Contenu principal

La scintigraphie pulmonaire planaire classique accompagnait déjà nos lecteurs les plus anciens durant leurs études et les premières années de leur vie professionnelle. A l’époque où la radiographie conventionnelle du poumon constituait le standard diagnostique et où la tomodensitométrie luttait encore avec les limitations de la numérisation émergente, seule l’interprétation expérimentée de la perfusion pulmonaire par le confrère de la médecine nucléaire apportait une aide en cas de suspicion clinique d’embolie pulmonaire. Suite à l’introduction de la tomodensitométrie pulmonaire angiographique (CTPA) moderne, la scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion V/Q se retrouve entre-temps dans de nombreux domaines sur le banc de touche diagnostique, pour être uniquement utilisée chez les patients souffrant d’allergie aux produits de contraste ou d’insuffisance rénale. Mais cela est-il justifié?
Principe de la scintigraphie pulmonaire
Lors de la scintigraphie de perfusion, des particules d’albumine marquées par radioactivité sont injectées par voie intraveineuse afin de rendre visible le lit capillaire du poumon au moyen d’une microembolisation iatrogène minimale. Contrairement à la CTPA, la scintigraphie V/Q ne met donc pas en évidence l’embolus relativement petit (en particulier au niveau segmentaire et soussegmentaire), mais la réduction considérablement plus importante de la perfusion dans le lit capillaire en aval.
Du point de vue physiologique, il convient de prendre en considération qu’outre les embolies pulmonaires, des troubles de la ventilation peuvent également être à l’origine d’une diminution de la perfusion pulmonaire. La vasoconstriction secondaire en présence d’une réduction localisée de l’oxygénation (mécanisme de vasoconstriction pulmonaire hypoxique découvert par Euler-Liljestrand) survient notamment en cas de BPCO, d’asthme, d’emphysème et de fibrose et peut être enregistrée directement par la scintigraphie V/Q. Le diagnostic d’une embolie pulmonaire (EP) implique ainsi impérativement la comparaison exacte de la scintigraphie de perfusion avec la scintigraphie de ventilation du point de vue physiopathologique. Toutefois – et c’est là l’ironie de l’histoire de la médecine – cette condition fondamentale n’était pas régulièrement remplie à l’heure de gloire de la scintigraphie V/Q. Les études PIOPED ont reflété le problème méthodique avec une certitude insuffisante sur le plan clinique dans plus de ⅔ des cas.
En revanche, les aérosols radioactifs ultrafins actuellement utilisés permettent des enregistrements de la ventilation de haute qualité et, contrairement aux gaz rares volatiles autrefois employés, la corrélation sans lacune entre perfusion et ventilation pulmonaires. La clairance mucociliaire lente de ces aérosols permet en outre de réaliser non seulement des projections planaires, mais également des tomographies destinées à comparer en détail et sans superposition la ventilation et la perfusion pulmonaires (V/Q-SPECT). Les jeux de données SPECT permettent, comme nous le connaissons pour l’imagerie TEP-TDM, la superposition avec une tomodensitométrie (faible dose) (V/Q-SPECT/CT), afin de mettre directement en corrélation les troubles fonctionnels de ventilation et/ou de perfusion avec la morphologie pulmonaire. L’exposition aux radiations est aussi faible pour le V/Q SPECT que pour la scintigraphie planaire (1,2–2,4 mSv).
Ouvrages de référence et recommandations
De nombreuses études prouvent la précision extraordinairement élevée du V/Q-SPECT pour le diagnostic de l’embolie artérielle pulmonaire (EP). Dans une méta-analyse actuelle incluant 3454 patients issus de 9 études, la sensibilité et la spécificité regroupées du V/Q-SPECT étaient respectivement de 96% et 97% [9]. Des données de haute précision diagnostique ont également été publiées pour la CTPA, toutefois il n’existe en règle générale aucune comparabilité directe des résultats d’études du fait des diverses indications cliniques et de la composition variée des collectifs d’études (principalement des patients présentant des scores de risque clinique élevés et des EP plus significatives) ainsi qu’en raison des différents standards de référence. Toutes les études comparatives en face-à-face du V/Q-SPECT(/CT) et de la CTPA ont mis en évidence une supériorité du V/Q-SPECT, avec des taux de sensibilité/spécificité de 97%/89–100% par rapport à 43–86%/73–100% pour la CTPA [5, 7]. Une méta-analyse comparative parue récemment, présentant des critères d’inclusion stricts en matière de standard de référence diagnostique, confirme ces résultats pour le V/Q-SPECT et le V/Q-SPECT/CT avec une sensibilité/spécificité de 93,3/93,0% et 97,6/95,7% par rapport à la CTPA affichant des taux de 82,0/94,9% [8]. Du point de vue clinique, il convient de souligner, par rapport à l’ancienne scintigraphie planaire V/Q, le très faible taux d’examens V/Q-SPECT non diagnostiques de seulement 1–3% [5, 11], et qui est quasiment nul pour le SPECT/CT «low dose».
Le V/Q-SPECT constitue également un diagnostic d’EP extrêmement fiable pour les femmes enceintes, sans contrainte supplémentaire significative pour le fœtus comparé à la CTPA, avec toutefois une exposition considérablement plus faible de la région mammaire aux radiations (réduction d’un facteur 15 [1]) et, en outre, sans augmentation du taux d’examens non diagnostiques [4].
La scintigraphie V/Q dans la technique SPECT avait déjà été définie en 2009 comme méthode de première intention dans les recommandations de la Société Européenne de Médecine Nucléaire (EANM) [3]. Parallèlement, des critères obligatoires ont été définis pour le diagnostic holistique du V/Q-SPECT, qui se sont entre-temps avérés au quotidien clinique comme étant tout aussi praticables et solides pour le diagnostic de l’EP [2], et ont permis de reproduire entièrement la précision diagnostique précédemment publiée du V/Q-SPECT dans des conditions de routine [6, 10]. Comme dans des études précédentes, le V/Q-SPECT a pratiquement exclu une EP avec une valeur prédictive négative (VPN) de 98,6%, ou diagnostiqué une EP avec une valeur prédictive positive (VPP) de 95,7% [6].
L’actuelle conférence de consensus de Cologne 2016 portant sur l’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (HPTEC) a défini le V/Q- SPECT comme imagerie de choix dans l’algorithme diagnostique de la HPTEC en raison de sa haute précision diagnostique [12].
Expériences personnelles
Le V/Q-SPECT a été introduit il y a près de 15 ans à l’Inselspital et a depuis fait ses preuves dans la routine en tant que méthode à la fois précise et fiable. L’examen est très bien toléré par nos patients – sans aucun effet indésirable ni complication – et permet, malgré un pourcentage élevé de patients atteints de BPCO ou d’autres affections des voies respiratoires, d’établir régulièrement un diagnostic final définitif. La fusion d’images SPECT/CT, que ce soit au moyen d’une TDM faible dose par acquisition synchrone ou en ayant recours à la fusion d’images logicielle avec CTPA préalablement acquise, n’est utile que dans les quelques cas pour lesquels le SPECT seul ne permet pas d’établir un diagnostic sûr (fig. 1). Il n’est pas rare que le V/Q-SPECT soit effectué comme examen de deuxième intention pour exclure avec certitude une EP chez des patients présentant un risque clinique accru, mais chez qui la CTPA initiale a apporté un résultat négatif (fig. 2).


P = perfusion). En plus, insuffisances concordantes de ventilation et perfusion au niveau du lobe médian (*) et de la lingula (<), dans le SPECT/CT embolie pulmonaire avec début d’infarcissement.
Pour la pratique
Contrairement à l’ancienne scintigraphie planaire V/Q, le V/Q-SPECT et le V/Q-SPECT/CT permettent une évaluation finale sûre d’une éventuelle EP. Une radiographie préalable du thorax n’est plus nécessaire pour cette technique d’examen.
Largement répandue et disponible 24 heures sur 24, la CTPA est sans aucun doute la méthode d’imagerie de première intention pour adresser la question de l’EP aiguë, en particulier chez les patients présentant des troubles hémodynamiques et lorsque d’autres pathologies doivent en même temps être exclues sur le plan du diagnostic différentiel. Tandis que la CTPA permet d’exclure de manière fiable et avec une précision diagnostique élevée et acceptable les EP centrales, lobaires et segmentaires, de plus importantes EP soussegmentaires échappent complètement à son identification diagnostique dans la pratique quotidienne (fig. 2).
Au vu de sa sensibilité et sa spécificité extrêmement élevées, constantes et reproduites à plusieurs reprises, le V/Q-SPECT est toutefois la méthode de première intention chez les patients ne présentant aucune anomalie hémodynamique et pour lesquels la question ciblée d’EP se pose en premier lieu. Le V/Q-SPECT convient également parfaitement comme examen de deuxième intention afin d’exclure de manière fiable de plus petites EP chez des patients avec soupçon clinique mais CTPA négative. Le V/Q-SPECT revêt une importance élevée et inchangée pour exclure des EP chroniques récidivantes associées à une HPTEC, généralement en cas d’intolérance aux produits de contraste et au cours de la grossesse.
Image d'en-tête: Fabian Haupt, med. prakt., Prof. Dr. med. Thomas Krause, Dr. med. Bernd Klaeser Universitätsklinik für Nuklearmedizin Inselspital Bern
Correspondance:
Prof. Dr méd.
Thomas Krause
Universitätsklinik für
Nuklearmedizin
Freiburgstrasse
CH-3010 Bern
thomas.krause[at]insel.ch
Published under the copyright license
“Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”.
No commercial reuse without permission.