Médecine Interne Générale: «Less is more precision»
Highlight de la Société Suisse de Médecine Interne Générale

Médecine Interne Générale: «Less is more precision»

Schlaglichter
Édition
2019/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.03441
Forum Med Suisse. 2019;19(0102):8-9

Affiliations
Service de médecine de premier recours, Hôpitaux Universitaires de Genève, Genève

Publié le 02.01.2019

Un score génétique permet d’identifier les femmes pouvant éviter de recevoir de chimiothérapie adjuvante lors de cancer du sein de stade précoce. La génétique pour davantage de «less is more».

Contexte

En Suisse, environ 6000 nouveaux cas de cancer du sein sont diagnostiqués et plus de 1000 femmes en ­décèdent. Associée à un traitement de base, la chimiothérapie adjuvante permet dans certains stades précoces de cancers de diminuer le risque de récidive [1]. Malheureusement, les critères permettant de distinguer les femmes pour qui une chimiothérapie adjuvante est cliniquement utile de celles ne présentant pas de bénéfices ne sont pas clairement établis. Ceci est évidemment problématique puisque la chimiothérapie adjuvante est grevée d’effets secondaires à court terme comme la fatigue, les vomissements, les nausées, la diarrhée, mais aussi les toxicités cardiaque et neurologique. De plus, la chimiothérapie adjuvante augmente le risque de cancers secondaires [2]. Traiter «dans le doute» la plupart des cancers du sein de stade précoce par chimiothérapie adjuvante est donc une mauvaise option puisqu’en fait, une majorité de femmes pourrait n’en subir que les effets secondaires. Avec l’oncologue, c’est le médecin interniste ­généraliste hospitalier ou ambulatoire qui est souvent en première ligne pour partager avec la patiente cette décision et ses conséquences potentielles.

Un score génétique pour une médecine personnalisée?

En juillet 2018 ont été publiés dans le New England Journal of Medicine les résultats très attendus de l’essai ­clinique randomisé TAILORx («trial assigning individualized options for treatment») [3]. L’essai avait justement comme objectif de déterminer si un score génétique basé sur 21 gènes (kit commercial Oncotype DX®, Genomic Health®) permettrait d’identifier les femmes avec un cancer du sein de stade précoce pouvant ne pas recevoir de chimiothérapie en plus d’un traitement hormonal.
L’issue principale de l’essai était un composite de survie sans décès, récidive de cancer, et cancer secondaire. Les investigateurs ont inclus plus de 6700 participantes (18–75 ans) avec cancer du sein de stade précoce sans nodule axillaire positif, hormono-sensibles (ER+) et HER2 positifs. Il s’agit d’un type de cancer du sein fréquemment diagnostiqué. Sur la base du score génétique ­allant de 0 à 100 (100 signifiant le risque le plus élevé de récidive de cancer), les participantes étaient divisées en 3 groupes: ≤10, 11–25, et ≥25. C’est le groupe intermédiaire (score 11–25) qui a été randomisé en deux bras thérapeutiques: hormonothérapie uniquement (n = 3399) versus chimiothérapie + hormonothérapie (n = 3312). Ce groupe intermédiaire est typiquement dans une zone grise alors que les patientes avec un score ≤10 reçoivent généralement une hormonothérapie uniquement et les patientes avec un score ≥25 reçoivent elles typiquement un traitement combiné.
Après 9 ans de suivi, 16% des participantes avec un score génétique intermédiaire avaient présenté une maladie récurrente, un décès ou un cancer secondaire. Le traitement par hormonothérapie n’a pas été moins efficace que le traitement combiné de chimio et hormonothérapie. Sur la base du score génétique, plus de 8 femmes sur 10 pouvant éviter la chimiothérapie avaient pu être identifiées. Malheureusement, les données sur les effets secondaires entre les deux bras n’ont pas été publiées à notre connaissance.

Discussion

L’approche utilisant un score génétique afin d’aboutir à une décision personnalisée pour désescalader le traitement par chimiothérapie est maintenant testée pour des femmes présentant des cancers du sein avec nodules axillaires positifs [4].
Pour éviter en toute sécurité une chimiothérapie dans les cas de cancers précoces du sein, différents scores, y inclus non génétiques, ont été proposés par le passé. Cet essai est toutefois le plus convainquant et son application clinique probable. Il est estimé qu’aux Etats-Unis, près de 60 000 femmes pourraient ne plus avoir à être traitées par chimiothérapie. Cette nouvelle approche clinique nécessitera une excellente communication entre soignants et patientes et le médecin interniste généraliste sera au centre de la discussion.
Il lui reviendra de présenter à la patiente l’utilisation du score génétique avec les implications cliniques pour elle, mais également les répercussions potentielles de cette information génétique pour sa famille (en distinguant notamment l’information génétique tumorale du tissu sain). Les défis de la restitution optimale de l’information issue de kit génomique sont multiples et complexes, qu’ils soient d’ordres éthique et pédagogique [5]. Compte tenu de l’enjeu de la décision thérapeutique, il est probable que celle-ci ne se fasse pas automatiquement (hormonothérapie uniquement) pour les patientes se situant dans cette zone grise, mais sur la base d’une décision informée. Il faudra donc partager avec la patiente les risques et bénéfices du (non) traitement par chimiothérapie à la lumière des résultats de cet essai notamment. La différence d’effets secondaires entre les deux options thérapeutiques devra alors être bien connue et présentée. Les «tumor board», qui se multiplient en Suisse, seront sans doute un lieu idéal pour coordonner avec le médecin traitant de la patiente cette approche basée sur la génétique. Par ailleurs, la discussion d’introduire une chimiothérapie sur la base du score génétique s’étend déjà à d’autres cancers comme le cancer du côlon [6]), cancer qui concerne de très près la pratique du médecin interniste généraliste.
Ces raisons nous ont conduits à présenter les résultats de cet essai clinique comme highlights 2018 du Swiss Medical Forum. C’est aussi un essai clinique qui contribue enfin à plus d’évidence en ce qui concerne la médecine de précision (médecine personnalisée). En effet, il a été récemment démontré qu’en dépit d’une augmentation spectaculaire du nombre de publications sur la médecine de précision, le nombre d’essais cliniques randomisés est demeuré constant et dramatiquement bas [7]. Le rapport disproportionné entre les articles non originaux (éditoriaux, commentaires, etc.) et les essais cliniques contribue certainement au scepticisme des médecins internistes généralistes face aux implications cliniques réelles de la médecine de précision. Une médecine de précision fondée sur des données probantes – comme celles issues de cet essai clinique – ­appliquée à la pratique clinique est donc nécessaire. Cet essai illustre également que la médecine de précision peut conduire à moins de traitement, réconciliant ainsi deux concepts souvent opposés, la médecine de précision et le «less is more» [8].
Les auteurs remercient Mme Anne Lichtschlag pour sa relecture ­attentive.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Idris Guessous
Service de médecine de ­premier recours
Hôpitaux Universitaires de Genève
4, rue Gabrielle-Perret-Gentil
CH-1211 Genève 14
idris.guessous[at]hcuge.ch
1 Mansour EG, Gray R, Shatila AH, Tormey DC, Cooper MR, Osborne CK, Falkson G. Survival advantage of adjuvant chemotherapy in high-risk node-negative breast cancer: ten-year analysis – an intergroup study. J Clin Oncol 1998;16:3486–92.
2 Azim HA Jr, de Azambuja E, Colozza M, Bines J, Piccart MJ. Long-term toxic effects of adjuvant chemotherapy in breast cancer. Ann Oncol. 2011;22(9):1939–47.
3 Sparano JA, Gray RJ, Makower DF, Pritchard KI, Albain KS, Hayes DF, et al. Adjuvant Chemotherapy Guided by a 21-Gene Expression Assay in Breast Cancer. N Engl J Med. 2018;379(2):111–21.
4 Wong WB, Ramsey SD, Barlow WE, Garrison LP Jr, Veenstra DL. The value of comparative effectiveness research: projected return on investment of the RxPONDER trial (SWOG S1007). Contemp Clin Trials. 2012;33:1117–23.
5 Guessous I, Mooser V, Fellay J, Bochud M, Simeoni U, Unger S, et al. Genomic medicine: the challenges of information in clinical practice. Rev Med Suisse. 2016;12(537):1838–44.
7 Jaccard E, Cornuz J, Waeber G, Guessous I. Evidence-Based Precision Medicine is Needed to Move Toward General Internal Precision Medicine. J Gen Intern Med. 2018;33(1):11–2.
8 Gaspoz JM. Smarter medicine: do physicians need political pressure to eliminate useless interventions? Swiss Med Wkly. 2015;145:w14125.