Alopécie androgénétique
Alopécie pseudo-hormonale et autres simulateurs

Alopécie androgénétique

Übersichtsartikel AIM
Édition
2018/44
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03396
Forum Med Suisse. 2018;18(44):900-906

Affiliations
Universitätsklinik für Dermatologie, Inselspital, Universitätsspital Bern, und Privatpraxis, Zürich

Publié le 31.10.2018

L’alopécie androgénétique est un processus de vieillissement normal. En cas de manifestation excessivement marquée par rapport à l’âge, il est souvent possible de traiter avec succès.

Introduction

Sur le plan mécanistique, l’alopécie androgénétique (AAG) correspond à un effluvium télogène à topographie élective sur la tête, qui est pathognomonique et est dû à une sensibilité variable aux androgènes des différentes zones du cuir chevelu; l’intensité de l’AAG varie certes légèrement chez l’homme et chez la femme, mais chez les deux sexes, la région occipitale est épargnée (répartition «centrale» ou «frontale», en anglais «patterned alopecia») (fig. 1A). Cela s’oppose à l’effluvium télogène diffus, qui affecte l’intégralité des follicules pileux (fig. 1B). Le mécanisme d’action précis des androgènes après leur pénétration dans les cellules des follicules pileux n’est pas connu et ce, qu’ils soient présents en quantité normale et déploient leur action au niveau des follicules pileux en fonction de la sensibilité génétique ou qu’il y ait une hyperandrogénie absolue ou relative. L’effet au niveau de la tête est à l’opposé de l’effet au niveau du corps (calvitie versus barbe, etc.). Sur base de polymorphismes de multiples gènes impliqués, d’où des différences individuelles (affinité et activité des récepteurs aux androgènes, activité de la 5-alpha-réductase, aromatase, lipoxygénase, stéroïde sulfatase, etc.), les androgènes induisent au niveau de la tête une miniaturisation caractéristique des follicules qui augmente avec chaque cycle capillaire: diminution du diamètre des cheveux touchés et donc cheveux de calibres différents lors de l’examen à la loupe («anisotrichose»), ainsi que raccourcissement de la phase de croissance (anagène) avec passage prématuré à la phase de repos (télogène) et donc raccourcissement de la longueur des cheveux.
Figure 1: A: AAG avancée, chute de cheveux épargnant la région occipitale. B: Effluvium télogène diffus, chute de cheveux 
avec atteinte de la région occipitale.
En tant que processus physiologique, l’AAG peut dans de rares cas apparaître comme premier signe de la puberté (AAG pré-pubertaire) ou survenir durant la puberté (AAG de l’adolescence). Au plus tard à partir de la fin de la puberté, elle est présente chez tout le monde sous forme discrète et s’accentue de façon visible au fil des années. Le diagnostic d’AAG sans précision de l’intensité et sans comparaison par rapport à la norme pour l’âge est donc dénué de sens (classifications courantes: classification de Hamilton-Norwood chez les hommes et classification de Ludwig chez les femmes). En cas d’intensité excessive par rapport à la norme, l’AAG peut être traitée, mais pas sans avoir prescrit en présence d’indices évocateurs de troubles hormonaux (détérioration rapide, hirsutisme, troubles du cycle) des examens endocrinologiques supplémentaires (tab. 1) [1]. Les simulateurs de l’AAG (tab. 2) peuvent à tort faire paraître la chute de cheveux comme excessive, ce qui est responsable d’échecs thérapeutiques et donc d’un défaitisme thérapeutique ou d’examens inutiles. A cet égard, il convient aussi toujours de reconnaître les différences individuelles au niveau du mode de réaction aux androgènes et des cofacteurs impliqués dans la croissance des cheveux en raison de différences génétiques: tout le monde ne réagira pas à la même situation par une perte de cheveux et tout le monde ne répondra pas de la même manière au même traitement [2].
Tableau 1: Examens de laboratoire en cas de chute de cheveux. Les analyses hormonales sont coûteuses et rarement indiquées en cas de cycle régulier.
A analyser systématiquement AAN, TSH, ferritine y compris CRP et ALAT (afin d’exclure des augmentations de la ferritine liées à des hépatopathies ou des inflammations), zinc, vitamine B12 active (holotranscobalamine), biotine. Selon contexte: dépistage de la syphilis, du VIH.
+ en cas d’obésité (à jeun)SHBG. Index de HOMA ou insulinorésistance.
+ en cas de suspicion d’endocrinopathie, notamment en cas d’irrégularité du cycle
(prélèvement sanguin pendant la phase folliculaire du cycle, de préférence 3ème–5ème jour, le matin, à jeun, éventuellement après interruption de la pilule pour au moins deux cycles spontanés)
– Patientes âgées en cas de suspicion de tumeur: testostérone 
totale, SDHEA (indépendants du cycle).
– Jeune patiente: en plus: LH/FSH, E2, androstènedione, 17α-hydroxyprogestérone, prolactine. Eventuellement écho­graphie endovaginale des ovaires afin d’exclure les SOPK 
(cause la plus fréquente).
+ en cas de suspicion d’effluvium hypo-œstrogénique induit par COCE2 (ici, pas d’interruption de la pilule! Prélèvement sanguin à tout moment, idéalement après la pause durant les menstruations, avant le début du nouveau cycle de la pilule).
ALAT = alanine aminotransférase; AAN = anticorps antinucléaires; CRP = protéine C réactive; SDHEA = sulfate de déhydroépiandrostérone; 
E2 = œstradiol; FSH = hormone folliculostimulante; COC = contraception orale combinée; LH = hormone lutéinisante; SOPK = syndrome des ovaires polykystiques; SHBG = globuline liant les hormones sexuelles.
Tableau 2: Simulateurs de l’alopécie androgénétique.
Effluvium télogène diffusSubaigu
Aigu
Effluviums hormonauxAlopécie pseudo-hormonale
Alopécie hypo-œstrogénique
Alopécie androgénétique iatrogène
Effluvium anagèneAlopécie permanente chimio-induite
Alopecia areata incognita
Alopécies cicatriciellesAlopécie fibrosante
– frontale (maladie de Kossard)
– centrale (maladie de Trüeb)
Alopécie de traction
Alopécie de pression
Effluviums constitutionnelsAlopécie triangulaire temporale congénitale
Effluvium télogène chronique
Psychopathologies
Syndromes génétiques

Simulateurs de l’alopécie androgénétique

Effluvium télogène diffus

Afin de remarquer subjectivement une raréfaction des cheveux, celle-ci doit déjà être objectivement significative (selon les estimations, 20–50% des cheveux). Une perte de cheveux peut être interprétée à tort comme une AAG excessive lorsque la raréfaction des cheveux, qui était jusqu’alors inapparente et évoluait normalement par rapport à l’âge, est accentuée par un effluvium télogène diffus, avec une quantité de cheveux au niveau de la région occipitale en apparence encore normale à l’inspection. L’effluvium télogène peut avoir une évo­lution aiguë ou subaiguë, conduisant alors de façon plus ou moins rapide à un amoindrissement globale. S’il est impossible de réaliser un trichogramme afin d’objectiver le taux de chute de cheveux, il convient de recourir à l’anamnèse afin de faire la distinction entre une détérioration lente et une détérioration rapide des cheveux. En cas de progression rapide, les examens appropriés permettent d’exclure des causes potentielles d’effluvium télogène (tab. 1, 3). Lors de la réalisation d’un trichogramme, une interprétation correcte est primordiale. La chute de cheveux normale (renouvellement des cheveux en mosaïque) se fait par vagues, avec des phases de chute renforcée et des phases de chute moindre; l’«amplitude» fluctue entre 15 et 20% de cheveux télogènes. A la fois une diminution inférieure à 15% et une augmentation supérieure à 20% sont anormales. Considérer qu’une patiente qui est en train de devenir chauve a de «bons cheveux» juste parce que son pourcentage de cheveux télogènes est par ex. de 5% est une grossière erreur d’appréciation. Cette mauvaise interprétation peut se produire à la fois en cas d’AAG et d’effluvium diffus.
Tableau 3: Diagnostic différentiel de l’effluvium télogène aigu ou subaigu. Il survient 2–3 mois après un événement compromettant faiblement ou fortement la croissance capillaire, en faisant entrer précocement le follicule pileux dans la phase de repos télogène. Dans le cadre de l’effluvium anagène, la chute de cheveux effective survient en l’espace de 2–3 semaines après une détérioration directe du follicule pileux, par ex. après une intoxication aiguë, une chimiothérapie ou en cas d’alopecia areata.
Post-partum et arrêt de la «pilule», après la période d’allaitement
Hypo- et hyperthyroïdie (cave: thyroïdite du post-partum)
Post-infection / fièvre >39 °C ou infection chronique (y compris VIH, syphilis)
Traumatismes psychiques et physiques, y compris interventions chirurgicales
Collagénoses (dans 7% des cas, premier symptôme du lupus systémique)
Régime amaigrissant agressif et cachexie/anorexie
Malnutrition, y compris végétarisme, anneau gastrique, excès de caféine, etc., 
alimentation parentérale
Maladies chroniques (incl. cancer, éventuellement non décelé)
Intoxications légères
Médicaments
La carence en micronutriments est une cause fréquente de chute de cheveux globale, la principale étant la carence en fer, même sans anémie; la carence en fer est très fréquente chez les femmes menstruées et devrait être systématiquement recherchée. Elle est également fréquente chez les jeunes hommes en croissance et en cas de pratique d’un sport intensif. L’importance du fer dans les tissus a longtemps été sous-estimée, et pas uniquement pour les cheveux. Nous connaissons toutefois aujourd’hui les nombreuses enzymes ferrodépendants intervenant dans la synthèse de l’ADN (par ex. ribonucléotide réductase) et le cycle cellulaire (par ex. c-Myc), qui jouent un rôle considérable au niveau des follicules pileux proliférant rapidement, et ce tout à fait indépendamment du caractère ferrodépendant de l’approvisionnement en énergie par les mitochondries (après tout, les cheveux de l’être humain poussent au total d’env. 30 mètres par jour!). L’«hypothèse de seuil» part du principe que les besoins individuels en fer et le seuil de chute de cheveux varient selon les ­individus [3], et cette supposition n’a plus rien de ­choquant à l’ère de la médecine individualisée. La présence de symptômes supplémentaires d’une possible carence en fer (ongles cassants, fatigue, fluctuations de l’humeur, etc.) justifie davantage la décision d’instaurer un traitement que la simple valeur de ferritine; rappelons que cette dernière n’est de toute manière pas une valeur absolue, mais une estimation et une probabilité de retrouver une carence en fer dans le frottis de moelle osseuse. L’interprétation doit donc se faire dans le contexte clinique. En cas de chute de cheveux, une concentration de ferritine d’au minimum 50–70 µg/l est recommandée. L’expérience a montré que le seuil individuel peut varier chez un même patient où il est éventuellement encore davantage abaissé par des carences supplémentaires. Lorsque l’administration de fer ne permet pas d’obtenir une amélioration de la croissance des cheveux, les causes fréquentes sont: (1.) réplétion insuffisante des réserves de fer (dans le meilleur des cas, élévation de la ferritine de 0,25 par comprimé de fer ou de 10 pour 100 mg de fer i.v.; contrôle 3 semaines après le dernier comprimé et 8 semaines après la perfusion), (2.) nouvelle chute du fer en raison de la non-prescription d’un traitement d’entretien; en fin de compte, les circonstances ayant conduit à la chute de cheveux/carence en fer demeurent (végétarisme, menstruations, trouble de l’absorption). L’indication de la recherche d’une carence en fer obéit aux règles de la médecine interne. Il convient de garder à l’esprit que les cheveux sont un système lent: une amélioration est uniquement perceptible après 9–12 mois.

Alopécie pseudo-hormonale

Certains patients présentent uniquement une raréfaction des cheveux modérément accrue au niveau central avec une évolution lente, qui est caractéristique d’une AAG classique; le trichogramme permet lui aussi d’objectiver une chute de cheveux uniquement active au niveau central. Les analyses de laboratoire révèlent une carence en fer et/ou en vitamine B12. Dans ce cas de figure, la correction de la carence peut à elle seule permettre d’inverser l’AAG. Dans le cadre d’une carence en fer, cette «alopécie pseudo-hormonale» peut s’expliquer par la fonction limitée de deux enzymes pertinentes pour les cheveux dans le métabolisme des androgènes: activité réduite de l’aromatase ferrodépendante impliquée dans la synthèse des œstrogènes et inhibition réduite de la 5α-réductase par des métabolites de la lipoxygénase ferrodépendante. Les deux forment un cercle vicieux et entraînent une hyperandrogénie relative ­locale et une hypo-œstrogénie (fig. 2). C’est ainsi que survient une AAG renforcée en cas de carence en fer (pré-)latente [4]. Par ailleurs, une carence en vitamine B12 peut activer une AAG en raison de la méthylation réduite et ainsi de l’inactivation des récepteurs aux androgènes, avec en conséquence une action renforcée des androgènes.
Figure 2: Mécanisme de l’alopécie pseudo-hormonale (hypothèse). La testostérone est transformée d’une part en œstradiol (pro-anagène, régule ensuite positivement l’aromatase) via l’aromatase ferrodépendante et d’autre part en dihydrotestostérone (DHT) plus puissante via la 5-alpharéductase (5αR); l’activité de la 5αR est inhibée par les métabolites du métabolisme des ­acides gras, qui dépendent de la lipoxygénase (LOX) ferrodépendante. En cas de carence en fer dans les tissus, l’aromatase est moins active, avec accumulation de testostérone. Cette dernière est transformée d’autant plus efficacement en DHT via la 5αR non inhibée en raison de l’activité réduite de la LOX

Alopécie hypo-œstrogénique

Les œstrogènes ont une action stimulant directement la croissance des cheveux, ce qui est également mis en évidence dans les cultures cellulaires. Cela explique les beaux cheveux qu’ont les femmes durant la grossesse et la chute de cheveux lors de la forte baisse des œstrogènes après l’accouchement. Les œstrogènes stimulent également l’aromatase, qui dégrade la testostérone. Ainsi, toute baisse des œstrogènes chez la femme peut conduire à une chute de cheveux diffuse, mais également à une chute de cheveux semblable à une AAG: peuvent être incriminés la ménopause, les traitements par anti-œstrogènes et anti-aromatases, mais également la contraception hormonale par une préparation uniquement progestative (minipilule). En inhibant les gonadotrophines, les minipilules sont responsables d’une hypo-œstrogénie relative. Ainsi, chez les patients ayant une tendance à l’AAG, la prise de la minipilule durant l’allaitement, alors que la concentration des œstrogènes est faible après l’accouchement, a des répercussions dévastatrices. La chute de cheveux accrue paradoxale qui s’observe chez certaines femmes même sous contraception œstro-progestative (contraception orale combinée, COC) s’explique elle aussi par les mêmes raisons: le progestatif est principalement responsable de l’inhibition des gonadotrophines et l’éthinylestradiol exogène n’est pas capable de remplacer les œstrogènes endogènes (E2) dans tous les compartiments tissulaires. Chez ces patientes, particulièrement lorsque la COC abaisse les œstrogènes endogènes nettement en-dessous de la valeur la plus faible dans le cycle ovulatoire, il ne faut administrer d’acétate de cyprotérone en plus de la COC, mais totalement arrêter la COC et la remplacer par une contraception non hormonale.

Alopécie androgénétique iatrogène

Une COC ou un traitement hormonal substitutif au moyen d’un progestatif de première ou de deuxième génération peut être à l’origine d’une AAG iatrogène en raison de son effet partiel androgénisant; sont également concernés, de façon dose-dépendante, les dispositifs intra-utérins (DIU) hormonaux et le traitement hormonal substitutif par tibolone. Face à la constitution actuelle de groupes de victimes sur internet, il convient d’exclure une prédisposition à l’AAG et de rendre la patiente attentive à cet effet indésirable potentiel avant la prescription d’un DIU hormonal. En l’absence de contre-indications, le traitement consiste à remplacer la «pilule» ou le traitement hormonal substitutif par une préparation combinée incluant un progestatif d’action neutre (troisième génération) ou d’action anti-androgénique (quatrième génération: acétate de cyprotérone, drospirénone, chlormadinone, diénogest, nomégestrol).

Alopécie permanente chimio-induite

Dans la chimiothérapie, les circonstances sont analogues au démasquage d’une AAG par un effluvium télogène. Lorsqu’elle n’est pas totale, une alopécie chimio-induite (effluvium anagène) peut elle aussi accentuer une raréfaction capillaire «centrale» physiologique. Cette situation est généralement réversible et en lien ­direct évident avec le traitement anticancéreux. Il est en revanche moins connu que les nouveaux schémas de chimiothérapie (agents thérapeutiques, associations, ­répétitions) peuvent également être responsables d’une perte de cheveux totale ou partielle permanente, avec une inactivité définitive des follicules, imitant ainsi une AAG excessive, en particulier lorsque la perte de cheveux est encore davantage accentuée par la prise d’anti-aromatases ou d’anti-œstrogènes.

Alopecia areata incognita, lupus érythémateux systémique, syphilis

La pelade par plaques (alopecia areata), qui est également un effluvium anagène, se manifeste sous forme de zones chauves circonscrites ou de calvitie totale. Une forme particulière peu connue est l’alopecia areata incognita qui, comme l’implique son nom, n’est pas identifiée en tant que telle. Elle survient de manière insidieuse et se manifeste exclusivement par une raréfaction capillaire diffuse légèrement irrégulière sans zones chauves; comme l’effluvium télogène, elle imite une AAG avancée par démasquage, ou encore un effluvium télogène diffus aigu, pour lequel aucune cause n’est trouvée. Les «cheveux en point d’exclamation», qui se retrouvent classiquement dans l’alopecia areata, font le plus souvent défaut. A l’histologie, l’infiltrat péri-bulbaire «en essaim d’abeille» classique fait lui aussi défaut, de sorte qu’une certaine expérience et avant tout une biopsie suffisamment grande sont nécessaires pour poser le diagnostic (fig. 3). Il va de soi qu’un traitement de l’AAG est alors vain: un échec total du traitement de l’AAG devrait amener à remettre en cause le premier diagnostic, tout comme c’est le cas lorsque la correction de carences suspectées n’entraîne pas d’amélioration. Le traitement réside dans l’immunosuppression systémique (pulses de corticoïdes, méthotrexate). La chute de cheveux peut se présenter de la même manière dans le cadre d’un lupus systémique ou de la syphilis.
Figure 3: Alopecia areata incognita. Histologie différente de l’alopecia areata classique («infiltrat péri-bulbaire en essaim d’abeilles»), (coloration à l’hématoxyline et à l’éosine pour toutes les figures). A: Nombre accru de cheveux télogènes (t), (grossissement original ×10). B: Infiltrat périfolliculaire haut dans la région des glandes sébacées (flèche) au lieu de bas au niveau du bulbe (×20). C: Infiltrat périvasculaire superficiel (flèche) (×20). D: Infiltrat dans les ­tractus fibreux des cheveux télogènes (flèche) (×20). E: Eosinophiles dans l’infiltrat (flèche) (×40). La plupart du temps, les éléments ne sont pas tous présents et que discrets (grande biopsie nécessaire).

Alopécies cicatricielles

Dans de rares cas, l’AAG peut avoir une évolution cicatricielle, avec une fibrose des follicules. Dans ces cas, une repousse des cheveux sous traitement est impossible, et il est uniquement possible de stopper la progression. Les alopécies fibrosantes représentent des formes extrêmes d’AAG cicatricielle, survenant parfois de manière isolée et parfois de manière combinée. Elles affectent principalement les femmes péri- et post-ménopausées, mais peuvent également s’observer chez les femmes plus jeunes et chez les hommes. L’alopécie frontale fibrosante (malaie de Kossard) correspond au mode de distribution masculin de l’AAG et se caractérise par un recul de la ligne d’implantation du cuir chevelu jusqu’au vertex (aspect de clown). Elle se manifeste typiquement par une bande frontale blanchâtre, cicatricielle et lisse, avec également une zone glabre devant les oreilles, ce qui est pathognomonique; la délimitation par rapport au front chroniquement abimé par le soleil (tâches et rides) est nette; les orifices des follicules pileux restants sont souvent légèrement hyperkératosiques et rouges; il arrive que les patients se plaignent de prurit modéré. Il est fréquent que la perte des cheveux soit précédée d’une perte des sourcils. L’équivalent dans le mode féminin de l’AAG concerne le centre de la tête au niveau du vertex (maladie de Trüeb); beaucoup de cas qui était autrefois décrit comme «pseudo-pelade de Brocq» correspondent à ce type d’alopécie. Il arrive aussi parfois que la couronne hippocratique passant derrière les oreilles et au niveau de la région occipitale soit touchée. L’examen histologique montre un profil inflammatoire qui correspond largement à celui d’un lichen plan pilaire: en cas de résultat microscopique correspondant, il incombe au clinicien de tirer les bonnes conclusions. En raison de leurs caractéristiques histologiques, les alopécies fibrosantes sont parfois encore classifiées comme forme particulière du lichen plan pilaire; toutefois, le traitement en tant que tel s’avère très rarement fructueux, tandis qu’un traitement anti-AAG intense au moyen d’un puissant inhibiteur de la 5α-réductase (dutastéride [hors autorisation de mise sur le marché]) permet dans la plupart des cas d’interrompre la progression [5]; là aussi, une repousse des cheveux est exclue en raison du tissu cicatriciel, raison pour laquelle une détection et un traitement précoces sont essentiels. Fait intéressant, le type frontal de cette alopécie ne s’observe que depuis env. 20 ans, mais à une fréquence en augmentation rapide; en raison de l’association très fréquente avec l’utilisation de cosmétiques et de produits de protection solaire, on suppose une action négative des substances chimiques à action hormonale (perturbateurs endocriniens) que ces produits contiennent.
Les alopécies fibrosantes doivent être différenciées d’autres alopécies cicatricielles, qui surviennent au niveau de la zone de l’AAG, principalement chez les migrants et, dans des cas isolés, chez des dames âgées: alopécie de traction (au niveau du front sous forme d’alopécie marginée, au niveau du vertex sous forme d’alopécie du chignon) et alopécie de pression liée au port de foulards trop serrés (fig. 4A–D). Alors que la ­situation est initialement encore réversible, du tissu ­cicatriciel se forme en cas d’atteinte persistante, raison pour laquelle le traitement consiste à dénommer la cause; malheureusement, on constate souvent une résistance aux conseils.
Figure 4: A: Alopécie de traction chez un sikh (cheveux accumulés sous le turban, pas de ligne d’implantation des cheveux car là alopécie de pression due au turban). B: ­Alopécie de traction chez une femme africaine (veuillez noter la petite ligne ­d’implantation restante de cheveux qui ne peuvent pas être saisis [flèche]: alopécie ­marginée). C: Alopécie de traction chez une femme âgée due au chignon (alopécie du chignon). D: Alopécie de pression chez une femme musulmane en raison d’un voile trop séré (veuillez noter la légère lichénification [flèche]).

Alopécie triangulaire temporale congénitale et autres simulateurs constitutionnels

L’alopécie triangulaire temporale congénitale n’est quasiment jamais congénitale ou triangulaire, mais elle apparaît au cours de l’enfance sous forme de zone dégarnie circonscrite arrondie recouverte d’un très fin duvet dans la région fronto-temporale. Lorsque cette zone dégarnie est située derrière la ligne capillaire, il y a un risque de confusion avec l’alopecia areata. Toutefois, lorsqu’elle survient de manière bilatérale et en bordure de la ligne capillaire, elle peut se manifester par des tempes très dégarnies. Comme l’alopécie n’est parfois que remarquée au début de l’âge adulte, l’explication courante invoquant une attention tardive à la problématique n’est pas correcte; il s’agit vraisemblablement d’une inactivation/activation erronée d’un gène pertinent pour la croissance des cheveux, par ex. du gène hr (hairless). Le traitement de choix réside dans l’abstinence thérapeutique ou la greffe de cheveux.
La théorie funeste véhiculée selon laquelle la perte de jusqu’à 100 cheveux par jour serait normale s’est également ancrée dans les esprits des profanes. Mais en réalité, la situation est uniquement normale si le bilan entre la chute et la repousse de cheveux n’aboutit pas à une raréfaction capillaire excessive par rapport à l’âge. Certains patients (et médecins) se focalisent totalement sur ce chiffre magique et comptent quotidiennement leurs cheveux, bien que leur turnover, même s’il est parfois objectivement important, n’entraîne pas de amoindrissement capillaire pathologique (effluvium télogène chronique); ils ne se plaignent certes pas d’alopécie, mais la redoutent; une photographie standardisée peut permettre de les rassurer. La situation est plus délicate avec les patients ayant de beaux cheveux, qui se plaignent d’une chute de cheveux pathologique même en cas de turnover ordinaire (pseudo­effluvium psychogène); il s’agit là d’un trouble de la personnalité avec dysmorphophobie qui peut aller jusqu’au suicide. Ces patients sont toutefois très rares, et le diagnostic doit être posé de manière autocritique et uniquement sous forme de diagnostic d’exclusion. En cas d’hypotrichose constitutionnelle, l’AAG physiologique ne tarde pas à prendre des proportions pathologiques. En cas de dystrophie myotonique de type 1 (Curschmann-Steinert) et de syndrome tricho-rhino-phalangien, un dégarnissement capillaire semblable à l’AAG se manifeste souvent précocement; dans ces cas, des troubles de la différenciation des cheveux sont également évoqués en plus de troubles du métabolisme périphérique des androgènes.

Conclusions

L’AAG peut être traitée avec succès. La croyance selon laquelle il n’existe pas de diagnostics différentiels de l’AAG est erronée. C’est précisément la non prise en compte des simulateurs qui conduit aux échecs thérapeutiques, qui sont frustrants à la fois pour le patient et le médecin. En remplaçant la conversation non structurée par une évaluation approfondie avec anamnèse dirigée, en prescrivant quelques analyses de laboratoire et en traitant de manière durable les simulateurs éventuels, la «consultation punitive» peut à nouveau devenir une consultation de trichologie fructueuse.

L’essentiel pour la pratique

• L’alopécie androgénétique (AAG) est un processus de vieillissement normal. En cas de manifestation excessivement marquée par rapport à l’âge, il est souvent possible de la traiter avec succès aussi bien chez l’homme que chez la femme.
• Un échec du traitement est souvent la conséquence de la non-prise en compte de simulateurs. Ces derniers doivent être envisagés en cas d’anomalie détectée à l’anamnèse (début soudain, dégradation brutale ou accélération) ou de tableau clinique inhabituel
• Chez la femme menstruée, les principales causes renforçant ou imitant l’AAG sont la carence en fer, même sans anémie, et, de façon générale, les troubles hormonaux iatrogènes.
L’auteur n’a pas déclaré d’obligations personnelles ou financières en lien avec cet article.
Dr méd. Pierre de Viragh
Facharzt für Dermatologie, spez. Dermatopathologie
Schanzeneggstrasse 1
CH-8002 Zürich
info.dermadoc[at]bluewin.ch
1 Von Wolff M, de Viragh PA, Stute P. Androgenisierungserscheinungen. Gynäkologie. 2011;3:10–15. Available from www.rosenfluh.ch/media/gynaekologie/2011/03/androgenisierungserscheinungen.pdf.
2 Levy LL, Emer JJ. Female pattern alopecia: current perspectives. Int J Womens Health. 2013;5:541–56. (open access full text article)
3 Kantor J, Kessler LJ, Brooks DG, Cotsarelis G. Decreased serum ferritin is associated with alopecia in women. J Invest Dermatol. 2003;121:985–8.
4 De Viragh PA. Ferropenic alopecia. In: Camacho F, Tosti A (eds.). Montagna Trichology – Diseases of the Pilosebaceaous Follicle. 2 vols. (3. ed.) Madrid:Aula Medica. 2017:735–42.
5 Vañó-Galván S, et al. Frontal fibrosing alopecia: a multicenter review of 355 patients. J Am Acad Dermatol. 2014;70:670–8.