Indications à la nutrition artificielle chez les patients en soins palliatifs
Une démarche par étape

Indications à la nutrition artificielle chez les patients en soins palliatifs

Übersichtsartikel
Édition
2019/4950
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08409
Forum Med Suisse. 2019;19(4950):800-802

Affiliations
a Service de médecine palliative, Hôpitaux universitaires de Genève, Université de Genève; b Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition, Hôpitaux universitaires de Genève, Université de Genève

Publié le 04.12.2019

La décision d’introduire une nutrition artificielle doit demeurer proportionnelle aux objectifs cliniques que l’on cherche et aux effets indésirables.

Introduction

Les soins palliatifs sont une approche qui vise à ­améliorer la qualité de vie des patients atteints d’une maladie évolutive avancée et de leurs familles. Le symptôme de cachexie-anorexie est un symptôme qui concerne presque l’ensemble des patients en soins palliatifs, atteints d’un cancer, mais aussi d’une maladie non oncologique [1, 2]. La prise de décision de l’introduction ou non d’une nutrition artificielle reste une question médicalement difficile, mais souvent aussi empreinte de beaucoup d’émotion car manger est synonyme de vie. Par ailleurs, les preuves scientifiques concernant la nutrition artificielle (nutrition entérale et parentérale) dans ces situations sont limitées [1, 3]. En effet la cachexie est un événement multifactoriel caractérisé par une perte de poids et de masse musculaire. Elle est souvent associée au cancer mais peut se retrouver dans de nombreuses autres pathologies chroniques. Elle entraîne une fatigue, une péjoration de la fonction physique et de la qualité de vie, augmente la durée de séjour hospitalier et la mortalité et, dans le contexte oncologique, augmente le risque de toxicité lié aux chimiothérapies. Elle est traité par des mesures nutritionnelles mais avec une efficacité limitée.

Cas clinique

Mme X est atteinte d’une maladie oncologique avancée pour laquelle elle a reçu de nombreux traitements oncologiques. Elle présente ce jour une importante baisse de l’état général, avec une anorexie, cachexie et asthénie. Elle a beaucoup de peine à se lever du lit, mais elle arrive quand même à vaquer à ces activités de la vie quotidienne. Elle vient à votre cabinet accompagnée de son mari qui vous demande de prescrire une alimentation artificielle pour son épouse afin qu’elle puisse reprendre des forces!
Une démarche par étape peut nous aider à trouver la meilleure décision pour Mme X, mais également pour son mari. Cette démarche comporte plusieurs étapes qui sont détaillées ci-dessous et dans la figure 1.
Figure 1: Dénutrition et soins palliatifs: la démarche par étape.

Discussions

Trajectoire de vie-pronostic

Chez les patients atteints d’une maladie évolutive avancée, celle-ci peut se diviser en trois phases:
– phase active de traitement de la maladie (par exemple chimiothérapie, etc.);
– phase symptomatique pendant laquelle le contrôle des symptômes et la meilleure qualité de vie sont privilégiés;
– phase terminale.
Mme X se situe probablement dans la phase symptomatique qui est certainement la plus difficile pour décider de l’indication ou non de prescrire une nutrition artificielle. En effet, dans la phase active, la nutrition artificielle peut avoir toute sa place. En revanche, dans la phase terminale, qui comporte souvent une cachexie réfractaire, la non-prescription est généralement approuvée.
Une autre approche plus pragmatique consiste à estimer si Mme X va survivre plus de 3 mois avec l’importante limite de nos difficultés à estimer le pronostic des patients.

Projet de vie – qualité de vie

Notre prise de décision sera différente chez Mme X, si celle-ci estime être arrivée à la fin de sa vie et souhaite profiter de petits plaisirs quotidiens ou si elle souhaite absolument rester en vie jusqu’à la naissance de sa petite-fille dans quatre mois.

Evaluation de l’anorexie

Elle comporte le poids et la mesure de l’index de masse corporelle (attention aux œdèmes) et les mesures de certains paramètres de laboratoire si l’objectif est de tenter d’améliorer l’état nutritionnel. De même, la mesure des apports alimentaires peut être très aidante.
L’anamnèse habituelle type P (pallie, provoque), Q (qualité; intensité), R (région), S (symptômes associés: comme nausées, vomissements), T (temporalité), U («under­stand»; signification), I (impact sur la vie quotidienne) est indispensable.
Ainsi qu’un examen clinique qui recherche les étiologies traitables ou améliorables :
– mycose, mucite, problème de prothèse dentaire;
– troubles de l’odorat et du goût;
– nausées-vomissements, stase gastrique
– constipation, occlusion intestinale
– dépression, angoisse
– autres symptômes mal soulagés (prurit, dyspnée, confusion …).
– médicaments.
La mesure des répercussions de l’anorexie de Mme X est particulièrement importante, car souvent la diminution de la prise alimentaire est une difficulté plus importante pour les proches que pour les patients eux-mêmes, chez qui la diminution du sentiment de faim fait partie de leur maladie.

Autres éléments pouvant être discutés/introduits

L’amélioration ou la correction de toutes les causes doit être privilégiée comme: des soins de bouche fréquents (glaçons, salive artificielle); traitement d’une mycose buccale ou introduction d’un traitement antiémétique ou laxatif.

Prise en charge générale

Mme X doit être encouragée à boire et à manger, mais sans subir de persuasion ni de pression.
En effet, l’alimentation est symbole de vie et donc l’information, versus formation des proches sur la situation médicale de Mme X et sur le fait qu’elle ne va pas mourir de faim, mais de sa maladie, est cruciale dans la prise en charge. Mme X a aussi le droit de refuser la nutrition artificielle [4].
L’alimentation doit être adaptée à son odorat et à son goût qui sont souvent modifiés. Souvent des petites quantités d’aliments bien mis en valeurs sur l’assiette, servies plusieurs fois dans la journée, peuvent l’aider à s’alimenter. Une consultation avec une diététicienne permet, après la mesure du bilan alimentaire, de mettre en place des aliments enrichis en énergie et en protéines. Le bénéfice de la consommation de suppléments nutritionnels oraux, appréciés par certains patients, a été peu étudié dans cette population. Le choix de cette consommation doit être laissé aux patients.
De nombreux traitements de l’anorexie sont en étude, mais actuellement uniquement les corticoïdes sont reconnus (par exemple, prednisolone 10 mg 1×/j). Néanmoins, la stimulation de l’appétit n’étant pas maintenue dans le temps (au-delà de 4 semaines), le bénéfice de poursuivre le traitement devra être réévalué au cours du temps. De plus, une corticothérapie à long terme engendre une perte de masse musculaire qui pourrait entraver les capacités physiques [5]. La corticothérapie devra être arrêtée en cas d’inefficacité ou d’intolérance [6].

Bénéfices et effets indésirables d’une ­nutrition artificielle

La décision d’introduire une nutrition artificielle doit demeurer proportionnelle aux objectifs cliniques que l’on cherche et aux effets indésirables. L’adaptation d’un modèle type «evidence based clinical decisions» est compliquée car le niveau de preuve est bas, comme souligné dans la dernière revue Cochrane sur le thème [3, 7, 8].
Il existe un certain consensus sur l’indication (amélioration de la qualité de vie) d’une nutrition artificielle entérale chez les patients avec des troubles de la déglutition dus à un cancer de la sphère ORL ou de l’œsophage localement avancé, et chez les patients avec une maladie neuro-musculaire type sclérose latérale amyotrophique et chez qui le tube digestif est fonctionnel, ou chez les patients avec un accident vasculaire cérérbal (AVC). Il faut rester attentif aux complications et effets secondaires (en particulier effet digestif; régurgitations et pneumonies d’inhalation). L’indication n’est pas retenue pour les patients atteints de démence sévère [9].
La nutrition parentérale doit être privilégiée chez les patients avec un système digestif non fonctionnel ou dysfonctionnel, comme un iléus ou une carcinose péritonéale chez des patients avec un cancer du côlon ou de l’ovaire localement avancé par exemple.
Dans tous les cas, la prise de décision doit se faire en équipe interprofessionnelle (médecins-infirmière; diététicienne; physiothérapeute …) en intégrant le patient et ses proches comme partenaires. Une étude a bien montré que la nutrition artificielle est plus promue chez les médecins qui ne sont pas formés aux soins palliatifs ou qui n’ont pas la disponibilité pour organiser des réunions avec le patient et ses proches [10].
Des objectifs mesurables doivent être déterminés également en équipe (amélioration du poids et de la force sortir du lit …) avec une date de réévaluation fixée [4].
Les effets indésirables doivent également être atten­tivement suivis et mesurés (par exemple tolérance ­digestive en cas de nutrition entérale, complications infectieuses, thrombotiques et métaboliques en cas de nutrition parentérale).
Par ailleurs, en situation palliative, la balance bénéfices/inconfort est à rediscuter régulièrement, notamment dès l’apparition des symptômes d’inconfort puisque «seule une balance positive justifie la poursuite d’une alimentation artificielle». En pratique, il est toujours plus facile de ne pas débuter une alimentation artificielle que de devoir l’arrêter et, dans tous les cas, on doit rappeler à Mme X qu’elle a le droit à tout moment de changer d’avis. En effet, elle pourrait avoir le projet de vouloir rentrer chez elle ou un projet de permission, qui nous encouragerait à modifier nos ­objectifs pendant un temps donné, afin de tenter de ­répondre aux objectifs de Mme X.

Conclusion

Vous avez organisé une réunion avec les différents professionnels qui s’occupent de Mme X, Mme X, son mari et sa fille. Au cours de cette réunion, il a été mis en évidence que l’anorexie n’était pas un problème pour Mme X et le couple a bien compris qu’au vu de la maladie ­oncologique avancée, l’administration d’une nutrition artificielle n’améliorera probablement pas la qualité de vie de Mme X. Elle a bénéficié d’une consultation par une diététicienne et a pu adapter son alimentation dans un objectif de plaisir. Elle est décédée 5 mois plus tard en raison d’une surinfection pulmonaire en lien avec l’aggravation de sa maladie.

L’essentiel pour la pratique

• La dénutrition est très fréquente chez les patients en soins palliatifs.
• La prise de décision de l’introduction ou non d’une nutrition artificielle reste une question médicalement difficile, mais souvent aussi empreinte de beaucoup d’émotion. Elle doit demeurer proportionnelle aux objectifs cliniques que l’on cherche et aux effets indésirables.
• Les preuves scientifiques concernant le bénéfice de la nutrition artificielle (nutrition entérale et parentérale) dans ces situations sont limitées.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Sophie Pautex
Service de médecine
palliative
Département réadaptation et gériatrie
Hôpitaux Universitaires de Genève
11, chemin de la Savonnière
CH-1245 Collonge-Bellerive
sophie.pautex[at]hcuge.ch
 1 Dev R, Dalal S, Bruera E. Is there a role for parenteral nutrition or hydration at the end of life? Current opinion in supportive and palliative care. 2012;6(3):365–70.
 2 Fearon K, Strasser F, Anker SD, Bosaeus I, Bruera E, Fainsinger RL, et al. Definition and classification of cancer cachexia: an international consensus. The Lancet Oncology. 2011;12(5):489–95.
 3 Good P, Richard R, Syrmis W, Jenkins-Marsh S, Stephens J. Medically assisted nutrition for adult palliative care patients. The Cochrane database of systematic reviews. 2014(4):Cd006274.
 4 Druml C, Ballmer PE, Druml W, Oehmichen F, Shenkin A, Singer P, et al. ESPEN guideline on ethical aspects of artificial nutrition and hydration. Clinical nutrition (Edinburgh, Scotland). 2016;35(3):545–56.
 5 Arends J, Bachmann P, Baracos V, Barthelemy N, Bertz H, Bozzetti F, et al. ESPEN guidelines on nutrition in cancer patients. Clinical nutrition (Edinburgh, Scotland). 2017;36(1):11–48.
 6 Tuca A, Jimenez-Fonseca P, Gascon P. Clinical evaluation and optimal management of cancer cachexia. Critical reviews in oncology/hematology. 2013;88(3):625–36.
 7 Haynes RB, Devereaux PJ, Guyatt GH. Clinical expertise in the era of evidence-based medicine and patient choice. ACP journal club. 2002;136(2):A11–4.
 8 Schwartz DB. Integrating patient-centered care and clinical ethics into nutrition practice. Nutrition in clinical practice : official publication of the American Society for Parenteral and Enteral Nutrition. 2013;28(5):543–55.
 9 Volkert D, Chourdakis M, Faxen-Irving G, Fruhwald T, Landi F, Suominen MH, et al. ESPEN guidelines on nutrition in dementia. Clinical nutrition (Edinburgh, Scotland). 2015;34(6):1052–73.
10 Brody H, Hermer LD, Scott LD, Grumbles LL, Kutac JE, McCammon SD. Artificial nutrition and hydration: the evolution of ethics, evidence, and policy. Journal of general internal medicine. 2011;26(9):1053–8.