Présentation atypique d'une affection fréquente
Un défi diagnostique

Présentation atypique d'une affection fréquente

Was ist Ihre Diagnose?
Édition
2023/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.09068
Forum Med Suisse. 2022;23(06):893-895

Affiliations
Hôpitaux Universitaires de Genève, Genève: a Service de médecine interne générale; b Service des urgences;c Service de radiologie

Publié le 08.02.2023

Un patient de 34 ans, ayant comme unique antécédent une hépatite aiguë d’étiologie indéterminée spontanément résolutive, se présente aux urgences pour des douleurs épigastriques en péjoration depuis deux semaines, associées à des nausées.

Présentation du cas

Un patient de 34 ans, en bonne santé habituelle, ayant comme unique antécédent une hépatite aiguë d’étiologie indéterminée spontanément résolutive, se présente aux urgences pour des douleurs épigastriques en péjoration depuis deux semaines, associées à des nausées sans vomissement, sans trouble du transit digestif ni état fébrile anamnestique.
A son admission, on objective une hypotension artérielle à 87/50 mm Hg, une tachycardie régulière à 132/min, une tachypnée à 26/min et un état fébrile à 38,0 °C. A l’examen clinique ciblé, les bruits abdominaux sont normaux, l’abdomen est souple mais douloureux à la palpation en fosse iliaque droite et en hypochondre droit, avec un signe de Murphy positif. Les loges rénales sont souples et indolores.
Le bilan sanguin montre un important syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive (CRP) à 300 mg/l, sans leucocytose, des lactates à 2,6 mmol/l et une insuffisance rénale aiguë avec une créatininémie à 464 μmol/l. Les tests hépatiques sont fortement perturbés avec une γ-glutamyltranspeptidase et une phosphatase alcaline à plus de trois fois la norme, ainsi qu’une bilirubine totale à 87 U/l. Les transaminases sont dans la norme, de même que la lipase. La crase est discrètement altérée. Le sédiment urinaire met en évidence de nombreux leucocytes, des érythrocytes (de nature indéterminée) et une absence de nitrites. La radiographie du thorax ne révèle pas de foyer infectieux.
Un sepsis d’origine digestive probable étant suspecté, le patient bénéficie d’une double antibiothérapie empirique de ceftriaxone et métronidazole par voie intraveineuse, après prélèvement de deux paires d’hémocultures, ainsi que d’un remplissage volémique adapté. Un ultrason abdominal montre une vésicule biliaire alithiasique, des voies biliaires intra- et extra-hépatiques non dilatées et l’absence de liquide libre intra-abdominal.
Sur la base de ces examens complémentaires, quelle pathologie peut être formellement écartée à ce stade ?
a) Une cholécystite lithiasique
b) Une appendicite
c) Une hépatite aiguë
d) Une diverticulite
e) Une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI)
Le diagnostic de cholécystite lithiasique peut être exclu suite à l’examen échographique qui ne retrouve pas de calcul dans la vésicule. Un diagnostic d’hépatite aiguë est alors évoqué, le bilan sanguin est complété par une paracétamolémie et par des sérologies pour les hépatites virales (A, B, C et des virus du groupe Herpes) qui reviennent toutes négatives. Les virus de la grippe Influenza et du SARS-CoV-2 ne sont pas non plus détectés.
En raison des signes de gravité cliniques et biologiques, avec un index de choc positif et une atteinte d’organe (principalement une insuffisance rénale aiguë), le patient est admis en unité monitorée. Il va bénéficier d’une écho-endoscopie des voies biliaires, qui écarte le diagnostic de cholangite mais décèle une lame de liquide péri-hépatique et suspecte une thrombose mésentérico-porte. Il aura également un CT-scan thoraco-abdominal, sans injection intraveineuse de produit de contraste (en raison de l’insuffisance rénale aiguë) et sans opacification digestive, qui révèle un épaississement iléal et la présence de liquide intra-abdominal pelvien d’abondance modérée. Les hémocultures reviennent alors positives pour Escherichia coli, Streptococcus anginosus et Staphylococcus epidermidis resistant aux béta-lactames, motivant l’ajout de vancomycine intraveineuse.
La recherche du foyer primaire d’infection se poursuit avec l’appui des spécialistes du service d’infectiologie, qui évoquent par ailleurs d’autres diagnostics, tels qu’une fièvre Q, une yersiniose ou une leptospirose.
L’état clinique du patient se dégrade cinq jours après son admission, avec apparition d’un état fébrile jusqu’à 38,8 °C et des épisodes de désaturation (87% à l’air ambiant). Une nouvelle radiographie du thorax suggère alors un possible foyer infectieux pulmonaire basal gauche.
Chez un patient hospitalisé, chez lequel on évoque maintenant des signes d’infection respiratoire, quelle antibiothérapie administreriez-vous?
a) Amoxicilline/acide-clavulanique intraveineux
b) Clarithromycine per os
c) Ciprofloxacine intraveineux
d) Pipéracilline-tazobactam intraveineux
e) Pas de changement antibiotique
L’antibiothérapie en cours est alors modifiée, avec l’introduction d’un traitement de pipéracilline-tazobactam intraveineux, afin de couvrir une possible pneumonie nosocomiale [1]. Les autres traitements proposés ne permettent pas de traiter correctement une bronchopneumonie nosocomiale tout en couvrant les germes intestinaux. L’évolution clinique reste toutefois non satisfaisante et, compte tenu d’une altération marquée et persistante des valeurs des tests hépatiques, une cholangio-IRM est effectuée et révèle une thrombophlébite de la veine porte avec des images d’emboles septiques dans l’ensemble du foie et un phlegmon au sein du segment VII. Le diagnostic de thrombophlébite septique de la veine porte (pyléphlébite) est alors retenu.
Quel est l’examen qui doit être maintenant pratiqué pour préciser le diagnostic de cette pyléphlébite et en comprendre la cause?
a) Un nouvel ultrason abdominal
b) Un CT-scan abdominal sans produit de contraste intraveineux
c) Un dosage sanguin des D-dimères
d) Une artériographie
e) Un CT-scan abdominal avec produit de contraste intraveineux
Un CT-scan abdominal, réalisé avec injection de produit de contraste intraveineux, retrouve une thrombophlébite partielle de la veine porte et met également en évidence une appendicite. Cet examen permet ainsi de visualiser l’extension du thrombus, de mettre en évidence la source primaire de l’infection et de montrer, le cas échéant, l’existence de complications (fig. 1).
Figure 1: CT-scan abdominal (coupes axiales), après injection intraveineuse de produit de contraste: A) Des signes d’appendicite aiguë sont trouvés. L’appendice enflammé se présente sous forme d’une structure digestive borgne (flèches), avec rehaussement pariétal, de taille augmentée, située sous le bas-fond caecal. B) Thrombose partielle de la veine mésentérique supérieure (VMS), sous forme de lacune endoluminale (flèche) dans le produit de contraste. C) L’examen CT démontre l’extension du thrombus (flèche) au niveau de la veine porte (VP).
Il convient de préciser qu’un examen CT sans injection de produit de contraste n’est pas pertinent dans ce contexte car il ne permet pas de répondre aux questions posées. Les autres examens proposés ne sont pas dédiés à cette pathologie [2, 3].
Quelle est, de nos jours, la principale source d’infection abdominale pouvant être à l’origine d’une thrombophlébite septique de la veine porte ?
a) La cholécystite
b) L’appendicite
c) L’hépatite aiguë
d) La diverticulite
e) Les MICI
Autrefois, l’appendicite était la pathologie infectieuse le plus souvent retrouvée à l’origine d’une thrombophlébite septique de la veine porte. Cette étiologie est devenue beaucoup moins fréquente avec le diagnostic et la prise en charge précoce de cette affection, même si elle en reste toujours une cause possible. Actuellement, c’est la diverticulite qui est le plus souvent mise en évidence comme foyer infectieux primaire. Les autres infections intra-abdominales sont moins fréquentes comme facteur causal [4].
Chez un patient qui présente une thrombophlébite septique de la veine porte, secondaire à une appendicite, quelle est la prise en charge la plus adaptée?
a) Poursuite de l’antibiothérapie seule
b) Poursuite de l’antibiothérapie et introduction d’une anticoagulation thérapeutique
c) Appendicectomie par laparoscopie en urgence, poursuite de l’antibiothérapie et introduction d’une anticoagulation thérapeutique
d) Poursuite de l’antibiothérapie, introduction d’une anticoagulation thérapeutique et appendicectomie à distance de l’épisode aigu
e) Appendicectomie par laparoscopie et résection chirurgicale du segment VII hépatique
Le patient a bénéficié d’une appendicectomie par laparoscopie en urgence, intervention qui s’est déroulée sans complication. Les prélèvements bactériologiques intra-abdominaux reviendront positifs pour du Streptococcus anginosus multi-sensible. L’évolution post-opératoire étant rapidement favorable, le patient pu rentrer à domicile avec poursuite d’une antibiothérapie pour une durée totale de six semaines et une anticoagulation thérapeutique par acénocoumarol pour trois mois [5]. Une IRM hépatique de contrôle à distance montrera une disparition du thrombus porte ainsi qu’une diminution en taille de l’image de phlegmon hépatique.

Discussion

Les douleurs abdominales représentent environ 10% des motifs de consultation aux urgences et l’appendicite est responsable d’environ 30% des abdomens aigus chez les personnes de moins de 50 ans. Le nombre d’organes qui se trouvent dans la cavité abdominale peut rendre le diagnostic clinico-biologique des douleurs abdominales difficile et complexe. La grande majorité des protocoles s’accorde à dire que les douleurs abdominales aiguës nécessitent la réalisation d’une imagerie abdominale en urgence, dès lors qu’un diagnostic bénin n’a pas pu être posé avec un degré de certitude suffisant. Une échographie abdominale peut, dans certains cas, être réalisée en première intention, en particulier lors de douleurs de l’hypochondre droit ou de douleurs abdominales basses chez la femme en âge de procréer. Cet examen doit toutefois être complété par un CT-scan abdominal avec injection de produit de contraste, en cas de doute diagnostique ou chez les personnes sévèrement malades [6].
L’incidence de la thrombophlébite septique de la veine porte est faible (2,7/100 000 personnes-années) mais cette affection reste néanmoins grevée d’une mortalité élevée (10–25%). Les symptômes demeurent aspécifiques, avec des douleurs abdominales vagues, de la fièvre, des nausées, parfois des vomissements. Dans les formes avancées de la maladie, avec présence d’une atteinte hépatique, un ictère et une hépatosplénomégalie peuvent se développer [4]. Un haut niveau de suspicion clinique est donc nécessaire en ce qui concerne cette pathologie à la présentation parfois fruste et aux conséquences pouvant être fatales. L’infection débute dans un organe de la cavité abdominale, puis se dissémine par voie hématogène jusqu’à la veine porte et enfin jusqu’au foie. Des complications aiguës peuvent survenir, sous la forme d’une ischémie veineuse intestinale, pouvant aller jusqu’à la nécrose, tandis que l’apparition d’abcès hépatiques est une complication plus tardive (fig. 2) [2].
Figure 2: Evolution de la thrombophlébite septique de la veine porte et ses complications.1. Translocation bactérienne dans le système veineux mésentérique. 2. Progression du thrombus dans la veine porte. 3. Complications aiguës: ischémie et nécrose intestinale. 4.Complication tardive: abcès hépatique.
© Laurence Zulianello, reproduction avec l‘aimable autorisation
Le traitement chirurgical du foyer infectieux primaire (appendicectomie) et l’introduction précoce d’une antibiothérapie sont les principes de base du traitement de cette pathologie [2].
Les germes les plus fréquemment identifiés dans les prélèvements bactériologiques sont Escherichia coli, Streptococcus spp. et Bacteriodes spp.; dans 50% des cas plusieurs de ces germes sont retrouvés [7]. L’antibiothérapie doit être d’une durée minimale de quatre semaines en raison du risque d’emboles septiques et elle peut être prolongée en cas d’abcès hépatique. L’anticoagulation thérapeutique, largement acceptée mais encore controversée, permettrait une meilleure reperméabilisation du système veineux porte [5].
En conclusion, les douleurs abdominales sont un motif de consultation fréquent, en lien avec de nombreuses affections dont le spectre de gravité est large, et leur prise en charge peut parfois s’avérer complexe. Parmi celles-ci, la thrombophlébite septique de la veine porte représente certainement un challenge diagnostic et son tableau clinique peut faire passer au second plan les signes de la pathologie causale. Dans ce cas précis, la non-réalisation d’un CT abdominal injecté ainsi que l’absence d’implication précoce des chirurgiens digestifs lors de la prise en charge initiale du patient ont probablement contribué à un retard diagnostic.
Mickaël Jolti, médecin diplômé
Service de médecine interne générale, Hôpitaux Universitaires de Genève, Genève
Question 1: a. Question 2: d. Question 3: e. Question 4: d. Question 5: c.
Mickaël Jolti
Service de médecine interne générale
Hôpitaux Universitaires de Genève
Rue Gabrielle-Perret Gentil 4
CH-1205 Genève
1 Kumar ST, Yassin A, Bhowmick T, Dixit D. Recommendations From the 2016 Guidelines for the Management of Adults With Hospital-Acquired or Ventilator-Associated Pneumonia. P T. 2017;42(12):767–72.
2 Lee BK, Ryu HH. A Case of Pylephlebitis Secondary to Cecal Diverticulitis. J Emerg Med. 2012;42:e81–e85.
3 Ames JT, Federle MP. Septic thrombophlebitis of the portal venous system: clinical and imaging findings in thirty-three patients. Dig Dis Sci. 2011;56:2179–84.
4 Choudhry AJ, Baghdadi YM, Amr MA, Alzghari MJ, Jenkins DH, Zielinski MD. Pylephlebitis: a Review of 95 Cases. J Gastrointest Surg. 2016;20:656–61.
5 Chang YS, Min SY, Joo SH, Lee SH. Septic thrombophlebitis of the porto-mesenteric veins as a complication of acute appendicitis. World J Gastroenterol. 2008;14:4580–2.
6 Gans SL, Pols MA, Stoker J, Boermeester MA. Guideline for the diagnostic pathway in patients with acute abdominal pain. Dig Surg. 2015;32:23–31.
7 Kanellopoulou T, Alexopoulou A, Theodossiades G, Koskinas J, Archimandritis AJ. Pylephlebitis: an overview of non-cirrhotic cases and factors related to outcome. Scand J Infect Dis. 2010;42:804–11.