Questions éthiques dans le contexte de la transformation digitale du secteur de la santé
Discussion d’un exemple dans le cadre du premier Digital Ethics Symposium bâlois

Questions éthiques dans le contexte de la transformation digitale du secteur de la santé

Aktuell
Édition
2018/48
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03409
Forum Med Suisse. 2018;18(48):1001-1005

Affiliations
a Auteur en tant que personne privée; b Onkologie, Kantonsspital Baselland und Universitätsspital Basel; c Zentrum für Life Sciences-Recht, ­Juristische Fakultät der Universität Basel; d Abteilung für medizinische Informationswissenschaften, HUG – Universitätskliniken Genf; e Reproduktionsmedizin und gynäkologische Endokrinologie / Andrologie, Universitätsspital Basel; f CMIO Office, Ärztliche Direktion, Universitätsspital Basel

Publié le 28.11.2018

Qu’advient-il des données collectées et à qui appartiennent-elles? Dans le cadre du premier Digital Ethics Symposium bâlois, des experts prennent position en discutant un exemple.

Introduction

PD Dr méd. Jens Eckstein, PhD
C’est avec un grand enthousiasme et des espoirs encore plus grands pour l’avenir de la médecine que nous suivons le processus de digitalisation de la médecine et la recherche dédiée à cette thématique. Presque chaque mois s’ouvrent de nouvelles perspectives, qui nous inspirent des idées quant à la manière dont ces progrès pourraient être implémentés dans le domaine de la santé dans l’intérêt de nos patients. Presque tout aussi rapidement, de nouveaux procédés, qui très récemment encore étaient des innovations révolutionnaires, sont intégrés dans la pratique clinique quotidienne et les inquiétudes qui régnaient jusqu’alors à leur sujet sont rangées au placard.
Le fait que des réponses suffisantes n’aient pas encore été apportées aux interrogations de la société dans ce domaine se reflète parfois dans les craintes et les réserves dépourvues de véritable fondement rationnel à l’égard de thèmes du domaine de la génétique et dans l’incertitude croissante lorsqu’il est question de la collecte, du stockage et de l’analyse de données relatives à la santé. Au plus tard depuis les récents scandales autour de grandes entreprises internet, des groupes jusqu’alors moins critiques se saisissent également de la question de savoir ce qu’il advient véritablement de leurs données et à qui elles appartiennent. Les règles sociales existantes doivent être adaptées et des lois correspondantes doivent garantir la sécurité juridique dans le cadre de la digitalisation de la médecine.
L’histoire personnelle présentée ci-après réunit les deux thèmes de manière très éloquente, si bien que nous l’avons utilisée en tant que base de discussion à l’occasion d’une rencontre d’experts dans le cadre du premier Digital Ethics Symposium bâlois, qui s’est tenu en novembre 2018. Par conséquent, les prises de position des experts ne doivent pas être considérées comme des jugements dogmatiques définitifs, mais servir de base de discussion et d’échange.

Expériences personnelles avec le ­diagnostic génétique

Dr sc. Mirko Bischofberger
En 2002, alors que j’étais étudiant en biochimie à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, un cancer du poumon a été diagnostiqué à mon père. A l’époque, les cancers du poumon étaient le plus souvent découverts fortuitement, par ex. sur une radiographie effectuée dans le cadre de la préparation d’une opération. C’était également le cas pour mon père, qui devait subir une opération de la hanche.
Etant donné qu’il s’agissait du deuxième cas dans ma famille, l’oncologue traitant m’avait recommandé à l’époque de me soumettre à des examens de dépistage réguliers à partir de l’âge de 40 ans, en précisant que le dépistage précoce avait un impact décisif sur le pronostic.
Mon père est malheureusement décédé. J’ai poursuivi mes études et j’ai appris que de nombreux types de cancers avaient des causes génétiques, ou du moins des prédispositions génétiques. Certains des gènes impliqués venaient tout juste d’être découverts, étudiés en détails et décrits.

15 ans plus tard

Aujourd’hui, je m’approche de la quarantaine. La médecine a continué à évoluer et nous savons que de nombreux types de cancers du poumon présentent des mutations génétiques spécifiques.
Je me suis donc demandé: Ne serait-il pas utile que je sache si je suis porteur d’une de ces mutations? Cela pourrait m’aider à évaluer mon risque personnel et à  décider à quelle fréquence je devrais me soumettre à un examen radiographique. Par ailleurs, cette information serait pertinente pour le traitement si jamais je développais un cancer du poumon.
Grâce aux développements techniques fulgurants, il est aujourd’hui possible de faire séquencer son ­génome simplement et à faible coût (ou du moins d’identifier certaines mutations génétiques). J’ai décidé de franchir le pas et j’ai contacté mon médecin de famille. A ma grande surprise, j’ai toutefois appris que ces examens sont uniquement réalisés dans le cadre d’un traitement oncologique et donc uniquement si je souffrais effectivement d’un cancer. Cette réponse m’a surpris, car cette approche avait exclusivement un but d’orientation thérapeutique et ne m’offrait pas la possibilité de savoir quelle était ma constellation génétique.
Afin de tout de même atteindre mon but, j’ai contacté le service d’oncologie de l’hôpital universitaire de Zurich. Là aussi, on m’a dit qu’une analyse génétique n’était pas recommandée chez les sujets sains. On m’a expliqué de façon détaillée qu’il était certes probable que des mutations quelconques soient identifiées chez moi, mais que ces informations ne pourraient ensuite pas être interprétées de façon fiable. Dans le pire des cas, je devrais vivre avec la peur de développer un cancer, même si cela n’arriverait peut-être jamais.
Cette argumentation m’a paru illogique et non scientifique. Pourquoi la médecine moderne ne s’enquerrait-elle pas déjà en amont d’une information, qui serait de toute façon nécessaire en cas de cancer, afin d’en apprendre davantage sur les risques potentiels de survenue? Depuis quand la science ne pose-t-elle pas de questions par peur de la réponse? Et pourquoi les médecins décident-ils de ce que je dois apprendre ou pas sur mon corps? Quoi qu’il en soit, je vis déjà avec une certaine inquiétude, alors pourquoi n’est-ce pas à moi de décider comment je vais gérer cette connaissance?
J’ai eu beau argumenter, on ne m’a pas donné la possibilité de concrétiser mon souhait, car la loi suisse actuelle n’autorise pas la réalisation d’une analyse génétique sans indication médicale.
En tant que scientifique, je savais toutefois qu’il serait facile de faire faire ces examens par des entreprises privées, par ex. aux Etats-Unis. Cette approche aurait toutefois un prix, et pas uniquement financier. En effet, la plupart de ces prestataires sont totalement ou partiellement dirigés par des entreprises «big data», qui poursuivent un but lucratif.
Dans ce contexte, je me suis donc même posé une question totalement nouvelle: Serais-je prêt à donner mes données génétiques à une entreprise privée, comme je le fais par ex. avec mes e-mails qui sont entre les mains de Google et mes photos qui sont entre les mains de Facebook?
Depuis lors, je me trouve tiraillé entre d’une part notre système de santé restrictif qui m’empêche de séquencer mon génome et d’autre part une industrie axée sur le service basée à l’étranger, qui me propose certes cette prestation mais capitaliserait ensuite probablement mes données génétiques. En d’autres termes, pourquoi ne puis-je pas faire analyser mon génome en Suisse et ainsi garder le contrôle sur mes données? Pourquoi n’est-ce pas une option légale et abordable en Suisse?
Je souhaite que cette possibilité existe bientôt en Suisse et soit assortie des lois correspondantes. Après tout, les Suisses sont aujourd’hui en mesure de déterminer eux-mêmes le moment de leur mort. Pourquoi ne pourraient-ils pas aussi décider de ce qu’ils veulent faire de leurs données génétiques?

Pas un problème sur le plan technique – résultats difficiles à interpréter

PD Dr méd. Andreas Wicki, PhD
L’analyse du génome humain peut aujourd’hui se faire rapidement et à faible coût. Un appareil de séquençage moderne peut analyser jusqu’à huit génomes complets par jour. De nombreux hôpitaux exploitent aujourd’hui plusieurs appareils de ce type, qui ne leur servent pas uniquement à analyser des tumeurs, mais aussi à identifier des bactéries ou des virus chez des patients. L’analyse d’un génome humain entier à des fins scientifiques coûte 3000 CHF.
Le problème ne réside pas dans la disponibilité ou la ­fiabilité de l’analyse, mais bien plus dans l’interprétation des résultats. Là aussi un exemple: les gènes de fusion, tels que Bcr/Abl ou Alk, sont de puissantes mutations conductrices («driver mutations»), qui peuvent être à l’origine de cancers. Ces deux altérations du génome peuvent toutefois aussi s’observer chez les sujets sains. Une tumeur ne se développe manifestement que lorsque la mutation survient dans le «bon» environnement.
Des estimations actuelles réalisées après le séquençage du génome d’env. 1% des patients atteints de cancer à travers le monde laissent supposer qu’env. 106 mutations et env. 108 combinaisons de mutations peuvent être retrouvées dans toutes les tumeurs. Le nombre de patients atteints de cancer à travers le monde est chiffré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à 3,3 × 107. Si ce chiffre est exact, alors il y a arithmétiquement plus de génotypes que de patients cancéreux. C’est aussi pour cette raison que nous n’avons pas encore une compréhension approfondie de ce qu’impliquent ces altérations génétiques pour les gens (en bonne santé ou malades). Les exceptions confirment ici aussi la règle.
Personnellement, je trouve que toute personne devrait pouvoir faire séquencer son génome si elle le souhaite. Il faut toutefois garder à l’esprit que la signification de nombreux résultats génétiques n’est pas encore claire aujourd’hui. C’est pour cela qu’il existe aussi des restrictions pour le remboursement de tels tests par les caisses-maladies.

Aspects juridiques et questions légales concernant la détermination et ­l’interprétation des données génétiques dans le domaine du génie génétique et du séquençage génétique

Prof. Dr iur. Claudia Seitz, M.A.
Les progrès accomplis dans la recherche médicale et biotechnologique, en particulier dans les domaines du diagnostic génétique et de la médecine personnalisée, confrontent le droit à de nouveaux défis insoupçonnés. Le droit qui, avec le cadre légal réglementaire, doit protéger certains droits fondamentaux, tels que la dignité humaine, le droit de la personnalité et le droit à l’autodétermination informationnelle, est en permanence confronté à de nouveaux défis dans le domaine de la biotechnologie et est bien souvent devancé par la réalité de la vie. Pour les innovations révolutionnaires dans la médecine et la biotechnologie, il n’existe donc bien souvent pas de cadres juridiques suffisants dans un premier temps.
L’élaboration de la législation est un processus sociétal et politique et elle est confrontée à de nombreux défis, qui vont de la conciliation de différentes valeurs éthiques jusqu’à des questions d’interaction avec des normes juridiques déjà existantes en passant par l’évaluation des conséquences en termes de sécurité et de risques. Précisément dans le domaine du génie génétique, avec les nouvelles possibilités insoupçonnées offertes par ex. par le séquençage du génome ou la technologie CRISPR Cas9, un cadre juridique suffisant fait défaut à la fois au niveau national et international.
Outre l’édition génomique, le séquençage du génome peut désormais aussi se faire relativement simplement et à prix raisonnable grâce aux développements techniques fulgurants. Précisément dans ce domaine, de nombreuses questions légales se posent concernant la détermination et l’interprétation des données génétiques, et ces questions doivent être clarifiées avant qu’un cadre juridique correspondant soit établi.
D’un point de vue juridique, les données génétiques représentent des données particulièrement sensibles, car elles peuvent permettre de tirer des conclusions sur l’individu et son état de santé et requièrent une protection particulière. Comment ces données particulièrement sensibles doivent-elles être protégées des usages détournés? Qui doit y avoir accès? A qui appartiennent ces données? Ces données peuvent-elles être utilisées pour des projets de recherche destinés à développer de nouvelles options thérapeutiques et pour le bien de tous? Quelle est la portée d’un droit de ne pas savoir en cas de découvertes fortuites? Quelles conclusions les données génétiques d’une personne permettent-elles de tirer pour les apparentés proches et comment ces personnes doivent-elles être protégées, en particulier lorsqu’elles n’ont pas connaissance du séquençage du génome de l’apparenté proche et ne l’ont donc pas approuvé? Quels sont les devoirs d’information et de notification des médecins lorsque le résultat génétique n’est pas clair? Comment les données génétiques peuvent-elles être protégées de façon transnationale d’une utilisation abusive?
Ce ne sont là que quelques-unes des questions qui se posent concernant les données génétiques. Un dialogue entre la médecine, la biotechnologie, la société et le législateur est nécessaire pour créer un nouveau cadre légal, qui protège des abus et des risques et fournit une ligne de conduite servant d’orientation pour la recherche, le traitement médical et enfin le patient.

Mes données personnelles sont-elles mieux protégées en Suisse?

Prof. Dr méd. Christian Lovis
Lorsqu’il est question de la situation relative à la protection des données personnelles en Suisse, deux perspectives peuvent être adoptées: «Comment cela devrait-être?» et «Comme est-ce réellement?».

Le cadre légal

La Suisse dispose d’un cadre légal très solide protégeant les données personnelles. Cette protection commence avec la Constitution fédérale de la Confédération suisse (29 mai 1874). Dans la Constitution, la protection de la sphère privée (article 13) est considérée comme un droit fondamental. L’article 13 stipule que:
– Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications.
– Toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent.
En complément de l’article 13, il existe une forte protection contre les restrictions des droits fondamentaux (article 36): Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés. Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé. L’essence des droits fondamentaux est inviolable.
D’une manière générale, il existe une forte protection de la sphère privée dans le cadre légal suisse. Il existe toutefois également certaines bases légales permettant de suspendre cette protection dans certains cas.
Dans le cadre du système de santé, outre la transmission usuelle d’informations en vue de la santé publique et de la protection de la population, la loi sur l’assurance-maladie (article 42) constitue la principale exception. Elle autorise une transmission exhaustive d’informations aux organes responsables de la facturation et du contrôle de l’adéquation de l’utilisation des ressources.
Deux instruments font néanmoins défaut dans le cadre légal suisse:
1. Il n’existe pas d’obligation de déclaration des violations des droits, comme c’est par exemple le cas avec le portail des autorités américaines pour la santé et les services sociaux.
2. Les possibilités du pouvoir exécutif sont limitées, en particulier en cas d’emploi abusif massif de données ou de violation de données des entreprises.
A quelques rares exceptions près, la Suisse dispose d’une cadre légal solide pour la protection de la sphère privée.

Production, utilisation et protection des données

La digitalisation massive de la société a de nombreuses répercussions, dont certaines étaient difficilement prévisibles. Dans le même temps, il existe de nombreuses nouvelles sources de données à caractères personnel, qui peuvent être classées en quatre catégories:
– Données publiques ou semi-publiques générées par les citoyens. Parmi ces sources, on compte les systèmes «bien-être», les smartphones, les traqueurs d’activité, les médias sociaux, etc. Ces données semi-publiques, telles que les contacts sur les médias sociaux, sont supposément limitées à ces médias.
– Données générées par différents établissements, telles que les activités des consommateurs, les données des banques, les données de géolocalisation ou encore les données de navigation internet et de communication. Ces données sont supposément privées.
– Données a priori privées ou semi-privées, telles que les données sanitaires, fiscales, militaires, etc. Ces données sont considérées comme privées ou strictement limitées à un cercle de personnes qui ont un droit d’accès à ces dernières.
– Données générées automatiquement ou semi-automatiquement. Ces données sont souvent générées sans que l’on en ait conscience par des objets sur l’internet des objets, des voitures ou des appareils connectés, etc. Elles sont considérées comme étant privées ou anonymisées. Néanmoins, la plupart des personnes ne savent souvent pas qu’elles existent.
Dans l’ensemble, de nombreuses données sont dès lors potentiellement disponibles concernant chaque citoyen. Ces données peuvent être utilisées par toute entité productrice de données. Ainsi, une banque peut par exemple utiliser les données qu’elle a collectées au sujet d’une personne pour calculer le risque personnel relatif à l’octroi d’un crédit.
Il existe par ailleurs un nombre croissant d’acteurs issus de différents domaines du paysage de la production de données (banques, prestataires du secteur de la remise en forme, secteur de la santé, etc.) pouvant potentiellement agréger de très grandes sources multimodales de données concernant des individus ou identifier des cohortes de citoyens.
De plus, les algorithmes d’appariement des données permettent, malgré les barrières qui résultent des processus de dé-identification pour la protection des identités, de réunir des données de sources hétérogènes qui apparaissent en premier lieu de façon séparée. Par exemple, les données provenant des médias sociaux, de la géolocalisation et de l’utilisation de cartes de crédit peuvent être fusionnées afin de générer des profils personnels. Le fait qu’une grande partie de ces données ne soient stockées ni en Suisse ni en Europe revêt une importance certaine. Ces données sont utilisées à des fins diverses et la plupart du temps de façon non transparente, comme le récent scandale de Facebook et Cambridge Analytica l’a montré. Cette dernière a déclaré faillite après l’emploi abusif de données Facebook, laissant toutefois de nombreuses questions ouvertes, telles que celle sur l’avenir de la propriété intellectuelle de l’entreprise, et en particulier celle des profils psychographiques des électeurs (The New York Times, 2 mai 2018).
Le marché des données est global et non transparent, et le cadre légal suisse protège peu les données contre l’emploi abusif sur ce marché global.
Pour résumer, la Suisse possède de bonnes dispositions légales pour la protection des données qui peuvent être isolées selon le cadre légal suisse. Cela signifie que les données sont générées, stockées et traitées en Suisse. En dehors de ces frontières, il existe un marché global des données et une activité dans le cadre de laquelle les données individuelles sont considérées comme un bien de valeur générant des profits potentiels. Dans ce cas, il est difficile d’identifier dans quel but les données sont utilisées ou utilisées abusivement, et quelles conséquences sont associées à cette utilisation.

Comment gérer l’incertitude des pronostics basés sur la génétique?

Dr rer. nat. Maria De Geyter
Dans le cadre de la médecine, les examens génétiques ont différentes applications et finalités. D’une part, il existe des tests diagnostiques qui sont employés afin de pouvoir poser un diagnostic et ainsi affecter un patient à un tableau clinique ou confirmer ce tableau clinique. Les maladies génétiques, comme presque toutes les maladies en médecine, sont également soumises à une grande variabilité. Un diagnostic ne permet donc pas de tirer des conclusions définitives sur le pronostic. Un exemple en est la prédisposition aux cancers ovariens et mammaires héréditaires, induite par des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2. Les porteuses de telles mutations présentent un risque de développer notamment un cancer du sein ou des ovaires considérablement plus élevé que la population générale. Toutefois, ce risque n’est pas de 100%, si bien que certaines porteuses de mutations ne développent jamais de cancer, tandis que certaines développent un cancer du sein, d’autres un cancer des ovaires, et d’autres encore plusieurs cancers. Ici, l’examen génétique permet seulement d’identifier le groupe de risque des porteuses de mutations BRCA1/2 et d’initier des examens de dépistage, mais il ne permet pas de pronostic précis pour un individu.
Un autre exemple en dehors de la prédisposition au cancer est la trisomie 21, ou syndrome de Down. La cause est dans ce cas un troisième chromosome 21, au lieu des deux chromosomes habituels. Alors que certains enfants avec syndrome de Down présentent des malformations cardiaques et/ou rénales, développent une leucémie précocement ou ont une intelligence fortement réduite, d’autres enfants ne présentent pas de malformations organiques et leurs capacités cognitives sont largement supérieures.
La cause possible de cette variabilité fait actuellement l’objet de recherches intensives. Il est probable que des mutations dans les 20 000 autres gènes puissent également influencer une maladie de façon positive ou négative, tout comme les interactions avec l’environnement. Finalement, la cause génétique permet certes souvent d’indiquer un éventail, mais le pronostic individuel devrait toutefois toujours s’orienter également en fonction des paramètres cliniques.
Les examens génétiques sont également de plus en plus souvent employés dans le domaine du pronostic. De nos jours, une recherche ciblée de mutations génétiques ou chromosomiques dans le tissu cancéreux est conduite pour de nombreuses affections cancéreuses, et ce afin de préciser le pronostic de la maladie et d’adapter les mesures thérapeutiques en conséquence. Ainsi, les patients atteints de leucémie avec une mutation du gène P53 ont par ex. un moins bon pronostic que ceux sans mutation. De telles informations peuvent également aider à adapter et individualiser le traitement, par ex. lorsqu’une mutation BRAF est trouvée dans le tissu cancéreux. Cela est particulièrement employé dans le cadre de la médecine personnalisée.
En résumé, il convient de noter que, même en cas d’associations connues entre les mutations génétiques et les maladies, les résultats génétiques ne constituent qu’une pièce de la mosaïque qu’est la maladie individuelle et que la variabilité peut souvent aller de «sain» à «gravement malade».

Résumé

PD Dr méd. Jens Eckstein, PhD
Ces différentes contributions montrent la multiplicité des différents aspects entrant en jeu dans le cadre d’un souhait en apparence simple de séquençage. Naturellement, il ne s’agit là que d’un fragment des questions à prendre en compte. Comme bien souvent, le traitement des problématiques complexes nécessite les différentes perspectives des experts ainsi que des personnes touchées, malheureusement souvent oubliées. Je souhaite ici remercier le Dr Bischofberger d’avoir bien voulu partager son histoire avec nous. Elle nous permet de conduire une discussion difficile en nous basant sur un exemple clair. Je remercie également très chaleureusement les co-auteurs et les participants au premier Digital Ethics Symposium bâlois pour la discussion. Tant que des discussions ouvertes sur des questions éthiques en lien avec les nouvelles technologies ont lieu, nous continuons à nous développer en tant que société et aboutissons finalement à un consensus sociétal et un cadre légal qui peut être porté ensemble, même si un certain décalage temporel est inévitable.
Nous remercions Mme Julie De Geyter pour son aide lors de la ­rédaction de ce texte.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations personnelles ou financières en lien avec le présent article.
PD Dr méd. Jens Eckstein, PhD
Petersgraben 4
CH-4031 Basel
jens.eckstein[at]usb.ch