Une boiterie au diagnostic trompeur
Souvent, la cause n’est pas claire

Une boiterie au diagnostic trompeur

Was ist Ihre Diagnose?
Édition
2022/0910
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08827
Forum Med Suisse. 2022;22(0910):169-172

Affiliations
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne: a Service de Médecine Interne, b Service de radiodiagnostic et radiologie interventionnel

Publié le 01.03.2022

Une patiente de 61 ans est admise aux urgences pour prise en charge d’une fracture ilio-pubienne gauche atraumatique avec atteinte mineure du cotyle et de la symphyse homolatérale.

Description du cas

Il s’agit d’une patiente de 61 ans, vivant en foyer en raison d’un retard mental congénital modéré sur hypoxie néonatale, admise aux urgences pour prise en charge d’une fracture ilio-pubienne gauche avec atteinte ­mineure du cotyle et de la symphyse homolatérale, atraumatique, associée à une réaction inflammatoire locale diagnostiquée quelques jours plus tôt par CT-scanner (fig. 1) et IRM (fig. 2).
Figure 1: Coupe axiale d’un CT natif à hauteur du pelvis, ­mettant en évidence une fracture légèrement déplacée du mur antérieur du cotyle gauche (flèche).
Figure 2: Coupe IRM axiale en séquence T2 FAT-SAT, avec œdeme osseux en hypersignal (flèche blanche) du pubis gauche, avec infiltration liquidienne en hypersignal (flèche jaune) de la musculature en regard.
Sur avis orthopédique, un traitement conservateur est retenu et, en raison d’une antalgie non adéquate en foyer, la patiente est adressée pour une hospitalisation.
À son admission, elle décrit une coxalgie gauche sans irradiation. L’anamnèse systématique, bien que limitée, est sans particularité. L’examen clinique montre une douleur à la palpation du grand trochanter et à la mobilisation de la hanche gauche, sans limitation d’amplitude. Un état fébrile transitoire à 38,6 °C et une tachycardie sinusale à 105 battements par minutes (bpm) sont objectivés. Le reste des constantes est dans la norme.
Le laboratoire révèle des leucocytes à 11,3 G/l (norme (N):4,0–10,0 G/l), une hémoglobine à 104 g/l (N: 117–157 g/l) et des plaquettes à 421 G/l (N: 150–350 G/l). D’autre part, la chimie démontre des taux de créatinine à 82 µmol/l (N: 44–80 µmol/l), de protéine C-réactive (CRP) à 134 mg/l (N: <10 mg/l), sans troubles électrolytiques ni hépatiques.

Question 1: A ce stade, quelle prise en charge semble la plus indiquée?


a) Prélèvement d’hémocultures et administration d’un antibiotique à large spectre
b) Observation clinique
c) Réalisation d’une nouvelle imagerie de la hanche
d) Prélèvement d’hémocultures et culture d’un prélèvement d’urines, radiographie du thorax et observation
e) Adaptation de l’antalgie, antibiothérapie empirique puis ­retour en foyer
La patiente est stable, sans foyer infectieux clinique ­apparent. La prise en charge la plus appropriée est un bilan infectieux avec prélèvements d’hémocultures périphériques, mise en culture d’urines et réalisation d’une radiographie du thorax. La radiographie ne montre pas de foyer. Les examens microbiologiques reviennent stériles.
Une administration empirique d’antibiotique d’emblée n’est pas nécessaire sans instabilité clinique ni foyer ­infectieux suspect retrouvé à l’examen clinique.
La réalisation d’une nouvelle imagerie de la fracture n’apporterait pas davantage d’informations que les examens récents. De plus, la patiente présente une ­adhésion limitée aux investigations dans le contexte de son retard mental rendant difficile la réalisation d’examens complémentaires.
Le bilan est alors complété par un taux de pro-calcitonine mesurée à 0,16 µg/l (N: <0,1 µg/l) et une ­vitesse de sédimentation (VS) à 110 mm/h (N: <20 mm/h). Le suivi des autres paramètres biologiques à 48 heures montre un taux de CRP à 190 mg/l, une aspartate aminotransférase (ASAT) à 60 U/l (N: 0–35 U/l), une alanine amino­transférase (ALAT) à 95 U/l (N: 0–35 U/l), une phosphatase alcaline à 175 U/l (N: 30–120 U/l), une γ-glutamyltransférase (GGT) à 172 U/l (N: 6–42 U/l), et une bilirubine totale à 4,0 µmol/l (N: 2,0–18,0 µmol/l).
Une échographie hépatique dévoile une stéatose ­homogène.
L’antalgie est assurée par la titration de morphine par voie orale.

Question 2: A ce stade, quel diagnostic paraît le moins probable concernant la perturbation des tests hépatiques?


a) Une hépatite virale
b) Une hépatite auto-immune
c) Un carcinome hépatocellulaire
d) Une atteinte médicamenteuse
e) Une cirrhose biliaire primitive
Compte tenu d’une échographie abdominale normale, un carcinome hépatocellulaire est l’hypothèse la moins probable.
Un bilan infectieux (sérologies pour les virus de l’hépatite A [HAV], B [HBV], C [HCV], E [HEV], le virus de l’immunodéficience humaine [VIH], le cytomégalovirus [CMV], le virus d’Epstein-Barr [EBV], et TB-spot) et un ­bilan auto-immun (anticorps anti-nucléaires, et Immuno-dot pour les hépatopathies inflammatoires) sont pratiqués, revenant négatifs.
A l’entrée, la patiente présentait des tests hépatiques dans la norme. Le seul médicament introduit durant le séjour est la morphine, pouvant être responsable d’élévation des tests hépatiques. Une rotation d’opiacés est réalisée, sans amélioration notable.
En l’absence de diagnostic infectieux clair, et après ­relecture des images radiologiques décrivant une lyse osseuse, le diagnostic différentiel s’ouvre sur une ­potentielle néoplasie avec métastatisation osseuse. Dans ce contexte, les investigations sont orientées vers une recherche de lésions oncologiques primaires et/ou ­secondaires.
Un CT-scanner des étages thoraco-abdomino-pelviens ne montre pas de lésion hormis la fracture ilio-­pubienne gauche, avec présence d’une ostéolyse suspecte de «fracture pathologique». Un PET-CT du corps entier montre exclusivement une hypercaptation ­pathologique en regard de la fracture. Une consultation gynécologique ne retrouve pas d’anomalie.
Une ponction-biopsie osseuse est alors indiquée dans la démarche diagnostique.

Question 3: Compte tenu de l’impact potentiel du retard mental de la patiente sur son adhérence, quelle procédure semble la plus indiquée pour effectuer la ponction-biopsie?


a) Anesthésie générale
b) Sédation consciente au midazolam
c) Sédation profonde au propofol
d) Anxiolyse verbale et médicamenteuse
e) Aucune prise en charge particulière
La réalisation d’examens complémentaires invasifs sur des patients avec besoins particuliers (notamment liés à un retard mental) nécessite une prise en charge adaptée allant de l’anxiolyse verbale à l’anesthésie générale afin de les réaliser dans des conditions optimales. Elle est à évaluer selon le type et la durée de la procédure, ainsi que de la douleur qu’elle peut déclencher [1].
Ici, au vu d’une bonne relation thérapeutique avec la patiente, une anxiolyse verbale et médicamenteuse par lorazepam 1 mg a été suffisante.
Le scanner de repérage montre une progression radiologique rapide (comparaison des figures 3 et 4, avec ­intervalle de temps de 17 jours) d’une ostéite destructrice jusqu’à la symphyse pubienne, faisant suspecter en premier lieu une ostéomyélite infectieuse.
Figure 3: Coupr axiale d’un CT natif montrant la lésion de la symphyse initiale (flèche).
Figure 4: Coupe axiale d’un CT natif montrant la progression rapide de la lyse osseuse (flèches) bilaterale du pubis en regarde de la symphyse pubienne.

Question 4: Devant la suspicion radiologique d’ostéomyélite, quel germe est le plus fréquemment retrouvé dans les infections osseuses?

a) Staphylococcus aureus
b) Streptococcus pyogenes
c) Pseudomonas aeruginosa
d) Mycobacterium tuberculosis
e) Brucella spp.
Dans les cas d’ostéomyélite chez l’adulte, le Staphylococcus aureus (parfois méthiciline-résistant) représente >50% des cas [2]. Viennent ensuite les streptocoques, souvent associés à des endocardites. Puis, selon le contexte, des germes plus rares comme le Pseudomonas aeruginosa chez les utilisateurs de drogues intraveineuses [3] ou Brucella en cas d’ingestion de produits lactés infectés, ou finalement Mycobacterium tuberculosis dans certains pays endémiques ou en cas de réactivation de la maladie latente chez les malades immunocompromis.
Ici, la culture révèle un Pseudomonas aeruginosa; l’analyse histopathologique décrit un tissu inflammatoire avec prédominance lympho-plasmocytaire compatible avec une atteinte subaiguë.

Question 5: À ce stade, quelle est la prise en charge à proposer?


a) Antibiothérapie empirique pour 4 semaines
b) Attente de l’antibiogramme et initiation d’une antibiothérapie ciblée pendant 6 semaines
c) Prise en charge opératoire avec lavage et antibiothérapie de 14 jours
d) Prise en charge opératoire avec exérèse
e) Prise en charge opératoire avec drainage et lavage
L’attitude retenue est une prise en charge conservatrice avec initiation, dès la réception de l’antibiogramme, d’une antibiothérapie intraveineuse de ceftazidime pendant 10 jours permettant un pic plasmatique et une pénétrance osseuse rapide. Un relais per os est effectué pour une durée totale de 6 semaines d’antibiothérapie avec la ciprofloxacine, qui possède une biodisponibilité et efficacité similaires à la voie parentérale sans les effets indésirables d’un accès veineux semi-­permanent [4].
Une antibiothérapie de 14 jours est insuffisante pour une infection osseuse. Au vu de la cinétique des évènements et de la stabilité clinique de la patiente, une antibiothérapie empirique n’est pas recommandée.
Une prise en charge opératoire avec exérèse est uniquement appropriée en cas de visualisation d’une abcédation nécessitant un drainage ou lavage opératoire [5]. De plus, une intervention au niveau de la symphyse présente un important risque d’instabilité à long terme [6].
Après une semaine d’antibiothérapie ciblée, la patiente présente une amélioration biologique et clinique significative.
Dans ce cas, la porte d’entrée de ce germe atypique n’a pas été retrouvée. Les coxalgies ont débuté environ 3 semaines avant l’hospitalisation; le foyer primaire pourrait donc avoir précédé de plusieurs semaines le début des symptômes, et s’être probablement résolu avant même l’hospitalisation.

Discussion

Les ostéomyélites du pelvis chez l’adulte sont une entité rare d’atteinte osseuse d’origine infectieuse. Les ­ostéomyélites par contiguïté sont déclenchées par des atteintes du bassin telles que les traumatismes ouverts, les ulcères, les escarres de décubitus, ainsi que les multiples procédures opératoires urologiques et gynécologiques [5]. Les ostéomyélites hématogènes débutent quant à elles par une bactériémie.
Les manifestations cliniques peuvent être bruyantes, caractérisées par des douleurs sévères et un état ­­fébrile. Cependant, il peut y avoir un grand intervalle entre le facteur causal et les symptômes, induisant un retard diagnostique important [6]. Dans près de 40% des cas décrits, aucune porte d’entrée n’est retrouvée [7].
Le diagnostic peut être difficile car les symptômes sont aspécifiques et le status fréquemment non-contributif [6]. L’imagerie aide à préciser le diagnostic, mais au prix d’un délai. Une radiographie standard montrera un élargissement des espaces interarticulaires avec un flou péri-articulaire visible après quelques semaines. Le CT-scan et l’IRM sont les modalités permettant un diagnostic plus précoce, avec des modifications architecturales pouvant être mises en évidence dès 3 jours après le début des symptômes [8].
Un syndrome inflammatoire est présent dans la quasi-totalité des cas (CRP >50 mg/l, VS 60–120 mm/h) avec des hémocultures positives dans 23–67% des cas seulement. La meilleure option de documentation ­microbiologique est une ponction-biopsie de la lésion ou son exploration chirurgicale, permettant d’identifier le germe dans 50–88% des cas [9].
Le traitement dépend de l’étiologie. En cas d’ostéomyélite secondaire à une escarre ou une ulcération profonde, un débridement chirurgical est nécessaire avant l’introduction d’une antibiothérapie [10]. Par contre, l’indication chirurgicale est discutable dans les cas suivants: 1. lésion difficilement atteignable (ilion, ischion ou acétabulum); 2. opération avec risque élevé de complications (proximité avec des structures telles que le plexus sacré); 3. collections abcédées non visualisables; 4. atteintes de la symphyse pubienne, avec ­débridement pouvant créer une instabilité définitive du bassin. Dans ces cas-là, un traitement de 6 semaines par antibiothérapie ciblée est recommandé [4].
Le suivi est avant tout clinique avec comme objectif la résolution des symptômes. Notre patiente est rentrée à domicile dès l’antibiothérapie intraveineuse terminée et les symptômes se sont résolus dès 21 jours de traitement, sans limitation résiduelle.
En conclusion, le parallèle entre notre cas et la littérature permet de retenir qu’une porte d’entrée infectieuse est rarement retrouvée, et qu’un traitement conservateur est possible dans des cas choisis, permettant ainsi d’éviter une chirurgie potentiellement à haut risque de complications et traumatisante notamment chez des personnes souffrant de handicap.

Take home messages concernant l’ostéomyélite du pelvis de l’adulte

– Entité méconnue et rare avec présentation clinique aspécifique rendant le diagnostic difficile.
– Diagnostic microbiologique par ponction-biopsie ou exploration chirurgicale nécessaire.
– Antibiothérapie d’une durée minimale de 6 semaines.
– Exploration chirurgicale dans des indications précises au vu d’un risque élevé de complications.

Réponses:


Question 1: d. Question 2: c. Question 3: d. Question 4: a. Question 5: b.
Les auteurs remercient le Professeur Gérard Waeber, Chef du Département de Médecine du CHUV, Lausanne, pour sa relecture du manuscrit et ses conseils.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Théophile Paris
médecin diplômé
Service de médecine ­interne – Centre hospitalier universitaire vaudois
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne
theophile.paris[at]chuv.ch
 1 Glassman P. A review of guidelines for sedation, anaesthesia alternative interventions for people with special needs. Spec Care Dentist. 2009;29(1):9–16.
 2 Lew DP, Waldvogel FA. Osteomyelitis, Lancet, 2004;364:369–79.
 3 Ross JJ, Hu LT. Septic arthritis of the pubic symphysis, review of 100 cases. Medicine (Baltimore) 2003;82:340–5.
 4 Spellberg B, Lipsky BA. Systemic Antibiotic Therapy for Chronic Osteomyelitis in Adults. Clinical Infectious Diseases. 2012;54(3):393–407.
 5 Sexton DJ, Seidelman J. Pelvic osteomyelitis and other infections of the bony pelvis in adults. Uptodate. Récupéré en mars 2020 depuis: https://www.uptodate.com/contents/pelvic-osteomyelitis-and-other-infections-of-the-bony-pelvis-in-adults.
 6 Bindal M, Krabak B. Acute Bacterial Sacroiliitis in an Adult: A Case Report and Review of the Literature. Archives of Physical Medicine and Rehabilitation. 2007;88(10):1357–9.
 7 Zimmerman B, Mikolich D, Lally E. Septic sacroiliitis. Semin Arthritis Rheum 1996;26:592–604.
 8 Chou LH, Slipman CW, Bhagia SM, Tsaur L, Bhat AL, Isaac Z, et al. Inciting events initiating injection-proven sacroiliac joint syndrome. Pain Med 2004;5:26–32.
 9 Abbot AE, Sculo T. Septic sacroiliitis with hematogenous spread to a total knee arthroplasty. 2001;16:225–8.
10 Bodavula P, Liang SY, Wu J, VanTassell P, Marschall J. Pressure Ulcer-Related Pelvic osteomyelitis: A neglected disease? Open Forum Infect. Dis. 2015;2:ofv112.