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Le 20 juillet de cette année, nous avons fêté le cinquantième anniversaire du premier alunissage par Apollo 11 et son équipage. Il y a 30 ans, le 8 septembre 1989 dans le journal Science, la génétique médicale a connu son alunissage, avec la découverte du gène CFTR responsable de la mucoviscidose, une percée génétique et médicale après des décennies de défis techniques et intellectuels.
Contexte
La mucoviscidose («cystic fibrosis» [CF]), sous son nom original de fibrose kystique du pancréas, fut décrit comme entité clinique par Dorothy Anderson en 1938 [1] et rapidement reconnue comme la maladie génétique mortelle chez l’enfant la plus fréquente des caucasiens. En Suisse, l’incidence est d’environ 1 enfant sur 2350, et 1 personne sur 23 est porteur sain d’une mutation.
Bien que les signes et symptômes étaient bien connus (fibrose pancréatique, malabsorption intestinale, infections pulmonaires récurrentes et potentiellement mortelles, sueur salée), les premiers indices sur la pathophysiologie de base arrivèrent seulement en 1982 avec la découverte d’une perméabilité épithéliale au chlore réduite [2, 3]. Enfin la recherche médicale rattrapait l’ancien proverbe, «Malheur à l’enfant chez qui un baiser sur le front a un goût salé. Il est ensorcelé et doit mourir bientôt».
La course au gène
La course au gène commença; mais comment le trouver? Dans les années 1980 le génome humain était à peine exploré et aucun gène responsable d’une maladie humaine n’avait été découvert sans l’aide d’une séquence protéique déjà connue ou d’un autre indice permettant de savoir où dans le génome se trouvait le gène.
De nombreux chercheurs investiguaient des familles atteintes de mucoviscidose dans l’espoir de trouver une étiquette génomique pour le gène. Premier pas en 1985: Lap Chi Tsui [4] découvre un marqueur génétique sur le chromosome 7 qui était transmis en liaison avec la maladie entre individus et à travers les générations. Le gène était localisé, avec une précision d’environ 30 000 000 paires de bases!
La chasse s’accélère. Le groupe de Williamson à Londres utilisa la technique conventionnelle de «marcher» le long du chromosome, commençant à partir du marqueur lié et cherchant, pas-à-pas, une séquence qui pourrait être «le gène». De l’autre côté de l’Atlantique, deux groupes réunissent leurs forces et s’investissent dans une technique innovatrice, le «saut sur le chromosome», qui permettait de traverser les grandes distances entre deux marqueurs génétiques beaucoup plus rapidement que la «marche». Le groupe de Francis Collins (qui dirigera plus tard le Projet du génome humain et deviendra Directeur des «National Institutes of Health» [NIH]) sautait de position en position, et le groupe de Tsui à Toronto cherchait des gènes autour des points d’atterrissage.
Entretemps, en Suisse ...
A cette époque en Suisse, nous étions plusieurs dans les laboratoires de génétique médicale à pratiquer déjà des analyses familiales, notamment afin d’identifier des personnes porteuses à risque d’avoir des enfants atteints et pour effectuer des diagnostics prénatals. Cependant, en attente de la découverte du gène lui-même, nos analyses étaient laborieuses, parfois moins de 100% précises, et disponibles seulement pour quelques familles.
Dès le printemps 1989, l’excitation monte dans la communauté génétique; courant du mois d’août, nous savions que le gène avait été trouvé mais le secret autour de la publication était absolu. Finalement nous l’entendions: le gène sortira dans le journal Science le 8 septembre! Le prochain défi: comment l’obtenir? En 1989, sans internet, nous devions attendre l’arrivée du journal papier, par la poste; une attente inconcevable. Solution joker, nous appelions des amis aux Etats-Unis, «s’il te plaît faxe-moi la séquence». Enfin la séquence, et les articles, arrivent – dans les prochaines semaines, en Suisse comme ailleurs dans le monde, les «primers» étaient commandés et nous nous mettions à réanalyser nos familles par la fameuse technique directe et précise de la PCR (réaction en chaîne par polymérase, qui elle-même fut inventée moins de 4 ans auparavant).
Pourquoi si nouveau, si important?
Science, 8 septembre 1989. Le saut sur le chromosome avait gagné et le groupe de Toronto publie trois articles [5–7] sur le «gène de la mucoviscidose». Pourquoi si nouveau, si important? Il s’agissait tout simplement du premier gène pour une maladie humaine découvert purement par des techniques génomiques, ouvrant la voie à 20 ans de découvertes en génétique médicale.
Et le gène lui-même? Sa séquence et structure correspondaient parfaitement à la fonction soupçonnée d’un canal ionique transmembranaire et on le nomma CFTR, pour «cystic fibrosis transmembrane conductance regulator». La découverte clé, qui déjà en mai 1989 avait convaincu Tsui et Collins, était la présence chez de nombreux patients d’une délétion de 3 bases d’ADN sur les deux copies du gène, éliminant un acide aminé parmi 1480 de la protéine; les personnes sans la maladie n’avaient jamais les deux copies touchées. Il s’agissait de la mutation connue aujourd’hui comme la cause la plus fréquente de la maladie, appelée F508del.
La découverte du gène CFTR a eu comme impact immédiat, la possibilité d’effectuer des analyses familiales et de diagnostic rapides et fiables et a aussi ouvert de multiples lignes et même de nouveaux domaines de recherche, comme prédit immédiatement en 1989 par le généticien Peter Goodfellow: «The implications of this research are profound: there will be large spin offs in basic biology, especially in cell physiology, but the largest impact will be medical.»
Les bénéfices sont riches et nombreux, avec des nouveaux domaines de recherche qui se créent autour de la fonction de la protéine, l’activité des canaux épithéliaux, leur régulation et leur pharmacologie, et initialement avec beaucoup d’espoir, avec une nouvelle course vers une thérapie génique pour la mucoviscidose. Quoi de plus simple et de plus élégant, si une personne est malade par manque de protéine fonctionnelle, de remettre un gène fonctionnel pour restituer l’activité?
Perspective
Regrettablement le défi était beaucoup plus grand que prévu et 30 ans plus tard, la thérapie génique reste toujours un espoir qui peut-être ne sera jamais réalisé. Le temps a donné raison à Goodfellow, un peu plus tard que prévu, avec le développement récent de la pharmacothérapie ciblée avec des médicaments qui module et augmente l’activité de la protéine CFTR chez certains patients. Grâce à la découverte du gène, il y a déjà 30 ans, des traitements efficaces commencent à apparaître. Mais ceci sera une autre histoire …
L’auteur est employé et directeur du Département de Génétique chez SYNLAB Suisse.
Image d'en-tête: © Marina Kirichek | Dreamstime.com
Dr Michael Morris
Director of Genetics,
FAMH Medical Genetics
SYNLAB Switzerland
Department of Genetics
Chemin d’Entre-Bois 21
CH-1018 Lausanne
michael.morris[at]synlab.com
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