Un épanchement péricardique trompeur
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Un épanchement péricardique trompeur

Was ist Ihre Diagnose?
Édition
2021/4748
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08863
Forum Med Suisse. 2021;21(4748):820-824

Affiliations
a Service de médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois; b Service d’imagerie médicale, Hôpital Riviera-Chablais; c Service de cardiologie, Hôpital Riviera-Chablais; d Service des soins critiques de l’Hôpital Riviera-Chablais

Publié le 23.11.2021

Un patient de 79 ans se présente aux urgences en raison d’une dyspnée de stade NYHA III associée à des œdèmes des membres inférieurs, une asthénie, une inappétence et des myalgies diffuses depuis la semaine précédente.

Description du cas

Un patient de 79 ans, connu notamment pour une diverticulose, une cirrhose hépatique Child-Pugh B d’origine éthylique avec varices œsophagiennes de stade 1 et une sténose valvulaire aortique sévère traitée par voie percutanée («transcatheter aortic valve implantation» [TAVI]) 4 mois auparavant, se présente en décembre aux urgences de notre hôpital en raison d’une dyspnée de stade NYHA III associée à des œdèmes des membres inférieurs, une asthénie, une inappétence et des myalgies diffuses depuis la semaine précédente. A l’admission, le patient est hypotendu, normocarde et afébrile. A l’examen clinique, on note des bruits cardiaques lointains, sans souffle audible et des œdèmes des membres inférieurs prenant le godet jusqu’à mi-cuisses; l’auscultation respiratoire révèle des râles crépitants bibasaux alors que la palpation abdominale s’avère sensible en fosse iliaque gauche, sans toutefois de défense ni de détente. Le bilan sanguin met en évidence une leucocytose à 16,3 G/l [norme 4–10 G/l], une discrète thrombopénie à 117 G/l [norme 150–350 G/l] ainsi qu’une élévation de la protéine C-réactive (CRP) à 114 mg/l [norme <5 mg/l]; on relève encore la présence d’une insuffisance rénale aiguë de stade KDIGO I et les tests hépatiques demeurent dans la norme hormis une gamma-GT à deux fois la norme. Le frottis nasopharyngé revient négatif pour influenza A et B et la radiographie thoracique objective quant à elle un émoussement du récessus costo-diaphragmatique gauche avec un infiltrat mal systématisé en base gauche.
En complétant l’anamnèse, on apprend que le patient a été traité par co-amoxicilline un mois avant son admission pour un diagnostic présomptif de diverticulite aiguë sans imagerie effectuée, dont l’évolution s’était avérée favorable.

Question 1: A ce stade, quel est le diagnostic le moins probable?


a) Pneumonie acquise en communauté
b) Décompensation cardiaque globale
c) Diverticulite aiguë
d) Endocardite infectieuse
e) Infection à influenza
Au vu de l’infiltrat pulmonaire en base gauche et des manifestations cliniques aspécifiques chez la personne âgée, un diagnostic de pneumonie basale gauche est initialement retenu, pour laquelle une antibiothérapie empirique par co-amoxicilline orale est introduite, sans toutefois de prélèvements bactériologiques. Dans le diagnostic différentiel, l’association d’une dyspnée, d’une majoration des oedèmes des membres inférieurs et de râles crépitants bibasaux à l’auscultation pulmonaire rend une décompensation cardiaque globale tout à fait possible. Parallèlement, la présence d’une diverticulose accompagnés d’une palpation douloureuse en fosse iliaque gauche et d’un syndrome inflammatoire peuvent être compatibles avec une diverticulite aiguë. En ce qui concerne l’éventualité d’une endocardite infectieuse (EI), les signes et symptômes de ce type d’infection varient en fonction du germe incriminé, des comorbidités du patient et de la présence de matériel prothétique intracardiaque; elle peut se présenter comme une infection aiguë mais également à bas bruit, raison pour laquelle elle doit faire partie du diagnostic différentiel chez notre patient à haut risque d’EI (tab. 1) [1]. Le frottis nasopharyngé (sensibilité >98% et spécificité >98%) pour influenza A et B est négatif en présence d’un diagnostic différentiel alternatif, l’hypothèse d’une infection à influenza demeure ainsi peu vraisemblable.
Tableau 1: Patient à haut risque d’endocardite infectieuse [1].
Les patients avec une valve prothétique (y compris ceux ayant bénéficié d’un remplacement valvulaire par voie percutanée), ou ceux chez lesquels du matériel prothétique a été utilisé pour la réparation de valve cardiaque.
Les patients ayant un antécédent d’endocardite infectieuse.
Les patients avec une cardiopathie congénitale:
– Toutes les cardiopathies congénitales cyanogènes.
– Toutes les cardiopathies congénitales réparées avec du matériel prothétique, qu’il soit placé chirurgicalement ou par techniques percutanées, jusqu’à 6 mois après la procédure ou à vie s’il y a un shunt résiduel ou persistance d’une insuffisance valvulaire.
Au vu de la dyspnée marquée et de l’élévation des D-dimères à 8097 µg/l (norme ajustée à l’âge <790 µg/l1), on complète le bilan par un angio-CT scanner thoracique; cet examen permet d’exclure une embolie pulmonaire et ne montre pas d’infiltrat d’allure infectieuse, mettant cependant en évidence un épanchement péricardique circonférentiel de maximum 14 mm. L’antibiothérapie est ainsi interrompue. Cliniquement, l’état général du patient continue de se dégrader avec l’apparition d’une tachycardie sinusale nouvelle en addition à l’hypotension artérielle persistante.

Question 2: Quel examen réalisez-vous en priorité?


a) Echocardiographie transthoracique
b) Electrocardiogramme
c) Radiographie du thorax
d) Péricardiocentèse/drainage péricardique par voie chirurgicale
e) Aucun, une surveillance clinique est suffisante
En présence d’un épanchement péricardique et d’une hypotension artérielle, l’on doit systématiquement penser à une tamponnade cardiaque [2]. Un pouls paradoxal et une turgescence jugulaire constituent des éléments supplémentaires en faveur de ce diagnostic; la tension artérielle peut toutefois rester normale ou être légèrement abaissée dans les tamponnades cardiaques subaiguës, chroniques ou chez les patients hypertendus. L’échocardiographie transthoracique (ETT) représente l’examen de choix pour confirmer le diagnostic et pour estimer la taille, la localisation ainsi que les répercussions hémodynamiques de l’épanchement; cette modalité d’imagerie s’avère également très précieuse pour guider une éventuelle péricardiocentèse. L’électrocardiogramme (ECG) n’est quant à lui pas indispensable pour le diagnostic et la prise en charge d’un épanchement péricardique mais il peut en apporter des signes indirects: complexes QRS microvoltés, alternance d’amplitude des QRS ou des éléments de péricardite. Pour sa part, la radiographie thoracique s’avère peu spécifique avec la mise en évidence d’un agrandissement de la silhouette cardiaque en cas d’épanchements péricardiques importants (>300 ml). On mentionnera cependant que le CT-scanner et l’imagérie par résonance magnétique (IRM) thoracique constituent deux modalités d’imageries complémentaires à l’ETT, notamment pour préciser la morphologie du péricarde et du myocarde ainsi que la présence d’une éventuelle atteinte inflammatoire; ces deux types d’examen ne permettent toutefois pas d’évaluer les répercussions hémodynamiques de l’épanchement sur le cœur. En cas de tamponnade cardiaque, la péricardiocentèse et le drainage par voie chirurgicale représentent les deux options thérapeutiques [2].
L’ETT de notre patient confirme l’épanchement péricardique circonférentiel de maximum 30 mm en regard des cavités droites (voir fig. S1 dans l’annexe joint à l’article en ligne). En raison de signes de répercussion hémodynamique, on effectue une péricardiocentèse en urgence; un drain péricardique est laissé en place, permettant l’évacuation d’environ 1500 ml de liquide séro-sanguinolent en 72 heures.

Question 3: A ce stade, quel(s) examen(s), vous parai(ssen)t, le(s) plus pertinent(s) pour compléter le bilan étiologique?


a) Sérologie VIH/hépatite virale, test sanguin de libération d’interféron gamma (interferon-gamma release assay), bilan auto-immun et hémocultures
b) Analyses du liquide péricardique (numération cellulaire, chimie, cytologie, PCR virale/bactérienne, microbiologie, adénosine déaminase)
c) Dosage de la thyréostimuline (TSH)
d) CT-scanner abdominal
e) Toutes ces réponses sont correctes
La difficulté du bilan étiologique de l’épanchement péricardique réside dans les étiologies multiples possibles. L’épidémiologie, l’anamnèse et l’examen clinique ainsi que la présentation clinique permettent d’orienter les examens complémentaires. Bien que peu fréquente dans les pays développés, la tuberculose représente la première cause d’épanchement péricardique dans le monde (>60%, et >80% avec une infection au VIH) alors que la plupart sont finalement considérés comme idiopathique dans les pays développés (jusqu’à 50%). Les origines virales et idiopathiques demeurent rarement responsables d’épanchement péricardique important contrairement à la tuberculose, à une origine bactérienne ou néoplasique [2]. La recherche d’adénosine déaminase (ADA), un examen microscopique, une culture mycobactérie, une PCR spécifique dans le liquide péricardique et éventuellement un test sanguin de libération d’interféron gamma doivent être effectués lors de suspicion de tuberculose péricardique. L’ADA demeure élevée dans les épanchements à prédominance neutrophilique et ne permet donc pas de différencier les étiologies de ceux-ci. Dans les épanchements à prédominance lymphocytaire, les niveaux d’ADA sont encore plus élevés en cas de tuberculose (>40 U/l, sensibilité entre 87% et 93% et spécificité entre 89% et 97%) [3]. La cytologie et la recherche de marqueurs tumoraux dans le liquide péricardique sont effectués lors de suspicion clinique de malignité avec une sensibilité de la cytologie jusqu’à 90%, notamment lors de volume >60 ml [4]. Toutefois, la recherche de marqueurs tumoraux reste controversée car aucun n’est suffisamment précis pour distinguer un épanchement malin d’un épanchement bénin. Si les tumeurs primaires du péricarde s’avèrent très rares, les principales tumeurs malignes secondaires sont: les néoplasies du poumon et du sein, les mélanomes, les lymphomes ainsi que les leucémies. Ces néoplasies sont responsables de 9–39% des épanchements péricardiques modérés à importants [2]. Les maladies auto-immunes/auto-inflammatoires et les hépatites virales peuvent être responsables d’épanchement péricardique, raison pour laquelle nous effectuons le dosage des anticorps anti-nucléaires, des anticorps anti-cytoplasmes des neutrophiles, du facteur rhumatoïde ainsi que la recherche des hépatites virales. La culture bactérienne du liquide péricardique ainsi que le prélèvement d’hémocultures sont également recommandées pour la recherche d’une étiologie bactérienne. Un dosage de la thyréostimuline (TSH) est systématiquement effectué, l’hypothyroïdie pouvant être à l’origine d’un épanchement péricardique et de tamponnade cardiaque dans les cas sévères en lien avec une augmentation de la perméabilité des vaisseaux épicardiques et d’une diminution du drainage lymphatique de l’albumine.
Dans notre cas, l’analyse du liquide péricardique révèle la présence de 4563/μl cellules dont 75% de neutrophiles. Selon les critères de Light, le liquide péricardique correspond à un exsudat. La numération cellulaire et les critères de Light, reconnus pour les épanchements pleuraux, n’ont toutefois pas été validés pour l’analyse du liquide péricardique et ne permettent pas de différencier les étiologies des épanchements péricardiques [5, 6]. La culture du liquide péricardique permet d’identifier un Enterococcus faecalis alors que deux paires d’hémocultures reviennent positives également pour ce même germe. Le reste du bilan étiologique s’avère négatif.

Question 4: Parmi les examens complémentaires suivants, lequel vous paraît le moins indiqué pour la suite de la prise en charge?


a) Nouvelle ETT
b) Echocardiographie transoesophagienne
c) IRM cérébrale
d) PET-CT-scanner au 18F-FDG ou scintigraphie aux leucocytes marqués (SPECT-CT)
e) CT-scanner thoraciques multi-coupes
Malgré l’absence de fièvre, la présence d’un épanchement péricardique associé à une bactériémie à Enterococcus faecalis, germe également retrouvé dans le liquide péricardique, parle fortement en faveur d’une EI. En pratique clinique, on a recours aux critères de Duke modifiés pour poser le diagnostic d’EI (tab. 2 et  3).
Tableau 2: Définition de l’endocardite infectieuse selon les critères de Duke modifiés [1].
Endocardite infectieuse confirmée
Critères pathologiques
– Micro-organismes mis en évidence par culture ou examen histologique d’une végétation, d’une végétation embolisée ou d’un spécimen d’abcès intracardiaque; ou
– Lésions pathologiques; végétation ou abcès intracardiaque confirmé par examen histologique montrant une endocardite active
Critères cliniques
– 2 critères majeurs; ou
– 1 critère majeur et 3 critères mineurs; ou
– 5 critères mineurs
Endocardite infectieuse possible
– 1 critère majeur et 1 critère mineur; ou
– 3 critères mineurs
Endocardite infectieuse exclue
– Diagnostic alternatif; ou
– Résolution des symptômes suggérant une endocardite infectieuse avec une antibiothérapie pendant ≤4 jours; ou
– Aucune preuve pathologique d’endocardite infectieuse à la chirurgie ou à l’autopsie, avec antibiothérapie pendant ≤4 jours; ou
– Ne répond pas aux critères d’une éventuelle endocardite infectieuse, comme ci-dessus
Tableau 3: Définitions des termes utilisés dans la Société Européenne de Cardiologie 2015 pour les critères modifiés dans le diagnostic de l’endocardite infectieuse [1].
Critères majeurs
Hémoculture positive pour une endocardite infectieuse
– Micro-organismes typiques compatibles avec une endocardite infectieuse provenant de 2 hémocultures différentes:
•Streptococcus viridans, Streptococcus gallolyticus (Streptococcus bovis), groupe HACEK1, Staphylococcus aureus; ou
•entérocoques acquis dans la communauté, en l’absence d’un objectif principal; ou
– Micro-organismes compatibles avec une endocardite infectieuse provenant d’hémocultures persistantes positives:
• ≥2 hémocultures positives prélevés à plus de 12 heures d’intervalle; ou
• toutes les 3 ou une majorité de ≥4 hémocultures distinctes (avec le premier et le dernier échantillon prélevé à ≥1 heure d’intervalle); ou
– Hémoculture unique positive pour Coxiella burnetii ou titre d’anticorps IgG de phase I >1:800
Imagerie positive pour une endocardite infectieuse
– Echocardiographie positive pour une endocardite infectieuse:
• végétations
• abcès, pseudo-anévrisme, fistule intracardiaque 
• perforation valvulaire ou anévrisme
• nouvelle déhiscence partielle de la valve prothétique
– Activité anormale autour du site d’implantation de la valve prothétique détectée par 18F-FDG PET-CT (uniquement si la prothèse a été implantée il y a >3 mois) ou SPECT-CT aux leucocytes radiomarqués.
– Lésions para-valvulaires définies par CT-cardiaque.
Critères mineurs
– Prédisposition telle qu’une affection cardiaque prédisposante ou injection intraveineuse de drogues.
– Une fièvre, définit par une température >38 °C.
– Phénomènes vasculaires (y compris ceux détectés par imagerie uniquement): emboles artériels majeurs, infarctus pulmonaires septiques, anévrisme infectieux (mycotique), hémorragie intracrânienne, hémorragies conjonctivales et lésions de Janeway.
– Phénomènes immunologiques: glomérulonéphrite, nodules d’Osler, taches de Roth et facteur rhumatoïde.
– Preuve microbiologique: hémoculture positive mais ne remplit pas un critère majeur comme indiqué ci-dessus ou preuve sérologique d’une infection active avec un organisme compatible avec endocardite infectieuse.
1 HACEK = Haemophilus parainfluenzae, H. aphrophilus, H. paraphrophilus, H. influenzae, Actino­bacillus actinomycetemcomitans, Cardiobacterium hominis, Eikenella corrodens, Kingella kingae and K. denitrificans.
Cette classification présente une sensibilité diagnostique d’environ 80%, qui diminue toutefois en cas d’EI sur matériel prothétique intracardiaque. La sensibilité de l’ETT pour le diagnostic d’EI avoisine 70% mais diminue à nouveau en cas d’EI sur matériel intracardiaque; le degré d’échogénicité du patient représente également un facteur limitant. L’échocardiographie transoesophagienne (ETO) permet d’augmenter la sensibilité à 85–96%. La spécificité de l’ETT et ETO s’élève à 90%. L’ETO demeure ainsi indiquée si la suspicion clinique est élevée mais le diagnostic non établi avec certitude, si le patient est porteur d’une valve prothétique ou d’un dispositif intracardiaque, si le diagnostic est établi mais qu’il convient de mieux préciser l’étendue des lésions comme un abcès ou en cas de bactériémie à Staphylococcus aureus sans origine clairement identifiée. On recommande de répéter ces examens dans un délai de 5 à 7 jours si le doute reste élevé et que l’échocardiographie initiale s’avère négative [1]. En cas d’EI sur matériel intracardiaque, la sensibilité des critères de Duke modifiés est améliorée par l’apport de nouvelles modalités d’imagerie (IRM, CT-scanner multi-coupes, PET-[«positron emission tomography»-]CT-scanner au 18F-FDG et SPECT­[«single photon emission computer tomography»-]CT) qui permettent de préciser une éventuelle complication intracardiaque ou de mettre en évidence la présence d’événements thromboemboliques. La «Société Européenne de Cardiologie» a ainsi inclus ces modalités d’imagerie dans les critères de Duke modifiés [1]. Le CT-scanner multi-coupes semble être supérieur à l’échographie pour les lésions para-valvulaires dans les cas d’EI sur prothèse valvulaire[1]. L’IRM cérébrale permet de déceler les complications neurologiques qui surviennent dans 35–60% des cas dont 15–30% sont symptomatiques [1, 7]. Le PET-CT-scanner au 18F-FDG et le SPECT-CT ont démontré leur apport significatif dans le diagnostic de l’EI sur valve prothétique (à condition d’être à 3 mois de l’intervention chirurgicale pour éviter les faux positifs secondaires à l’inflammation consécutive à l’opération) et sur dispositif intracardiaque [1]. Le SPECT-CT est moins réalisé en pratique en raison de la nécessité de prélèvements sanguins pour la préparation du marquage et qu’il est plus long à la réalisation (4 à 6 heures vs 2 heures maximum pour le PET-CT-scanner au 18F-FDG); il reste à envisager en cas de PET-CT-scanner au 18F-FDG non conclusif ou dans les 2 mois suivant l’implantation.
En raison d’une suspicion clinique d’EI, notre patient bénéficie d’une nouvelle ETT qui ne montre pas de critères majeurs échocardiographiques d’EI. Au vu de la contre-indication relative à l’ETO en raison de la présence de varices œsophagiennes et du développement d’une coagulation intravasculaire disséminée, on complète le bilan par un PET-CT-scanner au 18F-FDG. Cet examen met en évidence un hypermétabolisme de la valve aortique prothétique prédominant sur son versant antérieur compatible avec une EI ainsi qu’une suspicion d’abcès para-valvulaire et une petite lame d’épanchement péricardique modérément hypermétabolique, notamment en antérieur et à hauteur de la valve aortique (voir fig. S2 dans l’annexe joint à l’article en ligne). A l’étage abdominal, on note trois plages hypodenses spléniques non hypermétaboliques évocatrices en premier lieu d’infarctus spléniques (voir fig. S3 dans l’annexe joint à l’article en ligne). Une IRM cérébrale objective, pour sa part, la présence d’une lésion isolée emboligène subaiguë frontale droite.
L’évolution clinique s’avère défavorable avec un patient présentant une progression de son insuffisance cardiaque et une coagulation intravasculaire disséminée non contrôlée. En raison de la présence de complications thromboemboliques, de signes d’insuffisance cardiaque et d’une suspicion d’abcès para-valvulaire, le patient est transféré dans un centre universitaire pour une prise en charge multidisciplinaire.

Question 5: Quelle est votre stratégie de prise en charge?


a) Antibiothérapie intraveineuse seule pour 6 semaines
b) Antibiothérapie intraveineuse puis orale pour un total de 6 semaines
c) Remplacement chirurgical de la valve aortique biologique seule
d) Remplacement chirurgical de la valve aortique biologique et antibiothérapie pour 6 semaines
e) Remplacement endovasculaire de la valve cardiaque
Selon les recommandations actuelles, l’EI doit être traitée par une antibiothérapie intraveineuse pour toute la durée du schéma antibiotique. Toutefois, de récentes études ont montré qu’une antibiothérapie orale pour la deuxième moitié du schéma antibiotique, après une antibiothérapie intraveineuse bien conduite et chez un patient stable, n’est pas inférieure à une antibiothérapie intraveineuse pour toute la durée du schéma antibiotique [8]. La présence de germes dans un état de «dormance» susceptibles ainsi d’échapper à une éradication complète malgré leur sensibilité à l’antibiothérapie justifie une antibiothérapie de longue durée et souvent une bithérapie pour éviter une reprise de leur croissance après l’arrêt du traitement. Ce phénomène appelé tolérance bactérienne s’explique par la présence d’un biofilm, de la pathogenèse de la végétation ainsi que de mutations acquises. La durée de l’antibiothérapie est de 6 semaines pour une EI sur valve prothétique et de 2 à 4 semaines pour les infections sur valve native, en fonction du germe identifié. Le premier jour d’antibiotique efficace, défini par la présence d’une hémoculture négative en cas de positivité des hémocultures précédentes, correspond au premier jour du schéma antibiotique. La chirurgie est indiquée lorsqu’une antibiothérapie seule s’avère insuffisante pour juguler l’infection (chez environ 50% des patients). Un traitement chirurgical associé à une antibiothérapie demeure ainsi indiqué en cas d’insuffisance cardiaque progressive, d’infections non contrôlées et pour la prévention d’emboles septiques. Après un remplacement valvulaire par voie chirurgicale, une nouvelle antibiothérapie doit être conduite pour 6 semaines si les cultures valvulaires reviennent positives, le choix de l’antibiotique étant basé sur l’antibiogramme du dernier prélèvement [1].
Dans notre cas, en raison d’une imagerie suggérant un abcès para-valvulaire, un remplacement valvulaire par voie endovasculaire est contre-indiqué. Le patient bénéficie donc d’une chirurgie cardiaque qui met en évidence une péricardite purulente, la présence d’importantes végétations touchant les trois feuillets valvulaires de la bioprothèse aortique ainsi que deux volumineux abcès fistulisés dans le péricarde. Au vu de la destruction annulaire importante, un remplacement complet de la racine aortique s’avère nécessaire. La culture valvulaire revient positive pour Enterococcus faecalis; une nouvelle antibiothérapie intraveineuse est ainsi débutée pour 6 semaines selon l’antibiogramme, ce qui s’accompagne d’une évolution clinique favorable.

Discussion

L’EI sur prothèse valvulaire affecte 1 à 6% des patients porteurs de prothèses valvulaires, représentant 10 à 30% de tous les cas d’EI avec un taux de mortalité jusqu’à 40%. L’incidence d’EI demeure similaire après TAVI ou remplacement chirurgical de la valve aortique avec une incidence de 0,3 à 1,2% patient-année, le risque étant le plus élevé durant la première année suivant l’intervention. Les germes les plus souvent incriminés dans les EI sur valve prothétique sont les Staphylocoques (30%), les Entérocoques (25%) et les Streptocoques (15%). Les germesles plus souvent impliqués dans les infections précoces (<2 mois) sont le Staphylococcus aureus et les Staphylocoques à coagulase négative (50%) [9]. Le diagnostic d’EI reste difficile en raison de la variabilité des signes et symptômes qui dépendent du germe impliqué et des facteurs de risque du patient. Certaines manifestations cliniques lors de la présentation initiale peuvent parfois être déjà des complications de l’EI (voir tableau S1 dans l’annexe joint à l’article en ligne). Le diagnostic d’EI se base sur les critères de Duke modifiés, qui ne remplacent toutefois pas le jugement clinique. L’échocardiographie constitue l’examen de première intention lors de suspicion d’EI et devra être répété si nécessaire. Les nouvelles modalités d’imagerie représentent un apport substantiel à la démarche diagnostique, notamment lors d’EI sur valve prothétique et dispositif intracardiaque (fig. 1). Une antibiothérapie intraveineuse empirique doit être instaurée rapidement, après le prélèvement de 3 paires d’hémocultures à 30 minutes d’intervalle, puis adaptée en fonction de l’antibiogramme. Une prise en charge chirurgicale demeure indiquée dans les cas où l’antibiothérapie s’avère insuffisante [1]. En raison d’un diagnostic difficile et d’une infection potentiellement mortelle, il convient d’avoir une suspicion diagnostique haute, notamment chez les patients à risque, et de privilégier rapidement une prise en charge multidisciplinaire.
Figure 1: Algorithme diagnostic de l’endocardite infectieuse selon la Société Européenne de Cardiologie (ESC) 2015 [1].
* Peut inclure l’IRM cérébrale, le PET-CT et/ou le CT corps entier.
ETO: échocardiographie transoesophagienne; ETT: échocardiographie transthoracique; 18F-FDG: Fluorodésoxyglucose marqué au fluor-18; IRM: imagérie par résonance magnétique; PET: tomographie par émission de positons.

Réponses:


Question 1: e. Question 2: a. Question 3: e. Question 4: b. Question 5: d.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Alexandre Salvi,
médecin diplômée
Service de médecine interne
Centre hospitalier ­universitaire vaudois
Rue du Bugnon 21
CH-1011 Lausanne
alexandre.salvi[at]chuv.ch
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