Chirurgie thoracique, cardiaque et vasculaire: Ce sont les donnés pour morts qui vivent le plus longtemps …
Chirurgie thoracique, cardiaque et vasculaire

Chirurgie thoracique, cardiaque et vasculaire: Ce sont les donnés pour morts qui vivent le plus longtemps …

Schlaglichter
Édition
2018/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03152
Forum Med Suisse 2018;18(03):65-67

Affiliations
a Universitätsklinik für Herz- und Gefässchirurgie, Inselspital, Bern
b Herzchirurgie Aarau, Hirslanden Medical Center, Aarau

Publié le 17.01.2018

Le pontage aorto-coronaire, un modèle en voie d’extinction? L’ignorance, la fidélité vis-à-vis de telle ou telle société et les préférences des médecins référents sont autant de circonstances qui ont fait que le traitement le plus durable de la cardiopathie coronaire n’est que trop peu considéré dans la pratique quotidienne. Nous souhaitons revenir sur une forme thérapeutique qui est qualifiée de modèle en voie d’extinction depuis plus de 40 ans.

Contexte

Le pontage aorto-coronaire (PAC) constitue le traitement de référence en cas de cardiopathie coronaire (CC) stable. Une vaste méta-analyse récemment publiée montre clairement que le PAC réduit significativement le risque de décès, d’infarctus du myocarde et de nouvelle revascularisation par rapport à un traitement médicamenteux. L’intervention coronarienne percutanée (ICP) par cathéter, quant à elle, a uniquement montré un avantage de survie par rapport au traitement médicamenteux en cas d’utilisation de stents à élution médicamenteuse [1].
Les recommandations nuancées relatives à la revascularisation myocardique permettent de faire un choix basé sur l’évidence parmi les options thérapeutiques disponibles (PAC vs ICP) [2]. Ce faisant, l’ICP doit pouvoir se mesurer très clairement au traitement de référence que constitue le PAC.
En dépit de toutes les prédictions pessimistes des dernières années, le principe suivant reste valable: le PAC offre d’autant plus d’avantages par rapport à l’ICP que le nombre de vaisseaux touchés est élevé et que les lésions sont complexes [2]!

Aperçu des études actuelles

L’étude SYNTAX est représentative de l’ensemble des données d’études actuelles dans le domaine. Elle a pour la première fois permis de dégager de manière différenciée les avantages et les inconvénients des options thérapeutiques chez des patients atteints de maladie coronaire tritronculaire. Dans cette grande étude randomisée, des patients avec maladie coronaire tritronculaire significative ou lésion du tronc commun isolée significative ont été assignés de manière équilibrée au bras de traitement PAC ou au bras de traitement ICP. L’analyse sur 5 ans a clairement montré que le critère d’évaluation associant mortalité globale, mortalité cardiaque, infarctus du myocarde et ré-intervention coronaire était significativement plus souvent atteint après ICP qu’après PAC. Après 1 an, il y avait uniquement une différence significative en faveur de l’ICP au niveau du taux d’accidents vasculaires cérébraux, mais cette différence n’était plus significative lors de l’analyse des chiffres cumulatifs à 5 ans. La population de patients a pour la première fois été subdivisée en fonction du score SYNTAX, qui a été développé afin de décrire la complexité des sténoses coronaires. Au moyen de ce score, il a été montré que le PAC présentait des avantages évidents par rapport à l’ICP chez les patients avec un score SYNTAX modéré (22–32) et élevé (>32). La différence n’était pas significative chez les patients avec un faible score SYNTAX (<22), autrement dit avec sténoses moins complexes, de sorte que l’ICP représente une alternative thérapeutique acceptable dans ce groupe de patients. Dans l’ensemble, l’objectif de non-infériorité de l’ICP par rapport au PAC n’a pas été atteint, et l’écart au niveau des courbes de survie a continué à se creuser après 5 ans de suivi [3].
Chez les diabétiques également, le PAC s’avère avantageux par rapport au traitement par stents à élution médicamenteuse. Une méta-analyse de quatre études randomisées (FREEDOM, SYNTAX, CARDIA, VA CARDS), avec un total de 3 052 patients, a montré des taux significativement plus faibles de mortalité globale, de mortalité cardiovasculaire et de revascularisations répétées, avec là aussi une augmentation des avantages avec la durée de suivi [4].
Les avantages de la revascularisation myocardique chirurgicale ne sont pas si évidents en cas de sténose du tronc commun isolée. Dans ce cas de figure, le traitement chirurgical est uniquement supérieur dans le groupe de patients avec score SYNTAX le plus élevé, c.-à-d. avec sténoses les plus complexes. Dans les autres groupes de score SYNTAX, le traitement interventionnel est équivalent voire supérieur. Ces résultats ont été confirmés par les grandes études randomisées NOBLE et EXCEL, qui se sont concentrées sur les sténoses du tronc commun [5, 6]. Toutefois, la mortalité est d’autant plus faible et la durabilité d’autant plus élevée avec le PAC par rapport à l’ICP que le score SYNTAX est élevé.

Sur quoi repose l’avantage du pontage aorto-coronaire?

Sur le plan anatomique, une grande partie des sténoses ont une localisation proximale. Dans le cadre du PAC, la complexité de la sténose ne joue aucun rôle en raison du placement de la dérivation dans le segment intermédiaire et distal. Conformément à la devise «stay away from the disease», le chirurgien se tient à distance de la région lésée. Le PAC confère une protection contre la survenue de nouvelles lésions pertinentes dans le segment entre la sténose actuelle et le site de l’anastomose. Le traitement interventionnel, quant à lui, est uniquement en mesure de traiter la sténose de façon ponctuelle.
Il y a 30 ans déjà, le cardiologue suisse Thomas Lüscher à démontré l’effet protecteur du PAC au niveau endothélial. En particulier l’artère thoracique interne est capable de libérer dans le territoire qu’elle irrigue en aval des substances vasodilatatrices, telles que l’oxyde nitrique, qui ont une influence positive sur la progression de la maladie de base et expliquent également les taux de perméabilité de l’artère thoracique interne.
En revanche, les stents à élution médicamenteuse ont la propriété d’inhiber la ré-endothélialisation, de créer une surface prothrombotique et d’influencer négativement la fonction endothéliale le long du territoire vasculaire terminal [7].
La revascularisation myocardique chirurgicale a, par définition, pour objectif d’obtenir une revascularisation complète. Le traitement interventionnel est, quant à lui, souvent associé à une revascularisation incomplète. Dans une population de 22 000 patients ayant fait l’objet d’un traitement interventionnel, une revascularisation incomplète a été constatée dans 69% des cas, ce qui était corrélé à une mortalité accrue.

Discussion

Comment le traitement a-t-il au juste pu être remis en cause?

Jusqu’à la réalisation de l’étude SYNTAX et au développement du score SYNTAX, des populations d’études non représentatives ont conduit à la croyance erronée selon laquelle l’ICP était sur le point de détrôner le PAC.
A ce sujet, jetons un œil sur les recommandations actuelles de l’ESC. Chez les patients avec sténoses du tronc commun très complexes, le PAC possède une recommandation de classe I, alors que le traitement interventionnel est déconseillé. Dans la pratique quotidienne, cela représente env. ⅔ de tous les patients traités. En cas de maladie coronaire tritronculaire avec un score SYNTAX compris entre 23 et 32, les recommandations sont les mêmes, sachant que cette population représente 79% des patients traités quotidiennement. Ainsi, la revascularisation myocardique chirurgicale est recommandée pour une grande partie des patients devant être traités.
Durant l’ère pré-SYNTAX, de grandes études comparatives ont souvent été utilisées pour tirer des conclusions erronées et non-représentatives. Une revue de David Taggart montre clairement que les données d’études prétendument représentatives ne sont pas comparables à la population de patients traités au quotidien (décrite ci-dessus). Dans son analyse de 15 études randomisées ayant inclus plus de 6000 patients, seuls 35% avaient une maladie coronaire tritronculaire et 40% une sténose du tronc commun. Malgré tout, les données de cette cohorte en bien trop «bonne santé» ont été extrapolées à l’ensemble des patients atteints de cardiopathie coronaire [8].
Un autre problème inhérent à bon nombre d’études est la durée durant laquelle elles ont été réalisées. Les grandes études de cohortes rétrospectives avec plus 400 000 patients (NY Registry, ASCERT, FREEDOM) nous montrent que les courbes de survie pour le traitement interventionnel et pour le traitement chirurgical se séparent uniquement après 3 ans, avec un écart qui se creuse encore après 5 ans. Ainsi, les études comparatives réalisées dans ce domaine sur une durée de 1–2 ans ne sont pas pertinentes. C’est ce que montrent également les études les plus récentes (BEST, NOBLE, EXCESS), dans lesquelles le PAC montre des avantages de survie significatifs uniquement après 2–3 ans.

Conséquences de la désinformation 
de longue date

La désinformation de longue date, en partie orchestrée, au sujet de l’infériorité prétendue de la revascularisation myocardique chirurgicale a eu deux conséquences particulièrement négatives.
D’une part, les recommandations thérapeutiques sont toujours peu respectées. En 2010, Hannan et al. ont montré que seule une minorité des patients chez lesquels un traitement chirurgical est indiqué se voient effectivement recommander un tel traitement [9]. Cela se reflète également dans le quotient des traitements ICP/PAC, qui va de 1 à 9 à l’échelle mondiale et souligne également le rôle de la «heart team» (en tant que recommandation de classe I) dans cette décision thérapeutique. Les raisons évidentes et inconscientes de non-respect des recommandations ont été identifiées, incluant l’ignorance, la fidélité vis-à-vis de telle ou telle entreprise et les préférences des médecins référents (tab. 1).
Tableau 1: Raisons évidentes et inconscientes de non-respect des recommandations.
Overt and subconscious factors that influence whether comprehensive and well-balanced information of revascularization strategies is provided by physicians (from: Head SJ, Kaul S, et al. The rationale for Heart Team decision-making for patients with stable, complex coronary artery disease. Eur Heart J. 2013;34:2510–8. © Oxford University Press and the European Society of Cardiology. Reprinted with kind permission. 
https://academic.oup.com/eurheartj/article/34/32/2510/632434).
«Building an empire» leading to (inter)national recognition
Conflict of interest with industry
Knowledge of patient’s preferences
No appreciation of personal therapeutic limits
Not being up-to-date regarding PCI and/or CABG (technology, outcomes, ­indications, etc.)
Opportunity to include a patient in an enroling randomized trial
Personal conflict between interventional cardiologist and/or surgeon
Physician – patient bonding
Preservation of patient – referral pathways
The physician’s centre is a centre of excellence in PCI or CABG
«Turf protection» (protection of patient access and salary)
CABG = coronary artery bypass grafting; PCI = percutaneous coronary intervention
D’autre part, particulièrement dans le domaine de la chirurgie cardiaque, on s’est tourné vers de nouvelles stratégies thérapeutiques et options thérapeutiques (opération sans machine cœur-poumon, dite «off-pump») et des procédés hybrides (interventions combinées associant PAC et ICP) pour lesquels aucune étude sérieuse n’est parvenue à déterminer d’avantages pertinents. Ces options peuvent être justifiées dans certains cas, mais à long terme, elles sont associées à de plus mauvais taux de perméabilité des pontages et à une survie limitée par rapport à l’opération conventionnelle et elles doivent dès lors être interprétées comme une simple «lubie» des médecins référents.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Dr h.c.
Thierry Carrel
Universitätsklinik für Herz- und Gefässchirurgie
Inselspital
Universitätsspital Bern
Freiburgstrasse
CH-3010 Bern
thierry.carrel[at]insel.ch
1 Windecker S, Stortecky S, Stefanini G, et al. Revascularisation versus medical treatment in patients with stable coronary artery disease: network meta-analysis. BMJ. 2014;348:g3859.
2 Windecker S, Kohl P, Alfonso F, et al. 2014 ESC/EACTS Guidelines on myocardial revascularization: The Task Force on Myocardial Revascularization of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 2014;35(37):2541–619.
3 Mohr FW, Morice MC, Kappetein AF, et al. Coronary artery bypass graft surgery versus percutaneous coronary intervention in patients with three-vessel disease and left main coronary disease: 5-year follow-up of the randomised, clinical SYNTAX trial. Lancet. 2013;381(9867):629–38.
4 Hakeem A, Garg N, Bhatti S, Rajpurohit N, Ahmed Z, Uretsky B. Effectiveness of percutaneous coronary intervention with drug-eluting stents compared with bypass surgery in diabetics with multivessel coronary disease: comprehensive systematic review and meta-analysis of randomized clinical data. J Am Heart Assoc. 2013;2:e000354.
5 Mäkikallio T, Holm N, Lindsey M, et al. Percutaneous coronary angioplasty versus coronary artery bypass grafting in treatment of unprotected left main stenosis (NOBLE): a prospective, randomised, open-label, non-inferiority trial. Am Heart J. 2017;190:54–63.
6 Stone G, Sabik J, Serruys P, et al. Everolimus-eluting stents or bypass surgery for left main coronary artery disease. N Engl J Med. 2016;375:2223–35.
7 Reineke D, Müller-Schweinitzer E, Winkler B, et al. Rapamycin impairs endothelial cell function in human internal thoracic arteries. Eur J Med Res. 2015;20:59.
8 Taggart D. Coronary artery bypass grafting is still the best treatment for multivessel and left main disease, but patients need to know. Ann Thorac Surg. 2006;82:1966–75.
9 Hannan EL, Racz MJ, Gold J, Cozzens K, Stamato NJ, Powell T,et al. Adherence of catheterization laboratory cardiologists to American College of Cardiology/American Heart Association guidelines for percutaneous coronary interventions and coronary artery bypass graft surgery: what happens in actual practice? Circulation. 2010;121(2):267–75.