Cause rare de TSH basse
Quelle substance toxique pour l’hypophyse était en cause?

Cause rare de TSH basse

Coup d'œil 1
Édition
2020/1112
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08394
Forum Med Suisse. 2020;20(1112):204-205

Affiliations
Endokrinologie/Diabetes/klinische Ernährung, Medizinische Universitätsklinik der Universität Basel, Kantonsspital Aarau

Publié le 10.03.2020

Un homme âgé de 64 ans s’est présenté dans le service des urgences, atteint d’un sepsis. Les analyses de sang ont révélé, en tant qu’anomalies concomitantes, un TSH de 0,03 mU/l, un fT3 de <1 pmol/l et un fT4 de 8 pmol/l.

Contexte

La fréquence de l’hypothyroïdie iatrogène primaire et secondaire et de l’hyperthyroïdie primaire a augmenté en raison de l’utilisation croissante de nouvelles substances antinéoplasiques. Sous ces traitements, il conviendrait d’accorder une plus grande attention à la surveillance de la fonction thyroïdienne. Ce rapport de cas a pour but de montrer, à titre d’exemple, que des hypothyroïdies iatrogènes peuvent également survenir sous des traitements plus anciens tels que le rétinoïde synthétique bexarotène.

Rapport de cas

Un homme âgé de 64 ans s’est présenté en fin d’année dans notre service des urgences, atteint d’un sepsis dont le point de départ était des excoriations cutanées généralisées. Les analyses de sang ont révélé, en tant qu’anomalies concomitantes, une thyréostimuline (TSH) de 0,03 mU/l, une triiodothyronine libre (fT3) de <1 pmol/l et une thyroxine libre (fT4) de 8 pmol/l. Lors du diagnostic différentiel, un syndrome de la maladie euthyroïdienne dans le cadre du sepsis a en ­premier lieu été envisagé. Cependant, un syndrome de ­Sézary de progression rapide avait été diagnostiqué chez le patient au printemps de la même année et un traitement systémique par le rétinoïde synthétique bexarotène (Targretin®, importé d’Allemagne) avait en conséquence été initié tout juste deux semaines avant la présentation au service des urgences. Les effets indésirables sévères du bexarotène sont rares mais une hypothyroïdie centrale dose-dépendante survient chez 30–100% des patients traités. Un traitement de substitution par lévothyroxine a été débuté et les valeurs des hormones thyroïdiennes périphériques se sont normalisées (fig. 1). Malheureusement, le patient est décédé deux semaines plus tard d’un nouveau sepsis à point de départ cutané.
Figure 1: La courbe bleue montre l’évolution de la TSH, avec une chute abrupte après le début du traitement par bexarotène. Après le début du traitement de substitution, la TSH reste basse (et elle n’est en conséquence pas adaptée en tant que paramètre d’évolution), alors que les hormones thyroïdiennes périphériques se normalisent (TSH mesurée en mU/l, fT3 et fT4 ­mesurées en pmol/l).

Discussion

La fréquence de la dysthyroïdie iatrogène a considérablement augmenté en raison du développement et de l’utilisation de nouvelles substances antinéoplasiques. Les pathomécanismes des différentes préparations ­varient fortement. Les inhibiteurs de la tyrosine-kinase, par exemple, entraînent la plupart du temps une atrophie thyroïdienne directe avec hypothyroïdie par l’intermédiaire d’une thyroïdite mais peuvent toutefois également provoquer une hyperthyroïdie [1]. Les immunomodulateurs (par exemple ipilimumab, pembrolizumab) induisent une thyroïdite auto-immune ou une hypophysite avec hypothyroïdie primaire ou secondaire ou une hyperthyroïdie primaire [2]. A côté de cela, les médicaments qui ne sont plus beaucoup utilisés tels que l’interféron-α ou la thalidomide sont connus pour leurs effets sur la thyroïde.
Le bexarotène administré par voie systémique induit une hypothyroïdie secondaire dose-dépendante. Sur les plans physiopathologique et thérapeutique, le rétinoïde synthétique inhibe la prolifération de cellules tumorales et initie l’apoptose via la liaison sélective au récepteur X de rétinoïdes (RXR). Les récepteurs activés interagissent en outre avec d’autres cycles de régulation et fonctions métaboliques de l’organisme. Une hypertriglycéridémie est par exemple trouvée chez plus de 70% des patients traités. Une neutropénie réversible peut en outre survenir, la plupart du temps après 10–15 mois de traitement, et souvent en cas de traitement médicamenteux concomitant par interférons ou méthotrexate. Chez notre patient, le taux de neutrophiles était toujours dans la norme. L’interaction avec l’axe thyroïdien a d’une part lieu par le biais d’une inhibition directe de la production de TSH qui survient en l’espace de quelques heures à jours après le début du traitement chez plus de 90% des patients. D’autre part, la dégradation des hormones thyroïdiennes périphériques est accélérée [3, 4]. Tandis que le contrôle étroit de la fonction thyroïdienne suffit pour les immunothérapies/immunomodulateurs, l’administration prophylactique de lévothyroxine est déjà recommandée pour le bexarotène. Il convient ici de tenir compte du besoin accru en hormones thyroïdiennes entraîné par la dégradation accélérée. Le contrôle thérapeutique s’effectue au moyen du dosage des hormones thyroïdiennes libres car le TSH n’est pas adapté en tant que paramètre d’évolution du fait de l’étiologie hypophysaire (hypothyroïdie secondaire, fig. 1).
L’effet du bexarotène sur l’axe thyroïdien est complètement réversible, à la différence de celui des immunomodulateurs. Après l’arrêt du bexarotène, la fonction thyroïdienne se normalise sans nécessité de poursuivre un traitement de substitution [5]. Seules des irritations cutanées locales sont décrites en tant qu’effets indésirables de l’administration topique (gel à 1%) de bexarotène, à la différence de l’administration systémique.

Conclusion

Lorsqu’un traitement antinéoplasique est initié, il convient de prendre en compte les effets sur les autres systèmes d’organes. Dans certains cas, la surveillance est suffisante mais en cas d’administration systémique de bexarotène, une substitution par lévothyroxine doit déjà être débutée à l’initiation du traitement. La surveillance de l’hypothyroïdie secondaire s’effectue au moyen du dosage de la fT4.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Tristan Struja
Endokrinologie/Diabetes/klinische Ernährung
Medizinische
Universitätsklinik
Kantonsspital Aarau
Tellstrasse
CH-5001 Aarau
tristan.struja[at]gmail.com
1 Lodish MB, Stratakis CA. Endocrine side effects of broad-acting kinase inhibitors. Endocr Relat Cancer. 2010;17(3):R233–244.
2 Joshi MN, Whitelaw BC, Palomar MT, Wu Y, Carroll PV. Immune checkpoint inhibitor-related hypophysitis and endocrine dysfunction: clinical review. Clin Endocrinol (Oxf). 2016;85(3):331–39.
3 Scarisbrick JJ, Morris S, Azurdia R, Illidge T, Parry E, Graham-Brown R, et al. U.K. consensus statement on safe clinical prescribing of bexarotene for patients with cutaneous T-cell lymphoma. Br J Dermatol. 2013;168(1):192–200.
4 Graeppi-Dulac J, Vlaeminck-Guillem V, Perier-Muzet M, Dalle S, Orgiazzi J. Endocrine side-effects of anti-cancer drugs: the impact of retinoids on the thyroid axis. Eur J Endocrinol. 2014;170(6):R253–262.
5 Haanen J, Carbonnel F, Robert C, Kerr K, Peters S, Larkin J, Jordan K. Management of toxicities from immunotherapy: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up†. Annals of Oncology. 2017;28(suppl_4):iv119-iv142.