Identification et gestion de l'erreur en médecine de premier recours
Les principaux enjeux de la sécurité des patients

Identification et gestion de l'erreur en médecine de premier recours

Übersichtsartikel
Édition
2018/1314
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03234
Forum Med Suisse 2018;18(1314):297-303

Affiliations
Policlinique médicale universitaire, Lausanne

Publié le 28.03.2018

La solitude du praticien pèse sur sa capacité à affronter une erreur et impose une gestion transparente et systémique de la situation, complétée par la recherche active du soutien des pairs.

Introduction

Les systèmes de santé ont pour objectif de maintenir ou améliorer la santé de la population en lui permettant d’accéder à des soins efficients et sûrs. Il arrive cependant qu’une erreur survienne durant le processus de prise en charge, pouvant entraîner une surmorbidité, voire une surmortalité au coût élevé [1]. Un coût humain d’abord, pour le patient et pour les soignants impliqués, mais aussi un coût en termes d’image pour le cabinet ou l’institution concernée, et un coût économique en cas de dommage. Autant de raisons pour lesquelles la sé­curité des patients est devenue aujourd’hui un enjeu majeur pour les organisations médico-sanitaires.
Jusque dans les années 2000, la plupart des études et revues sur ce thème concernaient l’hôpital. Elles mettaient en évidence la fréquence des erreurs en pratique hospitalière, avec environ un patient sur dix victime d’un événement indésirable pendant son séjour, dont la moitié évitables [2]. Depuis une dizaine d’années, on note un intérêt croissant pour la sécurité des patients en pratique ambulatoire, et plus particulièrement en médecine de premier recours (MPR).
Néanmoins, la recherche sur ce domaine au cabinet reste difficile: le patient n’est pas observé durant les jours qui suivent un geste médical ou un changement de traitement, et l’interprétation de ce qu’est une erreur varie selon que l’on observe l’évènement sous l’angle du patient, de ses proches, du médecin, ou encore de la justice [3]. Si on ajoute à ceci la grande variabilité dans les systèmes de santé d’un pays à l’autre, ainsi que l’hétérogénéité dans la définition de l’erreur, on comprend pourquoi les données épidémiologiques sont extrêmement variables. La survenue d’un incident en pratique de premier recours va de 5–80 pour 100 000 consultations, à 2–3 pour 100 consultations, selon les auteurs [4, 5]. Il est donc très difficile de mesurer précisément la dimension du problème, mais les indices sont suffisants pour considérer cette problématique comme significative, également en Suisse.

Définition

Il y a de nombreuses définitions de l’erreur médicale, et différentes façons de considérer si une situation répond à la définition de l’erreur médicale ou pas. Cette hétérogénéité rend la comparaison entre les études difficile. Nous proposons de retenir la plus répandue et communément acceptée, et qui nous est proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [6]:
«Une erreur médicale est l’exécution d’une action non conforme à l’action prévue, ou l’application d’un plan incorrect.»
Cette définition a l’avantage de mettre en relief les 2 grandes catégories d’erreur médicales:
«erreurs d’exécution», où le plan proposé est bon mais son exécution n’est pas correcte (oubli, méprise, maladresse, etc.);
«erreurs de planification», où le plan proposé est faux (erreur de diagnostic).

Classification

Parmi les nombreuses classifications existantes [7, 8], certaines sont établies selon le dommage subit [9]. ­Cependant, les mécanismes impliqués dans la survenue d’une erreur sont indépendants des conséquences éventuelles de l’erreur, mais tout à fait déterminants dans l’analyse ultérieure de l’évènement. Il nous semble donc préférable de classer les erreurs selon le mécanisme de survenue, ou l’étape concernée dans la prise en charge.
En 2002, Elder et Dovey proposent une classification intéressante avec 3 catégories principales en fonction du «domaine» concerné, où chaque erreur peut relever d’un ou plusieurs parmi 4 processus (tab. 1) [10].
Tableau 1: Classification des erreurs en médecine de premier recours (inspiré de Elder et Dovey [10]).
Domaine concernéDiagnostic
Traitement
Prévention
Processus impliquéClinique
Communication
Administration
Facteurs extérieurs (sociaux, financiers, assurances, ­­système de santé, etc.)

Types d’erreurs en MPR

En 2013, Sokol synthétise un travail de 10 ans de l’Association médicale américaine (AMA) qui a identifié les principales erreurs en MPR (tab. 2) [11].
Tableau 2: Types d’erreurs en médecine de premier recours (inspiré de Sokol [11]).
Erreur de médicationFaux médicament, dosage erroné, interactions
Erreur de diagnosticDiagnostics manqués, incorrects, tardifs
Erreur de laboratoire Échantillons inversés, perdus, retard dans le traitement des résultats, manque de suivi
Erreur de connaissance clinique Diagnostic différentiel insuffisant, lacunes thérapeutiques
Erreur de communication Faible littératie en santé, pression du temps, paternalisme
Erreur administrative Erreur d’agenda, de dossier
En 2015, les européens de la LINNEAUS Collaboration («Learning from International Networks about Errors and Understanding Safety in Primary Care») confirment cette liste, en identifiant les domaines suivants comme les principaux enjeux de la sécurité des patients en MPR [12]:
– diagnostic;
– médication;
– communication;
– organisation.
On retrouve fréquemment les 2 premiers domaines parmi les principales erreurs au cabinet [3], et parmi celles grevées des conséquences les plus sévères [4].
Selon une étude de 2013 [13], les erreurs de diagnostic surviennent principalement chez les patients les plus âgés et sont indépendantes de la pratique du médecin concerné (hospitalier, en cabinet, médecins assistants supervisés, etc.).
Les erreurs de médication en Suisse seraient responsables d’environ 7% des hospitalisations [14, 15]. Les facteurs prédisposant à ces erreurs sont l’âge (<15 ans, >65 ans), la polymorbidité et la polymédication, un environnement professionnel du médecin défavorable, et le manque de lisibilité de l’ordonnance et d’accès aux documents de références [16]. La prescription électronique pourrait donc être une piste d’amélioration significative [17].

Identification des erreurs

La gestion d’une erreur commence par son identification. L’ensemble des collaborateurs d’une institution ou d’un cabinet devraient donc être encouragés à déclarer les erreurs qu’ils ont constatées ou dans lesquelles ils ont été impliqués, en instaurant une culture de sécurité des patients favorable à de telles déclarations, et en mettant à disposition des outils facilitant la déclaration. Un environnement favorable à la révélation des erreurs suppose une attitude non jugeante et soutenante de la part de la hiérarchie. Les responsables du cabinet ou de l’institution doivent être le ­moteur du processus de gestion des erreurs et une ­démarche de gestion de type «systémique» plutôt qu’«individelle» doit être adoptée. Parmi les outils fa­cilitant la déclaration, on peut citer les formulaires d’annonce d’incidents et les colloques d’équipes sur le modèle «morbidité & mortalité». Pour être attractifs, les systèmes de déclaration doivent être faciles et rapides à remplir et le bénéfice pour celui qui rapporte doit être perceptible [18, 19].
Les systèmes externes de déclaration d’incidents critiques (CIRS, de l’anglais «Critical Incident Reporting System»), comme ceux mis à disposition des médecins par la FMH (https://www.cirsmedical.ch) ou par la Fondation pour la Sécurité des Patients (https://www.cirrnet.ch/) ont également leur place, de même que les cercles de qualité (CQ). Ces 2 outils proposent un cadre très favorable à l’échange, aux réflexions et à l’analyse en profondeur des erreurs, pour autant que des règles de confidentialité et de non-jugement soient posées dès le départ et respectées par tous les participants (tab. 3) [20–24]. Déclarer les erreurs et évènements indésirables à ses pairs dans les CQ permet de réaliser que la même situation leur est déjà arrivée, ou aurait pu leur arriver. Les CQ constituent une précieuse source d’enseignement et enrichissent l’analyse de l’évènement, optimisant ainsi les mesures correctrices qui permettront de réduire le risque de récidive de l’erreur.
Tableau 3: Caractéristiques d’un système de report d’incidents critiques réussi (inspiré de Leape [20] et adapté de Cohen, Connel, Cohen et Gaynes [21–24]).
CaractéristiquesExplications
Non-punitifLes «rapporteurs» ne craignent pas de sanction suite au rapport
ConfidentielLes identités des patients, rapporteur et institution ne sont pas révélés à des tiers
IndépendantLe programme est indépendant de toute autorité avec pouvoir de sanctionner le rapporteur ou ­l’institution
ExpertiséLes rapports sont analysés par des experts qui comprennent les circonstances cliniques et sont entraînés à identifier les causes issues du système
RapideLes rapports sont analysés rapidement et des recommandations sont rapidement diffusées, ­particulièrement quand des incidents graves sont identifiés
Orienté «système»Les recommandations sont orientées sur des changements dans le système, les processus ou les ­produits, plutôt que sur la performance des individus
RéactifL’agence qui reçoit les rapports est capable de diffuser des recommandations, et les organisations ­participantes acceptent d’implanter les recommandations dès que possible
Quelles sont les situations qui devraient être rapportées dans les CIRS ou les CQ? Toute situation dont la ­déclaration peut faciliter la gestion des erreurs (ci-­dessous). Les «near misses» ou «quasi-évènements» en font partie. Ce sont des erreurs qui n’ont eu aucune conséquence pour le patient. Ces situations sont beaucoup plus fréquentes que les évènements indésirables et ont donc un potentiel pédagogique très important. L’absence de conséquence pour le patient limite l’émotion qui accompagne habituellement les évènements indésirables, ce qui favorise la déclaration et les échanges libres et transparents [25, 26]. 


Comment réagir en cas d’erreur?

La réaction à adopter lorsque survient une erreur devrait être guidée par 3 objectifs (tab. 4) [27–29]:
Tableau 4: Les 3 principaux objectifs de la gestion de l’erreur (inspiré de Torppa, Mira et Wu [27–29]).
Limiter ou réduire l’impact de l’erreur sur le patient
Réduire l’impact de l’erreur sur les soignants impliqués et sur le cabinet ou l’institution
Réduire le risque de récidive de la même erreur

Première victime

La première préoccupation de l’équipe soignante lorsqu’une erreur est constatée, est d’évaluer quelle est, ou pourrait être, la conséquence pour le patient:
1. Y a-t-il, ou peut-il y avoir apparition d’un évènement indésirable/dommage?
2. Quelle est, ou peut être, la nature et la gravité de cet évènement?
3. Quelles sont les mesures d’urgence à prendre?

Information

Lorsque toutes les mesures cliniques visant à la sécurité du patient ont été prises, il faut informer le patient et/ou ses proches de ce qui s’est passé. L’information doit être transparente, complète, empathique et factuelle. Elle est transmise en plusieurs étapes, au fur et à mesure de l’avancée de «l’analyse de l’erreur», mais il est essentiel d’informer très rapidement le patient et/ou sa famille qu’un incident s’est produit [30]. Les victimes comprennent et pardonnent d’autant plus facilement une erreur médicale qu’elle permet d’éviter à d’autres patients de subir le même évènement. Il est donc très important que l’équipe impliquée dans l’erreur reconnaisse ses responsabilités, cherche à comprendre ce qui s’est passé et propose des mesures de prévention secondaire [31]. Il est aussi très important que des excuses soient transmises lorsque l’erreur est avérée, le risque de poursuites judiciaires en est sensiblement réduit [32].

Deuxième victime

Le médecin impliqué dans une erreur médicale va vivre cet événement avec un sentiment intense de culpabilité [33]. Sa confiance en soi est ébranlée, il va craindre la réaction du patient, la perte de confiance des autres patients, la stigmatisation de ses pairs, les dégâts d’image, voire les éventuelles suites juridiques [34, 35]. Le risque d’évolution vers des troubles de l’adaptation, un trouble de stress post-traumatique, un burn-out, voire une dépression est réel [27, 36, 37]. Le MPR seul dans son cabinet étant particulièrement à risque, l’échange avec les collègues est précieux, que ce soit dans le cadre de rencontres informelles, de cercles de qualité ou de réunion de groupe sur le modèle «Balint», ou encore via la plateforme de soutien aux médecins «ReMed» (www.fmh.ch/fr/rem/remed.html) proposée par la FMH.

Troisième victime

Au-delà de l’impact sur les individus (première et ­deuxième victime), une erreur peut aussi avoir des conséquences négatives très importantes en termes de réputation sur l’institution concernée ou le cabinet privé (troisième victime) [28]. Ces dégâts d’image sont facilités et amplifiés par le périmètre de diffusion qu’offrent les réseaux sociaux. Une gestion appropriée d’une erreur médicale, notamment en termes d’information complète et transparente est donc aussi à l’avantage des institutions sanitaires elles-mêmes.

Réduire le risque de récidive – 
gestion de ­l’erreur

A ce jour, le meilleur moyen de réduire le risque de récidive de la même erreur consiste à analyser en pro­fondeur ce qui s’est passé, et chercher les défauts corrigibles du système, selon le modèle d’«analyse des causes racines» ou «root cause analysis» (RCA). Cette analyse s’inscrit dans une approche dite «systémique», en opposition à une approche «individuelle» telles que décrites dans le «London Protocol» de C. Vincent [38] et le modèle sur les erreurs humaines de J. Reason [39, 40]. Cette analyse des causes racines, entreprise dans une perspective systémique, trouve son origine dans l’industrie à haut risque comme l’aéronautique ou le nucléaire [41]. En médecine, elle a d’abord été développée dans les hôpitaux, mais garde tout son sens dans un contexte de médecine de premier recours.

L’approche individuelle

Cette approche postule qu’une erreur survient par le fait de la négligence ou de l’incompétence d’un individu unique. La mesure de correction est dès lors simple: pour éviter une récidive, il faut sanctionner l’individu à l’origine du geste erroné. La sanction va de la stigma­tisation au licenciement en passant par l’avertissement ou le blâme, ce qui génère un sentiment de honte et de culpabilité et sape la confiance en soi du soignant, compromettant ainsi ses aptitudes futures à la pratique d’une médecine de qualité. Cette approche renforce l’état de deuxième victime, est injuste car elle ne prend pas en compte les autres facteurs contributifs de l’erreur, est inefficace en termes de prévention secondaire car n’empêchera pas un autre collaborateur de répéter la même erreur, et enfin, retiendra tous les autres collaborateurs de révéler leurs erreurs à l’avenir. Elle n’améliore donc en rien la sécurité des patients.
L’approche individuelle satisfait le besoin humain de désigner un coupable et relève de la culture du blâme. En plus, elle évite à l’institution de se remettre en question dans son organisation qui se voit ainsi déchargée de ses responsabilités.

L’approche systémique

En opposition à la précédente, l’approche systémique est établie sur le constat que malgré leur bienveillance, leur attention et leur compétence, les êtres humains font des erreurs. Il faut donc les aider à en faire moins, en mettant en place des structures et des processus qui limitent la survenue d’erreurs. Sous cet angle, les erreurs sont non seulement une cause d’évènement indé­sirable, mais surtout une conséquence de défauts dans le système [39].
A l’extrême pointe du processus de soins, là où se produit le geste visible de l’erreur, il y a l’individu, qui peut présenter de nombreux facteurs susceptibles de contribuer à la survenue de l’erreur. Mais en amont de l’individu, il y a la place de travail où plusieurs éléments, principalement organisationnels, sont autant de conditions favorisant l’erreur. Et encore plus en amont, des facteurs latents situés notamment au niveau stra­tégique et budgétaire déterminent les conditions favorisant l’erreur, ainsi que les failles dans les «barrières de sécurité» en aval du geste de soin, sensées protéger le patient d’un évènement indésirable.
Pour illustrer les conséquences de ces défauts lorsqu’ils «s’alignent» en lieu et temps, J. Reason propose le «Swiss cheese model», où les facteurs latents, les conditions favorisant l’erreur et les failles dans les barrières de sécurité sont autant de trous dans des fromages qui, lorsqu’ils sont alignés, permettent au processus néfaste de l’erreur de suivre une trajectoire sans être jamais bloqué, pour aboutir finalement à un évènement indésirable chez le patient (fig. 1) [42].
Figure 1: L’alignement des défauts du système, des erreurs actives et des failles de sécurité (les trous du fromage) permet la survenue des accidents. Les facteurs latents du système déterminent les conditions favorisant l’erreur, ainsi que les failles des barrières de sécurité (mesures protégeant le patient des évènements indésirables), et permettent de répondre à la question «pourquoi est-ce arrivé?». L’erreur active répond à la question «qu’est-ce qui est arrivé?» et la trajectoire de l’erreur répond à la question «comment est-ce arrivé?». Adapté du « Swiss cheese model» de J. Reason [39, 40].

L’analyse des causes racines

Dans la perspective proposée par l’approche systémique, l’important n’est donc pas de trouver qui condamner lorsqu’un événement indésirable se produit, mais qu’est-ce qui a permis à l’erreur de survenir, et pourquoi les défenses ont cédé. Ces défauts une fois trouvés, on s’efforcera de les corriger pour qu’une telle erreur ne se reproduise plus. C’est là que l’analyse des causes racines joue un rôle clé en tentant de répondre à 3 questions:
– Qu’est-ce qui est arrivé?
– Comment est-ce arrivé?
– Pourquoi est-ce arrivé?
Dans ce processus, la reconstitution de l’évènement et ses différentes étapes est essentielle. Une fois tous les défauts et failles identifiés, des mesures de correction seront prises, et leur application contrôlée.
Les limites de cette méthode résident dans son application souvent incorrecte ou incomplète [43, 44], mais il n’émerge pas aujourd’hui d’autre méthode innovante qui permettrait de réduire de manière plus efficace le nombre d’erreurs médicales. Les dérivés de la RCA proposés n’ont pas réussi à s’imposer à ce jour [45]. La RCA reste la méthode la plus répandue de gestion des erreurs dans le milieu médical.

Qu’en est-il de la gestion de l’erreur au cabinet du MPR?

Les erreurs font partie de la vie. C’est la réponse à l’erreur qui compte. La seule véritable erreur est celle à partir de laquelle nous n’apprenons rien.
Honorio T. Benzon [46]
Le cabinet présente plusieurs particularités par rapport aux erreurs et à leur gestion:
– Etablir s’il s’agit bien d’une erreur est souvent difficile.
– L’erreur y passe plus souvent inaperçue qu’à l’hôpital, ce qui peut inciter le ou les soignants impliqués à ne pas la révéler, écartant ainsi toute opportunité d’en prévenir la récidive.
– Le médecin étant souvent seul dans son cabinet, ce sera à lui de gérer cette erreur dans laquelle il est directement et souvent seul impliqué, ce qui le place dans une position inconfortable où il doit endosser les rôles d’accusé, d’avocat, de procureur en charge de l’instruction, et de juge... Le risque est grand de le voir renoncer, et s’infliger lui-même une approche individuelle, avec remise en cause de toutes ses compétences.
Pourtant, en matière de gestion de l’erreur, ce qui est valable en institution l’est aussi en cabinet: l’utilité d’une approche systémique avec RCA. Même si les modalités d’action seront différentes, plus courtes et plus simples, le principe lui, ne change pas: analyse, recherche des défauts systémiques qui ont permis à l’erreur de se produire, et introduction de mesures correctives et préventives. La formation des médecins sur l’identification et gestion des erreurs en ambulatoire est donc nécessaire et fortement encouragée.
Nous proposons ici une grille d’analyse adaptée à la médecine de premier recours (fig. 2).
Figure 2: Grille d’analyse des erreurs au cabinet du médecin de premier recours. Exemple de cas: Un diagnostic de cancer du côlon métastatique a été récemment diagnostiqué chez un patient de 58 ans. En étudiant le dossier médical, son médecin généraliste réalise qu’un résultat positif d’une recherche de sang occulte dans les selles réalisée quelques années auparavant n’a pas été pris en compte.
L’approche systémique est parfois perçue comme une façon pour les soignants de se décharger de leurs responsabilités, en reportant tout le poids de l’évènement sur le système. C’est faux. Même si elle doit être considérée dans son contexte, la responsabilité individuelle de chaque soignant reste entière à l’égard du patient comme vis-à-vis de la société et de la justice [47]. Il en va de même au cabinet, mais rester fixé sur cette unique dimension et négliger la réflexion sur l’organisation du cabinet, sur les outils utilisés, ou sur d’autres aspects structurels et fonctionnels ne permettra pas d’améliorer la sécurité des patients.

Conclusion

La recherche sur la sécurité des patients en médecine ­ambulatoire, et particulièrement au cabinet du MPR a beaucoup progressé cette dernière décennie. Elle reste toutefois orientée essentiellement sur l’épidémiologie et l’identification des erreurs [48, 49], souligne l’importance de trouver un consensus sur la taxonomie, les définitions et le décompte des erreurs au cabinet, et montre l’hétérogénéité des résultats liées aux différences de mesures.
A ce jour, peu de recommandations en matière de gestion des erreurs au cabinet existent. Pourtant elles sont nécessaires car les erreurs y sont fréquentes et leur impact peut être majeur, sur les 1ère comme sur les 2ème et 3ème victimes. La dimension et l’organisation du ca­binet ne permettent pas une gestion identique à celle proposée à l’hôpital, mais rapporter les erreurs dans un CIRS et dans un environnement comme les cercles de qualité, qui favorisent l’analyse et le soutien, semble essentiel. Sur la base de l’épidémiologie, un accent particulier doit être mis sur les mesures préventives des erreurs de médication et de diagnostic.

L’essentiel pour la pratique

• En médecine de premier recours (MPR) le diagnostic, la médication, la communication et l’organisation sont les principaux enjeux de la sécurité des patients.
• L’identification des erreurs est favorisée par une culture qui suppose une attitude non jugeante et soutenante de la part de la hiérarchie à l’égard des collaborateurs impliqués dans la survenue d’une erreur. Les systèmes de déclaration d’incidents critiques et les cercles de qualité permettent de réaliser que la même situation est déjà arrivée à d’autres, ou aurait pu leur arriver.
• Tout évènement dont la connaissance peut améliorer la sécurité des patients devrait être déclaré, y compris les «quasi-évènements», fréquents et sans conséquence pour le patient.
• La 1ère victime est le patient qui doit être informé rapidement de ce qui s’est passé, de façon transparente, complète, empathique et factuelle. Le soignant impliqué dans l’erreur peut être la 2ème victime, surtout s’il est seul ou mal soutenu pour affronter l’erreur, et le cabinet ou l’institution concernée peut devenir une 3ème victime.
• La gestion de l’erreur selon une approche systémique passe par une analyse des causes racines qui doit permettre de répondre à 3 questions principales: «Que s’est-il produit?», «Comment cela s’est-il passé?» et «Pourquoi est-ce arrivé?». En pratique ambulatoire, la portée de cette analyse est limitée en raison d’une application souvent incorrecte ou incomplète.
• La responsabilité individuelle de chaque soignant reste entière.
Nous remercions Mme L. Krieger, M. E. Alves et M. V. Faivre de la Poli­clinique médicale universitaire de Lausanne pour l’édition graphique des figures.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Philippe Staeger
Policlinique médicale
universitaire
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
Philippe.Staeger[at]
hospvd.ch
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