Transaminases élevées, exanthème thoraco-abdominal et doigts blancs
Quel est le lien entre ces anomalies?

Transaminases élevées, exanthème thoraco-abdominal et doigts blancs

Coup d'œil 1
Édition
2021/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08523
Forum Med Suisse. 2021;21(0102):35-36

Affiliations
a Departement Allgemeine Innere Medizin, Kantonsspital St. Gallen; b Klinik für Infektiologie, Kantonsspital St. Gallen; c Service de Rhumatologie, ­Centre ­hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne; d Klinik für Gastroenterologie/Hepatologie, Kantonsspital St. Gallen

Publié le 05.01.2021

Quel est le lien entre ces anomalies?

Présentation du cas

Un patient de 61 ans présentant une hépatite aiguë avec des transaminases 20 fois supérieures à la normale (ALT >1000 U/l [valeur normale <55 U/l] et AST >780 U/l [valeur normale <40 U/l]) a été adressé à notre consultation d’hépatologie pour évaluation. Il s’est présenté avec une détérioration de l’état général, des douleurs épigastriques, des sueurs nocturnes, une perte de poids de 5 kg, une efflorescence de lésions cutanées maculo-papuleuses sous forme de petites taches non prurigineuses prédominant au niveau du tronc (fig. 1), ainsi que des doigts blancs (fig. 2). Le patient a signalé avoir présenté pour la première fois il y a deux mois une coloration blanche et en partie bleue des doigts déclenchée par le froid et douloureuse.
Figure 1: Exanthème maculo-papuleux sous forme de petites taches au niveau du tronc (La publication a été réalisée avec l’accord du patient.).
Figure 2: Syndrome de Raynaud des doigts (La publication a été réalisée avec l’accord du patient.).
L’examen physique, y compris la palpation des ganglions lymphatiques, était sans particularités. En raison d’une hypertension artérielle, du lisinopril avait été prescrit. Les analyses de laboratoire ont montré un hémogramme normal et les transaminases étaient normalisées par rapport aux valeurs antérieures chez le médecin de famille. Compte tenu des valeurs normales de bilirubine, d’albumine et d’INR, rien n’indiquait la présence d’un trouble de la synthèse hépatique. L’échographie abdominale, particulièrement centrée sur le foie, la rate, la vésicule biliaire et les voies biliaires, était normale.

Discussion

En résumé, le patient s’est présenté avec une hépatite aiguë déjà régressive, un syndrome de Raynaud et un exanthème non prurigineux thoraco-abdominal et de la partie supérieure des bras.
Chez le médecin de famille, des antigènes HBs (Ag HBs) et des anticorps anti-HBc avaient déjà été mis en évidence et dès lors on a pu penser à une hépatite B aiguë.
Concernant l’exanthème, un effet indésirable du lisinopril a été envisagé dans le cadre du diagnostic différentiel. Toutefois, l’éruption cutanée n’était pas prurigineuse et n’avait pas une morphologie urticarienne typique. La présence d’un syndrome de Raynaud ­primaire nous a paru plutôt improbable compte tenu de l’apparition de troubles digitaux pour la première fois il y a 1–2 mois et de l’absence totale de ces symptômes par le passé. Il n’y avait pas d’indices anamnestiques et cliniques en faveur d’une maladie rhumatologique sous-jacente ou d’une cause traumatique. Lors d’une nouvelle anamnèse, cette fois centrée sur un éventuel comportement sexuel à risque, le ­patient a reconnu avoir eu des relations homosexuelles (rapport bucco-génital en tant que récepteur) il y a ­environ 2–3 mois.
Avec les Ag HBs positifs, les anticorps IgM anti-HBc et la mise en évidence par nos soins d’ADN du VHB (169 UI/ml), l’hépatite B aiguë a pu être confirmée [1]. Les tests de dépistage de l’hépatite C, de l’hépatite D et du VIH se sont révélés négatifs. En raison du comportement à risque et de l’exanthème, un test de recherche d’anticorps anti-Treponema pallidum a encore été prescrit. Suite à la mise en évidence d’anticorps IgG, un test d’agglutination de particules de Treponema pallidum (TPPA) et un test de la réagine plasmatique rapide (RPR) ont été réalisés pour confirmer une infection active et les deux se sont révélés fortement positifs. Lors de l’examen de contrôle, aucune ulcération (génitale/orale) et aucun gonflement des ganglions lymphatiques n’ont été constatés.
Au vu de la relation temporelle avec l’hépatite B aiguë et la syphilis contractées il y a deux mois, un syndrome de Raynaud secondaire nous a paru le plus probable. Comme le sang visant à déterminer les cryoglobulines n’est pas arrivé au laboratoire à une température de 37 °C, la présence de ces dernières n’a initialement pu être ni confirmée ni exclue.
La syphilis au stade secondaire a été traitée par injections intramusculaires de benzathine pénicilline G [2]. Avec ce traitement, la RPR a rapidement diminué, jusqu’à passer en-dessous du seuil de détection après six mois. Le test de dépistage du VIH a été répété et il était à nouveau négatif. Avec des valeurs hépatiques déjà en nette régression (deux mois après le moment suspecté de contamination), un ADN du VHB négatif, des Ag HBs négatifs et désormais une mise en ­évidence d’anticorps anti-HBs, une seroconversion spontanée est donc intervenue six mois plus tard. La guérison spontanée de l’hépatite B de ce fait était documentée.
Le syndrome de Raynaud a néanmoins persisté sous une forme peu prononcée après la guérison de l’hépatite B et le traitement réussi de la syphilis; il était toujours présent lors des consultations de suivi, jusqu’à deux ans plus tard. Ainsi, face à une microscopie capillaire pathologique et à la mise en évidence d’agglutinines froides, le diagnostic de connectivite indifférenciée avec syndrome de Raynaud secondaire a été évoqué [3–5]. Toutefois, étant donné que les anticorps antinucléaires (ANA) étaient négatifs et que le patient ne présentait pas d’arthralgies, il était délicat de poser le diagnostic de connectivite sur la seule base du syndrome de Raynaud. Ce patient présentait probablement une hyperréactivité vasculaire latente (syndrome de Raynaud), qui est devenue manifeste dans le cadre de l’immunostimulation polyclonale et/ou de l’atteinte vasculaire transitoire causées par l’infection. Elle régresse à présent lentement. La charge antigénique élevée (Ag HBs) peut entraîner une stimulation polyclonale des lymphocytes B et donc une production excessive d’anticorps, y compris d’agglutinines froides (anticorps IgM) froides qui, comme cela a été décrit dans la littérature, peuvent être responsables d’une acrocyanose ou d’un phénomène de Raynaud [6].
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Mikael Sawatzki
Klinik für Gastroentero­logie/Hepatologie
Kantonsspital St. Gallen
Rorschacherstrasse 95
CH-9007 St. Gallen
mikael.sawatzki[at]kssg.ch
1 Trépo C, Chan HL, Lok A. Hepatitis B virus infection. ­Lancet. 2014;384:2053–63.
2 Hook EW. Syphilis. Lancet. 2017;389:1550–7.
3 Lambova SN, Müller-Ladner U. Capillaroscopic pattern in systemic lupus erythematosus and undifferentiated connective tissue disease: what we still have to learn? Rheumatol Int. 2013;33(3):689–95.
4 Papp J, Sandor B , Toth A , Biro K , Rabai M , Botor D. Altered microrheological parameters in Raynaud’s phenomenon. Clin Hemorheol Microcirc. 2017;65(1):23–9.
5 Harper FE, Maricq HR, Turner RE, Lidman RW, Leroy LC. A prospective study of Raynaud phenomenon and early connective tissue disease. A five-year report. Am J Med. 1982;72(6):883–8.
6 Horowitz J, Klein M, Sukenik S. Cryoglobulinemia and Hepatitis B Markers in North African Jews with Raynaud’s Disease. Arthritis Rheum. 1986;29(8):1026–8.