Défis diagnostiques dans le cadre d'une vascularite des petits vaisseaux
Une constellation très rare

Défis diagnostiques dans le cadre d'une vascularite des petits vaisseaux

Der besondere Fall
Édition
2020/3134
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08439
Forum Med Suisse. 2020;20(3134):466-468

Affiliations
Kantonsspital St. Gallen: a Klinik für Allgemeine Innere Medizin; b Institut für Pathologie; c Klinik für Rheumatologie; d Klinik für Radiologie und Nuklearmedizin

Publié le 29.07.2020

Nous rapportons le cas d’un patient de 54 ans, qui a été examiné en raison d’une inflammation systémique indéterminée. Il s’est présenté dans un état général et nutritionnel diminué.

Contexte

Les vascularites sont des maladies auto-immunes, qui se manifestent dans différents systèmes d’organes. La classification de ces maladies repose sur les segments vasculaires touchés, sur le tableau clinique et histologique, ainsi que sur les anticorps présents. La vascularite associée aux anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA), qui se caractérise par la présence typique d’ANCA, représente un sous-groupe de vascularites systémiques primitives. La granulomatose avec polyangéite (GPA, maladie de Wegener) est une vascularite nécrosante des petits vaisseaux avec des granulomes avant tout au niveau des voies respiratoires et des reins. Les manifestations localisées de la GPA peuvent toucher les voies respiratoires supérieures ou les yeux [1]. Tandis que des ANCA peuvent le plus souvent être mis en évidence dans les formes systémiques de la maladie, ils se retrouvent uniquement dans 83% des cas dans les formes localisées [2]. Conformément aux recommandations de consensus de 2017, des ANCA doivent être recherchés au moyen de tests basés sur des antigènes spécifiques (ELISA) pour la protéinase 3 (PR3) et la myéloperoxydase (MPO) en cas de suspicion de vascularite associée aux ANCA [3]. En cas de résultat de test négatif et de forte suspicion clinique, il convient en complément de réaliser une immunofluorescence indirecte (IFI). L’IFI sur granulocytes neutrophiles humains fixés à l’éthanol permet de distinguer divers profils de fluorescence cytoplasmique: marquage granuleux cytoplasmique (cANCA), marquage périnucléaire (pANCA) ou marquage atypique cytoplasmique (xANCA). La mise en évidence de PR3-ANCA coïncide le plus souvent avec l’IFI positive pour les cANCA, et la mise en évidence de MPO-ANCA coïncide le plus souvent avec l’IFI positive pour les pANCA [3].

Présentation du cas

Anamnèse et statut

Nous rapportons le cas d’un patient de 54 ans, qui a été examiné en raison d’une inflammation systémique indéterminée. Il s’est présenté dans un état général et nutritionnel diminué (indice de masse corporelle 21,2 kg/m2). Parmi les symptômes principaux figuraient toux sèche, rhinosinusite, xérostomie, odynophagie, épiphora, otalgie, hypoacousie, fièvre (39 °C), perte de poids (neuf kilogrammes en l’espace de cinq mois) et fatigue. A l’examen clinique, l’hypoacousie a été confirmée, et une rhinosinusite ainsi qu’un trouble de la ventilation tubaire ont été objectivés. L’examen clinique a en outre retrouvé une langue recouverte d’un dépôt blanchâtre et des œdèmes des jambes, sans autres anomalies cardio-pulmonaires.

Résultats et diagnostic

Les analyses de laboratoire ont montré une protéine C réactive (CRP) de 100 mg/l (valeur normale <5 mg) et une anémie microcytaire hypochrome avec une valeur d’hémoglobine (Hb) de 74 g/l (140–180 g/l), une teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine (TCMH) de 26 pg (27–31 pg) et un volume globulaire moyen (VGM) de 76 fl (80–95 fl). La créatinine était normale. Aucun sédiment actif n’était présent dans les analyses urinaires. Seule une discrète microalbuminurie a été constatée (rapport albumine/créatinine de 5,3 g/mol de créatinine [valeur normale 2,26 g/mol de créatinine], rapport protéines totales/créatinine de 14,93 g/mol de créatinine [valeur normale <7,9 g/mol]).
La tomodensitométrie (TDM) thoracique a révélé un épaississement péribronchovasculaire généralisé à prédominance centrale, ainsi que des nodules intrapulmonaires et consolidations isolés (fig. 1). A la bronchoscopie, une trachée décalée vers la gauche en son segment distal ainsi qu’une muqueuse d’aspect pavimenteux et sensible au contact au niveau de la carina ont été constatées. Au lavage broncho-alvéolaire (LBA), le nombre ­total de cellules était légèrement augmenté, avec une prolifération des granulocytes neutrophiles à 44%. La ponction à l’aiguille fine des aires ganglionnaires lymphatiques 7 et 10 du côté gauche a montré une population cellulaire lymphatique régulière, et n’a révélé ni granulomes ni cellules malignes. L’analyse microbiologique a permis d’exclure une cause bactérienne.
Figure 1: Tomodensitométrie thoracique. Epaississements péribronchovasculaires étendus, en partie nodulaires, à prédominance centrale, touchant tous les lobes pulmonaires, avec de petits nodules intrapulmonaires isolés et des consolidations en petites taches dans le cadre d’une granulomatose avec polyangéite atypique.
Après qu’une cause maligne ou infectieuse a été jugée improbable sur la base de l’anamnèse et des résultats des examens réalisés, une maladie inflammatoire systémique rhumatismale a été suspectée. Une tomographie par émission de positons au 18F-fluorodésoxyglucose (TEP FDG) a été réalisée afin de visualiser un éventuel foyer inflammatoire et de rechercher un site de biopsie potentiel. Un métabolisme du glucose augmenté a été observé dans les épaississements péribronchovasculaires (par exemple «standardized uptake value» [SUV] de la bronche segmentaire du lobe moyen max. 6,4), les consolidations nodulaires dans le parenchyme pulmonaire (SUV de la partie dorsale droite du lobe supérieur max. 2,1), les consolidations à proximité de la plèvre (SUV de l’apex pulmonaire max. 5,6), les fosses nasales et l’ensemble des sinus paranasaux (SUV 8,9), les végétations adénoïdes des deux côtés (SUV 10) et la paroi de l’aorte infrarénale (SUV 5). Sur la base du profil de distribution des altérations inflammatoires et des anomalies cliniques et de laboratoire, nous avons envisagé dans le cadre du diagnostic différentiel une vascularite associée aux ANCA et une maladie associée aux IgG4. Le taux sérique d’IgG4 était ­accru (539 mg/dl, valeur normale <135 mg/l); les PR3-ANCA et les MPO-ANCA (ELIA ImmunoCap™) ainsi que l’immunofluorescence (NOVA Lite® ANCA, fixation à l’éthanol) étaient négatifs. Lors d’une deuxième bronchoscopie avec des biopsies ciblées, nous avons à nouveau uniquement constaté une inflammation non ­caractéristique sans signes de vascularite ou de granulomes. Après une biopsie du cornet nasal inférieur droit et une polypectomie du côté droit, l’examen histologique a révélé dans le cornet nasal inférieur une inflammation nécrosante ulcéreuse/rhinite avec mise en évidence de cellules géantes multinucléées réparties de façon diffuse (fig. 2). Le rapport IgG/IgG4 des plasmocytes présents en abondance était <40%, ce qui n’était pas représentatif d’une maladie associée aux IgG4. Il n’y avait pas d’éosinophilie. Compte-tenu des résultats morphologiques, nous avons envisagé la présence d’une GPA.
Figure 2: Biopsie du cornet nasal inférieur droit (coloration à l’hématoxyline et à l’éosine, × 40). Nécrose centrale, avec des cellules géantes multinucléées (flèche) sur le côté gauche de l’image. Les préparations histologiques de la muqueuse nasale ont été envoyées pour évaluation consultative à l’institut de pathologie de l’hôpital Marienkrankenhaus de Hambourg, Allemagne, qui a confirmé le diagnostic de granulomatose avec polyangéite.

Traitement et évolution

La décision quant à un traitement d’induction de la rémission est fonction de la sévérité de la maladie et des manifestations organiques. Alternativement, deux régimes thérapeutiques sont disponibles pour le traitement de cette maladie systémique menaçant potentiellement les organes: cyclophosphamide ou rituximab [4]. En Suisse, il existe néanmoins une limitation pour l’utilisation du rituximab. Le traitement peut uniquement être mis en œuvre en cas de récidive sous cyclophosphamide, en présence de contre-indications au ­cyclophosphamide ou lorsque les patients souhaitent éventuellement encore avoir des enfants. Nous avons opté pour un traitement par cyclophosphamide selon le schéma CYCLOPS (6 «pulses» de 15 mg/kg sur 13 semaines) jusqu’à l’atteinte de la rémission [4]. En parallèle, nous avons initié une glucocorticothérapie par ­méthylprednisolone 150 mg i. v. sur trois jours, suivie d’une administration d’1 mg/kg par voie orale avec une réduction de la dose au cours des mois suivants. Sous ce traitement, nous avons observé une amélioration rapide des symptômes, une diminution de la CRP (17 mg/l) et une augmentation de l’Hb (124 g/l). Pour le maintien de la rémission, un traitement par azathioprine ou rituximab était planifié.

Discussion

Dans le cas présenté dans cet article, le patient présentait une maladie inflammatoire systémique avec ­atteinte des voies respiratoires inférieures et supérieures, et des altérations granulomateuses ont été mises en évidence à l’histologie. Outre une GPA, une maladie associée aux IgG4, une autre vascularite des petits vaisseaux, une granulomatose éosinophilique avec polyangéite (GEPA) et une polyangéite microscopique (PAM) entraient également en ligne de compte dans le diagnostic différentiel [1].
Les concentrations sériques d’IgG4 peuvent être augmentées chez les patients atteints de vascularites associées aux ANCA [5]. Sur la base des résultats de laboratoire, le patient remplissait les critères d’Umehara pour une possible maladie associée aux IgG4, mais deux autres maladies devaient au préalable être exclues chez ce patient [5]. Le patient ne présentait pas d’asthme ni d’éosinophilie, qui auraient dû être présents en cas de GEPA; par ailleurs, les granulomes ne sont pas caractéristiques d’une PAM [1].
La pose du diagnostic de GPA nécessite au préalable une classification de la maladie au sein du spectre des vascularites associées aux ANCA. A cet effet, au minimum un des critères suivants doit être rempli: mise en évidence histologique d’une vascularite, marqueur de substitution clinique (mononévrite multiple, purpura) ou mise en évidence d’ANCA et d’au moins une manifestation organique en dehors des voies respiratoires. Ce n’est qu’après que les critères de classification du «American College of Rheumatology» (ACR) de 1990 peuvent être appliqués [4, 6].
Le défi particulier dans notre cas consistait à classer la maladie parmi le groupe des vascularites associées aux ANCA alors que des ANCA n’ont pas été mis en évidence et qu’une vascularite n’a pas été objectivée à l’examen histologique. Si des ANCA (PR3 ou MPO) avaient été détectés chez ce patient, la maladie aurait sans problème été classifiée en tant que GPA. La définition de la GPA d’après la nomenclature du «International Chapel Hill Consensus» de 2012 était également satis­faite [1]. Dans la littérature, jusqu’à 96% de tous les patients atteints de GPA sont positifs pour les ANCA; pour les formes localisées, ce pourcentage s’élève à 83% [2]. Les cas ANCA-négatifs sont généralement des formes avec atteinte organique limitée, habituellement restreinte aux voies respiratoires supérieures. Dans le cas décrit, les voies respiratoires inférieures étaient également atteintes. L’inflammation de l’aorte infrarénale visualisée à la TEP-TDM reste indéterminée, mais elle peut potentiellement aussi correspondre à une manifestation de la GPA.
Il s’agissait ainsi d’une constellation très rare de GPA systémique, avec absence de mise en évidence d’ANCA. Cette constellation n’est pas prise en compte dans l’application des critères actuels. De nouveaux critères de classification pour diverses vascularites sont actuellement en cours de développement sur la base d’une vaste banque de données de la «Diagnostic and Classification Criteria for Vasculitis Study» (DCVAS).

L’essentiel pour la pratique

• Les vascularites associées aux ANCA sont généralement des maladies auto-immunes systémiques avec mise en évidence d’ANCA dans le sérum.
• Le diagnostic d’une GPA nécessite au préalable que la maladie soit classée parmi le spectre des vascularites associées aux ANCA; ensuite, les critères de classification du «American College of Rheumatology» (ACR) de 1990 peuvent être appliqués.
• L’absence de mise en évidence d’ANCA n’exclut pas une GPA lorsque la maladie parvient à être diagnostiquée par le biais d’anomalies cliniques ou histologiques.
Nous remercions le Dr Konstanze Holl-Ulrich, médecin-adjoint à l’institut de pathologie de l’hôpital Marienkrankenhaus de Hambourg, pour la collaboration précieuse.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis
Dr Daniela Median
Kantonsspital St. Gallen
Allgemeine Innere Medizin
Rorschacherstrasse 95
CH- 9007 St. Gallen
daniela.median[at]kssg.ch
1 Jennette JC, Falk RJ, Bacon PA, Basu N, Cid MC, Ferrario F, et al. 2012 revised International Chapel Hill Consensus Conference Nomenclature of Vasculitides. Arthritis Rheum. 2013;65(1):1–11.
2 Kallenberg CG. Usefulness of antineutrophil cytoplasmic autoantibodies in diagnosing and managing systemic vasculitis. Curr Opin Rheumatol. 2016;28(1):8–14.
3 Bossuyt X, Cohen Tervaert JW, Arimura Y, Blockmans D, Flores-Suarez LF, Guillevin L, et al. Position paper: Revised 2017 international consensus on testing of ANCAs in granulomatosis with polyangiitis and microscopic polyangiitis. Nat Rev Rheumatol. 2017;13(11):683–92.
4 Yates M, Watts RA, Bajema IM, Cid MC, Crestani B, Hauser T, et al. EULAR/ERA-EDTA recommendations for the management of ANCA-associated vasculitis. Ann Rheum Dis. 2016;75(9):1583–94.
5 Yoo J, Ahn SS, Jung SM, Song JJ, Park YB, Lee SW. No overlap between IgG4-related disease and microscopic polyangiitis and granulomatosis with polyangiitis despite elevated serum IgG4 at diagnosis: a retrospective monocentric study. Clin Rheumatol. 2019;38(4):1147–54.
6 Jayne D. The diagnosis of vasculitis. Best Pract Res Clin Rheumatol. 2009;23(3):445–53.