Nouveaux défis pour la collaboration régionale
La qualité de la prise en charge en néonatologie est-elle menacée?

Nouveaux défis pour la collaboration régionale

Aktuell
Édition
2019/2526
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08267
Forum Med Suisse. 2019;19(2526):408-410

Affiliations
a Service de Néonatologie, Département femme – mère – enfant, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Université de Lausanne; b NEO FOR NAMIBIA – Helping Babies Survive, Brambergstrasse 25, 6004 Luzern; c Klinik für Neonatologie, UniversitätsSpital Zürich

Publié le 19.06.2019

Les SwissDRG génèrent des incitations financières inopportunes, qui peuvent avoir des répercussions préjudiciables sur la qualité de la prise en charge en néonatologie.

Contexte

Depuis les débuts de la néonatologie moderne dans les années 1960, la régionalisation n’a cessé de jouer un rôle majeur dans cette sous-spécialité de la pédiatrie. En Suisse, la création d’unités de soins intensifs néonatals, avec leurs exigences spécifiques sur le plan personnel, technique et infrastructurel, a très tôt été ­limitée aux hôpitaux universitaires et aux grands hôpitaux cantonaux qui, avec les maternités et services de pédiatrie environnants, forment des réseaux régionaux. Les principales caractéristiques de ces réseaux de périnatalogie incluent des équipes de transport spécifiques pour le transport des nouveau-­nés, une collaboration étroite avec les obstétriciens con­cernant les transferts prénatals et la détermination de modalités de retransfert dans les services de pédiatrie régionaux à l’issue du traitement de médecine intensive.
Etant donné que la prise en charge de nouveau-nés pose des exigences très spécifiques, il est impossible de se tourner vers d’autres disciplines du même hôpital en cas de pénurie de soins et les transferts dans des hôpitaux centraux d’autres régions sont alors indispensables. La plateforme internet d’occupation des lits, qui existe depuis environ 20 ans et renseigne à tout moment sur les places libres en unités de soins intensifs néonatals en Suisse, est un exemple de la collaboration étroite entre les services de néonatologie suisses. Toutefois, cette mise en réseau nationale et régionale, qui fonctionne bien, est depuis quelques temps menacée par de nouveaux défis, qui sont abordés dans cet article.

Augmentation du nombre de naissances – manque de places en soins néonatals

D’après les pronostics de l’Office fédéral de la statistique, il faut s’attendre à une augmentation des naissances au cours des prochaines années [1]. Ainsi, le nombre de naissances devrait augmenter à plus de 90 000/an d’ici 2025 et même à 103 000/an d’ici 2030. Selon les standards internationaux, pour 1000 naissances vivantes par an, une place en soins intensifs néonatals et trois places en soins néonatals supplémentaires sont nécessaires.
En Suisse, il devrait dès lors y avoir une augmentation d’env. 15% du nombre de lits au cours des 12 prochaines années. Toutefois, aujourd’hui déjà, env. 10% des places disponibles en soins intensifs ne peuvent pas être exploitées en raison d’une pénurie de personnel infirmier spécialisé.

Transports des nouveau-nés: 
un défi pour les hôpitaux centraux

Tous les centres de périnatalogie de Suisse assurent un service de transport pour les urgences néonatales. Cette activité consiste à acheminer dans les plus brefs délais le savoir-faire médico-infirmier et du matériel hautement spécialisé sur le lieu de l’accouchement afin de pouvoir mettre en œuvre sur place toutes les mesures de médecine intensive.
En Suisse, le nombre de transports d’urgence par centre varie entre quelques dizaines et 300 in­terventions par an. Les équipes de transport font partie de l’unité de soins intensifs néonatals, et le personnel nécessaire fait soit partie du service de piquet soit il est détaché de l’équipe effective, ce qui limite les possibilités de prise en charge des patients hospitalisés en soins intensifs pour la durée du transport. Les équipes de transport indépendantes des hôpitaux sont uniquement rentables à partir d’un volume de plus de 1000 transports d’urgence par an [2].

Standards nationaux

Alors que la collaboration régionale entre les hôpitaux centraux et régionaux était réglée par des accords bilatéraux durant de nombreuses décennies, diverses parties ont demandé la Société Suisse de Néonatologie (SSN) de définir une classification par niveaux («levels») des services de néonatologie valable à l’échelle suisse. La plus récente version de ces lignes directrices élaborée par la «Commission for the Accreditation of Neonatal Units» (CANU) vient d’être validée par le comité de la SSN et est disponible sur le site de la SSN (www.neonet.ch). Ce document, qui fixe des standards sur le plan médical, personnel et infrastructurel ainsi qu’en matière de formation initiale et postgraduée (tab. 1), a été élaboré conformément aux exigences de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue (ISFM). Une importance croissante est accordée à ce document, non seulement sur le plan clinique mais également sur le plan économique et sur le plan de la politique de santé, ce qui ne correspond en réalité pas à l’objectif initial de la SSN, à savoir élaborer des standards néonatologiques cliniques.
Tableau 1: Caractéristiques des «Levels of Neonatal Care».
LevelDefinitionType of careGestational age / birth weight at delivery
INeonatal Basic CareCare for healthy infantsPostnatal care for infants born ≥35 0/7 weeks of gestation with a birth weight ≥2000 g
II ANeonatal Special CareCare for moderately ill ­infantsPostnatal care for infants born ≥34 0/7 weeks of gestation with a birth weight ≥1500 g
II BNeonatal lntermediate
Care
• Care for moderately ill infants
• Non-invasive respiratory support
Postnatal care for infants born ≥32 0/7 weeks of gestation with a birth weight ≥1250 g
IIINeonatal
Intensive
Care
Care of infants with all ­entities of neonatal diseases until 28 postnatal days or completed 44 postmenstrual weeks for preterm infantsNo limit of gestational age or birth weight
Source: Standards for Levels of neonatal care in Switzerland (www.neonet.ch)

Les forfaits par cas pourraient déstabiliser les réseaux de néonatologie

Les réseaux fonctionnent efficacement uniquement si les missions et compétences de tous les partenaires du réseau sont utilisées de manière idéale. Cela implique que les patients transférés en urgence à l’unité de soins intensifs de l’hôpital central soient retransférés dans l’hôpital régional situé à proximité du domicile parental dès qu’ils ne requièrent plus de soins de médecine intensive. D’une part, cela libère les capacités d’accueil pour les urgences dans l’hôpital central et d’autre part, cela permet à l’hôpital régional d’atteindre un bon taux d’occupation des lits et raccourcit les trajets pour les familles, permettant de ce fait une prise en charge centrée sur les familles. Avec l’introduction des forfaits par cas dans le cadre de SwissDRG et la pression économique de plus en plus perceptible, il y a un risque que cette collaboration au sein du réseau soit menacée par des considérations économiques. Pour illustrer cette situation, nous présentons ci-après différents scénarios pour un même exemple de cas (voir aussi tab. 2):

Exemple de cas:


Un enfant né prématurément à 33 6/7 semaines de grossesse (SG), avec un poids de naissance de 1980 g, présente un syndrome de détresse respiratoire et requiert une assistance respiratoire non invasive par pression expiratoire positive en continue (CPAP) ­durant 48 heures. Au Jour 10, il peut rentrer à domicile.

Scénario 1

Si toute l’hospitalisation a lieu dans un service de néonatologie de niveau IIB ou III, un coût relatif («cost-weight») effectif de 3,955 points est obtenu d’après le catalogue des forfaits par cas (version SwissDRG 7.0/­2018) (P65A).

Scénario 2

Si le même patient est transféré dans un hôpital régional au Jour 4 car il requiert uniquement une assistance respiratoire durant 48 heures, il est affecté à un autre groupe DRG (P60B) en raison d’une plus courte durée d’hospitalisation dans l’hôpital primaire, avec un «cost-weight» de 1,091 point. Une réduction du «cost-weight» est certainement indiquée vu que le patient est uniquement hospitalisé 3 jours, au lieu de 10 jours (Scénario 1), à l’hôpital central. A l’hôpital régional, où il est hospitalisé du Jour 4 au Jour 10, le patient est considéré comme appartenant au DRG P65C, car il ne nécessite plus d’assistance respiratoire («cost-weight» 1,472). Toutefois, étant donné que ce patient est un patient transféré et qu’il présente uniquement une durée de séjour de 6 jours, sa sortie a lieu 5,5 jours plus tôt que la durée moyenne de séjour pour ce groupe DRG, ce qui est associé à un rabais de transfert externe de 0,6435 point. Malgré un surcoût considérable (prise en charge par deux équipes, transport en ambulance de l’hôpital central vers l’hôpital régional), le «cost-weight» total pour les deux séjours hospitaliers ensemble s’élève uniquement à 1,9195 point, ce qui correspond à 48% du Scénario 1.

Scénario 3

Si le même patient, au lieu d’être hospitalisé à l’hôpital central durant 10 jours (Scénario 1) ou durant 3 jours (Scénario 2), y est hospitalisé durant 6 jours, avec un transfert vers l’hôpital régional pour la durée d’hospitalisation restante, c’est-à-dire du Jour 7 au Jour 10, le cost-weight total est encore plus faible (1,565 point ou 39,6% du cost-weight du Scénario 1), car les réductions prévues sont encore plus importantes et cela n’est ni compréhensible ni logique.
Tableau 2: Répercussions financières de trois scénarios différents de prise en charge d’un prématuré avec problèmes respiratoires.
 Age gestationnel/poids de naissance (poids à l’admission)ProblèmeHospitalisationDRG«Cost-weight»Durée moyenne de séjour (DMS) [jours] 1er jour – ­rémunération supplémentaire1er jour  – ­rémunération supplémentaireTransfert externe: réduction par jour«Cost-weight» effectif
1Prématuré de 33 6/7 SG 
Poids de naissance de 1980 gCPAP 48 hHôpital central Jour 1–10: 
= 9 jours d’hosp.P65A3,95524,5 7420,1553,955
   P65A:Nouveau-né, poids à l’admission 1500–1999 g, avec ventilation artificielle >24 h et <96 h ou avec problème sévère
«Cost-weight» total (9 jours d’hospitalisation à l’hôpital central): 3,955 (100%)
2Prématuré de 33 6/7 SG 
Poids de naissance de 1980 gCPAP 48 hHôpital central Jour 1–4: 
= 3 jours d’hosp.P60B1,0912   1,091
   P60B:Nouveau-né, décédé ou transféré < 5 jours après admission sans procédure opératoire significative, ou avec ventilation artificielle >24 et <96 heures
Prématuré de 34 2/7 SG 
Poids à l’admission de 1900 gAucunHôpital régional Jour 4–10: 
= 6 jours d’hosp. 5,5 de moins que la DMSP65C1,47211,53230,1171,472 
– (5,5 × 0,117) 
= 0,8285
   P65C:Nouveau-né, poids à l’admission 1500–1999 g
«Cost-weight» total (3 jours d’hospitalisation à l’hôpital central, 6 jours à l’hôpital régional): 1,9195 (48,5%)
3Prématuré de 33 6/7 SG 
Poids de naissance de 1980 gCPAP 48 hHôpital central Jour 1–7: 
= 6 jours d’hosp.P65A3,95524,57420,1553,955 
– (18,5 × 0,155) 
= 1,0875
   P65A:Nouveau-né, poids à l’admission 1500–1999 g, avec ventilation artificielle >24 h et <96 h ou avec problème sévère
Prématuré de 34 6/7 SG 
Poids à l’admission 1950 gAucunHôpital régional Jour 7–10: 
= 3 jours d’hosp.P65C1,47211,53230,1171,472 
– (8,5 × 0,117) 
= 0,4775
   P65C:Nouveau-né, poids à l’admission 1500–1999 g
«Cost-weight» total (6 jours d’hospitalisation à l’hôpital central, 3 jours à l’hôpital régional): 1,565 (39,6%)
Bien que de tels calculs n’aient pas encore fait leur entrée d’une manière générale dans la pratique clinique quotidienne, il y a néanmoins le risque que dans un contexte de pression économique croissante, la collaboration au sein des réseaux de néonatologie soit davantage marquée par des considérations pécuniaires que par des considérations centrées sur le patient.

Discussion

La néonatologie, en tant que sous-spécialité de la pédiatrie, se caractérise par une collaboration au sein de réseaux intercantonaux. Des réunions organisationnelles et administratives auxquelles participent tous les responsables de services de néonatologie de Suisse (SwissNeoNet) ont lieu régulièrement. Une banque de données commune («Minimal Neonatal Data Set») sert au contrôle de la qualité de la prise en charge des patients à haut risque et à la comparaison internationale grâce à la participation au «Vermont Oxford Network». Par ailleurs, la liste nationale des places disponibles en unités de soins intensifs, accessible en ligne et actualisée quotidiennement, témoigne elle aussi de la collaboration interrégionale intensive. Compte-tenu de l’augmentation pronostiquée des naissances au cours des prochaines années et de la pénurie croissante de personnel soignant spécialisé, cette collaboration fructueuse est mise en péril par un manque grandissant de places en unités de soins intensifs néonatals. L’introduction des forfaits par cas conduit en outre à une sous-rémunération des coûts réels pour de nombreux groupes de patients de néonatologie et menace encore davantage les réseaux qui fonctionnent bien, en raison de la pression économique exercée.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd.
Matthias Roth-Kleiner
Service de Néonatologie
Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois
Avenue Pierre Decker 2
CH-1011 Lausanne
matthias.roth[at]chuv.ch
1 Kohli R, Bläuer A, Perrenoud S, Babel J. Les scénarios de l’évolution de la population de la Suisse. Office fédéral de la statistique. Neuchâtel, 2015. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques-donnees/publications.assetdetail.350327.html.
2 Daussac E, Leslie A, Roth-Kleiner M, Zwissig M, et al. Le transfert néonatal par un SMUR pédiatrique, de la salle de naissance à la réanimation, en France… et ailleurs. Rév Méd Périnat 2018;10:50–8.