L’assurance invalidité
Guide pour le médecin traitant

L’assurance invalidité

Übersichtsartikel
Édition
2020/2326
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08521
Forum Med Suisse. 2020;20(2326):364-368

Affiliations
a Rhumatologie, La Tour Medical Group, Meyrin; b Service des Soins Intensifs, Hôpitaux Universitaires de Genève, Genève

Publié le 03.06.2020

Ce guide propose d’identifier les éléments médicaux pertinents pour le traitement d’une demande d’assurance invalidité, afin d’améliorer la collaboration avec l’assurance invalidité et de raccourcir les délais de prise en charge.

Introduction

L’assurance invalidité (AI) fait partie du premier pilier des assurances sociales suisses. Son but est de maintenir tous les assurés dans le monde du travail malgré une atteinte à la santé.
Tous les médecins, qu’ils soient en milieu hospitalier ou installés, ont un rôle prépondérant dans l’évaluation médicale des patients. En fournissant des informations complètes, ils permettent à l’AI de traiter chaque demande plus rapidement et de manière la plus objective possible.
Le but de cet article est de lister les principales prestations de l’AI et de répondre aux questions que peuvent se poser les médecins traitants lors de ces démarches.
Une collaboration efficace entre l’office AI et les médecins bénéficie aux patients.

Généralités

L’invalidité est définie par une incapacité de gain permanente ou durable secondaire à une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique résultant d’une maladie, d’un accident ou d’une infirmité congénitale [1–2].
L’AI est une assurance sociale obligatoire qui vise à réinsérer professionnellement les personnes devenues incapables de travailler pour des raisons de santé [3]. Lorsque la réinsertion professionnelle s’avère impossible, l’AI aide les personnes à couvrir leurs besoins vitaux au moyen de rentes.
En 2018, l’AI a versé 248 000 rentes d’invalidité pour adultes pour un montant de CHF 352 millions de francs [4].
Dans cet article, est considéré médecin traitant le médecin généraliste mais également tout médecin spécialiste impliqué dans la prise en charge du patient.
A des fins de clarté, seul le terme masculin de «patient» est utilisé mais il couvre tant la patientèle masculine que féminine.

Les trois piliers et leur rôle dans l’invalidité

L’AI existe depuis le 1er janvier 1960. Depuis, elle a connu six révisions, dont la dernière est en vigueur depuis le 1er janvier 2012. Dans le système assécurologique suisse, l’AI fait partie du premier des trois piliers (fig. 1).
Le premier pilier (prévoyance étatique) comprend l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), l’AI et des prestations complémentaires (allocations pour perte de gain [APG]) et couvre les besoins vitaux des personnes handicapées, des personnes âgées et des survivants. Il est obligatoire pour toute la population.
Le 2e pilier (prévoyance professionnelle) assure le maintien du niveau de vie antérieure en cas d’invalidité.
Figure 1: Les 3 piliers assécurologiques.
AVS: assurance-vieillesse et survivants; AI: assurance ­invalidité; PC: prestations complémentaires; LPP: loi sur la prévoyance professionnelle; LAA: loi sur l’assurance ­accident; 3a: prévoyance liée; 3b: prévoyance libre.
Le 3e pilier (prévoyance libre) prend en charge les besoins personnels et particuliers et maintient le niveau de vie antérieure en cas d’invalidité.

Les prestations de l’AI

L’AI s’organise de manière schématique en deux types de prestations: les mesures de réadaptation et les rentes. Le premier type (mesures de réadaptation) sert à maintenir le patient dans le monde du travail et le deuxième type (rente) est indiqué si, malgré les premières mesures, une perte de gain de longue durée ≥40% persiste. Selon l’AI «la réadaptation prime sur la rente».
La figure 2 résume les différentes étapes précédent la demande de rente.
Le tableau S1 (disponible dans l’annexe joint à l’article en ligne) résume les différentes prestations de l’AI, le rôle du médecin traitant à chaque étape et identifie les formulaires AI pertinents.
Figure 2: Schéma récapitulatif des étapes précédent la demande de rente. AI: assurance invalidité.

Détection précoce

La détection précoce vise à établir le plus tôt possible un contact avec l’AI lorsque le patient est en incapacité de travail, pour maintenir l’emploi et éviter l’invalidité. Elle peut être faite dès que le patient présente un des deux critères suivants:
– Il est en arrêt de travail depuis >30 jours de manière ininterrompue.
– Il présente plusieurs arrêts de courte durée sur un an.

Mesures d’intervention précoce

Elles font suite à la détection précoce mais peuvent également être demandées sans passer par cette étape. Elles doivent êtres simples et rapidement mises en œuvre. Elles sont définies lors d’un entretien d’évaluation et comprennent des mesures comme le maintien du poste de travail (mesures ergonomiques, placement à un poste plus adapté dans l’entreprise), ou des mesures de réorientation professionnelle. Elles sont limitées dans le temps (un an) et leur prise en charge est plafonnée à CHF 20 000 par assuré.
Une fois l’intervention précoce terminée, l’AI prend une des décisions suivantes:
– Des mesures de réinsertion ou des mesures d’ordre professionnel sont toujours indiquées: l’AI octroie des mesures de réadaptation.
– Les mesures d’intervention précoce sont un échec: l’AI refuse le droit à des mesures de réadaptation et examine le droit à une rente.
– Les mesures d’intervention précoces sont réussies: l’AI refuse le droit à des mesures de réadaptation et refuse le droit à une rente.

Mesures de réadaptation

Les mesures de réadaptation comprennent:
– des mesures d’ordre professionnel;
– des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle;
– des mesures médicales;
– l’octroi de moyens auxiliaires.
Les mesures d’ordre professionnel comprennent des services d’orientation professionnelle, de formation professionnelle initiale, de placement ou de reclassement.
Les mesures de réinsertion servent à préparer l’assuré à la réadaptation professionnelle, pour augmenter ses chances d’y parvenir. Elles servent en particulier aux patients atteints de problèmes psychiques.
Les mesures médicales concernent les patients de moins de 20 ans.
L’AI prend en charge deux catégories de mesures:
– Celles qui visent la réadaptation professionnelle en vue d’améliorer la capacité de gain. Elles n’ont pas pour objet le traitement de l’affection en elle-même.
– Celles pour les personnes avec une infirmité congénitale. L’AI prend en charge les frais du traitement de l’infirmité (fonctionne comme une assurance maladie), sans tenir compte de la capacité de gain future.
L’AI permet le remboursement de moyen(s) auxiliaire(s) indispensable(s) à l’exercice de l’activité professionnelle ou à l’indépendance dans les actes de la vie quotidienne (aide acoustique, prothèses, chaise roulante, adaptation du véhicule, etc). Seuls des moyens auxiliaires de bases sont remboursés. Une liste officielle de prix existe [5].

Demande de rente

Le droit à une rente n’est examiné que quand les objectifs de la réadaptation n’ont pas été atteints ou seulement partiellement, ou lorsque des mesures de réadaptation sont d’emblée inappropriées.
Le but de la rente est de compenser les conséquences économiques durables de l’invalidité (diminution ou perte de revenu) en couvrant les besoins vitaux. La rente ne peut être versée au plus tôt qu’après une année d’incapacité de travail et six mois après l’annonce auprès de l’office AI du lieu de domicile.

Calcul de rente

Le droit à une rente dépend du taux d’invalidité, qui est défini par l’AI. L’invalidité est définie juridiquement par l’article 8 de la Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) [6]. Elle comprend:
– un élément médical: atteinte à la santé physique ou psychique,
– un élément économique: incapacité de gain (permanente ou de longue durée)
– et une relation de causalité entre l’atteinte à la santé et l’incapacité de gain.
L’incapacité de gain est une notion économique, définie juridiquement par l’article 7 de la LPGA [7]. Elle résulte de la comparaison du revenu avant la survenue de l’invalidité (revenu sans invalidité) avec le revenu qui pourrait être obtenu en exerçant une activité lucrative adaptée (revenu hypothétique d’invalide).

Exemple

Mme L, 45 ans, ancienne infirmière de bloc opératoire, est atteinte d’une sclérose en plaque. Elle est devenue tribu­taire d’un fauteuil roulant du fait d’une paraparésie. Elle ne peut plus exercer son activité d’infirmière de bloc.
On compare: le revenu d’infirmière de bloc (revenu sans invalidité) avec le revenu qu’elle pourra obtenir au terme des mesures de reconversion professionnelle par exemple en tant qu’assistante sociale (revenu d’invalide).
Cette perte de revenu (ou perte de gain) en % correspond au taux d’invalidité. Un taux d’au moins 40% donne droit à une rente (tab. 1).
Tableau 1: Taux d’invalidité et type de rente attribuée.
Taux d’invalidité en %Type de rente
<40%Pas de rente
≥40%Quart de rente
≥50% Demi rente
≥60% Trois quarts de rente
≥70% Rente entière

Révision de rente

Les offices AI réexaminent régulièrement les rentes en cours. Ils examinent si l’état de santé s’est modifié (amélioration ou aggravation). Le patient a l’obligation d’informer l’AI de toute modification de sa situation personnelle ou économique qui pourrait avoir une incidence sur son droit aux prestations.
Par exemple:
– état de santé amélioré ou aggravé;
– revenu modifié;
– modification du statut matrimonial (décès, divorce, etc);
– reprise d’une activité professionnelle (à temps partiel / à plein temps).
La non-annonce d’une modification de l’état de santé est considérée comme une fraude à la loi sur l’assurance invalidité et est punissable, que ce soit par suppression du droit à la rente, réduction des prestations ou restitution des prestations indûment perçues [8].

Les rapports médicaux pour l’AI

Le rôle du médecin traitant est central dans les diverses prestations. Les documents fournis (rapport médical AI, documents médicaux) sont indispensables à l’instruction du dossier. La non transmission des documents pénalise le patient. Plus les informations fournies sont précises et exhaustives, moins l’AI aura recours aux expertises pour prendre sa décision.
Le médecin traitant est d’office délié du secret médical par son patient dès que celui-ci dépose une demande.
L’AI est soumis au secret médical, et ne peut fournir des informations au médecin traitant que si le patient fait une procuration écrite.
Les attentes de l’AI vis-à-vis du médecin traitant sont:
– d’établir un rapport médical détaillé, de préférence dactylographié;
– de lister le ou les diagnostics (avec code CIM-10 pour les atteintes psychiques);
– d’identifier les limitations fonctionnelles (cf. paragraphe IV-2);
– de déterminer l’incapacité de travail dans l’activité habituelle (cf. paragraphe IV-3);
– de déterminer la capacité de travail résiduelle en fonction des limitations fonctionnelles et des ressources du patient.
Chaque médecin impliqué remplit un formulaire et complète les informations de sa spécialité. La facturation des rapports se fait selon la tarification TARMED [9].

Limitation fonctionnelle (fig. 3)

Est considérée limitation fonctionnelle tout déficit physique et/ou psychique secondaire à une atteinte à la santé et limitant l’exercice de certaines activités. Elle est évaluée par le médecin traitant, qui doit également préciser les fonctions et les capacités résiduelles du patient. Il n’existe pas de liste officielle de limitations fonctionnelles, mais l’AI propose des exemples dans les formulaires réadaptation professionnelle/rente. La brochure de la «Swiss Insurance Medicine» (SIM) détaille également des limitations fonctionnelles [10].
Figure 3: Exemples de limitations fonctionnelles.
BPCO: bronchopneumopathie chronique obstructive.

L’incapacité de travail

Il y a incapacité de travail (IT) quand, du fait de l’atteinte à la santé, le patient ne peut plus exercer son métier ou ne peut plus le faire que partiellement [11]. L’IT est définie par le médecin traitant. Elle est exprimée en pourcentage d’incapacité: IT totale (100%) ou partielle (20%, 40%, 70% ...). Elle découle des limitations fonctionnelles préalablement déterminées (fig. 4).
Attention: un même diagnostic n’entraîne pas forcément la même incapacité de travail. Il faut tenir compte de la sévérité de la maladie et du métier exercé.
Pour rappel, le taux d’IT (élément médical) n’a pas de rapport avec le taux d’invalidité (élément économique).
Figure 4: Incapacité de travail. BPCO: bronchopneumopathie chronique obstructive; NYHA: New York Heart Association.

Conclusion

L’AI s’organise en plusieurs prestations. Actuellement les mesures de réadaptation sont privilégiées par rapport à l’octroi de rente.
Lors des demandes de prestations (intervention précoce, réadaptation, rente), le médecin traitant joue un rôle prépondérant. D’une part, il conseille et soutient son patient pour le maintenir sur le marché du travail, d’autre part, il collabore avec l’AI en fournissant des ­informations les plus complètes possibles pour l’instruction du dossier. Tous ces points sont résumés dans le tableau S1 (disponible dans l’annexe joint à l’article en ligne). Une collaboration efficace entre l’AI et le médecin traitant est bénéfique pour les patients. Tout dossier incomplet pénalise le patient.

L’essentiel pour la pratique

• Penser à la détection précoce en cas d’incapacité de travail prolongée (>30 jours d’arrêt ininterrompu ou plusieurs arrêts sur une période d’un an).
• Remplir les questionnaires de façon la plus exhaustive possible, en ­détaillant les diagnostics, l’anamnèse, le status et les traitements.
• Fixer les limitations fonctionnelles et les incapacités de travail qui ­découlent des diagnostics retenus.
• La réadaptation prime sur la rente.
• Comprendre les conditions et le calcul pour l’octroi d’une rente.
Sites internet utiles pour les médecins:
http://www.ai-pro-medico.ch: toutes les informations utiles pour les différentes prestations, tous les formulaires sont à disposition sur ce site.
https://www.swiss-insurance-medicine.ch: pour les médecins qui s’intéressent à la médecine d’assurance (cours, formation continue).
L’annexe est disponible en tant que document séparé sur https://doi.org/10.4414/fms.2020.08521.
Les auteures remercient Monsieur Lucas Jeandupeux, juriste à l’Office AI de Neuchâtel, pour sa relecture attentive et ses suggestions.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Géraldine Paratte
Service des Soins Intensifs,
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
CH-1205 Genève
geraldine.paratte[at]hcuge.ch
 1 Centre d’information AVS/AI 2020. «Tout savoir sur l’AI», 140 p.
 2 Loi fédérale du 06 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), Art 3–4 Maladie et Accident.
 3 https://www.ch.ch/fr/assurance-invalidite – Définition de l’AI.
 4 Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Statistique de l’AI 2018. Mai 2019.
 6 Loi fédérale du 06 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), Art 8 Invalidité.
 7 Loi fédérale du 06 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), Art 8 Incapacité de gain.
 8 Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS), Art.87 – Délits.
 9 Mémento sur la facturation Comment facturer les rapports pour l’AI et les entretiens avec l’AI? http://www.ai-pro-medico.ch/fileadmin/documents/Merkblatt_Rechnungsstellung/Merkblatt_Abrechnung_Arztberichte_FR.pdf
10 Swiss Insurance Medicine 2013 .«Capacité de travail exigible. Guide pour l’évaluation de la capacité de travail exigible par suite d’accident ou de maladie», 27 p.
11 Loi fédérale du 06 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), Art 8 Incapacité de travail.