Malnutrition à l’hôpital – il est temps d’agir!?
Implémenter la nutrition assistée dans le traitement sur la base des preuves et des besoins du patient

Malnutrition à l’hôpital – il est temps d’agir!?

Editorial
Édition
2018/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03222
Forum Med Suisse 2018;18(11):245-246

Affiliations
FMH Endokrinologie-Diabetologie, Basel

Publié le 21.03.2018

La malnutrition associée à la maladie est de plus en plus fréquente de nos jours, car les maladies chroniques ont souvent une évolution longue et, dans de nombreux cas, notamment chez la proportion toujours plus importante de personnes âgées, elles s’accompagnent de comorbidités. Ainsi, il est estimé que des signes de malnutrition sont présents chez 20–60% des patients de médecine interne hospitalisés (en fonction de la définition et du groupe de personnes étudié).
Malgré ce constat récurrent, il est fréquent que la malnutrition ne soit pas systématiquement détectée et traitée dans le quotidien clinique.
Cela doit changer. Dans l’article de Zurfluh et al. dans ce numéro du Forum Médical Suisse, les lignes directrices suisses et européennes relatives à la détection et au traitement systématiques de la malnutrition chez les patients de médecine interne polymorbides sont présentées [1]. Elles se basent sur un consensus d’experts en nutrition, qui se sont mis d’accord sur ces lignes ­directrices applicables dans la pratique. Lorsque cela était possible, les différents points se sont vu attribuer un niveau de preuve.

Pourquoi ces lignes directrices sont-elles nécessaires et les recomman­dations nutritionnelles trop peu appliquées?

Une des raisons est probablement le fait que les données scientifiques concernant l’efficacité des traitements nutritionnels sont habituellement relativement maigres. Le traitement nutritionnel clinique est sujet à des «biais»; par exemple, les individus pouvant être traités sont souvent des personnes plutôt en bonne santé. Cette argumentation est corroborée par des données d’études relativement petites qui montrent qu’un traitement de la malnutrition par suppléments nutritionnels oraux sous forme d’alimentation buvable s’accompagne d’un meilleur pronostic [2]. Cela pourrait, du moins en partie, être lié au fait que les patients moins malades sont plus disposés à accepter les suppléments que les patients gravement malades. Il est également trompeur d’associer directement la présence d’une malnutrition à une mortalité accrue [3]; la malnutrition est bien plus souvent le signe de la gravité d’une affection. En fonction de la maladie de base, le traitement de la malnutrition n’améliorera pas forcément le pronostic.
Au cours de la dernière décennie, des nouvelles connaissances considérables ont été acquises concernant l’efficacité de la nutrition des patients gravement malades au sein des unités de soins intensifs grâce à de vastes études contrôlées et randomisées. Celles-ci ont parfois livré des résultats surprenants; citons pour exemple l’étude EpaNic, dans laquelle la guérison de patients en soins intensifs chez qui l’alimentation parentérale avait été mise en place précocement n’était pas plus rapide que chez les patients chez qui cette alimentation avait été mise en place plus tardivement mais, au contraire, retardée [4]. D’autres études menées en unités de soins intensifs n’ont, elles non plus, montré aucun effet bénéfique d’un traitement nutritionnel précoce [5]. Une étude suisse a certes montré une plus faible fréquence des infections nosocomiales dans une certaine fenêtre temporelle après l’admission en unité de soins intensifs en cas d’alimentation parentérale assistée [6], mais l’évolution n’était au demeurant pas plus favorable. Ces études indiquent que «l’intuition» selon laquelle un traitement nutritionnel actif en cas de malnutrition améliore le pronostic n’est pas toujours juste.
Elles montrent la voie à suivre: Il est nécessaire de réaliser davantage de grandes études randomisées sur le traitement nutritionnel, y compris chez les patients ne se trouvant pas en soins intensifs. Actuellement, une telle étude est en cours chez des patients de médecine interne polymorbides en Suisse (étude EFFORT [7]) et nous attendons les résultats avec impatience.
Une autre raison expliquant la réserve vis-à-vis de la nutrition assistée réside dans sa dimension éthique. Cet aspect n’est pas vraiment abordé dans les lignes ­directrices mentionnées. L’identification de la malnutrition et son traitement ne sont pas seulement une ­affaire technique. L’alimentation implique une importante dimension psychologique et personnelle; ne pas pouvoir ou vouloir manger (suffisamment) est souvent l’expression d’une affection grave. La volonté et le souhait du patient de bénéficier d’un traitement nutritionnel actif font parfois défaut. Par conséquent, en cas de recommandation, le souhait du patient est décisif quant à la question de savoir s’il faut ou non initier une intervention qui peut éventuellement provoquer des effets indésirables gastro-intestinaux, telle que la nutrition par sonde [8].
De plus en plus de patients arrivent à la clinique avec des directives anticipées. La question de la mise en place éventuelle d’une alimentation artificielle en cas de maladie grave constitue un élément central dans ces directives anticipées, à l’exemple de celles de la FMH et de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) [9]. Le patient consigne par écrit s’il accepte ou non la mise en place d’une alimentation artificielle. En outre, les ­directives de l’ASSM relatives aux soins palliatifs [10] indiquent qu’en cas de maladie grave de stade avancé, il est relativement fréquent qu’il n’y ait plus de besoin de liquide ou de nourriture et que la mise en place d’une hydratation artificielle nécessite une mise en ­balance minutieuse de l’effet escompté et des effets indésirables.
L’«American Geriatrics Society» déconseille formellement la mise en place d’une nutrition par sonde en cas de démence de stade avancé [11].
Malgré tout, il reste évident que, rien que sur la base de considérations physiologiques fondamentales, un état de malnutrition aura des conséquences négatives pour le patient à long terme. Pour que la malnutrition puisse être reconnue et traitée, des instructions claires quant à la marche à suivre, comme celles de Zurfluh et al., sont nécessaires. Il serait également souhaitable que ces lignes directrices trouvent une vaste application dans les hôpitaux. Toutefois, il est également clair que ceci n’est que le début des efforts visant à implémenter la nutrition assistée dans le traitement des patients hospitalisés, sur la base des preuves et des besoins de ces derniers.
L’auteur n’a pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. emer. Dr méd. ­Ulrich Keller
FMH Endokrinologie-­Diabetologie
Missionsstr. 24
CH-4055 Basel
ulrich.keller[at]quickline.ch