Les facteurs psychologiques et sociaux jouent un rôle majeur dans la santé individuelle et collective. Le «modèle biopsychosocial» en vigueur a été largement reconnu au cours des 20 dernières années.
Recherche: découverte des liens manquants
La force évidente de la médecine moderne réside dans l’énorme amélioration du savoir-faire curatif en matière de troubles de la santé organique. La médecine psychosomatique, quant à elle, place la santé organique dans le cadre de référence plus large des conditions de comportement et de vécu du sujet concerné. Au cours des 20 dernières années, la recherche s’est concentrée sur les effets du stress sur la santé. Les enchaînements correspondants peuvent aujourd’hui être décrits jusque dans le détail moléculaire en tant que processus neuroendocriniens, neuroimmunologiques, neurovégétatifs et épigénétiques. Cela signifie que le vécu psychologique n’a pas lieu dans un espace isolé, mais qu’il se forme dans la fonctionnalité immédiate et à long terme de l’ensemble de l’organisme. Il est aujourd’hui parfaitement documenté que cette réalité subjective a un effet décisif sur la morbidité et la mortalité de nombreuses maladies [1]. La conséquence logique pour le quotidien médical est de définir comme objectif thérapeutique non pas la maladie, mais la personne concernée avec sa maladie. Cela conduit directement à une médecine humaine personnalisée et donc plus efficace.
Des découvertes révolutionnaires ont été faites au cours des deux dernières décennies sur la manière dont l’expérience subjective de l’être humain se répercute physiologiquement sur la santé de son organisme. Les résultats d’études à long terme sur les effets sur la santé d’expériences aversives précoces durant l’enfance sont particulièrement édifiants à cet égard. Le tableau 1 présente, à titre d’exemple, une sélection de connaissances supplémentaires qui ont été acquises. Une synthèse détaillée se trouve dans le manuel «Psychosomatik», un ouvrage collectif paru en 2020 et rédigé par plus de 150 auteures et auteurs renommés [1]. Les processus mentionnés dans ce tableau sont l’occasion d’abandonner le «modèle à deux compartiments» (psyché versus soma). Le vécu subjectif et l’empreinte biographique font partie d’une réalité psychophysique.
Tableau 1: Sélection de quelques résultats de la recherche des 20 dernières années. |
Thématique | Résultats de la recherche |
Psychocardiologie | Identification du stress comme facteur de risque tangible de maladie coronarienne; décomposition de la cascade physiopathologique de l’endocrinologie du stress dans le cadre de la tendance accrue aux thromboses |
Pédiatrie du développement | Expériences aversives durant l’enfance et altérations cérébrales neurofonctionnelles et neurostructurelles consécutives; outre un dérèglement endocrinien persistant lié au stress, il existe un risque accru notamment de maladies immunologiques, somatoformes, endocriniennes, néoplasiques, cardiovasculaires et psychiatriques ultérieures |
Epigénétique psychosomatique | Mécanismes épigénétiques induits par le stress dans le cerveau et les tissus périphériques, y compris les gamètes, ce qui a des implications transgénérationnelles supplémentaires |
Biologie des télomères | Impact du stress sur le système des télomères et implications sur les processus de vieillissement, la vulnérabilité aux maladies et l’espérance de vie |
Recherche sur l’attachement | Expérience d’attachement dans la petite enfance et corrélats (neuronaux) concernant les modèles d’interaction à l’âge adulte |
Médecine de la douleur | Maladies douloureuses associées au stress et mécanismes endocriniens liés au stress de l’hypo- et de l’hyperalgésie; hypersensibilité périphérique et centrale à médiation neuro-inflammatoire |
Recherche neurobiologique sur les émotions | Gyrus cingulaire antérieur en tant qu’interface «psychosomatique» où à la fois la perception somatique et le vécu émotionnel sont traités et émulsifiés; potentialisation à long terme associée au traumatisme notamment par le glutamate et chronicisation consécutive avec diminution du niveau de stimulation pour les impulsions de douleur, de stress et d’angoisse |
Axe cerveau-intestin | Effet top-down du stress endocrinien sur la perception intestinale, la fonctionnalité intestinale, l’inflammation et la flore intestinale; effet bottom-up du microbiote sur les maladies fonctionnelles et inflammatoires chroniques de l’intestin, ainsi qu’effets neuropsychiatriques sélectifs |
Neuropsychosomatique | Troubles fonctionnels/dissociatifs et leurs corrélats neurobiologiques |
Etats d’épuisement | Mécanismes psychobiologiques et facteurs de risque d’états d’épuisement (post-viraux) chroniques |
Neurobiologie sociale | Biologie neuroendocrinienne et neurofonctionnelle comme prérequis et conséquence des fonctions et aptitudes sociales, plasticité neuronale entre autres dans les émotions sociales |
Psycho-immunologie | Interconnexion immuno-neuro-endocrinienne et processus neuro-inflammatoires dans les maladies liées au stress, les maladies douloureuses, la dépression, l’épuisement, ainsi que les maladies cutanées |
Clinique: une discipline transversale
L’expertise clinique de la discipline transversale de la médecine psychosomatique réside principalement dans le diagnostic différentiel et le traitement des symptômes physiques fonctionnels. Dans la médecine de premier recours, environ une personne malade sur quatre souffre de symptômes physiques fonctionnels [2]. Il s’agit le plus souvent de maladies liées au stress et de maladies douloureuses. Dans le cadre des changements sociaux, économiques et écologiques, ces maladies sont en nette progression [3]. Par troubles fonctionnels, on entend des affections qui ne sont pas (ou pas uniquement) dues à une lésion au niveau organique, mais qui sont largement caractérisées par une modulation aux niveaux de la perception organique et de la régulation organique (tab. 2). Ces deux niveaux importants pour les symptômes sont à leur tour soumis à des processus de contrôle psychophysique dans le système nerveux central. Il est plausible que les traitements qui agissent uniquement au niveau organique ne soient pas efficaces. Une approche à plusieurs niveaux est nécessaire. Il existe aujourd’hui des lignes directrices internationales pour le traitement de nombreux syndromes somatiques fonctionnels. Dans l’espace germanophone, les lignes directrices S3 correspondantes sont volontiers utilisées [2]. Pour le traitement multimodal de la douleur, il existe des aides explicites pour la conceptualisation de cas [4].
La médecine biopsychosociale se taille la part du lion dans la médecine de premier recours. Plus de 800 collègues installés en cabinet sont titulaires du titre de formation approfondie en médecine psychosomatique et psychosociale (ASMPP). Les services de psychosomatique des cliniques de réadaptation, des cliniques centrales et des hôpitaux universitaires apportent une contribution indispensable dans le traitement stationnaire. En jetant un œil au-delà des frontières, il apparaît qu’en Allemagne, le nombre de lits en médecine psychosomatique a plus que doublé ces dernières années [3]. Outre le besoin de rattrapage en matière de structures de traitement, la question de l’amélioration de la prévention est également à l’ordre du jour de la politique de santé en Suisse.
Les maladies fonctionnelles énumérées dans le tableau 2 ont de nombreux points communs: elles sont généralement caractérisées par des antécédents somatiques, une hypersensibilité périphérique et centrale, une modulation végétative du stress et des facteurs de prédisposition génétiques et psychosociaux. La physiologie imbriquée de ces troubles explique leur taux élevé de comorbidité interne et rend plausible l’établissement de la psychosomatique comme discipline transversale.
Tableau 2: Discipline transversale de la médecine psychosomatique. |
Exemples de spécialisation organique | Exemples de troubles fonctionnels |
Rhumatologie | Syndrome fibromyalgique |
Gastroentérologie | Syndrome du côlon irritable, dyspepsie fonctionnelle |
Urologie | Syndrome de douleur pelvienne chronique |
Cardiologie | Douleur thoracique atypique |
Infectiologie | Syndrome de fatigue (post-viral) |
Oto-rhino-laryngologie | Acouphènes, syndrome temporo-mandibulaire |
Neurologie | Troubles conversifs/dissociatifs |
Formation: expansion de la conception psychosomatique
L’émergence d’une prise de conscience sociale pour les maladies liées au stress a conduit à une reconsidération de la compréhension psychosomatique de base, qui a gagné une conception non pas duale, mais intégrative: les maladies liées au stress touchent toujours l’être humain dans son ensemble, c.-à-d. qu’elles le concernent dans sa réalité globale. En y regardant de plus près, cette atteinte psychophysique est également un fait dans de nombreuses maladies endocrinologiques, immunologiques, cardiovasculaires, oncologiques, neurologiques, gastro-entérologiques ou gynécologiques qui, de manière analogue aux troubles fonctionnels, ont régulièrement un «versant psychique». Les disciplines passerelles psychosomatiques, telles que la psycho-endocrinologie, la psycho-neuro-immunologie, la psychocardiologie, la neuropsychosomatique, la psycho-oncologie et la gynécologie psychosomatique, sont des exemples de jeunes disciplines qui souhaitent combler cette lacune en collaboration avec les disciplines organiques mentionnées.
Dans le cadre du paradigme de santé biopsychosocial esquissé, il est nécessaire de mettre en place une formation initiale et une formation postgraduée qui transmettent des connaissances pour mieux appréhender non seulement les maladies, mais aussi les personnes malades. Outre l’enseignement de la pathologie psychosomatique spécifique, la formation initiale et la formation postgraduée doivent ainsi mettre l’accent entre autres sur l’entraînement des compétences de communication médicale. Afin d’accroître l’assurance vis-à-vis de l’aspect psychologique, il faudrait à l’avenir accorder beaucoup plus de place aux connaissances anthropologiques de base et à la psychologie médicale dans la formation initiale et postgraduée. Les groupes Balint contribuent également à la promotion pratique des compétences.
Perspectives: dépasser le dualisme médical
Pour qu’une médecine biopsychosociale centrée sur le patient soit possible, il faut accorder à l’entretien médical la place qu’il mérite lors de la consultation: seul l’entretien permet d’appréhender la dimension subjective. Le corps de la patiente ou du patient est en permanence le théâtre des effets de son vécu psychique sur sa santé, que ce soit directement (c.-à-d. par voie psycho-neuro-végétative, psycho-neuroendocrinienne ou neuro-inflammatoire) ou indirectement (par voie comportementale).
L’efficacité du traitement des troubles fonctionnels va continuer à augmenter. Parallèlement aux nouvelles découvertes de la recherche, il y aura une différenciation supplémentaire en sous-spécialités psychosomatiques, tout en sachant qu’il est là aussi essentiel de garder une vue d’ensemble. De nouvelles approches sont requises, comme l’«ethno-psychosomatique», l’«éco-psychosomatique», le «développement de la résilience des collectifs», etc.
Malgré son intérêt pour les détails biologiques, la médecine psychosomatique a toujours défini son horizon de manière très large: il y a 20 ans déjà, Thure von Uexküll a propagé une nouvelle conception de la médecine, qui considère l’organisme et son environnement comme «une unité de survie» [5]. Un paradigme qui voit donc des liens profonds entre l’organe, l’organisme, la personne, la société et l’écosystème [5].
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Alexander Minzer
Académie Suisse pour la Médicine Psychosomatique et Psychosociale (ASMPP)
Case postale 521
CH-6260 Reiden
alexander.minzer[at]hin.ch
1 Egle UT, Heim C, Strauss B, von Känel R, editors. Psychosomatik – neurobiologisch fundiert und evidenzbasiert. 1st ed. Stuttgart: W. Kohlhammer;2020.
2 Arbeitsgemeinschaft der Wissenschaftlichen Medizinischen Fachgesellschaften (AWMF) [Internet]. Berlin: Leitlinien-Detailansicht «Funktionelle Körperbeschwerden». c2018 [cited 2022 Jan 27]. Available from:
https://www.awmf.org/leitlinien/detail/ll/051-001.html.
3 Herzog W, Beutel ME, Kruse J, editors. Psychosomatische Medizin und Psychotherapie heute. 1st ed. Stuttgart: Schattauer; 2013. p 67.
4 Grolimund J, Grolimund S, grosse Holtforth M, Egloff N. Wegleitung zur Planung einer personalisierten, interdisziplinären multimodalen Schmerztherapie. Schmerz. 2019;33(6):514–22.
5 Uexküll T, Köhle K, Herzog W, Joraschky P, Kruse J, Langewitz W, Söllner W, editors. Psychosomatische Medizin, 6th ed. München und Jena: Urban und Fischer; 2003.p 8.
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