Contenu principal
Suite de l’EMI: Hospitalisation
Evolution: Rétablissement sans séquelles
Relation de causalité: Probable
Le cas clinique
La patiente de 51 ans a pris du nalméfène (Selincro®) pour la première fois avant d’aller à une fête. Un quart d’heure après, elle se plaignait de tremblements dans tout le corps, d’une agitation et a vomi à 2 reprises, raison pour laquelle elle s’est adressée au service de secours. Lorsqu’elle s’est présentée, elle avait des sueurs froides et était très agitée, mais toujours orientée. L’examen clinique a révélé une pression artérielle de 121/75 mm Hg et un pouls de 70–93/min. L’ECG a montré un rythme sinusal avec paramètres vitaux stables. Du midazolam a été administré et la patiente a été amenée au service des urgences. Elle y a été hospitalisée et mise sous surveillance, et a reçu du lorazépam (Temesta®). L’anamnèse a révélé un asthme et des antécédents de consommation d’héroïne, raison pour laquelle la patiente suivait un programme à la méthadone, suivant un traitement par méthadone au long terme à la dose de 12 mg par jour.
Evaluation de pharmacologie clinique
Le nalméfène est employé pour réduire la consommation d’alcool chez les patients adultes qui présentent une dépendance à l’alcool «à risque élevé». Le nalméfène est un antagoniste des récepteurs opioïdes µ de longue durée d’action avec en outre une activité antagoniste au niveau des récepteurs δ et une activité agoniste au niveau du récepteur k (appelé «modulateur du système opioïde», tab. 1). Selon l’information professionnelle, c’est seulement 2 semaines après l’examen initial et en association avec un soutien psychosocial continu que le patient doit prendre un comprimé les jours où un «risque de consommation d’alcool» a été identifié, et ce 1–2 heures avant la prise d’alcool prévisionnelle. L’efficacité du nalméfène sur la réduction de la consommation d’alcool chez les patients avec une dépendance alcoolique a été évaluée dans deux études en vue de l’autorisation, dans le cadre desquelles la population cible a été définie post-hoccomme les patients «dont la consommation d’alcool était toujours à risque élevé ou très élevé au moment de la randomisation». L’effet du traitement observé dans ces études était plus important que celui observé dans la population globale. Les effets indésirables du nalméfène les plus fréquents sont les vertiges, la nausée, l’insomnie et les céphalées.
Tableau 1: Récepteurs opioïdes et action agoniste. | |
Récepteur µ | Analgésie |
Dépression respiratoire | |
Euphorie | |
Myosis | |
Tolérance | |
Dépendance | |
Bradycardie | |
Constipation | |
Récepteur κ | Analgésie (modérée) |
Sédation | |
Dysphorie | |
Récepteur δ | Analgésie (faible) |
Tolérance, dépendance | |
Dépression respiratoire |
Après administration orale d’une dose unique de 18,06 mg, le nalméfène est rapidement absorbé et atteint la concentration plasmatique maximale (Cmax) après environ 1,5 heure. La demi-vie est d’environ 12 heures. La relation pharmacologique entre le moment de survenue des symptômes et l’action du nalméfène est donc plausible. Dans l’information professionnelle, il est décrit, sous «Contre-indications», «Interactions» et «Mises en garde et précautions», que la prise concomitante d’agonistes des opioïdes (par ex. méthadone) ou d’agonistes partiels (par ex. buprénorphine) et de nalméfène n’est pas indiquée ou même contre-indiquée en raison des effets indésirables au sens d’un syndrome de sevrage aux opiacés [1]. Le tableau 2 répertorie les antagonistes des opioïdes.
Tableau 2: Antagonistes des opioïdes. | |||
Principe actif | Préparation autorisée en Suisse | Quantité de principe actif par unité | Demi-vie |
Naloxone | Dans Suboxone®, Targin®, Epethinan® | – Ampoule: 0,4 mg/1 ml – Comprimé: 0,5–2 mg (en association avec la buprénorphine) – Comprimé: 2,5–40 mg (en association avec l’oxycodone) | 1 heure |
Naltrexone | Dans Naltrexin®, Relistor® (méthylnaltrexone) | – Comprimé: 50 mg – Ampoule: 12 mg/0,6 ml | 4 heures |
Nalmefène | Dans Selincro® | – Comprimé:18,06 mg | 12 heures |
La méthadone est un analgésique puissant de type opioïde. Son action est env. 3–4 fois plus forte et plus longue que celle de la morphine et elle se lie sélectivement aux récepteurs opioïdes du sous-type μ. La méthadone est entre autres utilisée comme adjuvant dans le cadre du traitement de sevrage de l’héroïne. L’administration concomitante de nalméfène et d’opiacés devrait être évitée, car la liaison compétitive aux récepteurs opioïdes peut entraîner la survenue de symptômes de sevrage. Une analyse de la banque de données de l’OMS1 a montré que, dans les notifications de pharmacovigilance sur le nalméfène en association avec un opiacé, de la méthadone a été administrée dans près de 70% des cas [2]. Cela pourrait s’expliquer par la prévalence accrue d’autres dépendances avec substitution par méthadone chez les patients souffrant de dépendance alcoolique. Les symptômes typiques d’un syndrome de sevrage aux opiacés sont listés dans le tableau 3. Cette problématique a été signalée dès 2015: une série de cas du centre régional de pharmacovigilance de Zurich [2] et 2 études de cas de Bâle [3] ont pour la première fois montré que dans le cadre d’un traitement par opiacé existant, une seule administration de nalméfène suffit déjà à conduire à des symptômes de sevrage. Ainsi, avant le début du traitement, il convient de s’assurer qu’il n’existe pas, outre la dépendance à l’alcool, de dépendance aux opiacés. Les contre-indications correspondantes ont étés élargies dans l’information professionnelle suisse de Selincro®, ainsi que par l’EMA2 [4].
Tableau 3: Symptômes de sevrage aux opiacés. | |
Système d’organes | Symptômes |
Système nerveux | Dysphorie, agitation, bâillements, insomnie |
Organes sensoriels | Rhinorrhée, yeux larmoyants, mydriase, chair de poule (piloérection) |
Appareil locomoteur | Myalgie, arthralgie |
Tractus gastro-intestinal | Nausée, vomissements, crampes abdominales, diarrhée |
Système cardiovasculaire | Augmentation de la pression artérielle, tachycardie |
Chez la patiente décrite, les symptômes sont survenus peu après la première prise d’un comprimé de nalméfène. Il y a donc une relation temporelle étroite. La régression des symptômes après la sédation médicamenteuse peut partiellement être considérée comme déchallenge positif. Dans ce cas, les symptômes de sevrage ont été traités par l’administration de benzodiazépines. Des recommandations d’experts français sont disponibles pour le traitement d’un syndrome de sevrage aux opiacés induit par nalméfène [5]. L’étape la plus importante dans le traitement d’un syndrome de sevrage aux opiacés est l’identification de ce dernier [5]. Etant donné que le traitement symptomatique de soutien est le plus souvent insuffisant, l’administration d’agonistes des récepteurs opioïdes μ de longue durée d’action, tels que la méthadone, est recommandée, par ex. à la dose journalière reçue jusqu’à présent. La dose ne doit pas être augmentée trop rapidement, car la dose de méthadone nécessaire à la diminution des symptômes de sevrage est plus faible que la dose nécessaire à un blocage opioïde. Les interactions potentielles via le système hépatique CYP450 ainsi qu’un allongement de l’intervalle QT doivent être pris en compte. D’autres opiacés, tels que la buprénorphine, font également l’objet de discussion pour un possible traitement en fonction de la dose d’entretien [5].
Les médecins traitants, tout comme les patients concernés, doivent être plus fortement sensibilisés au danger d’un syndrome de sevrage aux opiacés faisant suite à une administration parallèle involontaire de nalméfène et de méthadone. Toutefois, la stigmatisation sociale ne facilite pas un dialogue ouvert à propos de cette thématique. De plus, les connaissances sur les interactions médicamenteuses entre les antagonistes des récepteurs opioïdes µ, tels que nalméfène, et les médicaments opiacés devraient être ancrées aussi bien dans l’esprit des médecins que dans celui des patients dépendants aux opiacés.
En conclusion, en raison de l’évolution temporelle, de la plausibilité pharmacodynamique et physiopathologique des symptômes et de leur amélioration après traitement symptomatique, nous évaluons formellement la causalité entre la survenue de l’agitation, de l’état de malaise, des tremblements et la prise de nalméfène parallèlement à la méthadone comme probable selon les critères de l’OMS et du CIOMS3.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Image d'en-tête: © Mholod | Dreamstime.com
PD Dr méd. Stefan Weiler, PhD, MHBA
Klinik für Klinische Pharmakologie und Toxikologie
UniversitätsSpital Zürich
Rämistrasse 100
CH-8091 Zürich
stefan.weiler[at]usz.ch
Published under the copyright license
“Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”.
No commercial reuse without permission.