ml) et des inhomogénéités du parenchyme représentent des anomalies spécifiques du syndrome de Sjögren (sensibilité de 69%, spécificité de 92%) [2]. Ainsi, il a récemment pu être montré que l’échographie permettait de faire la distinction entre le syndrome de Sjögren primaire et d’autres affections, telles qu’une maladie associée aux IgG4 ou une collagénose indifférenciée. Il a aussi pu être prouvé que des scores élevés à l’échographie étaient associés à des anticorps anti-SSA/anti-SSB, à un test de Schirmer pathologique et à un débit salivaire non stimulé pathologique, à une xérostomie plus sévère et à une tendance à un focus score plus élevé à la biopsie des glandes salivaires labiales [2]. En outre, l’échographie des glandes salivaires pourrait également être utilisée comme paramètres de suivi de l’évolution afin de documenter la réponse thérapeutique. Le rôle exact de l’échographie doit toutefois encore être précisé dans des études de validation supplémentaires.

Diagnostics différentiels

Le tableau 2 fournit un aperçu des diagnostics différentiels en cas de syndrome de Sjögren primaire.
Tableau 2: Diagnostics différentiels (liste non exhaustive).
Xérostomie / 
XérophtalmieSyndrome de Sjögren
Sarcoïdose
Diabète sucré
MédicamentsAntihypertenseurs 
(par ex. bétabloquants, ­diurétiques)
Antidépresseurs
Neuroleptiques
Benzodiazépines
Antihistaminiques
Radiothérapie dans la région de la tête et du cou
Infections virales, telles que VIH, VHC, HTLV-1
Divers: age, tabagisme, trouble de la respiration nasale, parésie faciale, déficit en vitamine A, lentilles de contact, origine ­psychogène (anxiété, dépression), syndrome fibromyalgique
Hypertrophie bilatérale des glandes ­salivaires Inflammatoire non infectieuseSyndrome de Sjögren
Sarcoïdose
Maladie associée aux IgG4
Granulomatose avec polyangéite
InfectieuseVirale (oreillons, VIH, VHC, EBV, CMV, grippe, ­coxsackie)
Autres: tuberculose, mycose
Métabolique/endocrinienneDiabète sucré
Cirrhose hépatique
Alcoolisme
Pancréatite chronique
Hémochromatose
Boulimie
Acromégalie
Hypogonadisme
Hyperlipoprotéinémie
NéoplasiqueLymphome
Leucémie
Amyloïdose
Toux sèche en cas de ­syndrome de SjögrenPar symptômes de sécheresse
Pneumopathie interstitielle
Reflux
Infection
Médicamenteuse

Diagnostic

Les symptômes de sécheresse précèdent souvent de plusieurs années la pose du diagnostic. Le tableau 3 présente les situations dans lesquelles il convient de songer à un syndrome de Sjögren primaire même lorsque le patient ne fait pas état de symptômes de sécheresse. La mise en évidence d’une auto-immunité, soit par immunosérologie (mise en évidence d’anticorps anti-SSA/anti-SSB) soit par histologie (mise en évidence d’une sialadénite lymphocytaire), est nécessaire à la pose du diagnostic. Un algorithme diagnostique pouvant être utilisé dans la pratique clinique quotidienne est fourni dans la figure 3.
Tableau 3: Situations dans lesquelles il convient de songer à un syndrome de Sjörgen primaire.
CliniqueArthrite
Phénomène de Raynaud
Triade douleurs-sécheresse-fatigue
Tuméfaction des glandes salivaires
Infections des voies respiratoires supérieures ou conjonctivites récidivantes
Carries progressant rapidement
Vascularite leucocytoclasique
Pneumopathie interstitielle
Néphrite interstitielle ou glomérulonéphrite
Interstitielle Nephritis oder Glomerulonephritis
Thyroïdite auto-immune
Myosite
Mère d’un enfant présentant un bloc cardiaque congénital
«Fever of unknown origin» (FUO)
Laboratoire Vitesse de sédimentation élevée
Hypergammaglobulinémie ou taux d’IgG élevé, bande monoclonale dans le sérum ou l’urine
Cytopénies
Auto-anticorps positif
Figure 3: Algorithme diagnostique potentiel pour la pratique clinique quotidienne (d’après Hochberg MC, Silmann AJ, Smolen JJ et al. Rheumatology. 5th ed. Mosby).
Au cours des dernières décennies, plus de 10 critères de classification ont été développés [22]. Il est bien connu que les critères de classification ne doivent pas être assimilés à des critères diagnostiques, car ils possèdent une spécificité élevée, mais pas nécessairement une sensibilité élevée. Ils ont en premier lieu été développés pour être utilisés dans des études, mais sont également utiles dans la pratique quotidienne et peuvent faire office d’«aide-mémoire». Les critères les plus utilisés jusqu’à présent dans la pratique clinique quotidienne sont ceux de l’«American-European Consensus Group» (AECG) de 2002. Ces critères possèdent une sensibilité de 93,5% et une spécificité de 94%. Le tableau 4 présente les critères de classification de l’AECG. D’autres critères de classification ont été élaborés en 2012 par le groupe SICCA («Sjögren’s International Collaborative Clinical Alliance») pour le compte de l’«American College of Rheumatology» (ACR). Ces critères possèdent une sensibilité et une spécificité comparables [22]. Les deux systèmes de critères de classification diffèrent sur certains points. Ainsi, les critères de l’ACR de 2012 se basent exclusivement sur des tests objectifs (contrairement aux critères de l’AECG, qui englobent les symptômes de sécheresse subjectifs); en outre, les anticorps antinucléaires et FR sont intégrés et d’autres critères ont été modifiés (OSS avec vert de lissamine et fluorescéine). Compte tenu des différents critères, il n’est souvent pas simple de comparer les résultats des études. Qui plus est, les manifestations systémiques et ainsi le spectre total de la maladie ne sont pas pris en compte dans ces critères de classification.
Tableau 4: Critères de l’American-European Consensus Group (AECG).
1. Symptômes oculairesYeux secs depuis au moins 3 mois ou
Sensation de corps étranger ou
Utilisation de larmes artificielles plus de 3 fois par jour
2. Symptômes buccauxBouche sèche depuis au moins 3 mois ou
Tuméfaction des glandes salivaires à l’âge adulte ou
Nécessité de boire lors de la consommation de plats secs
3. Anomalies oculairesTest de Schirmer <5 mm en 5 minutes ou
Score de Van Bijsterveld pathologique
4. Histopathologie 
(biopsie des glandes salivaires ­labiales)«Focus score» ≥1
5. Manifestations des glandes ­salivairesScintigraphie des glandes salivaires pathologique ou
Sialographie de la parotide pathologique ou
Débit salivaire non stimulé pathologique <1,5 ml en 15 minutes
6. Auto-anticorpsAnticorps anti-SSA ou anti-SSB positifs
Au moins 4/6 critères exigés, dont au moins un critère des catégories 4 et 6.
Alternativement, les patients sans symptômes de sécheresse peuvent remplir les critères de classification si 3/4 des critères objectifs sont remplis (critères 3-6).
Syndrome de Sjögren secondaire: si le critère 1 ou 2 plus 2 autres critères sont remplis (critères 3, 4, 5).
Critères d’exclusion: antécédents de radiothérapie dans la région de la tête et du cou, infection par VHC, infection par VIH, ­lymphome, GVH, sarcoïdose, médicament anticholinergique.
Pour cette raison, l’ACR et l’EULAR ont publié de nouveaux critères de classification pour le syndrome de Sjögren primaire en 2016 [22]. Ces nouveaux critères sont une compilation des deux systèmes de classification mentionnés ci-dessus et ils possèdent une sensibilité de 96% et une spécificité de 95%. Ces critères, y compris les critères d’inclusion et d’exclusion, sont résumés dans le tableau 5. Ils peuvent être utilisés chez tous les patients présentant au moins un symptôme de sécheresse oculaire ou buccale, ainsi que chez les patients avec suspicion de syndrome de Sjögren en raison de manifestations systémiques (ESSDAI). Une nouveauté réside dans le fait que les patients avec anticorps anti-SSB positifs mais anticorps anti-SSA négatifs et biopsie négative ne remplissent pas les critères. Cette modification est étayée par une étude récemment publiée [27]. Les autres changements par rapport aux critères de classification plus anciens incluent par ex. aussi la suppression de la sialographie et de la scintigraphie, ainsi que la suppression des anticorps antinucléaires et des FR. Les signes systémiques et les biomarqueurs de l’activation des cellules B sont désormais aussi considérés comme des critères (ESSDAI), ce qui permet de diagnostiquer les formes systémiques et précoces, même en l’absence de symptômes de sécheresse.
Tableau 5: Critères de classification ACR/EULAR 2016 pour le syndrome de Sjögren primaire.
 Score
Biopsie des glandes salivaires labiales avec sialadénite lymphocytaire focale et focus score de ≥1/4 mm23
Anticorps anti-SSA positifs3
«Ocular staining score» ≥5 ou score de Van-Bijsterveld ≥4 pour au moins un œil 1
Test de Schirmer ≤5 mm/5 min pour au moins un œil1
Débit salivaire non stimulé ≤0,1 ml/min1
  
Critères de classification remplis en cas de score de ≥4
Les critères d’inclusion doivent être remplis (au moins un symptôme de sécheresse ­oculaire ou buccale) 
 Yeux secs depuis au moins 3 mois ou sensation de corps étranger ou ­utilisation de larmes artificielles plus de 3 fois par jour
 Bouche sèche depuis au moins 3 mois, nécessité de boire lors de la consommation de plats secs
 Suspicion de syndrome de Sjögren selon ESSDAI («EULAR Sjögren’s syndrome ­disease activity index»)
Absence de critères d’exclusion 
 Antécédents de radiothérapie dans la région de la tête et du cou
 Infection par le VHC active (avec PCR positive)
 SIDA
 Sarcoïdose
 Amyloïdose
 «Réaction du greffon contre l’hôte» (GVH)
 Maladie associée aux IgG4
ACR = «American College of Rheumatology», EULAR = «European League Against Rheumatism»

L’essentiel pour la pratique

• Le syndrome de Sjögren primaire est une maladie fréquente, donnant souvent lieu à des atteintes systémiques. Les symptômes de sécheresse peuvent tout particulièrement faire défaut en cas d’évolutions systémiques.
• La mise en évidence d’une auto-immunité, soit par immunosérologie soit par histologie, est nécessaire à la pose du diagnostic.
• Le risque de lymphome est accru tout particulièrement chez les patients séropositifs. Sont considérés comme des facteurs de risque de lymphome un faible complément C4, une cryoglobulinémie, un purpura palpable, une tuméfaction des glandes salivaires, une lymphopénie, des anticorps anti-SSA/anti-SSB positifs et des facteurs rhumatoïdes positifs.
• Les patients présentant la triade clinique sécheresse-fatigue-douleurs ont une qualité de vie nettement diminuée, mais ils présentent globalement moins d’atteintes systémiques et moins d’altérations immunologiques.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Oliver Distler
Klinik für Rheumatologie
UniversitätsSpital Zürich
Gloriastr. 25
CH-8091 Zürich
Oliver.Distler[at]usz.ch
 1 Saraux A, Pers JO, Devauchelle-Pensec V. Treatment of primary Sjogren syndrome. Nat Rev Rheumatol. 2016;12(8):456–71.
 2 Ferro F, et al. One year in review 2016: Sjogren’s syndrome. Clin Exp Rheumatol. 2016;34(2):161–71.
 3 Fox RI, Fox CM. Sjogren Syndrome: Why Do Clinical Trials Fail? Rheum Dis Clin North Am. 2016;42(3):519–30.
 4 Vivino FB, et al. New Treatment Guidelines for Sjogren’s Disease. Rheum Dis Clin North Am. 2016;42(3):531–51.
 5 Callaghan R, et al. Direct healthcare costs and predictors of costs in patients with primary Sjogren’s syndrome. Rheumatology (Oxford). 2007;46(1):105–11.
 6 Barone F, Colafrancesco S. Sjogren’s syndrome: from pathogenesis to novel therapeutic targets. Clin Exp Rheumatol. 2016;34(4 Suppl 98):58–62.
 7 Nakamura H, Kawakami A. What is the evidence for Sjogren’s syndrome being triggered by viral infection? Subplot: infections that cause clinical features of Sjogren’s syndrome. Curr Opin Rheumatol. 2016;28(4):390–7.
 8 Ambrosi A, Wahren-Herlenius M. Update on the immunobiology of Sjogren’s syndrome. Curr Opin Rheumatol. 2015;27(5):468–75.
 9 Nocturne G, Mariette X. Advances in understanding the pathogenesis of primary Sjogren’s syndrome. Nat Rev Rheumatol. 2013;9(9):544–56.
10 Reksten TR, Lessard CJ, Sivils KL. Genetics in Sjogren Syndrome. Rheum Dis Clin North Am. 2016;42(3):435–47.
11 Brito-Zeron P, et al. Treating the Underlying Pathophysiology of Primary Sjogren Syndrome: Recent Advances and Future Prospects. Drugs. 2016;76(17):1601–23.
12 Rischmueller M, Tieu J, Lester S. Primary Sjogren’s syndrome. Best Pract Res Clin Rheumatol. 2016;30(1):189–220.
13 Thompson N, et al. Exploring BAFF: its expression, receptors and contribution to the immunopathogenesis of Sjogren’s syndrome. Rheumatology (Oxford). 2016;55(9):1548–55.
14 Schiffman RM, et al. Utility assessment among patients with dry eye disease. Ophthalmology. 2003;110(7):1412–9.
15 Brito-Zeron P, Ramos-Casals M, and E.-S.t.f. group. Advances in the understanding and treatment of systemic complications in Sjogren’s syndrome. Curr Opin Rheumatol. 2014;26(5):520–7.
16 Ramos-Casals M, et al. Characterization of systemic disease in primary Sjogren’s syndrome: EULAR-SS Task Force recommendations for articular, cutaneous, pulmonary and renal involvements. Rheumatology (Oxford). 2015;54(12):2230–8.
17 Fisher BA, et al. A review of salivary gland histopathology in primary Sjogren’s syndrome with a focus on its potential as a clinical trials biomarker. Ann Rheum Dis. 2015;74(9):1645–50.
18 Fayyaz A, Kurien BT, Scofield RH. Autoantibodies in Sjogren’s Syndrome. Rheum Dis Clin North Am. 2016;42(3):419–34.
19 Seror R, et al. European League Against Rheumatism Sjogren’s Syndrome Disease Activity Index and European League Against Rheumatism Sjogren’s Syndrome Patient-Reported Index: a complete picture of primary Sjogren’s syndrome patients. Arthritis Care Res (Hoboken). 2013;65(8):1358–64.
20 Seror R, et al. Validation of EULAR primary Sjogren’s syndrome disease activity (ESSDAI) and patient indexes (ESSPRI). Ann Rheum Dis. 2015;74(5):859–66.
21 Theander E, et al. Prediction of Sjogren’s Syndrome Years Before Diagnosis and Identification of Patients With Early Onset and Severe Disease Course by Autoantibody Profiling. Arthritis Rheumatol. 2015;67(9):2427–36.
22 Shiboski CH, et al. 2016 American College of Rheumatology/European League Against Rheumatism classification criteria for primary Sjogren’s syndrome: A consensus and data-driven methodology involving three international patient cohorts. Ann Rheum Dis. 2017;76(1):9–16.
23 Spijkervet FK, et al. Parotid Gland Biopsy, the Alternative Way to Diagnose Sjogren Syndrome. Rheum Dis Clin North Am. 2016;42(3):485–99.
24 Barone F, et al. The value of histopathological examination of salivary gland biopsies in diagnosis, prognosis and treatment of Sjogren’s Syndrome. Swiss Med Wkly. 2015;145:p.w14168.
25 Carubbi F, et al. Is minor salivary gland biopsy more than a diagnostic tool in primary Sjogrens syndrome? Association between clinical, histopathological, and molecular features: a retrospective study. Semin Arthritis Rheum. 2014;44(3):314–24.
26 Delli K, et al. Towards personalised treatment in primary Sjogren’s syndrome: baseline parotid histopathology predicts responsiveness to rituximab treatment. Ann Rheum Dis. 2016;75(11):1933–8.
27 Baer AN, et al. The SSB-positive/SSA-negative antibody profile is not associated with key phenotypic features of Sjogren’s syndrome. Ann Rheum Dis. 2015;74(8):1557–61.