«Social freezing»: la cryoconservation élective des ovocytes
Une «assurance fertilité» pour la femme?

«Social freezing»: la cryoconservation élective des ovocytes

Editorial
Édition
2019/4344
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08404
Forum Med Suisse. 2019;19(4344):701-702

Affiliations
Centre de Procréation Médicalement Assistée et Endocrinologie Gynécologique (CPMA), Lausanne

Publié le 23.10.2019

Le numéro actuel du Forum Médical Suisse aborde le thème de la cryoconservation élective [1]. Le «social freezing» désigne la congélation des ovocytes de la femme pour des raisons non médicales, en tant que réserve de fertilité, afin d’avoir la possibilité de devenir mère (avec ses propres ovocytes) ultérieurement. Il est présenté comme un grand progrès pour l’autonomie de la femme.
De multiples raisons expliquent le report de la réalisation du désir d’enfant et le besoin de congeler des ovocytes «en réserve». Dans le cadre de mon activité clinique, je rencontre avant tout des femmes qui, entre le milieu et la fin de la trentaine, sont confrontées à une rupture de couple ou encore des femmes qui ont un ­niveau d’éducation très élevé, ont un travail exigeant (y compris sur le plan des horaires) et ne trouvent pas de partenaire. Dans tous les cas, la panique et le désespoir gagnent lentement ces femmes, parce que l’horloge biologique tourne à grande vitesse et que leur désir de fonder une famille s’éloigne de plus en plus ou semble irréalisable. Et parce que le don d’ovocytes n’est pas (encore) une option pour ces femmes. ­Depuis 2011 environ, il est également possible en Suisse de congeler des ovocytes grâce à la technique de la vitrification, avec par la suite de bonnes chances de survie au processus de congélation-décongélation, de fécondation, de développement d’un embryon et d’obtention d’une grossesse.
Dans cette situation désespérée, cette option représente le plus souvent une bénédiction pour les femmes. En effet, elles peuvent ainsi agir activement contre le scénario catastrophe de rester seules et sans enfants et de devoir faire une croix sur leur rêve de devenir mères. Cela représente une sorte d’«assurance fertilité» pour les femmes. Toutefois, il n’existe malheureusement jamais de garantie. Les chances sont particulièrement limitées lorsque seul un faible nombre d’ovocytes a été congelé et lorsque la femme approche de la quarantaine voire a déjà ≥40 ans au moment de la cryoconservation. Il est dès lors essentiel que ces femmes bénéficient de conseils approfondis, avec une estimation réaliste des chances de grossesse ultérieure. Les coûts du traitement (intégralement à la charge des femmes) et les risques potentiels doivent également être abordés.
D’après moi, il est impératif que des chiffres fiables soient disponibles à l’échelle nationale suisse concernant l’évolution et les résultats de cette technique: Combien de femmes par an congèlent leurs ovocytes pour ces motifs? Combien ont plus tard recours à leurs ovocytes? A combien s’élève le taux de grossesse? Et quel est le devenir des enfants nés de cette technique? Cette technique connaît-elle réellement une augmentation aussi fulgurante en Suisse qu’aux Etats-Unis, où des «Egg Freezing Parties» (à l’instar des «Tupperware-­Parties») sont organisées et où les coûts du traitement sont en outre pris en charge par des entreprises comme Apple et Facebook? A mon avis, non. Mais personne n’a véritablement de réponse objective à ces questions, car il n’existe pas de registre national pour cette indication spécifique comme la loi l’exige pour les traitements de fécondation in vitro (FIV). Cela doit changer.
Un problème est que les femmes (et les couples) se font souvent une idée totalement fausse de la limite biologique de la fertilité de la femme. Beaucoup pensent que grâce aux progrès accomplis dans la médecine reproductive, il n’est aujourd’hui plus problématique d’avoir des enfants au-delà de l’âge de 40 ans. La médiatisation du bonheur de stars qui ont connu la maternité tardivement, telles que Gianna Nannini (54), Holly Hunter (47), Kim Basinger (41), Nicole Kidman (41) etc., renforce cette croyance erronée, car la plupart de ces femmes célèbres ont eu leur enfant grâce au don d’ovocytes voire à la gestation pour autrui. Des études sur le thème de la «fertility awareness» confirment ce phénomène de l’erreur de jugement. Des informations concernant la fertilité de la femme et les opportunités et limites de la médecine reproductive devraient dès lors être transmises dès les bancs de l’école.
Last but not least, j’aimerais évoquer un point fondamental: informer concernant la fertilité de la femme ne suffit pas. Des changements sociétaux s’imposent d’urgence! Une étude intéressante réalisée aux Etats-Unis [2] a montré que la moitié des femmes de ≥40 ans interrogées, même en ayant des connaissances idéales concernant la fertilité de la femme, etc. n’auraient pas pu réaliser leur désir d’enfant en raison de leurs conditions de vie. Et cela ne vaut pas uniquement pour les Etats-Unis. Précisément en Suisse, l’âge de la maternité est, non sans raison, sans cesse repoussé: il n’y a à vrai dire jamais de moment idéal. En effet, les femmes qui sont mères ne sont pas traitées de la même manière que les hommes qui sont pères. Chez les hommes, la ­famille et les enfants représentent un atout, y compris pour obtenir une promotion, et sont parfaitement compatibles avec un poste à responsabilités. A l’inverse, lorsque les femmes ont des enfants, elles peuvent le plus souvent tirer un trait sur une promotion pro­fessionnelle. Sur le plan statistique, les femmes de ­pratiquement tous les groupes professionnels sont clairement sous-représentées dans les postes à responsabilités. D’après la Conférence suisse des offices de conciliation au sens de la loi sur l’égalité, les mères sont jusqu’à aujourd’hui au palmarès de la discrimination. Il est aussi toujours compliqué de trouver une garde d’enfants, dont le coût est en outre élevé. S’y ajoute que pour le même travail, les femmes ga­gnent beaucoup moins que les hommes en Suisse! Cela est une réalité jusqu’à ce jour et vaut pour prati­quement tous les groupes professionnels. Des études montrent par ailleurs que les femmes ayant un niveau d’éducation élevé ont plus de mal à trouver un partenaire. Il n’est donc guère étonnant que le moment de fonder une famille soit sans cesse repoussé, malheureusement parfois jusqu’aux calendes grecques.
Il reste à espérer qu’un changement des mentalités dans la société, concrètement une véritable égalité partenariale et constructive de l’homme et de la femme dans la sphère professionnelle et privée, finira enfin par se produire. C’est en effet la seule chose qui peut conduire à une véritable autonomie de la femme. D’ici là, il reste à la femme l’«autonomie» de recourir à la cryoconservation des ovocytes pour des raisons non médicales à des fins de préservation de la fertilité et de la payer.
L’auteure n’a pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
PD Dr méd.
Dorothea ­Wunder
Centre de Procréation ­Médicalement Assistée et Endocrinologie Gynécologique (CPMA)
Rue de la Vigie 5
CH-1003 Lausanne
dorothea.wunder[at]cpma.ch
1 Imthurn B, Schiessl K. Le «social freezing». Forum Med Suisse. 2019;19(43–44):709–712.
2 Mac Dougall K, Beyene Y, Nachtigall RD. Age shock: Misperceptions of the impact of age on fertility before and after IVF in women who conceived after age of 40. Hum Reprod. 2013;28(2):350–6.