Moyens diagnostiques d’un déficit en alpha-1-antitrypsine
Jusqu’au bout des gènes

Moyens diagnostiques d’un déficit en alpha-1-antitrypsine

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Édition
2021/4546
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08835
Forum Med Suisse. 2021;21(4546):789-791

Affiliations
a Service de médecine interne, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne; b Laboratoire d’immunologie et allergie, CHUV, Lausanne; c Laboratoire de génétique, CHUV, Lausanne; d Service de pneumologie et réhabilitation respiratoire, Hôpital de Rolle, Rolle

Publié le 09.11.2021

Les recommandations les plus récentes suggèrent de rechercher un ­déficit en alpha-1-antitrypsine dans différentes situations, mais notamment chez tout patient avec un syndrome obstructif fixe symptomatique.

Description du cas

Une patiente de 50 ans consulte pour une toux avec expectorations vertes, associée à une discrète dyspnée nouvelle à la montée d’un étage d’escalier. Elle se sent fébrile depuis la veille et rapporte une fatigue nouvelle et des myalgies. Au cabinet, elle est stable hémodynamiquement, eupnéique au repos et normoxémique. Sa température est de 38,1 °C et l’auscultation pulmonaire retrouve des sibilances expiratoires diffuses. Une radiographie de thorax exclut raisonnablement une pneumonie. Le diagnostic de bronchite virale est ­retenu. En raison d’un tabagisme actif à 20 unité-­paquet-année et d’une notion de toux matinale depuis 6 mois, un traitement bronchodilatateur est introduit avec évolution favorable en quelques jours. Des tests des fonctions pulmonaires sont organisés 2 semaines après résolution des symptômes et montrent un syndrome obstructif de degré moyen, sans réversibilité ­significative après bronchodilatation, permettant de diagnostiquer une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) de stade 2. L’anamnèse et le score CAT («COPD Assessment Test») permettent de catégoriser la maladie dans le groupe B. Lors de la consultation de contrôle pour annonce de ces résultats, la patiente explique que sa sœur souffre également d’une BPCO. Elle est très inquiète quant au risque pour ses enfants de contracter la même maladie. Elle accepte une prise de sang pour dosage de l’alpha-1-antitrypsine (AAT). Le taux sérique mesuré est de 0,94 g/l (normes au Centre hospitalier universitaire vaudois [CHUV]: 0,92–2 g/l).

Question: Quelle est votre attitude?


a) Vous ne retenez pas le diagnostic de déficit en alpha-1-anti­trypsine et introduisez un bronchodilatateur de longue ­durée d’action.
b) Vous contrôlez à nouveau le taux sérique d’alpha-1-antitrypsine dans 1 mois.
c) Vous proposez un séquençage du gène de l’alpha-1-anti­trypsine (SERPINA-1).
d) Vous dosez les taux sériques d’alpha-1 antitrypsine chez les frères et sœurs ainsi que chez les enfants de la patiente.

Réponse:


La réponse correcte est c.

Discussion

L’AAT est une protéine inhibitrice de protéases. Elle est le produit du gène SERPINA1 localisé sur le chromosome 14 et est produite principalement par les hépatocytes.
Le déficit en AAT est la résultante d’une transmission autosomique récessive d’une ou de plusieurs mutations de SERPINA-1, bien que la transmission soit parfois jugée co-dominante en raison de la possibilité d’expression de la maladie chez certains hétérozygotes (1 allèle muté sur 2 sur SERPINA-1). A ce jour, une centaine de variantes d’allèles sont connues. La prévalence du déficit (probablement sous-estimée) est estimée entre 1:2500 et 1:5000 aux Etats-Unis et en Europe [1]. Les manifestations cliniques d’un déficit en AAT sont principalement pulmonaires (car le rôle de l’AAT est d’inhiber l’élastase neutrophilique qui dégrade le parenchyme pulmonaire) et hépatiques (production de protéines anormales par les hépatocytes ne pouvant pas être libérées dans la circulation avec accumulation dans les cellules pouvant mener à une dysfonction hépatique). La sévérité de l’atteinte clinique dépend du type de variantes d’allèles mutés.
Il existe 3 types de méthodes diagnostiques d’un déficit en AAT: a) la quantification sérique de la protéine, b) l’analyse génétique de SERPINA-1 et c) la détection de variantes pathologiques de la protéine (équivalent à l’analyse du phénotype).
La quantification sérique d’AAT est la plus utilisée en première intention de par sa simplicité et son moindre coût. En Suisse, la néphélémétrie est la méthode employée le plus fréquemment. Elle consiste à incuber le sérum du patient avec un antisérum composé d’anticorps animaux anti-AAT. Une lumière émise sur l’échantillon est diffractée par le complexe immun formé entre protéines AAT et anti-AAT. L’enregistrement de cette lumière diffractée, ou plus exactement de sa vitesse d’apparition, permet la quantification sérique de la protéine. Au CHUV, le résultat est rendu dans les 12 heures ouvrables et l’analyse coûte CHF 23. A titre informatif, 550 tests ont été réalisés dans l’année 2019, avec 18 valeurs inférieures à la norme. Il s’agit d’un test efficace mais qui se limite à une analyse quantitative et non qualitative (ou fonctionnelle). Par ailleurs, l’AAT étant une protéine de la phase inflammatoire, sa valeur s’élève lors d’inflammations diverses ou lors d’une grossesse. Elle peut par contre être abaissée sans lien avec une mutation génétique lors d’hépatopathies chroniques ou d’entéropathies causant des pertes protéiques digestives. Relevons que les taux sériques d’AAT sont souvent normaux chez les porteurs hétérozygotes du gène. La sensibilité du test peut donc varier en fonction du contexte clinique ou du type de mutation génétique sous-jacente. D’ailleurs, différentes valeurs de seuil sont utilisées en fonction de la sensibilité ciblée par les programmes nationaux ou les laboratoires (par exemple ne cibler que les mutations les plus pathogènes, ou pouvoir diagnostiquer n’importe quel allèle muté de SERPINA-1). A titre d’exemple, une étude comparative lituanienne en 2016 avait retrouvé, dans une population de 1167 patients atteints d’une BPCO, une sensibilité du taux sérique d’AAT de 45% pour les porteurs hétérozygotes de la mutation Z (l’une des mutations les plus liées à une atteinte clinique du déficit en AAT) et de 88% pour les porteurs homozygotes de cette même mutation. La spécificité était de 99%. Une revue sur le diagnostic et la prise en charge du déficit en AAT, révisée en 2017 [5], propose un schéma diagnostique reposant sur la démonstration d’un taux sérique d’AAT bas associé à la mise en évidence d’un génotype ou d’un phénotype (moins utilisé en Suisse) pathologique. Néanmoins, au vu des limitations de la quantification sérique décrites ci-dessus, une forte suspicion clinique devrait pousser à poursuivre les investigations même en cas de taux sérique dans la norme, typiquement lors d’évolution rapide d’un emphysème, de discordance entre la clinique et le taux sérique ou d’atteinte clinique chez un patient jeune.
Ainsi, les recommandations américaines et européennes de 2003 pour le diagnostic et la prise en charge des individus avec déficit en AAT [3] puis les recommandations européennes réactualisées en 2017 [6]proposent de confirmer toute suspicion clinique de déficit en AAT, sans toutefois recommander d’algorithme diagnostique universel. La majorité des pays européens, dont la Suisse, recourent à une analyse génétique. Au CHUV, l’analyse génétique est effectuée par un séquençage complet des régions codantes du gène SERPINA-1. L’ADN du patient est extrait puis amplifié par 5 réactions de PCR couvrant le gène entier. Pour chaque amorce amplifiée, un séquençage Sanger est réalisé, permettant la lecture des séquences de nucléotides et de là la détermination de l’allèle. Chaque test rend donc comme résultat le génotype trouvé, ainsi qu’une interprétation. Il s’agit d’un test avec d’excellentes sensibilité et spécificité (98% chacune) dont le prix est de l’ordre de CHF 700. Le laboratoire du service de génétique médicale du CHUV effectue environ une vingtaine d’analyses de SERPINA-1 par année. Dans certains centres, un test de génotypage qui recherche uniquement les ­mutations les plus fréquentes est parfois proposé.
L’analyse du phénotype par immunofocalisation iso-electrique (IEF) viendra compléter dans certaines situations discordantes l’analyse du génotype. Elle consiste à étaler sur une plaque de gel d’agarose un échantillon du plasma du patient dont les protéines migreront puis seront fixées par immunofixation avec un anticorps anti-AAT. La bande ainsi obtenue pourra être comparée avec des échantillons contrôles de plasmas avec des protéines de phénotypes mutés connus. Le caractère opérateur dépendant de l’interprétation ainsi que le risque de faux négatifs en cas de mutations rares sont les désavantages de cette méthode pour ­laquelle, si elle est mise en œuvre de manière isolée (contrairement aux conclusions des études les plus ­récentes [10]), il est difficile de trouver des chiffres précis sur la sensibilité et la spécificité. Elle n’est actuellement pas proposée au CHUV. A titre informatif, son prix serait d’environ 50 euros en France.
Pour le cas clinique ci-dessus, la bonne réponse est la c. Il s’agit d’une patiente fumeuse avec un syndrome obstructif symptomatique et une anamnèse familiale positive de BPCO. Par rapport aux recommandations américaines et européennes de 2003, les recommandations européennes actualisées en 2017 et une revue du New England Journal of Medicine de 2020 préconisent de dépister plus largement (cf. tab. 1) et dans tous les cas une personne avec un syndrome obstructif fixe symptomatique. Avec un taux sérique à la limite inférieure de la norme, possiblement même faussement élevé au décours de l’exacerbation récente, il serait nécessaire de confirmer ou infirmer la suspicion clinique de déficit en AAT chez notre patiente par une analyse génétique. En l’absence d’algorithme universel proposé par les recommandations les plus récentes, une étude italienne parue en mars 2021 [10] a comparé la sensibilité de différents algorithmes existants à un algorithme exhaustif (de sensibilité 100%, incluant d’emblée un taux sérique d’AAT, un dosage de la «chain reaction protein» [CRP], un phénotypage par IEF et un génotypage ciblé pour les mutations les plus fréquentes [Z et S], ainsi qu’un séquençage complet du gène en cas de doute persistant) sur 5352 échantillons sanguins. En fonction des algorithmes diagnostiques considérés face à la référence, la sensibilité variait de 61 à 95% et la valeur prédictive négative de 83 à 97%. Ainsi, afin de garantir une sensibilité diagnostique haute avec les moyens diagnostiques décrits ci-dessus et disponibles en Suisse, il est donc primordial de ne pas s’arrêter à une quantification sérique d’AAT normale en cas de suspicion clinique de déficit et de valider chaque suspicion avec un séquençage génétique, voire de l’associer à une IEF si disponible. Il est également proposé dans l’étude pré-citée de doser la CRP lors de chaque quantification sérique d’AAT.
Tableau 1: Indications à rechercher un déficit en alpha-1-antitrypsine (AAT) dans un but diagnostique, selon la déclaration de la Société Européenne de Pneumologie en 2017 [6] et une revue de la prise en charge du déficit en AAT en 2020 [7].
Indications à rechercher un déficit en alpha-1-antitrypsine
Syndrome obstructif fixe (bronchopneumopathie chronique obstructive ou asthme fixé, surtout si asthme apparu à l’âge adulte)
Maladies hépatiques non expliquées
Vasculite à C-ANCA
Panniculite nécrosante
Bronchiectasies
Parents et frères/sœurs d’un patient diagnostiqué d’un déficit en AAT
Conjoint(e) d’un patient diagnostiqué de déficit en AAT en cas de désir d’enfants
Les recommandations de dépistage de 2003 larges pour une maladie de faible prévalence sont réitérées dans la prise de position de la Société Européenne de Pneumologie de 2017 [6] et validées par les travaux les plus récents. Les experts insistent sur la nécessité d’une prise en charge spécialisée dans un centre de ­référence de tous les patients atteints de déficit en AAT afin d’assurer leur suivi et l’accès potentiel à un traitement de substitution quand ce dernier est indiqué.
Concernant les enfants de la patiente, la prise de position européenne de 2017 propose également de dépister les membres de la famille d’un patient atteint de ­déficit en AAT (principalement les parents, les frères et sœurs et les enfants, même asymptomatiques). Le ­dépistage de la/du partenaire est aussi recommandé afin d’évaluer le risque potentiel d’homozygotie pour les futurs enfants du couple. En effet, la détection la plus précoce possible d’un déficit en AAT, idéalement chez des sujets encore asymptomatiques, est jugée primordiale par la Société Européenne de Pneumologie car l’enjeu principal est l’abstinence tabagique ralentissant (ou même évitant chez les porteurs de certains ­allèles ou en cas d’hétérozygotie) la dégradation du parenchyme pulmonaire. Bien sûr, éviter l’exposition à d’autres toxiques (fumée, pollution, médicaments hépatotoxiques,etc.) est également recommandée.
En fonction des allèles impliqués et du degré d’obstruction bronchique, un traitement de substitution d’AAT sera discuté dans un centre expert. Notons que la question des indications à la substitution a fait l’objet de nombreux débats dans la littérature et que les pratiques en la matière varient encore selon les pays. Nous n’aborderons pas ce point dans cet article dédié aux méthodes diagnostiques.
Le choix d’une analyse génétique chez une personne saine est un sujet délicat pouvant entraîner une charge psychologique non négligeable. Ainsi, le recours à un conseiller génétique est utile pour évaluer les enjeux de l’analyse génétique et du dépistage large proposé par les recommandations les plus récentes.

Messages principaux

• Les recommandations les plus récentes suggèrent de rechercher un ­déficit en alpha-1-antitrypsine (AAT) dans différentes situations, mais notamment chez tout patient avec un syndrome obstructif fixe symptomatique.
• Une clarification par analyse génétique et/ou immunofocalisation électrique (selon les circonstances) après un dosage sérique de la protéine initial est particulièrement pertinente chez les patients jeunes, lorsque la valeur sérique d’AAT est abaissée ou à la limite inférieure de la norme, en cas d’évolution rapide d’un emphysème ou lors de discordance entre la clinique et la mesure sérique de l’AAT.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Marion Gabriel,
médecin diplômée
Service de médecine interne
Centre hospitalier ­universitaire vaudois
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne
marion.gabriel[at]chuv.ch
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