Douleur cardiaque avec fièvre
Fièvre méditerranéenne familiale

Douleur cardiaque avec fièvre

Coup d'œil 1
Édition
2021/2728
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08667
Forum Med Suisse. 2021;21(2728):495-496

Affiliations
a Medizinische Klinik, Spital Limmattal, Schlieren; b Institut für Notfallmedizin, Spital Limmattal, Schlieren; c Klinik für Immunologie, Universitätsspital Zürich; d Klinischer Dozent, Universität Zürich

Publié le 07.07.2021

Un patient de 43 ans s’est adressé aux urgences avec des douleurs thoraciques rétrosternales présentes depuis une semaine et une toux productive avec des expectorations brun foncé, accompagnée d’épisodes de fièvre jusqu’à 39 °C.

Présentation du cas

Un patient de 43 ans s’est présenté dans notre service des urgences, car il présentait depuis une semaine des douleurs thoraciques rétrosternales lancinantes, ainsi qu’une toux productive avec des expectorations brun foncé. Les douleurs étaient dépendantes de la respiration et de la position. En outre, le patient présentait des épisodes fébriles avec une température allant jusqu’à 39 °C, parfois accompagnés de frissons, ainsi qu’une baisse d’appétit.
La veille, le médecin de famille avait initié une antibiothérapie par amoxicilline/acide clavulanique en raison d’une suspicion de pneumonie. Parmi les antécédents connus de ce patient originaire du Liban figurait une fièvre méditerranéenne familiale (FMF), avec poussées inflammatoires intermittentes quasi-mensuelles accompagnées de fièvre et d’une atteinte de l’articulation du genou.
Sur le plan clinique, le patient était tachycarde et fébrile et présentait un état général légèrement diminué (pression artérielle 139/79 mm Hg, pouls 105/min, saturation en oxygène de 99% en air ambiant, fréquence respiratoire 18/min, température 38,1 °C). L’auscultation pulmonaire était normale. Le patient, qui ne pouvait pratiquement pas être examiné en position allongée en raison de la douleur, était compensé sur le plan cardiaque et il ne présentait ni pouls paradoxal ni frottement péricardique.
L’électrocardiogramme (ECG) à 12 dérivations réalisé à l’admission est présenté dans la figure 1A. L’épanchement péricardique détecté à l’échocardiographie n’était pas pertinent sur le plan hémodynamique (fig. 1C), et des signes d’amyloïdose cardiaque faisaient défaut. Le patient a signalé qu’il ne prenait que de façon irrégulière la colchicine (1 mg/jour p.o.) qui lui avait été prescrite comme traitement au long cours.
Figure 1: A) L’électrocardiogramme (ECG) à 12 dérivations lors de l’admission a montré une tachycardie sinusale de 104/min et un bloc de branche droit partiel. Les segments ST dans les dérivations précordiales étaient légèrement sus-décalés et il y avait une négativité préterminale des ondes T dans les dérivations V4–V6. Dans la dérivation I, le segment PR était discrètement abaissé par rapport à l’intervalle TP le précédant. Les anomalies étaient compatibles avec une péricardite. C) A l’échocardiographie en coupe longitudinale apicale, un épanchement péricardique (*) non pertinent sur le plan hémodynamique était visible. Après six semaines de traitement, les anomalies ECG étaient en régression, la fréquence cardiaque s’élevait à 73/min (B) et l’épanchement péricardique n’était plus visible à l’échocardiographie (D). La publication a été réalisée avec l’accord du patient.
Au vu de tous ces résultats, nous avons interprété la péricardite de survenue aiguë en tant que manifestation d’une poussée de la FMF connue, qui a été occasionnée par la mauvaise observance médicamenteuse.

Discussion

La FMF est l’entité la plus fréquente parmi les syndromes auto-inflammatoires («autoinflammatory disease» [AID]). Elle est transmise d’un mode autosomique récessif et se manifeste par des épisodes récidivants de poussées fébriles, qui durent 1–4 jours et s’accompagnent de sérites, telles que péritonite, pleurésie, péricardite [1] ou arthrite [2].
Des mutations dans le gène MEFV sur le chromosome 16p13, qui code pour la protéine marénostrine/pyrine et est exprimé dans les granulocytes neutrophiles, conduisent à une activation incontrôlée des granulocytes neutrophiles et à leur migration dans les tissus, avec le développement d’une réaction inflammatoire, y compris la production de cytokines pro-inflammatoires [3].
Le diagnostic est posé cliniquement au moyen des critères de Tel-Hashomer, deux critères majeurs ou un critère majeur et deux critères mineurs devant être remplis (tab. 1, [2]).
Tableau 1: Critères de Tel-Hashomer [2].
Critères majeursEpisodes fébriles récidivants + sérite (péritonite, synovite, pleurésie)
Amyloïdose de type AA sans maladie prédisposante
Bonne réponse au traitement continu par colchicine
Critères mineursEpisodes fébriles récidivants
Erythème érysipélatoïde
Fièvre méditerranéenne familiale chez un apparenté au premier degré
Diagnostic: 2 critères majeurs / 1 critère majeur + 2 critères mineurs
Le diagnostic peut être confirmé, mais pas exclu, par des analyses génétiques moléculaires. En cas de manifestations cliniques typiques et d’origine ethnique compatible (personnes d’origine turque, arménienne ou arabe, Juifs non-ashkénazes) avec une anamnèse familiale positive et une réponse au traitement par colchicine, le diagnostic de FMF est confirmé. Parmi les diagnostics différentiels de la FMF figurent d’autres syndromes auto-inflammatoires rares [3], ainsi que des maladies auto-immunes telles que la maladie de Still ou le rhumatisme articulaire aigu [4]. Plus largement, il convient de songer à des causes infectieuses, comme par exemple la fièvre récurrente à Borrelia, et à des affections malignes dans le cadre du diagnostic différentiel.
Chez notre patient, l’analyse génétique moléculaire a montré une constellation hétérozygote combinée dans le gène MEFV (c.20804A>G (p.(Met694Val)) et c.2177T>C (p.(Val726Ala))), qui a confirmé la FMF. Le traitement de la FMF doit être initié immédiatement après la pose du diagnostic. Le traitement de choix fait appel à l’alcaloïde colchicine à une dose permettant d’obtenir une absence complète de symptômes et un contrôle de l’inflammation. Chez les adultes, la dose initiale recommandée est de 1,0–1,5 mg de colchicine par jour. Elle peut être augmentée jusqu’à 3 mg par jour. Lorsque plus d’une poussée survient en l’espace de six mois malgré la prise de la dose maximale tolérée et que les analyses de laboratoire montrent que l’inflammation n’est pas contrôlée, il faut conclure à une non-réponse au traitement. Dans ce cas, des traitements de deuxième ligne, tels que les antagonistes de l’interleukine (IL)-1, entrent en ligne de compte [5]. En font partie l’antagoniste du récepteur de l’IL-1 anakinra (non disponible officiellement en Suisse) et l’anticorps humain anti-IL-1β canakinumab. L’obtention d’une absence de symptômes revêt une grande importance, car une inflammation persistante peut conduire à une amyloïdose secondaire par dépôt d’amyloïde AA et ainsi à une insuffisance rénale ou à une insuffisance cardiaque. Les patients atteints de FMF ont une espérance de vie normale si la survenue d’une amyloïdose parvient à être prévenue [3].
Outre la prise fixe de colchicine à la dose de 1 mg par jour, nous avons traité notre patient au moyen d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (ibuprofène). Durant l’hospitalisation, le patient a signalé de façon récurrente des palpitations, correspondant à un flutter auriculaire typique à l’ECG. Nous avons initié du bisoprolol afin de contrôler la fréquence cardiaque, ainsi qu’une anticoagulation orale par rivaroxaban. L’arythmie survenue dans le cadre de la péricardite a cessé spontanément avec la régression de l’inflammation. Une fois asymptomatique, le patient a pu rentrer chez lui, avec une prescription de 1 mg de colchicine par jour.
Par la suite, en raison d’une nouvelle poussée de la maladie, la dose de colchicine a dû être augmentée à 2 mg par jour et de la prednisone a même dû être administrée temporairement. Après l’octroi de la garantie de prise en charge des coûts par la caisse-maladie, le traitement a été complété par des injections de canakinumab toutes les 2 semaines. Compte tenu de la bonne évolution clinique avec une régression des douleurs thoraciques et une amélioration du contrôle de l’activité inflammatoire humorale (protéine C réactive et amyloïde sérique A), les injections de canakinumab ont pu être espacées et les corticoïdes systémiques ont pu être diminués progressivement. Lors d’un contrôle cardiologique de suivi six semaines après la première présentation, les anomalies électrocardiographiques et échocardiographiques s’étaient en grande partie normalisées (fig. 1B et 1D).
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Claudia Meloni,
médecin diplômée
Klinik Innere Medizin
Universitätsspital Basel
Petersgraben 4
CH-4031 Basel
claudia.meloni[at]usb.ch
1 Adler Y, Charron P, Imazio M, Badano L, Barón-Esquivias G, Bogaert J, et al. 2015 ESC Guidelines for the diagnosis and management of pericardial diseases: the Task Force for the Diagnosis and Management of Pericardial Diseases of the European Society of Cardiology (ESC) Endorsed by: The European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 2015;36(42):2921–64.
2 Sonmez HE, Batu ED, Ozen S. Familial Mediterranean fever: current perspectives. J Inflamm Res. 2016;9:13–20.
3 Lamprecht P. Autoinflammatorische Syndrome (Fiebersyndrome). In: Peter HH, Pichler WJ, Müller-Ladner U, editors. Klinische Immunologie. 3rd ed. München, D: Urban & Fischer in Elsevier; 2012. p. 299–305.
4 Gähler A, Jung K, Korte W, editors. Familiäres Mittelmeerfieber-auch in der Schweiz. Forum Med Suisse. 2004;04(21):558–61.
5 Ozen S, Demirkaya E, Erer B, Livneh A, Ben-Chetrit E, Giancane G, et al. EULAR recommendations for the management of familial Mediterranean fever. Ann Rheum Dis. 2016;75(4):644–51.