Pneumopathie d’hypersensibilité
De la dyspnée dans le décor

Pneumopathie d’hypersensibilité

Fallberichte
Édition
2017/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03111
Forum Med Suisse 2017;17(44):960-963

Affiliations
a Fondation de Nant, Corsier-sur-Vevey;
b Service de médecine interne, Hôpital Riviera-Chablais, Vaud-Valais, Vevey
c Service de pneumologie, CHUV Lausanne

Publié le 31.10.2017

Introduction

La pneumopathie d’hypersensibilité (PHS) est une maladie pulmonaire interstitielle secondaire à l’expo­sition et à la sensibilisation à un antigène inhalé. Les antigènes incriminés sont variés et habituellement classés en 4 groupes: aviaires, microbiens (bactériens ou mycotiques), chimiques (composants organiques dans la nature) ou non identifiés [1]. La présentation clinique de la PHS peut être aiguë, subaiguë ou chronique, mais elle est souvent un ensemble de ces formes de manifestation [2]. L’incidence de la PHS a été estimée à 0,9 cas par 100 000 personnes/an. Par rapport à la ­population générale, le risque de décès est 3 fois plus élevé [3]. Les manifestations cliniques de la PHS sont variables: les patients signalent une dyspnée et/ou une toux, accompagnées de sibilances et parfois d’un état fébrile et d’une sensation de mal-être. Le tableau clinique peut durer quelques heures, plusieurs semaines ou ­devenir chronique, en relation temporelle avec l’ex­position à l’antigène. Les critères diagnostiques de la maladie sont basés sur l’exposition à un antigène, la clinique, l’imagerie, associés ou non à la présence d’anticorps IgG précipitants (précipitines) et un lavage broncho-alvéolaire ou une histopathologie compatibles. Ces critères ne sont pas uniformisés, ce qui complique le diagnostic [4]. D’autre part, la prise en charge et le traitement des patients avec une maladie chronique évoluant vers une fibrose pulmonaire sont un défi pour les cliniciens. La réaction fibrotique dans la PHS est différente de celle de la fibrose pulmonaire idiopathique.

Présentation du cas

Anamnèse

Le patient de 66 ans est un professeur de gymnastique à la retraite, en bonne santé habituelle. Il présente un tabagisme chronique actif à 30 UPA et n’a aucune allergie connue. Il vit dans la même maison depuis plus de 25 ans. Il utilise un humidificateur depuis quelques mois. Le patient n’est pas connu pour une maladie cardio-pulmonaire ni pour un reflux gastro-oesophagien. Il n’a pas fait de voyage récemment. Le père du patient est décédé d’une maladie pulmonaire chronique.
Depuis environ un mois, le patient présente une dyspnée de stade II selon NYHA (stade 2 selon mMRC), évoluant rapidement jusqu’à un stade IV NYHA (stade 5 mMRC) avec perte d’appétit et baisse de l’état général. Il a présenté trois épisodes subfébriles à maximum 38,2 °C au cours du mois précédent.
Au cabinet du médecin traitant, on met en évidence un syndrome inflammatoire important (leucocytes à 15,7 G/l, déviation gauche et CRP à 216 mg/l). Un CT thoracique exclut une embolie pulmonaire mais révèle un emphysème et des infiltrats bi-apicaux en verre dépoli (fig. 1, 2A–C). On pose un diagnostic de pneumonie et une antibiothérapie par macrolides et céphalosporine (14 jours) est prescrite en ambulatoire, mais on n’observe aucune amélioration clinique ni biologique et le patient est hospitalisé.
Figure 1: Thorax initial: Reconstruction du thorax au scanner d’entrée.
Figure 2: CT thorax avant traitement: coupe à l’apex des lobes supérieurs (A), coupe à ­travers les lobes supérieurs (B) et coupe à la base des lobes supérieurs (C).

Status et résultats

A l’entrée, le patient est afébrile (température 36,4 °C) avec une tension artérielle à 118/74 mm Hg et une fréquence cardiaque à 101/min. La fréquence respiratoire est à 31/min avec une SpO2 à l’air ambiant à 85%. L’auscultation pulmonaire met en évidence des râles crépitants et des sibilances expiratoires diffuses.
Le syndrome inflammatoire s’est aggravé malgré le traitement antibiotique: leucocytes 26,7 G/l sans déviation gauche, CRP 243 mg/l, procalcitonine 0,14 μg/l et VS 88 mm. La gazométrie artérielle sous FiO2 21% montre un pH à 7,44, pO2 53 mm Hg, pCO2 38 mm Hg, HCO3 25 mmol/l, «base excess» 1,3 mmol/l et lactates 1,1 mmol/l. L’hémoglobine est à 127 g/l. Le dépistage HIV est négatif.
Le scanner thoracique est répété, 3 semaines après le premier, et montre des images en verre dépoli aux deux lobes supérieurs, des infiltrats avec accentuation des septas interlobulaires à prédominance subpleurale de façon diffuse et des bronchiectasies. Il n’y a pas de lésion focale ou de nodule ni d’adénopathie dans les différentes aires ganglionnaires thoraciques. Il n’y a pas d’épanchement pleuro-péricardique. Par rapport au comparatif, on observe une diminution des infiltrats en verre dépoli des apex et une augmentation d’infiltrats en verre dépoli avec nette progression de l’épaississement des septas sur les deux plages pulmonaires, à prédominance dans les lobes supérieurs.
La bronchoscopie montre une trachéo-bronchite et le lavage broncho-alvéolaire met en évidence une répartition cellulaire avec 8% de macrophages (norme >85%), 84% de neutrophiles (norme <3%), 0% d’éosinophiles (norme <0,5%), 6% de lymphocytes (norme <12%), 1% de cellules bronchiques (norme <10%) et 1% de cellules ­pavimenteuses. Les recherches de virus et de bactéries, y compris la tuberculose, sont négatives.
Les fonctions pulmonaires montrent un syndrome obstructif avec une capacité vitale (CV) 2,43 litres (71% de la valeur prédite), une capacité vitale forcée (CVF) 2,28 l (69%), un volume expiré maximal en 1 sec (VEMS) 1,40 l (54%), VEMS/CV max 58% (77%), DEM 25–75 0,78 l/s (26%) et DEP 5,02 l/s (69%). A noter que la capacité pulmonaire totale (CPT) 1 semaine après l’hospitalisation est de 5,11 l, soit 85% de la valeur prédite, et qu’elle est à 5,95 l (99% du prédit) 1 mois plus tard.

Traitement

Le tableau clinique – l’anamnèse environnementale, ­l’absence d’agent infectieux identifié et l’absence de réponse aux antibiotiques – font évoquer un processus inflammatoire non infectieux, en particulier une pneumopathie d’hypersensibilité. Dans cette hypothèse, une corticothérapie systémique est introduite et l’antibiothérapie est arrêtée. La posologie initiale de la prednisone est de 0,5 mg/kg par jour. Le patient acceptant d’arrêter de fumer, une consultation de tabacologie est réalisée avec mise en place d’une substitution nicotinique. L’évolution clinique est favorable avec une diminution de sa dyspnée et une meilleure tolérance à l’effort.

Evolution

Le patient est ensuite vu à la consultation spécialisée des pneumopathies interstitielles du CHUV. Durant les trois mois suivant l’hospitalisation, il reste stable sous corticothérapie per os, avec une dyspnée de stade II (NYHA), sans autre symptomatologie respiratoire ni systémique.
Les fonctions pulmonaires, répétées à 10 jours et à un mois et demi de la fin de l’hospitalisation, montrent seulement un trouble de la diffusion de degré moyen avec un DLCO stable à 58%.

Le diagnostic différentiel

A ce stade, nous formulons un diagnostic différentiel: le lavage broncho-alvéolaire neutrophilique évoque en premier lieu une pneumopathie infectieuse. L’absence de germe identifié, la procalcitonine normale à l’admission et l’échec des traitements antibiotiques tentés par le médecin traitant rendent toutefois ce diagnostic peu probable. L’imagerie en verre dépoli avec des lésions réticulaires sous-pleurales peut également évoquer une pneumopathie interstitielle non-spécifique (NSIP), mais le lavage broncho-alvéolaire parle contre cette hypothèse. Une pneumopathie organisée cryptogénique (COP) n’est pas compatible avec le lavage broncho-alvéolaire. Nous n’avons pas d’éléments en faveur d’une sarcoïdose. Le bilan auto-immun, comprenant facteur rhumatoïde, anticorps anti-nucléaires, anticorps anti-CCP, ANCA et anticorps associés aux polymyosites, revient négatif et le dosage des immunoglobulines IgG totales et sous-classes d’IgG est normal hormis la sous-classe IgG2, légèrement abaissée. Il n’y a pas d’argument pour un déficit immunitaire.

Le diagnostic probable

La recherche de précipitines spécifiques aux microorganismes des humidificateurs revient positive (Ac. Anti-­Micropolyspora faeni positifs à 25,5 mg/l, seuil à <10 mg/l) avec une anamnèse d’exposition préalable aux symptômes. La réponse clinique est rapidement favorable à l’éviction de l’humidificateur et au traitement corticoïde. Cela évoque en premier lieu le diag­nostic de pneumopathie d’hypersensibilité aiguë sur humidificateur à domicile.
Le CT-scan thoracique – deux mois après l’hospitalisation – montre une résolution quasi-complète des opacités (fig. 3A–C). L’évolution radiologique est donc aussi suggestive du diagnostic précité. Trois mois après le séjour hospitalier, le patient est toujours stable cliniquement, avec une dyspnée de stade II sous prednisone 15 mg/j.
Figure 3: CT thorax après traitement: coupe à l’apex des lobes supérieurs (A), coupe à ­travers les lobes supérieurs (B) et coupe à la base des lobes supérieurs (C).

Discussion

Le patient présente une dyspnée en progression après l’installation d’un humidificateur à son domicile. Les examens ont montré des précipitines sériques contre les antigènes d’humidificateur avec une image tho­racique de pneumopathie interstitielle. L’évolution est favorable après la suppression de l’humidificateur de l’environnement du patient et l’instauration d’un traitement de prednisone.
Malgré l’absence de critères diagnostiques uniformément acceptés pour la PHS dans la littérature, de nombreux critères sont présents chez ce patient, nous permettant d’évoquer le diagnostic [5]. Il existe dans ce cas un élément discordant: le lavage broncho-alvéolaire montre une prédominance neutrophilique. Classiquement, une lymphocytose, supérieure à 20% voire 50%, est présente dans la PHS. Nous l’expliquons par la forme très aiguë de la maladie. Au niveau des fonctions pulmonaires, elles montrent d’abord un syndrome obstructif qui se corrige par la suite, sous traitement corticoïde. L’exploration fonctionnelle respiratoire peut montrer dans cette affection un syndrome obstructif, restrictif voire une atteinte mixte et la capacité de diffusion du CO est fréquemment abaissée, comme pour notre cas clinique. La PHS ne se présente que très rarement avec l’ensemble de ses caractéristiques classiques chez un patient donné.
La littérature sur la PHS est surtout basée sur des études concernant l’environnement agricole (poumon du fermier) et l’exposition aviaire (maladie des éleveurs de pigeons). Il semblerait que la PHS soit en fait beaucoup plus prévalente qu’on le pensait initialement. Cette étude de cas apporte un éclairage sur la PHS sur humidificateur, une des variantes modernes de la maladie qui peut donc être associée aux systèmes d’eau et de ventilation, mais également à l’industrie chimique, à celle des peintures et des textiles entre autres.
L’absence de test plus sensible et spécifique que la recherche de précipitines pour les antigènes des humidificateurs est un point faible pour le diagnostic. En effet, ce test n’est pas reconnu comme un critère diagnostique fiable en raison de nombreux faux positifs par ancien contact avec les antigènes concernés.
D’un point de vue physiopathologique, la maladie provient de la relation entre un allergène inhalé et un hôte. Seul un petit nombre de personnes développent la maladie après le contact antigénique.
Cela dépend de facteurs promoteurs génétiques et environnementaux chez l’hôte. L’anamnèse d’infections virales à répétition ou d’exposition préalable à des ­pesticides sont des facteurs promoteurs de l’environnement. Une fois le contact établi avec un hôte susceptible de développer la maladie, une réaction à complexes immuns (type III) se développe dans la forme aiguë de PHS. Dans la PHS de forme subaiguë ou chronique, il s’agit d’une réaction à lymphocytes T (type IV) de type Th1. Contrairement aux personnes ayant une tolérance immune normale à l’antigène, l’hôte développe alors une alvéolite aiguë qui, en présence de cytokines Th1 telles que TNF alpha, IL-12 et interféron-gamma, peut évoluer vers une inflammation chronique granulo­mateuse, voire une fibrose. L’éviction de l’antigène de l’environnement de l’hôte est la pierre angulaire du traitement de la pneumopathie d’hypersensibilité, qu’elle soit aiguë, subaiguë ou chronique. L’amélioration clinique escomptée par la suite est notamment liée à la présence ou non de fibrose. La corticothérapie est indiquée pour diminuer l’inflammation, accélérant en général l’amélioration clinique, mais elle n’améliore pas le pronostic à long terme.
D’autres classifications de la maladie ont été proposées comme celle de Selman, basée sur le comportement clinique: maladie aiguë non progressive et intermittente, aiguë progressive ou subaiguë, chronique non progressive et chronique progressive [2]. A noter qu’il y a un chevauchement entre ces sous-types de PHS et également entre la PHS et les autres types de pneumopathies interstitielles.
D’après une récente publication, la meilleure classifi­cation reposerait simplement sur la présence ou non de fibrose, ainsi que sur son degré d’extension au niveau pulmonaire, à la biopsie et au scanner. La fibrose influence très défavorablement la réponse au traitement et le pronostic de la PHS [1].
Vu la difficulté du diagnostic, une anamnèse environnementale très détaillée, des examens paracliniques pertinents et pour certains répétés dans le temps sont primordiaux, tout comme le recours au pneumologue spécialiste des pneumopathies interstitielles.

L’essentiel pour la pratique

• La pneumopathie d’hypersensibilité est une maladie pulmonaire inter­stitielle provoquée par l’inhalation d’antigènes provenant de l’environnement du patient.
• L’anamnèse environnementale est très importante lors d’un tableau clinique caractérisé par une dyspnée, de la toux et des sibilances, avec ou sans état fébrile associé. Elle peut suggérer une pneumopathie d’hyper­sensibilité.
• La suppression de la source d’antigènes responsable de la maladie (dans notre cas, l’humidificateur) est l’action thérapeutique indispensable dans la prise en charge de la pneumopathie d’hypersensibilité.
Remerciements à Dr Pascaline Coulon Denogent et à M. Philippe Spring pour leur aide pour l’appréciation radiologique du cas et l’iconographie.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Adrien Bussard
Fondation de Nant
Route de Nant
CH-1804 Corsier-sur-Vevey
adrien.bussard[at]gmail.com
1 Salisbury ML, Myers JL, Belloli EA, Kazerooni EA, Martinez FJ, Flaherty KR. Diagnosis and treatement of fibrotic hypersensitivity pneumonia. Where we stand and where we need to go. Am J Respir Crit Care Med. 2017;196(6):690–9.
2 Selman M, Pardo A, King TE Jr. Hypersensitivity pneumonitis: insights in diagnosis and pathobiology. Am J Respir Crit Care Med. 2012;186(4):314–24.
3 Solaymani-Dodaran M, West J, et al. Extrinsic allergic alveolitis: incidence and mortality in the general population.
QJM. 2007;100:233–7.
4 Wuyts W, Sterclova M, Vasakova M. Pitfalls in diagnosis and management of hypersensitivity pneumonitis. Curr Opin Pulm Med. 2015;21:490–8.
5 Lacasse Y, Cormier Y. Hypersensitivity pneumonitis. Orphanet Journal of Rare Diseases. 2006;1:25.