Nécrose avasculaire d’un sésamoïde fibulaire bipartite
Symptômes persistants après une blessure de type «turf toe»

Nécrose avasculaire d’un sésamoïde fibulaire bipartite

Der besondere Fall
Édition
2021/1314
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08593
Forum Med Suisse. 2021;21(1314):223-225

Affiliations
Klinik für Chirurgie und Orthopädie, Spital Davos

Publié le 31.03.2021

Un patient de 16 ans s’est présenté aux urgences en raison de douleurs au niveau plantaire de la première articulation métatarso-phalangienne qui avaient débuté un jour après un match de basket intensif sans traumatisme pertinent.

Contexte

Les blessures du pied et de la cheville sont fréquentes chez les athlètes et elles sont responsables d’un nombre significatif d’entraînements et de compétitions manqués [1]. En 1976, Bowers et Martin ont introduit le terme «turf toe» pour désigner les entorses du complexe capsulo-ligamentaire plantaire de la première articulation métatarso-phalangienne (MTP I) [2]. Dans leur petite série de cas, ils ont décrit le mécanisme de blessure comme une hyperextension du gros orteil au niveau de l’articulation MTP I se produisant alors que le talon est soulevé et que l’avant-pied est fixé au sol. Une augmentation de ces blessures a été observée dans le football américain après l’introduction de l’AstroTurf® (une pelouse artificielle) comme surface de jeu.
En 1924, Renander a décrit pour la première fois deux cas de nécrose avasculaire (NAV) du sésamoïde tibial sans traumatisme préalable, mais avec cependant une mise en évidence radiologique de l’ostéochondropathie [3]. Zenklusen et al. ont supposé qu’une NAV ne pouvait guère être de survenue primaire, mais qu’elle était consécutive à un traumatisme ou à des microtraumatismes répétés [4].
Nous décrivons pour la première fois le cas d’une NAV après une blessure «turf toe» dans le cadre d’un sésamoïde fibulaire bipartite.

Présentation du cas

Anamnèse

Un patient de 16 ans, en bonne santé, s’est présenté dans notre service des urgences en raison de douleurs au niveau plantaire de l’articulation MTP I. Les symptômes avaient débuté un jour après un match de basket intensif sans traumatisme pertinent, mais avec toutefois des sauts répétés sur le sol. Par la suite, les douleurs se sont accentuées lors de la mise en charge lorsqu’il marchait.

Statut et résultats

Lors de l’examen, nous avons constaté un gonflement avec une douleur plantaire à la pression au niveau de l’articulation MTP I, ainsi qu’une augmentation des douleurs au niveau de l’articulation lors de l’extension et la flexion passives. La radiographie du pied en trois plans a montré un sésamoïde fibulaire bipartite sans mise en évidence d’une fracture (fig. 1).
Figure 1: Radiographie de l’avant-pied en oblique un jour après le traumatisme: visualisation du sésamoïde fibulaire bipartite.
Un traitement symptomatique, avec une mise en charge partielle de 15 kg, a été mis en œuvre. En raison de douleurs persistantes, une imagerie par résonance magnétique (IRM) a été réalisée après une semaine. Elle a montré une rupture partielle de la plaque plantaire avec une déchirure du tendon du muscle court fléchisseur de l’hallux du sésamoïde fibulaire. Le sésamoïde fibulaire présentait un œdème médullaire.
Nous avons interprété le résultat de l’IRM comme une lésion de type «turf toe» de grade II d’après la classification de Clanton et al. [5]. Cela correspond à une rupture partielle du complexe capsulo-ligamentaire sans lésion intra-articulaire.

Traitement et évolution

Le traitement conservateur a été poursuivi au moyen d’une chaussure de décharge de l’avant-pied, avec une mise en charge totale. Dix semaines plus tard, le patient s’est présenté avec une plaie ulcérée avec hypergranulation au niveau plantaire de l’articulation MTP I (fig. 2).
Figure 2: Hypergranulation au niveau de l’ulcère plantaire à hauteur de la première ­articulation métatarso-phalangienne onze semaines après le traumatisme (échelle en centimètres).
L’hypergranulation a été éliminée et un traitement conservateur de la plaie a été initié. La lésion a été interprétée comme un ulcère de pression survenu dans le cadre d’une mise en charge inappropriée après la blessure préalable.
En raison de l’absence de cicatrisation de la plaie durant huit semaines, nous avons procédé à une révision chirurgicale de la plaie, qui n’a pas montré de tendons ou structures osseuses visibles. La plaie a été biopsiée, excisée et fermée avec deux points de suture. L’examen histologique a révélé une ulcération chronique avec tissu de granulation, sans signe d’infection ou d’altérations malignes.
Lors du contrôle trois semaines après l’opération, nous avons à nouveau constaté une ulcération avec hypergranulation. Sous le défaut cutané, nous avons palpé une structure très dure, qui a été évaluée par radiographie avec marquage métallique. Elle correspondait à une lésion kystique du sésamoïde fibulaire (fig. 3).
Figure 3: Radiographie de l’avant-pied en oblique 30 semaines après le traumatisme: visualisation du sésamoïde fibulaire ayant fait l’objet d’un marquage métallique, avec lésions kystiques.
Un traitement conservateur a été poursuivi et sept mois après le traumatisme initial, nous avons visualisé un fragment osseux dans la plaie et l’avons retiré. L’examen histologique a indiqué qu’il s’agissait d’un os cortical nécrotique.

Diagnostic

NAV du sésamoïde fibulaire bipartite après blessure «turf toe».

Fin du traitement

Un mois plus tard, la plaie avait cicatrisé et le patient ne ressentait plus de douleurs. A la tomodensitométrie, nous avons exclu la présence d’un séquestre supplémentaire. Lors de cet examen, le sésamoïde fibulaire n’était plus visualisable et il n’y avait pas de signe évocateur d’une nécrose du sésamoïde tibial.
Deux ans après la blessure, le patient était asymptomatique et faisait du sport au même niveau qu’auparavant. Le déroulement des évènements est résumé dans le tableau 1.
Tableau 1: Déroulement temporel des évènements, résultats des examens et traitements.
SemainesEvènementExamen et résultatTraitement
0Consultation en urgence un jour après le traumatismeRadiographie: sésamoïde fibulaire bipartite sans mise en évidence de fractureMise en charge partielle de 15 kg, analgésie
1Contrôle de suivi, diagnostic de suspicion: blessure «turf toe»IRM: rupture partielle de la plaque plantaire avec une déchirure du tendon du muscle court fléchisseur de l'hallux du sésamoïde fibulaire; sésamoïde fibulaire présentant un œdème médullaireChaussure de décharge de l’avant-pied avec mise en charge totale
11Diagnostic de suspicion: ulcère plantaire dû à une mise en charge inappropriée Elimination de l’hypergranulation, traitement conservateur de la plaie
20Absence de cicatrisation de la plaieHistologie: ulcération chronique avec tissu de ­granulation, sans signe d’infection ou d’altérations malignesRévision chirurgicale et fermeture de la plaie
30Résistance osseuse palpable sous la ­nouvelle plaieRadiographie avec marquage métallique: lésion kystique du sésamoïde fibulairePoursuite du traitement conservateur de la plaie
31Fragment osseux dans la plaie lors du contrôle de la plaieHistologie: os cortical nécrotiqueRetrait du fragment osseux
34Plaie cicatrisée, patient asymptomatique, diagnostic de NAV du sésamoïde fibulaire bipartite après blessure «turf toe»TDM: pas de séquestre supplémentaire; ­
sésamoïde fibulaire plus visualisable; 
pas de signe de nécrose du sésamoïde tibialFin du traitement
IRM: imagerie par résonance magnétique; NAV: nécrose avasculaire; TDM: tomodensitométrie.

Discussion

Le traitement initialement conservateur des entorses au niveau de l’articulation MTP I a été recommandé par Clanton et al. en 1986 dans une série de cas portant sur 62 joueurs de football américain [5]. Ils ont classé ces lésions comme suit:
– Grade I: élongation du complexe capsulo-ligamentaire;
– Grade II: rupture partielle du complexe capsulo-­ligamentaire sans lésion intra-articulaire;
– Grade III: rupture complète du complexe capsulo-ligamentaire avec lésion du cartilage et/ou de l’os sous-chondral au niveau de la tête du 1er métatarsien.
Les sésamoïdes de l’articulation MTP I sont intégrés dans la plaque plantaire et ont un partenaire articulaire trochléen au niveau de la tête du 1er métatarsien [6]. Ils sont reliés par le ligament intersésamoïdien et forment ainsi un canal pour le tendon du muscle long fléchisseur de l’hallux. A la limite proximale de la plaque plantaire se trouvent les insertions de la partie latérale et médiale du tendon du muscle court fléchisseur de l’hallux. Le sésamoïde fibulaire est irrigué par une à trois artères, la variante normale la plus fréquente présentant deux artères. Depuis l’extrémité proximale, une artère entre dans le sésamoïde fibulaire via l’insertion du tendon du muscle court fléchisseur de l’hallux; depuis l’extrémité distale, une autre artère entre via l’insertion de la capsule [7]. La vascularisation proximale est considérée comme étant la plus importante.
Dans le cas que nous avons décrit, le patient présentait une rupture de la plaque plantaire, ainsi qu’une déchirure de l’insertion du muscle court fléchisseur de l’hallux au niveau proximal du sésamoïde fibulaire. Nous partons du principe que suite à l’hyperextension répétitive, l’irrigation sanguine du sésamoïde fibulaire a été interrompue, ce qui a entraîné une NAV. En cas de NAV, un traitement conservateur est recommandé en premier lieu; une résection est indiquée si le patient reste symptomatique [8].
Rétrospectivement, l’œdème médullaire à l’IRM aurait au moins du éveiller le soupçon d’une NAV consécutive au traumatisme. Trente semaines après la blessure, la radiographie a montré une NAV. Il apparaît rétrospectivement que la poursuite du traitement conservateur à ce moment-là était certainement une mauvaise décision, l’indication d’une excision aurait alors dû être posée.

L’essentiel pour la pratique

• Le traitement primaire d’une blessure «turf toe», tout comme celui d’une nécrose avasculaire, est conservateur.
• Les évolutions compliquées, avec une persistance des symptômes, doivent faire envisager une nécrose avasculaire.
• La résection du sésamoïde nécrotique est indiquée en cas de symptômes persistants.
Nous remercions le service de radiologie de l’hôpital de Davos et ­Radiologie Südost pour la mise à disposition des clichés radiologiques et résultats.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd.
Lukas Werner Widmer
Universitätsklinik für ­Viszerale Chirurgie und Medizin
Inselspital Bern
Freiburgstrasse 18
CH-3010 Bern
lukas.widmer[at]insel.ch
1 Hunt KJ, Hurwit D, Robell K, Gatewood C, Botser IB, Matheson G. Incidence and Epidemiology of Foot and Ankle Injuries in Elite Collegiate Athletes. Am J Sports Med. 2017;45:426–33.
2 Bowers KD, Martin RB. Turf-toe: a shoe-surface related football injury. Med Sci Sports. 1976;8:81–3.
3 Renander A. Two Cases of Typical Osteochondropathy of the Medial Sesamoid Bone of the First Metatarsal. Acta radiol. 1924;3:521–7.
4 Zenklusen C, Cornut J, Belgrand L, Pfister JA. [Aseptic osteonecrosis of the internal sesamoid bone of the large toe, apropos of 3 case reports in adults]. Schweiz Rundsch Med Prax. 1990;79:971–5.
5 Clanton TO, Butler JE, Eggert A. Injuries to the Metatarsophalangeal Joints in Athletes. Foot Ankle. 1986;7:162–78.
6 Kelikian AS. Sarrafian’s Anatomy of the Foot and Ankle: Descriptive, Topographic, Functional. 3rd ed. Chicago:Wolters Kluwer Health; 2015.
7 Sobel M, Hashimoto J, Arnoczky SP, Bohne WH. The microvasculature of the sesamoid complex: its clinical significance. Foot Ankle. 1992;13(6):359–63.
8 Waizy H, Jäger M, Abbara-Czardybon M, Schmidt TG, Frank D. Surgical treatment of AVN of the fibular (lateral) sesamoid. Foot Ankle Int. 2008;29(2):231–6.