Prise en charge de la crise hypertensive relative: se poser les bonnes questions, choisir le bon traitement

Prise en charge de la crise hypertensive relative: se poser les bonnes questions, choisir le bon traitement

Leserbrief
Édition
2022/1718
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09059
Forum Med Suisse. 2022;22(1718):303

Publié le 26.04.2022

Prise en charge de la crise hypertensive relative: se poser les bonnes questions, choisir le bon traitement

Courrier des lecteurs relatif à: Bopp A, Herren T, Matter H, Wyder D, Rudiger A. La crise hypertensive. Forum Med Suisse. 2021;21(41–42):702–11.
Nous avons pris connaissance avec intérêt de l’article récemment publié dans le Forum ­Médical Suisse au sujet de la crise hypertensive [1]. Le chapitre consacré à la prise en charge des crises hypertensives relatives nous semble mériter plusieurs commentaires.

Des facteurs déclenchants à ne pas sous-estimer

Une fois la crise hypertensive absolue écartée, l’algorithme présenté en figure 1 de l’article mentionne clairement l’importance de compléter la démarche diagnostique par la recherche d’un facteur déclenchant. Parmi ces facteurs, les auteurs citent sans s’y attarder «une mauvaise observance». Nous souhaitons insister sur ce facteur dont la littérature montre qu’il est en fait l’une des principales causes de poussée hypertensive [2, 3]. Selon une étude prospective monocentrique allemande ayant évalué l’observance de manière directe (par des dosages urinaires) chez des patients admis aux urgences pour une poussée hypertensive, l’observance était mauvaise ou nulle chez plus de la moitié des patients, notamment chez ceux dont le traitement comprenait un alpha-bloquant ou au moins 3 antihypertenseurs [4].
Les auteurs mentionnent comme autre facteur déclenchant possible la prise d’un médicament ou d’une substance ayant un effet ­hypertenseur. Il nous semble important de compléter les exemples listés, car des substances et médicaments beaucoup plus courants ne sont pas cités (tab. 1 ci-dessous). Dans l’étude décrite précédemment [4], la consommation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (fréquemment obtenus sans prescription) et de caféine était très fréquente chez les patients inclus (respectivement 41% et 92%).
Tableau 1: Médicaments et substances courants pouvant avoir un effet hypertenseur (gras: les plus fréquemment impliqués selon Wallbach et al [4]).
Anti-inflammatoiresAINS, corticoïdes
AntidépresseursIRSNa (venlafaxine, duloxétine), bupropion, IMAO
VasoconstricteursTriptans
Sympathomimétiques utilisés comme décongestionnants nasaux (per os ou par voie nasale)
OestroprogestatifsContraceptifs, traitements hormonaux substitutifs
Substances excitantesCaféine, cocaïne, amphétamines, phencyclidine
AINS: anti-inflammatoires non stéroïdiens; IMAO: inhibiteurs de la recapture de la monoamine oxidase; IRSNa: inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrenaline
Enfin, les auteurs soulignent l’importance de traiter rapidement des facteurs déclenchants spécifiques tels que la douleur, l’anxiété et les nausées. De ce point de vue, l’hypnose constitue selon nous un outil important à intégrer à la prise en charge, en complément des traitements pharmacologiques habituels. Si son intérêt dans la prise en charge ambulatoire de l’hypertension essentielle est établi depuis longtemps, l’hypnose peut aussi se montrer efficace lors de la prise en charge d’une crise hypertensive relative [5, 6].

Inhibiteurs calciques pour faire baisser rapidement la pression: des risques certains, une utilité douteuse

Afin de garantir la sécurité des patients, nous souhaitons également mettre en garde les cliniciens contre le commentaire concernant la nifédipine dans le tableau 2 de l’article, qui ­indique que les comprimés de nifédipine à ­libération prolongée peuvent être écrasés pour permettre une administration via une sonde gastrique.
Il est en effet possible d’écraser ces comprimés, mais avec pour conséquence de détruire leur formulation retard. On administre alors une forme à libération immédiate, avec un risque important d’hypotension, suivi d’un possible effet rebond avec tachycardie [7].
Or la littérature est unanime pour déconseiller formellement l’utilisation de la nifédipine à libération immédiate dans cette situation car elle peut entraîner une baisse imprévisible et incontrôlée de la pression artérielle, ainsi que de graves complications ischémiques (infarctus, accident vasculaire cérébral, insuffisance rénale aiguë) [2, 8, 9]. Cette précaution est d’ailleurs évoquée dans l’article à propos de la forme sublinguale: «La ­nifédipine sublinguale ne devrait pas être utilisée, car elle n’est ni sûre ni efficace».
A l’inverse, et bien que cela ne soit pas précisé, il est intéressant de noter que la plupart des alternatives présentées dans le tableau 2 de l’article (carvédilol, labétalol, clonidine, énalapril) peuvent être écrasées sans risque pour permettre une administration par sonde [7].
Sur le fond, on peut s’interroger sur la mention d’un inhibiteur calcique parmi les options thérapeutiques à considérer pour soulager rapidement un patient symptomatique. Comme indiqué dans le tableau 2 de l’article, le début de l’effet de la nifédipine peut se manifester après seulement plusieurs heures suite à la prise d’un comprimé retard. De la même manière, après l’administration orale d’une dose unique d’amlodipine (pratique ­fréquente dans notre environnement), l’absorption devient seulement détectable après 30 minutes à 1 heure; le début de l’effet se manifeste en moyenne après 2 heures; et le pic de concentration du médicament n’est atteint qu’après 6 à 12 heures [10, 11]. Lorsqu’une baisse rapide de la pression artérielle est ­recherchée avec un médicament, l’administration d’une dose de dérivé nitré d’action immédiate (push ou comprimé à croquer) nous semble une option à la fois plus efficace (délai d’action de quelques minutes) et plus sûre (durée d’action courte, risque limité d’effets indésirables), en attendant de pouvoir initier ou renforcer un traitement de fond.
a Pharmacie des Hôpitaux du Nord-Vaudois et de la Broye, Yverdon-les-Bains
b Service des urgences, Etablissements hospitaliers du Nord-Vaudois (eHnv), Yverdon-les-Bains
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
 1 Bopp A, Herren T, Matter H, Wyder D, Rudiger A. La crise hypertensive. Forum Med Suisse. 2021;21(41–42):702–11.
 2 Peixoto AJ. Acute Severe Hypertension. N Engl J Med. 2019;381(19):1843–52.
 3 Overgaauw N, Alsma J, Brink A, Hameli E, Bahmany S, Peeters LEJ, et al. Drug nonadherence is a common but often overlooked cause of hypertensive urgency and emergency at the emergency department. J Hypertens. 2019;37(5):1048–57.
 4 Wallbach M, Lach N, Stock J, Hiller H, Mavropoulou E, Chavanon M-L, et al. Direct assessment of adherence and drug interactions in patients with hypertensive crisis. A cross-sectional study in the Emergency Department. J Clin Hypertens. 2019;21(1):55–63.
 5 Friedman H, Taub HA. The use of hypnosis and ­biofeedback procedures for essential hypertension. Int J Clin Exp Hypn. 1977;25(4):335–47.
 6 Deabler HL, Fidel E, Dillenkoffer RL, Elder ST. The use of relaxation and hypnosis in lowering high blood pressure. Am J Clin Hypn. 1973;16(2):75–83.
 7 Universitätsspitalbasel, Spital-Pharmazie. Zermörserbarkeit und Verabreichungshinweise von Tabletten, https://www.unispital-basel.ch/fileadmin/unispitalbaselch/Bereiche/Querschnittsfunktionen/Spital-Pharmazie/Zermoerserbarkeit_Tabletten.pdf (dernier accès le 11 janvier 2022)
 8 Levy PD, Mahn JJ, Miller J, Shelby A, Brody A, Davidson R, et al. Blood pressure treatment and outcomes in hypertensive patients without acute target organ damage: a retrospective cohort. Am J Emerg Med. 2015;33(9):1219–24.
 9 van den Born BH, Lip GYH, Brguljan-Hitij J, Cremer A, Segura J, Morales E, et al. ESC Council on hypertension position document on the management of hypertensive emergencies. Eur Heart J Cardiovasc Pharmacother. 2019;5(1):37–46.
10 Faulkner JK, McGibney D, Chasseaud LF, Perry JL, Taylor IW. The pharmacokinetics of amlodipine in healthy volunteers after single intravenous and oral doses and after 14 repeated oral doses given once daily. Br J Clin Pharmacol. 1986;22(1):21–5.
11 Meredith PA, Elliott HL. Clinical pharmacokinetics of amlodipine. Clin Pharmacokinet. 1992;22(1):22–31.