Plus de 1,2 milliard de personnes souffrent d’hypertension, posant un problème de santé publique majeur. En comprendre les causes permet de définir prévention et traitement fondés sur l’évidence scientifique.
Introduction
Au cours de ces 20 dernières années, les évidences cliniques, expérimentales et génétiques couplées à une compréhension physiologique détaillée du maintien de l’homéostasie du sodium et du potassium par le rein ont entièrement validé la proposition que l’hypertension artérielle est une maladie rénale! Plus récemment, des études phylogénétiques couplées à une meilleure connaissance de l’origine et de l’évolution de l’Homo sapiens et de ses migrations «out of Africa» ont permis de mieux comprendre les causes culturelles, environnementales et génétiques de la pandémie actuelle [1].
Nous présenterons des données récentes de physiologie rénale qui permettent de comprendre le «paradoxe» de l’aldostérone, une hormone dont la sécrétion est stimulée par deux stimuli apparemment contradictoires: l’hypovolémie (restriction en sodium) d’une part, et le potassium sanguin (hyperkaliémie) d’autre part. Finalement, on discutera de ce mécanisme dans le contexte de la pandémie d’hypertension actuelle.
Progrès en physiologie rénale: compréhension des mécanismes du «paradoxe» de l’aldostérone
Le «potassium switch» ou «commutateur au potassium»
L’aldostérone a des actions paradoxales: elle augmente la réabsorption du chlorure de sodium (NaCl) dans les états d’hypovolémie sans altérer significativement l’équilibre potassique. Pourtant, l’aldostérone augmente également l’excrétion de potassium dans les états d’hyperkaliémie sans altérer l’équilibre du sodium ni la volémie. Comment une hormone peut-elle avoir deux actions contradictoires, selon l’état physiologique? La solution se trouve dans la compréhension des mécanismes de sécrétion du potassium dans le néphron distal sensible à l’aldostérone (ASDN) et le «potassium switch» (commutateur au potassium) qui opère dans le tubule contourné distal (DCT1 et DCT2) (Fig. 1).
Sécrétion du potassium
C’est le fait de la cellule principale de l’ASDN qui se trouve dans la 2e partie du tubule contourné distal (DCT2), le tubule connecteur (CNT), le tubule collecteur cortical (CCD) et le tubule collecteur (CD). Le rein contrôle l’excrétion urinaire de potassium pour l’adapter à l’apport alimentaire. Il le fait en faisant varier la sécrétion de potassium (K) dans l’ASDN. La sécrétion de K est maximisée par l’ASDN lorsqu’une augmentation de l’aldostérone s’accompagne d’une augmentation du flux de sodium (Na) atteignant l’ASDN qui exprime la cellule principale sensible à l’aldostérone. La sécrétion de potassium par cette cellule est un processus en deux étapes: (1) transport actif du sang dans la cellule via la Na/K ATPase, puis (2) efflux passif dans la pro-urine via des canaux à potassium (ROMK et BK, le canal «Big Potassium»). Le potassium quitte la cellule principale à travers la membrane apicale en raison d’une force électromotrice favorable établie par le canal à sodium épithélial (ENaC). Ainsi, l’excrétion de K augmente lorsque le flux de Na au niveau de la cellule principale et l’activité d’ENaC sont augmentés. L’aldostérone active l’ENaC, quelle que soit la cause de son augmentation: excès de potassium ou hypovolémie. En revanche, l’apport de sodium à l’ASDN est remarquablement différent dans les deux états d’hyperaldostéronisme: dans les états d’hypovolémie, le flux distal de Na est supprimé car les segments tubulaires en amont (DCT1 et DCT2) réabsorbent avidement le sodium (Fig. 1B). En cas d’excès de potassium, le flux distal de sodium est augmenté car DCT1 et DCT2 ne réabsorbent plus de sodium (Fig. 1A).
Importance du «potassium switch» dans la compréhension de la pandémie actuelle
Il faut placer ce mécanisme dans le contexte de l’évolution de l’Homo sapiens apparu au paléolithique moyen en Afrique il y a environ 200 000 ou 300 000 ans, migrant ensuite en plusieurs étapes «out of Africa» pour finalement peupler au néolithique l’ensemble de la planète, il y a environ 12 000 ans. Le mode de vie et la diète au paléolithique sont ceux du chasseur-cueilleur (Fig. 1A). En absence de moyens de conserver la nourriture (principalement par salaison), celui-ci doit passer une bonne partie de son quotidien à chercher sa nourriture, ce qui implique des périodes de jeûne plus ou moins longues quand la chasse et/ou la cueillette sont maigres (Fig. 1B). Le contrôle de la balance sodique et potassique décrit ci-dessus représente clairement une excellente adaptation aux conditions de vie du paléolithique. La diète de l’Homo sapiens était riche en K et pauvre en Na. Il vivait dans un environnement chaud, ce qui pouvait entrainer des pertes de sel. Tout ceci fait qu’un système rénine-angiotensine-aldostérone (RAAS) performant présentait un avantage adaptatif indéniable [1]. Une famine de quelques jours ne présentait pas de problème puisque la sécrétion de potassium pouvait être diminuée rapidement tout en maintenant une balance sodique même lors de restriction sodique sévère (Fig. 1B). Avec le néolithique et jusqu’à nos jours, la diète de l’Homo sapiens change drastiquement: elle devient de plus en plus riche en calories, riche en sel et pauvre en potassium, entrainant la pandémie actuelle (Fig. 1C). Le changement rapide (en termes d’évolution) d’un apport quotidien de 0,5 g de sel à une moyenne de 10 g/jour dans la plupart des pays développés n’a pas permis de s’adapter par sélection de gènes «diurétiques» ce qui peut, en partie, expliquer la pandémie d’hypertension actuelle. De plus, la pression de sélection sur ces gènes est probablement minime parce que l’hypertension devient prévalente après la période de reproduction et ne semble pas affecter la fertilité de manière significative [1].
Perspectives
La compréhension des causes de la pandémie ne nous laisse que peu de choix en termes de prévention ou de traitement.
Prévention
Les études cliniques contrôlées (sur quelques semaines) démontrent clairement qu’une diète riche en potassium et pauvre en sodium est la prévention la plus efficace et la moins coûteuse pour les deniers publics [2]. Hélas, changer ses habitudes diététiques à long terme soulève un problème de compliance difficile à résoudre.
Traitement
Du point de vue pharmacocinétique
Le traitement de l’hypertension artérielle est très efficace, mais à nouveau le problème d’adhérence reste majeur puisqu’on estime que seuls 40% des hypertendus atteignent les cibles tensionnelles recommandées.
Il y a quelques pistes d’amélioration:
Un meilleur suivi par une mesure ambulatoire simple et non invasive de la pression artérielle (PA) 24 heures/24 7 hours/7 devrait permettre un autocontrôle efficace de la maladie [3]. Le médecin prend connaissance des données à distance et peut ajuster le traitement.
Une thérapie plus individualisée grâce à une meilleure connaissance de la physiopathologie et de la pharmacocinétique des médicaments. La pharmacogénétique prend une place importante dans ce domaine.
Les diurétiques classiques ciblant le DCT et/ou l’ASDN (thiazidiques, amiloride, spirolactone) restent un élément clé du traitement. Qui aurait pensé que les inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose (SLGT), puissants diurétiques du tubule proximal, allaient révolutionner le traitement de la néphropathie diabétique, si souvent accompagnée d’hypertension sévère?
Du point de vue pharmacodynamique
Identifier de nouvelles cibles reste l’apanage de la recherche académique. La génomique des populations permet d’identifier de nouvelles cibles, par exemple l’uromoduline ou la corine [1]. Une voie prometteuse est l’approche adoptée par la médecine «darwinienne». Une approche de physiologie et génomique comparative entre espèces peut donner des résultats étonnants. Je citerais ainsi comme simple exemple récent le cas de la girafe qui s’est remarquablement adaptée à son «hypertension physiologique» avec une pression systolique de 300 mmHg qui ne lui cause aucune maladie cardio-vasculaire [4]!
Disclosure statement
Merci aux Professeurs Jean-Pierre Guignard, Grégoire Wuerzner, François Verrey pour leur relecture attentive de l’article ainsi que pour leurs suggestions constructives et à Alain Meystre pour l’infographie.
L’auteur a déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personelles en rapport avec l’article soumis.
Correspondance
Prof. ém. Dr méd. Bernard C. Rossier Faculté de biologie et de médecine Université de Lausanne Rue du Bugnon 27 CH-1005 Lausanne Bernard.Rossier[at]unil.ch
Références
1 Rossier BC, Bochud M, Devuyst O. The Hypertension Pandemic: An Evolutionary Perspective. Physiology (Bethesda). 2017;32:112–25.
2 Juraschek SP, Miller ER 3rd, Chang AR, Anderson CAM, Hall JE, Appel LJ. Effects of Sodium Reduction on Energy, Metabolism, Weight, Thirst, and Urine Volume: Results From the DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension)-Sodium Trial. Hypertension. 2020;75:723–9.
3 Vybornova A, Polychronopoulou E, Wurzner-Ghajarzadeh A, Fallet S, Sola J, Wuerzner G. Blood pressure from the optical Aktiia Bracelet: a 1-month validation study using an extended ISO81060-2 protocol adapted for a cuffless wrist device. Blood Press Monit. 2021;26:305–11.
4 Liu C, Gao J, Cui X, Li Z, Chen L, Yuan Y, et al. A towering genome: Experimentally validated adaptations to high blood pressure and extreme stature in the giraffe. Sci Adv. 2021;7(12):eabe9459.