Inhibiteurs du PCSK9: privilégier la société ou l'individu ?
Limitations d’utilisation à cause des coûts

Inhibiteurs du PCSK9: privilégier la société ou l'individu ?

Editorial
Édition
2017/45
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03104
Forum Med Suisse 2017;17(45):971-972

Affiliations
Policlinique médicale universitaire, Lausanne

Publié le 08.11.2017

Il aura fallu 100 ans avant que la communauté médicale accepte d’une seule voix le rôle central du LDL-cholestérol dans le développement de l’athérosclérose et de la maladie cardiovasculaire. Depuis «l’hypothèse du cholestérol» étudiée dans un modèle animal par Nicolay Anichkov en 1913, les premiers piliers de preuves ont d’abord été posés par des études épidémiologiques observationnelles telles que la «Framingham Study» en 1957, puis par des études génétiques, puis finalement depuis les années 90 par les essais cliniques avec les statines et l’ézétimibe. Malgré tout, le débat médiatique autour de la question du cholestérol reste intense, influençant patients et médecins à restreindre l’utilisation des statines même en prévention secondaire [1, 2]. La publication ces derniers mois d’essais cliniques évaluant les nouveaux traitements hypolipémiants de type inhibiteur de la proprotéine convertase subtilisine/kexine type 9 (PCSK9) a permis non seulement de confirmer définitivement 
le lien causal entre le LDL-cholestérol et le risque cardiovasculaire, mais également d’explorer la sécurité et la persistance du bénéfice cardiovasculaire pour des taux extrêmement bas de LDL-cholestérol, jusqu’à 0,3 mmol/l, ce qui était impensable jusqu’alors [3].
Dans l’article de revue très complet dans ce numéro du Forum Medical Suisse, Lyko et collègues dressent l’historique du développement des inhibiteurs de la PCSK9 [4]. Depuis la découverte en 2003 du gène codant pour la protéine PCSK9 dans une famille française avec hypercholestérolémie sévère, les essais cliniques se sont rapidement multipliés pour tester la sécurité et l’efficacité de molécules bloquant la protéine PCSK9. En l’espace de 5 ans, près de 70 000 patients à travers le monde ont été inclus dans les essais cliniques comparant un inhibiteur de PCSK9 à un placebo pour (1) baisser le LDL-cholestérol, (2) bloquer la progression de la plaque d’athérosclérose coronarienne, et (3) diminuer le risque de récidive cardiovasculaire [5–7]. Cet effort d’innovation sans précédant en prévention cardiovasculaire est guidé par l’espoir de sauver rapidement de nombreuses vies. Au final en septembre 2017 cette science récente nous enseigne qu’une injection sous-cutanée chaque deux semaines de 140–150 mg d’un anticorps monoclonal humanisé, l’évolocumab ou l’alirocumab, avec ou sans statines, baisse le LDL-cholestérol de presque 60% en continu sur 4 ans, avec un profil d’effet indésirable très acceptable, et permet une diminution de 20% du risque de récidive cardiovasculaire après 2 à 3 ans de traitement.
Dans leur article de revue, Lyko et collègues résument également les indications de Swissmedic et de l’ Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour l’utilisation des inhibiteurs de PCSK9 en pratique clinique. Ils rappellent que les limitations d’utilisation édictée par l’OFSP depuis le 1er juillet 2017 ne sont pas liées à des doutes sur la sécurité ou l’efficacité de ces médicaments, mais sur leurs prix, plus de 6500.– CHF par année en Suisse, soit 27 fois plus cher que la rosuvastatine à 20 mg/j, la plus puissante des statines. Les inhibiteurs de PCSK9 sont en effet les médicaments les plus chers jamais utilisés en prévention cardiovasculaire. Dans ce contexte, les payeurs tentent de contenir l’utilisation massive de ces médicaments, alors que nous, les cliniciens, cherchons les meilleures options pour exploiter leur potentiel protecteur chez les patients à haut risque cardiovasculaire. La stratégie économique des payeurs est soutenue par les études coût-efficacité faites aux Etats-Unis qui montrent que la prescription au prix actuel des inhibiteurs de PCSK9 n’a aucune chance d’apporter un bénéfice sociétal par rapport à l’investissement, selon les standards de santé publique établis [8].
Que faire donc avec une fantastique innovation thérapeutique qui offre un bénéfice cardiovasculaire à un large groupe de patients, mais que la société ne peut pas s’offrir? Le conflit entre l’encouragement de l’innovation scientifique pour sauver des vies et l’incapacité à utiliser ces innovations suite à leur coût n’est pas nouveau en médecine. Le prochain exemple pour la prévention cardiovasculaire est très certainement ­celui des nouveaux inhibiteurs de l’inflammation tels le canakinumab coûtant actuellement 56 000.– CHF par an [9]. Pour des raisons économiques, les payeurs sont donc contraints d’appliquer des décisions arbitraires impactant la santé des individus et créant des disparités. Pour deux patients avec infarctus du myocarde récent et des taux de LDL-cholestérol quasi identiques sous statines, celui avec un LDL-cholestérol à 3,6 mmol/l bénéficiera sous couverture assécurologique d’un inhibiteur de PCSK9 et baissera très probablement son LDL vers 1,4 mmol/l, alors que celui avec un LDL à 3,4 mmol/l ne sera pas remboursé et n’acceptera très certainement pas de payer pour intensifier son traitement. Si cette disparité de 2 mmol/l de LDL-cholestérol est maintenue pendant 3 ans entre ces deux patients, le risque de récidive cardiovasculaire sera un tiers plus bas chez le premier patient que chez le deuxième.
Alors que les médecins sont les experts de la santé de leur patients, ils n’ont cependant pas suffisamment d’influence pour modifier comment sont décidées les récompenses pour l’innovation thérapeutique ou les restrictions financières d’accès aux médicaments. Dans l’attente du développement d’autres médicaments bloquant la protéine PCSK9 à un coût plus abordable pour le système de santé, les médecins doivent redoubler d’effort pour maximaliser l’utilisation des hypolipémiants génériques existants, par exemple, en améliorant l’adhérence aux statines à la dose la plus efficace.
L’auteur déclare être investigateur pour des études cliniques sur les inhibiteurs du PCSK9 dont les sponsors sont Amgen et Pfizer. L’auteur déclare n’avoir reçu aucune rémunération personnelle en argent ou en nature de ces industries pharmaceutiques.
Dr méd. David Nanchen, MSc
Consultation de prévention cardiovasculaire – ­cholestérol et style de vie
Policlinique médicale ­universitaire
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
david.nanchen[at]chuv.ch
1 Nielsen SF, Nordestgaard BG. Negative statin-related news stories decrease statin persistence and increase myocardial infarction and cardiovascular mortality: a nationwide prospective cohort study. Eur Heart J. 2016;37:908–16.
2 Matthews A, Herrett E, Gasparrini A, Van Staa T, Goldacre B, Smeeth L, Bhaskaran K. Impact of statin related media coverage on use of statins: interrupted time series analysis with UK primary care data. BMJ. 2016;353:i3283.
3 Giugliano RP, Pedersen TR, Park J-G, De Ferrari GM, Gaciong ZA, Ceska R, et al. Clinical efficacy and safety of achieving very low LDL-cholesterol concentrations with the PCSK9 inhibitor evolocumab: a prespecified secondary analysis of the FOURIER trial. Lancet. 2017 Aug 25. pii: S0140-6736(17)32290-0.
doi: 10.1016/S0140-6736(17)32290-0.
4 Lyko C, Blum MR, Aubert CE, Gencer B, Rodondi N, Collet TH. Inhibiteurs de PCSK9. Forum Med Suisse. 2017;17(45):979–986.
5 Sabatine MS, Giugliano RP, Keech AC, Honarpour N, Wiviott SD, Murphy SA, et al. Evolocumab and Clinical Outcomes in Patients with Cardiovascular Disease. N Engl J Med. 2017;376:1713–22.
6 Nicholls SJ, Puri R, Anderson T, Ballantyne CM, Cho L, Kastelein JJ, et al. Effect of Evolocumab on Progression of Coronary Disease in Statin-Treated Patients: The GLAGOV Randomized Clinical Trial. JAMA. 2016;316:2373–84.
7 Navarese EP, Kołodziejczak M, Kereiakes DJ, Tantry US, O’Connor C, Gurbel PA. Proprotein Convertase Subtilisin/Kexin Type 9 Monoclonal Antibodies for Acute Coronary Syndrome: A Narrative Review. Ann Intern Med. 2016;164(9):600–7. doi: 10.7326/M15-2994.
8 Kazi DS, Penko J, Coxson PG, Moran AE, Ollendorf DA, Tice JA, Bibbins-Domingo K. Updated Cost-effectiveness Analysis of PCSK9 Inhibitors Based on the Results of the FOURIER Trial. JAMA. 2017;318:748–50.
9 Ridker PM, Everett BM, Thuren T, MacFadyen JG, Chang WH, Ballantyne C, et al. Antiinflammatory Therapy with Canakinumab for Atherosclerotic Disease. N Engl J Med. 2017;377(12):1119–31.
doi: 10.1056/NEJMoa1707914.