Sans détour
Journal Club

Sans détour

Kurz und bündig
Édition
2020/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08691
Forum Med Suisse. 2020;20(5152):761-764

Publié le 15.12.2020

Afin que vous ne manquiez rien d’important: notre sélection des publications les plus actuelles.

Zoom sur ... Cancers de la vessie

– 1,1% de tous les hommes développent un cancer de la vessie (4× plus que les femmes).
– Outre le sexe masculin, l’âge et le tabagisme sont les principaux facteurs de risque.
– Autres facteurs de risque: anamnèse familiale positive, antécédents de radiothérapie, traitement par cyclophosphamide ou ifosfamide, exposition professionnelle (benzènes, amines aromatiques), cathéter à demeure, cystite chronique (y compris schistosomiase).
– Premier symptôme le plus fréquent: microhématurie ou macrohémat­urie indolore.
– Toute hématurie chez un individu de >35 ans nécessite, entre autres, de rechercher une tumeur.
– Première étape diagnostique: cystoscopie et cytologie de lavage vésical.
JAMA. 2020, doi.org/10.1001/jama.2020.17598, rédigé le 19.11.2020.

Pertinents pour la pratique

Modèles pour l’évaluation du risque d’un patient individuel: il reste encore beaucoup à faire!

Des modèles statistiques et des programmes de «machine learning» sont proposés en grand nombre pour le diagnostic et le pronostic individualisés. Les programmes de «machine learning» ne correspondent pas tous à de l’intelligence artificielle à proprement parler, mais à des calculateurs – certes impressionnants – basés sur des données existantes (algorithmes).
L’exemple de la prédiction du risque d’un patient individuel d’être hospitalisé en raison d’une maladie cardiovasculaire ou d’en décéder l’illustre clairement. Une évaluation comparative de plusieurs de ces modèles (n = 7) et programmes de «machine learning» (n = 12) a notamment révélé de grandes différences chez les patients qui présentent un risque cardiovasculaire élevé avec les méthodes traditionnelles. Chez pas moins de 3,1 millions de patients enregistrés dans le «Clinical Practice Research Datalink» anglais, les pronostics livrés par les 19 méthodes présentaient des différences quantitatives si importantes qu’aucune d’entre elles ne peut vraisemblablement être recommandée à l’heure actuelle pour la pratique [1].
Ce résultat s’explique probablement par le fait que les données, y compris cliniques, ont été utilisées de façon hétérogène et pas toujours judicieuse. Afin d’améliorer ces modèles pronostiques, une liste de contrôle a récemment été développée, recensant toutes les exigences à remplir (liste de contrôle TRIPOD [2]).
Rédigé le 10.11.2020.

Acides gras oméga-3: le chaos

Les acides gras hautement insaturés (oméga-3) sont devenus un marché se chiffrant en milliards, notamment pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Une ancienne étude (REDUCE-IT) avait comparé 4 g d’acide eicosapentaénoïque (EPA) purifié avec une huile non végétale et avait montré une réduction des évènements cardiovasculaires de près d’un quart après cinq ans [1].
L’étude STRENGTH à présent publiée [2], qui a comparé un mélange de 4 g d’acides gras oméga-3 (EPA et acide docosahexaénoïque) avec 4 g d’huile de maïs (6539 patients dans chaque groupe), a été interrompue prématurément en raison d’une absence d’efficacité. Une différence d’action biologiquement pertinente des acides gras oméga-3 utilisés est jugée improbable, contrairement à l’effet de l’huile utilisée dans le groupe placebo: les patients du groupe placebo de l’étude REDUCE-IT ont entre autres développé des valeurs significativement plus élevées de LDL et de CRP haute sensibilité. L’étude a donc potentiellement placé le groupe placebo dans une situation désavantageuse (préjudice), même si des interrogations demeurent quant au lien direct entre l’huile non végétale et les valeurs accrues de LDL/CRP.
Que faire maintenant? Les prescriptions médicales d’acides gras oméga-3 dans un but de prévention cardiovasculaire reposent sur des bases fragiles. La question de savoir si et quand il y aura une évaluation clinique supplémentaire est incertaine. Dans la mesure où les acides gras oméga-3 sont bel et bien commercialisés, un éditorial recommande de réaliser une étude post-commercialisation [3].
1 N Engl J Med. 2018, doi.org/10.1056/NEJMoa1812792.
Rédigé le 16.11.2020.

Nouveautés dans le domaine de la biologie

Un deuxième récepteur pour le SARS-CoV-2

Le SARS-CoV-2 se lie au récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ECA-2) via sa protéine Spike (S1). Toutefois, la liaison du SARS-CoV-2 et sa pénétration cellulaire sont massivement renforcées par un deuxième récepteur, la neuropiline 1. La neuropiline 1 est avant tout exprimée dans les voies respiratoires, et notamment dans les cellules épithéliales et endothéliales, ainsi que dans l’épithélium olfactif. La protéine S1 est clivée par une protéase et elle peut alors interagir avec la neuropiline 1. Ce site catalytique au niveau de la protéine S1 fait défaut pour les autres coronavirus. Ce site de liaison viral nouvellement décrit pourrait constituer une cible intéressante pour les médicaments.
Science 2020, doi.org/10.1126/science.abd2985 et doi.org/10.1126/science.abd3072. Rédigé le 16.11.2020.
La neuropiline 1 (NRP1) est un facteur-hôte de l'infection par le SARS-CoV-2. La figure montre des cellules humaines infectées par le SARS-CoV-2 et exprimant des protéines virales (en vert). L'élimination du NRP1 des cellules ou le traitement des cellules avec un médicament ou un anticorps ciblant le NRP1 réduit l'infection par le SARS-CoV-2 (Crédit: Université de Bristol).

Toujours digne d’être lu

Découverte des anticorps monoclonaux

Les anticorps monoclonaux (qui, selon l’usage, se terminent tous par «-mab») ont révolutionné le diagnostic et le traitement de nombreuses maladies. Il est peut-être bon de nous remémorer les débuts de cette technologie: Köhler et Milstein ont fusionné des plasmocytes de souris, qui avaient été immunisés contre des érythrocytes ovins, avec des cellules de myélome. In vitro, l’«hybridome» qui en a résulté a produit en continu un anticorps cytotoxique anti-érythrocytaire toujours identique (plus, dans le premier travail, encore un deuxième anticorps de spécificité non définie).
Nature. 1975, doi.org/10.1038/256495a0.
Rédigé le 19.11.2020.

Pour les médecins hospitaliers

La surveillance prospective améliore le devenir des patients opérés

Dans 20 départements de chirurgie français, une multitude de paramètres, à la fois indicateurs d’une amélioration et d’une détérioration de l’état des patients, ont été surveillés de manière prospective et consignés dans un tableau de suivi. Dans chaque département, un binôme appelé «champion partnership team» (2 spécialistes: des chirurgiens, anesthésistes ou infirmiers) était chargé de fournir des retours réguliers sur cette évolution objective, d’organiser et de diriger des réunions d’équipe, d’afficher des posters avec des consignes pertinentes dans le bloc opératoire et d’élaborer des plans d’amélioration. Le groupe contrôle était composé de 20 départements de chirurgie qui n’appliquaient pas cette surveillance. La population totale de patients comprenait plus de 155 000 adultes ayant fait l’objet d’interventions au niveau du tractus gastro-intestinal. La réduction absolue du risque d’évènement négatif (décès, admission en unité de soins intensifs, ré-opération, complications chirurgicales sévères en l’espace de 30 jours) s’élevait à 0,9%, soit à peu près un patient sur cent. Il y avait une augmentation significative de l’effet parallèlement au niveau d’observance de la surveillance par les départements de chirurgie.
L’évaluation prospective et les analyses régulières, mais certainement aussi la communication ouverte, l’analyse et les changements définis conjointement, expliquent probablement l’effet positif.
Rédigé le 10.11.2020.

Cela nous a également interpellés

Analyse du reflet rouge (test de Brückner) en pédiatrie

Ce test rapide et simple est réalisé avec l’ophtalmo­scope direct à une distance de 40–50 cm des pupilles. Il peut être effectué sans dilatation des pupilles. Toute différence entre les deux yeux au niveau de la couleur, de la brillance ou de la forme des pupilles est pathologique et devrait donner lieu à un examen ophtalmologique. Une analyse de cinq études, avec un total de plus de 8700 enfants en bas âge, confirme que la présence d’une anomalie est pratiquement toujours associée à une pathologie oculaire (spécificité de 97,5%). Toutefois, un test normal n’exclut pas la présence de pathologies!
Rédigé le 16.11.2020.

La maladie inflammatoire systémique ­constitue-t-elle une maladie à part entière chez les enfants infectés par le SARS-CoV-2?

Contrairement à ce que l’on pensait au début de la pandémie (évolutions le plus souvent légères chez les enfants), les formes sévères de COVID-19 se sont multipliées au cours des derniers mois en Europe et aux Etats-Unis chez des enfants avant tout afro-américains et hispaniques, mais pas seulement. Cette maladie, ou ce syndrome, est désormais appelée MIS-C («multisystem inflammatory syndrome in children») et présente un vaste spectre phénotypique (voir figure). Une partie de ce spectre, notamment la dilatation coronaire/coronarite et la cardiomyopathie, coïnciderait avec le ­syndrome de Kawasaki, tandis que la réaction inflammatoire sévère, y compris l’hyperferritinémie, coïnciderait avec le syndrome d’activation macrophagique.
Toutefois, d’après deux études ayant évalué 48 cas dans deux grandes cliniques de pédiatrie, les constellations de laboratoire suivantes sont typiques du MIS-C: lymphopénie et thrombopénie, anomalies morphologiques érythrocytaires (échinocytes, c.-à-d. érythrocytes avec projections épineuses, en anglais «burr cells»), élévations excessives de la CRP, taux ­accru de NT-ProBNP et profil cytokinique dominé par des valeurs élevées d’interleukine-6 et -10. On ne sait pas si des dérèglements d’origine génétique des interleukines (groupe 1, y compris autoanticorps anti-interféron) jouent un rôle, comme c’est le cas chez les adultes. Dans ces études, la mortalité s’élevait à 1/48; le traitement n’était pas standardisé et se composait de glucocorticoïdes et souvent aussi d’un inhibiteur de l’interleukine-1 (anakinra).
Rédigé le 18.11.2020.
Spectre phénotypique (de léger à sévère, de gauche à droite) du syndrome de Kawasaki, dans lequel pourrait peut-être s’inscrire le «multisystem inflammatory syndrome in children» (MIS-C). Symptômes gastro-intestinaux (GI) (diarrhée, hydropisie de la vésicule biliaire), «Aneurysm» = dilatation/anévrisme de l’artère coronaire, MAS = syndrome d’activation macrophagique (de: Yeung RS, Ferguson PJ. Is multisystem inflammatory syndrome in children on the Kawasaki syndrome spectrum? J Clin Invest. 2020;130(11):5681–4. doi:10.1172/JCI141718 . Copyright © 2020 American Society for Clinical Investigation. Reproduction avec l’aimable autorisation de l’éditeur. Autorisation transmise par le Copyright Clearance Center, Inc.).

Cela nous a réjouis

Leucémie myéloïde aiguë: la médecine de précision sur la voie rapide

La leucémie myéloïde aiguë (LMA) a avant tout un mauvais pronostic chez les personnes âgées. Lorsqu’une transplantation de moelle osseuse allogénique n’entre pas en ligne de compte, la guérison est impossible et la durée de survie des patients âgés de plus de 60 ans n’excède pas plus d’une demi-année. En raison de cette contrainte de temps, des chimiothérapies non-personnalisées, même évaluées dans des études prospectives, sont prescrites.
Dans le cadre de l’étude «Beat AML», il a désormais été possible de réaliser une analyse cytogénétique et d’établir un profil mutationnel en l’espace de seulement sept jours après la pose du diagnostic, puis de traiter les patients sur cette base. Dans cette étude, chez les 224 patients âgés d’en moyenne 72 ans qui ont bénéficié d’un tel diagnostic puis d’un traitement individualisé, la durée moyenne de survie a à peu près doublé (env. 13 mois) par rapport aux 103 patients qui avaient choisi un traitement standard.
Repousser l’initiation du traitement de sept jours était une stratégie risquée, mais qui semble manifestement s’avérer payante.
Rédigé le 17.11.2020.

Cela ne nous a pas réjouis

Informations concernant le COVID-19 chez les visons

Au Danemark, le SARS-CoV-2 s’est transmis aux visons et il s’est rapidement propagé chez ces animaux. Il y a également eu une transmission (on ignore encore comment) entre trois différents élevages de visons. Les deux tiers de tous les employés ont ensuite été infectés par un SARS-CoV-2 qui, d’après le séquençage génomique, avait manifestement muté chez les visons. Désormais, l’ensemble des quelques 17 millions de visons que compte le Danemark (le Danemark détient environ 40% du marché mondial) doivent être abattus. Un peu partout, cette mesure est jugée excessive, car une pathogénicité accrue n’a pas (encore?) été démontrée.
Rédigé le 16.11.2020.

Quel diagnostic posez-vous?

Urines brunes et grande fatigue
Une femme de 72 ans sous anticoagulation orale et traitement hypolipémiant (atorvastatine) augmente sa consommation d’alcool durant les vacances. Parmi ses antécédents connus figure un double remplacement valvulaire par des prothèses mécaniques en raison d’une sténose mitrale et aortique (suite à un rhumatisme articulaire aigu). Hormis la fatigue, elle ne présente pas de symptômes majeurs. Des ­tintements métalliques et un souffle systolo-diastolique ⅙ sont perçus à l’auscultation. Principaux résultats de laboratoire: CRP <4mg/l, hémoglobine = 8,5 g/dl, volume globulaire moyen légèrement augmenté, réticulocytes 13,3%, plaquettes normales, urines brunes avec hématurie, 3–5 érythrocytes par champ.
Votre diagnostic de suspicion est:
A) Myopathie induite par les statines avec rhabdomyolyse
B) Rhabdomyolyse induite par l’alcool
C) Anémie hémolytique immunologique
D) Anémie hémolytique d’origine mécanique
E) Syndrome de Zieve (hyperlipidémie, anémie ­hémolytique, hépatopathie alcoolique)

Remarques et réponse:


La créatine kinase (CK) était normale, tandis que le lactate déshydrogénase (LDH) était augmenté à près de 4000 U. Les valeurs hépatiques et le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) étaient normaux. Une rhabdomyolyse sans symptômes/avec une CK normale semble exclue. Le «sang» dans les urines avec une érythrocyturie minime pourrait donc correspondre à une hémoglobinurie. La première étape diagnostique a consisté à réaliser une échocardiographie transthoracique, qui a révélé des fuites paravalvulaires au niveau des deux valves. Après un nouveau remplacement valvulaire (histologie des pièces opératoires: valves fibrosantes et calcifiantes), correction de l’anémie hémolytique. La bonne réponse est donc la réponse D: les fuites et les altérations valvulaires avaient entraîné une destruction mécanique des érythrocytes par des forces de cisaillement.
N Engl J Med. 2020, doi.org/10.1056/NEJMcpc2027077.
Rédigé le 19.11.2020.
Une version encore plus actuelle du «Sans détour» est disponible «online first» sur medicalforum.ch et également en podcast (en allemand) sur emh.ch/podcast ou sur votre app podcast sous «EMH Journal Club»!