Nutrition clinique des patients de médecine interne polymorbides à l‘hôpital
Un aperçu des nouvelles lignes directrices européennes et suisses

Nutrition clinique des patients de médecine interne polymorbides à l‘hôpital

Übersichtsartikel
Édition
2018/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03211
Forum Med Suisse 2018;18(11):254-260

Affiliations
a Endokrinologie/Diabetologie/Klinische Ernährung, Medizinische Universitätsklinik der Universität Basel, Kantonsspital Aarau, Suisse; b Unité de nutrition, Hôpitaux Universitaires de Genève, Suisse; c Institut für Ernährungsmedizin, Universität Hohenheim, Stuttgart, Allemagne; d Universitätsklinik für Diabetologie, Endokrinologie, Ernährungsmedizin und Metabolismus, Universitätsspital Bern und Universität Bern, Suisse

Publié le 21.03.2018

Le risque de malnutrition est très élevé chez les patients polymorbides hospitalisés, atteignant 40–50%. A l’échelle européenne et suisse, des lignes directrices ont été élaborées récemment afin de tenir compte de cette situation. La Société Suisse de Nutrition Clinique (SSNC) souhaite en fournir un aperçu dans le présent article.

Introduction

La malnutrition protéino-énergétique correspond à un déséquilibre entre les apports nutritionnels et les besoins nutritionnels, et elle affecte souvent les patients de médecine interne hospitalisés. La prévalence de la malnutrition chez les patients hospitalisés est très élevée, de l’ordre de 40–50% [1, 2]. La malnutrition est associée à une mortalité et morbidité élevées, à des taux de complications accrus, à un allongement de la durée d’hospitalisation, ainsi qu’à une augmentation des coûts de santé. Par le biais d’un traitement nutritionnel, les apports en protéines et calories peuvent être augmentés et l’état nutritionnel peut être amélioré [3]. Selon des estimations, plus de 70% des patients de ­médecine interne hospitalisés sont polymorbides et souffrent d’au moins deux affections chroniques concomitantes [4]. Toutefois, les lignes directrices jusqu’alors disponibles concernant les traitements ­nutritionnels portaient uniquement sur des maladies isolées, sans tenir compte de la polymorbidité (par ex. lignes directrices relatives à la nutrition des patients cancéreux). La question de savoir si l’approche de dépistage, d’évaluation et de traitement de la malnutrition chez les patients polymorbides devrait différer de celle chez les patients souffrant d’une affection unique reste ouverte. Sur cette base, un groupe de travail de la Société européenne de nutrition clinique et métabolisme («European Society for Clinical Nutrition and Metabolism» [ESPEN]) a élaboré de nouvelles lignes directrices relatives au traitement nutritionnel chez les patients polymorbides hospitalisés [5], qui sont également publiées et soutenues par la Société allemande de nutrition clinique («Deutsche Gesellschaft für klinische Ernährung» [DGEM]) [6]. Par ailleurs, un groupe de travail suisse a mis au point en 2016, à l’occasion d’une conférence de consensus, des recommandations sous forme d’algorithme pratique concernant le traitement nutritionnel chez les patients de médecine interne hospitalisés, en s’appuyant sur les lignes directrices déjà existantes [7].
Dans cet article, nous souhaitons résumer le contenu de ces deux lignes directrices relatives au traitement nutritionnel chez les patients polymorbides hospitalisés souffrant de malnutrition, en les complétant par d’autres sources de la littérature lorsque cela s’avère judicieux. Le tableau 1 fournit un aperçu des nouvelles recommandations de l’ESPEN [5]; la figure 1 (p. 259) présente un algorithme pratique concernant le traitement nutritionnel chez les patients polymorbides hospitalisés, adapté d’après les lignes directrices consensuelles suisses [7, 8].
Tableau 1: Aperçu des lignes directrices ESPEN («European Society for Clinical Nutrition and Metabolism») pour le traitement nutritionnel chez 
les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides (adapté d’après [5]: Gomes F, Schuetz P, Bounoure L, Austin P, Ballesteros-Pomar M, Cederholm­ T, et al. ESPEN guidelines on nutritional support for polymorbid internal medicine patients. Clin Nutr. 2018;37(1):336–53, avec l’aimable autorisation de Elsevier, http://www.clinicalnutritionjournal.com/article/S0261-5614(17)30236-4/fulltext).
ThèmeQuestions cliniques et recommandationsGrade de ­recommandation
(consensus du GT)
IndicationUn traitement nutritionnel basé sur le dépistage et/ou l’évaluation améliore-t-il l’issue? 
Chez les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides, une méthode de dépistage courte et simple (par ex. NRS 2002) devrait être employée pour l’évaluation du risque de malnutrition. En cas de risque accru, il convient de procéder en plus à une évaluation détaillée et d’établir un plan de traitement avec des objectifs thérapeutiques afin d’assurer un traitement nutritionnel précoce adapté aux besoins.B (100%)
Formes ­d‘alimentationSi couverture des besoins possible par voie orale: Les suppléments nutritionnels oraux avec ou sans conseils nutritionnels améliorent-ils l’issue? 
Chez les patients hospitalisés polymorbides présentant une malnutrition ou un risque élevé de malnutrition et 
chez qui la couverture des besoins est possible par voie orale, des suppléments nutritionnels oraux hypercaloriques et hyperprotéiques (alimentation buvable) devraient être envisagés en vue d’améliorer l’état nutritionnel 
et la qualité de vie.A (95%)
Chez les patients hospitalisés polymorbides présentant une malnutrition ou un risque élevé de malnutrition, des suppléments nutritionnels oraux spécifiques devraient être employés lorsqu’ils contribuent au maintien de la masse musculaire, à la réduction de la mortalité ou l’amélioration de qualité de vie. B (89%)
Chez les patients hospitalisés polymorbides présentant une malnutrition ou un risque élevé de malnutrition et ­pouvant couvrir leurs besoins nutritionnels par voie orale, les suppléments nutritionnels oraux devraient être ­envisagés en tant qu’intervention rentable pour atteindre une meilleure issue. B (95%)
Si couverture des besoins impossible par voie orale: L’alimentation entérale (alimentation par sonde) ­améliore-t-elle l’issue par rapport à l’alimentation parentérale (totale ou complémentaire)? 
En cas de couverture des besoins impossible par voie orale, une alimentation entérale peut être mise en place. Dans ce type de cas, l’alimentation entérale peut s’avérer supérieure à l’alimentation parentérale car le risque 
de complications est moindre.0 (100%)
Besoin ­énergétiquePar rapport à une estimation purement basée sur le poids, l’estimation du besoin énergétique au moyen d’une ­formule (par ex. Harris-Benedict) améliore-t-elle l’issue chez les patients hospitalisés polymorbides nécessitant un traitement nutritionnel? 
Le besoin énergétique peut être estimé au moyen de la calorimétrie indirecte, de différentes formules à plusieurs variables (par ex. Harris-Benedict) ou d’une formule basée sur le poids.0 (96%)
Si la calorimétrie indirecte n’est pas disponible, le besoin énergétique journalier total des patients âgés polymorbides (>65 ans) peut être estimé au moyen de la formule 27 kcal/kg de PC. Le métabolisme basal journalier peut être estimé au moyen de la formule 18–20 kcal/kg de PC et le besoin énergétique journalier total en ajoutant les facteurs d’activité et de stress.0 (95%)
Chez les patients présentant une insuffisance pondérale marquée et en cas de calorimétrie indirecte non ­disponible, le métabolisme basal journalier peut être estimé avec la formule 30 kcal/kg de PC.0 (89%)
Chez les patients présentant une insuffisance pondérale marquée, la cible de 30 kcal/kg de PC devrait être ­visée de façon prudente et progressive, car ces patients présentent un risque élevé de syndrome de renutrition inappropriée.GPP (100%)
Besoin ­protéiqueViser un apport protéique quotidien de >1,0 g/kg de PC permet-il, en comparaison à des objectifs moins élevés, d’améliorer l’issue chez les patient hospitalisés polymorbides nécessitant un traitement nutritionnel? 
Chez les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides nécessitant un traitement nutritionnel, 
un ­apport protéique journalier d’au moins 1,0 g/kg de PC devrait être atteint afin de prévenir une perte de poids, de ­réduire le risque de complications ou de ré-hospitalisations et d’améliorer l’issue fonctionnelle.A (95%)
Besoin en micronutrimentsLa supplémentation en micronutriments (vitamines et minéraux) améliore-t-elle l’issue chez les patients ­hospitalisés polymorbides avec apport alimentaire exclusivement oral? 
Chez les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides avec alimentation orale, un apport en ­micronutriments (vitamines et minéraux) adapté selon le besoin journalier devrait être assuré.GPP (100%)
Les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides avec carence en micronutriments documentée ou suspectée devraient recevoir une supplémentation suffisante.GPP (100%)
Alimentation spécifique à la maladieLes suppléments nutritionnels spécifiques à la maladie (par ex. fibres alimentaires, acides gras oméga-3, acides aminés ramifiés, glutamines, etc.) améliorent-ils l’issue? 
Chez les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides avec escarres, des acides aminés spécifiques (arginine et glutamine) et de l’acide β-hydroxy-β-méthylbutyrique (HBM) peuvent être ajoutés à l’alimentation orale/entérale afin d’accélérer la guérison des escarres.0 (90%)
Chez les patients âgés, hospitalisés, polymorbides et nécessitant un traitement nutritionnel entéral, 
un enrichissement de l’alimentation au moyen d’un mélange de fibres alimentaires solubles et insolubles 
peut être employé afin d’améliorer l’activité intestinale.0 (95%)
ThèmeQuestions cliniques et recommandationsGrade de ­recommandation (consensus du GT)
Aspect temporelUne initiation précoce du traitement nutritionnel (<48 heures après admission à l’hôpital) améliore-t-elle l’issue? 
Une initiation précoce du traitement nutritionnel (<48 heures après admission à l’hôpital) devrait être visée chez les patients polymorbides car par ce biais, la sarcopénie peut être réduite et l’autonomie améliorée.B (95%)
La poursuite du traitement nutritionnel après la sortie de l’hôpital améliore-t-elle l’issue chez les patients ­polymorbides? 
Chez les patients de médecine interne polymorbides et présentant une malnutrition ou un risque élevé de ­malnutrition, le traitement nutritionnel devrait être poursuivi après la sortie de l’hôpital afin de maintenir/
améliorer le poids corporel et l’état nutritionnel. B (95%)
Chez les patients de médecine interne polymorbides et présentant une malnutrition ou un risque élevé de ­malnutrition, le traitement nutritionnel devrait être poursuivi après la sortie de l’hôpital afin de maintenir/
améliorer le statut fonctionnel et la qualité de vieB (95%)
Chez les patients de médecine interne polymorbides âgés de >65 ans et présentant une malnutrition ou un risque élevé de malnutrition, la poursuite du traitement nutritionnel par suppléments nutritionnels oraux ou du traitement nutritionnel individuel après la sortie d’hôpital devrait être envisagée en vue de réduire la mortalité. A (95%)
SurveillanceL’évaluation de paramètres fonctionnels (par ex. force de préhension, «peak flow»), si elle est possible, ­améliore-t-elle d’autres critères chez les patients polymorbides hospitalisés avec traitement nutritionnel, par ­rapport à l’évaluation de paramètres spécifiques à l’alimentation? 
Le succès du traitement nutritionnel devrait être évalué au moyen de paramètres spécifiques à l’alimentation. Les paramètres fonctionnels semblent en revanche avoir une meilleure valeur prédictive pronostique en ce qui concerne d’autres critères d’évaluation, tels que la survie et la qualité de vie.B (95%)
La couverture de >75% du besoin énergétique et/ou protéique (en tant qu’indicateur de l’observance) améliore-t-elle, par rapport à des apports moins élevés, l’issue chez les patients hospitalisés polymorbides avec traitement nutritionnel? 
Chez les patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides avec apport alimentaire et état nutritionnel réduits, au moins 75% du besoin énergétique et protéique calculé devrait être atteint afin de réduire le risque ­d’issue défavorable.B (100%)
Une alimentation enrichie en calories et en protéines peut être employée afin d’atteindre les objectifs d’apports énergétiques et protéiques chez les patients de médecine interne polymorbides.0 (100%)
Procédures ­d’interventionLes restructurations organisationnelles dans le domaine du traitement nutritionnel (par ex. intervention par le biais d’un groupe de pilotage, introduction de temps de repas protégés, changement de la répartition du ­budget) peuvent-elles améliorer l’issue chez les patients polymorbides hospitalisés? 
Des changements organisationnels devraient être réalisés dans le domaine du traitement nutritionnel pour les ­patients de médecine interne hospitalisés et polymorbides avec un risque élevé de malnutrition ou une malnutrition manifeste. Il convient notamment de viser des changements assurant l’offre de menus enrichis pour les patients à risque, une équipe de diététiciens ainsi que des protocoles nutritionnels multidisciplinaires.B (100%)
Autres ­
(question 
non PICO)Le bénéfice attendu engendré par le traitement nutritionnel dépend-il de la maladie aiguë sous-jacente? 
Le degré de sévérité de la maladie aiguë devrait être utilisé par le médecin traitant comme l’un des critères lors de la sélection des patients pour le dépistage, le contrôle de suivi et l’intervention relatifs à la malnutrition.1+ (100%)
Un apport alimentaire inadéquat est fréquent et les facteurs dépendant des patients et de l’environnement contribuant à un apport alimentaire réduit doivent être pris en compte lors de la planification du traitement ­nutritionnel. Parmi ces facteurs on compte par ex. la gravité de la maladie, un apport réduit dû aux symptômes, l’anorexie, ­l’alitement, le quotidien hospitalier, les habitudes alimentaires et les diètes suivies à la maison.4 (100%)
Combien de temps le traitement nutritionnel devrait-il être poursuivi chez les patients polymorbides? 
Bien qu’il existe des preuves en faveur de la poursuite du traitement nutritionnel après la sortie de l’hôpital chez les patients polymorbides présentant une malnutrition ou un risque élevé de malnutrition, il est pour 
l’instant ­impossible sur la durée optimale du traitement.4 (95%)
Existe-t-il un danger d’interactions médicamenteuses et d’interactions aliments-médicaments chez 
les ­patients polymorbides? 
Chez les patients de médecine interne polymorbides, le danger d’interaction médicamenteuse et d’interaction ­aliments-médicaments existe et devrait être pris en considération. Une concertation avec un pharmacologue ­clinicien expérimenté peut être pertinente.3 (90%)
Abréviations: GT = groupe de travail, PC = poids corporel
Grades de recommandation selon le SIGN («Scottish Intercollegiate Guidelines Network»)
A ≥1 Méta-analyse, revue systématique ou étude randomisée et contrôlée (ERC) avec niveau de preuve 1++ directement applicable sur la population cible; ou évidence basée sur plusieurs études avec niveau de preuve 1+ et qui révèlent des résultats concordants.
B Evidence basée sur plusieurs études classées comme 2++ qui sont directement applicables sur la population cible et révèlent des résultats concordants; ou évidence ­extrapolée d’études avec un niveau de preuve 1++ ou 1+.
0 Niveau de preuve 3 ou 4; ou évidence extrapolée d’études avec un niveau de preuve 2++ ou 2+.
GPP «Good practice points»/consensus d’experts: Recommandation pratique basée sur l’expérience clinique du groupe de travail.

Niveaux de preuve selon le SIGN («Scottish Intercollegiate Guidelines Network»)
1++ Méta-analyses de qualité élevée ou revues systématiques d’études randomisées et contrôlées (ERC) avec un risque de biais très faible.
1+ Méta-analyses de bonne qualité, revues systématiques d’ERC ou ERC de bonne qualité avec faible risque de biais.
1- Méta-analyses, revues systématiques d’ERC ou ERC avec risque élevé de biais.
2++ Revues systématiques de qualité élevée d’études de cohorte ou d’études cas-témoins avec un très faible risque de biais et une probabilité élevée de relation causale.
2+ Etudes de cohorte ou études cas-témoins bien menées avec faible risque de biais et probabilité modérée de relation causale.
2- Etudes de cohorte ou études cas-témoins avec un risque élevé de biais et un risque significatif d’absence de relation causale.
3 Etudes non analytiques, telles que cas clinique ou séries de cas.
4 Opinion d’experts.

Dépistage/évaluation de la malnutrition à l’hôpital

Les patients polymorbides hospitalisés encourent un risque élevé de malnutrition. Or, la malnutrition est associée à des taux accrus de complications et à des durées d’hospitalisation prolongées. Chez les patients polymorbides hospitalisés, il convient de mettre en œuvre de manière standard une méthode de dépistage rapide et simple afin d’évaluer le risque de malnutrition. Chez les patients à risque accru, il est en outre nécessaire de réaliser une évaluation détaillée, sur la base de laquelle un plan de traitement peut être élaboré. Le cas échéant, les causes traitables devraient en premier lieu être identifiées et corrigées (par ex. hyperthyroïdie, diabète sucré mal contrôlé, malabsorption en cas d’insuffisance pancréatique, etc.). Par le biais d’un ­dépistage standardisé, il est possible d’identifier les ­patients malnutris et d’initier précocement un traitement nutritionnel adéquat, permettant ainsi de réduire les complications et la durée d’hospitalisation.

Objectifs nutritionnels

Besoin énergétique

L’estimation du besoin énergétique représente une composante essentielle lors de l’élaboration du plan de traitement des patients malnutris et elle implique de calculer le besoin énergétique total, qui se compose du métabolisme basal, de la thermogenèse induite par l’alimentation, ainsi que du métabolisme d’effort, qui est influencé par les activités et la présence de maladies.
La méthode de référence pour déterminer le métabolisme basal est la calorimétrie indirecte, celle pour déterminer le besoin énergétique total est la méthode de l’eau doublement marquée. Ces deux méthodes sont complexes et ne sont pas adaptées à la pratique clinique quotidienne. Alternativement, il est possible de faire des estimations au moyen de différentes formules (par ex. formule de Harris et Benedict), qui intègrent le poids, l’âge, le sexe et d’autres facteurs, ou au moyen d’une formule exclusivement basée sur le poids. Pour les patients polymorbides âgés de >65 ans, les nouvelles lignes directrices préconisent l’estimation basée sur le poids du besoin énergétique journalier total sur une base de 27 kcal/kg de poids corporel (PC) et du métabolisme basal journalier sur une base de 18–20 kcal/kg de PC. Alternativement, il est possible d’estimer le besoin énergétique total en ajoutant des facteurs d’activité ou de stress au métabolisme basal calculé.
Chez les patients présentant une insuffisance pondérale marquée, le métabolisme basal quotidien peut être estimé en appliquant la formule de 30 kcal/kg de PC. Il convient néanmoins de procéder de façon lente et prudente pour atteindre l’objectif d’apports énergétiques de 30 kcal/kg de PC, car ces patients présentent un risque élevé de syndrome de renutrition inappropriée [9].

Besoin protéique

Les patients de médecine interne polymorbides qui sont hospitalisés et ont besoin d’un traitement nutritionnel devraient atteindre des apports protéiques journaliers d’au minimum 1,0 g/kg de PC afin d’éviter une perte de poids, de minimiser le risque de complications et de ré-hospitalisations et d’améliorer le devenir fonctionnel. Chez les patients polymorbides souffrant d’insuffisance rénale aiguë ou chronique, le besoin protéique journalier peut être réduit et il devrait être évalué minutieusement. Dans les lignes directrices, des apports protéiques journaliers de 0,8–1,0 g/kg de PC sont recommandés pour les patients malnutris souffrant d’insuffisance rénale. Il est néanmoins impossible d’émettre une recommandation générale quant aux apports protéiques journaliers en cas d’insuffisance rénale en raison de l’influence supplémentaire potentielle de comorbidités chez les patients polymorbides, et une évaluation individuelle des apports protéiques s’avère dès lors essentielle et indispensable.

Micronutriments

Les patients de médecine interne polymorbides qui sont hospitalisés peuvent développer une carence en micronutriments (vitamines et minéraux) en raison d’apports réduits ou d’une dépense accrue. Chez les patients ayant une alimentation orale, il convient de veiller à des apports adéquats en vitamines, oligo-éléments et minéraux répondant aux besoins journaliers. En cas de carence en micronutriments documentée ou suspectée, les micronutriments concernés doivent être supplémentés en quantités suffisantes.

Alimentation spécifique en cas de maladie

Au cours des dernières années, de nombreux suppléments nutritionnels oraux (alimentation buvable) et ­nutritions par sonde spécifiquement enrichis pour les personnes malades ont été développés. Les études disponibles à ce sujet se limitent toutefois à des maladies spécifiques, et les données relatives au bénéfice chez les patients polymorbides hospitalisés sont limitées.
Les escarres représentent un problème fréquent chez les patients polymorbides alités. Afin d’accélérer leur guérison, des acides aminés spécifiques (arginine et glutamine) et de l’acide bêta-hydroxy bêta-méthylbutyrique (HMB) peuvent être ajoutés à l’alimentation orale/entérale [10].
La diarrhée et la constipation sont les complications les plus fréquentes de la nutrition entérale chez les patients hospitalisés. En enrichissant l’alimentation entérale par sonde d’un mélange de fibres alimentaires solubles et insolubles, une amélioration de la fonction digestive a pu être constatée chez les patients âgés [11]. En parallèle, il convient de veiller à une hydratation suffisante afin de prévenir la constipation.

Formes d’alimentation

L’atteinte des apports énergétiques nécessaires est indispensable afin de prévenir une perte pondérale et musculaire et le devenir fonctionnel défavorable qui y est associé. Il convient en premier lieu de viser une ­alimentation orale pour atteindre les objectifs nutritionnels. Pour atteindre ce but de la manière la plus physiologique possible, il peut être utile d’adapter la nourriture en fonction des préférences du patient, de proposer des collations, d’enrichir l’alimentation orale ou d’administrer des suppléments oraux (alimentation buvable). Si les besoins ne parviennent pas être couverts par l’alimentation orale, il est possible de recourir à l’alimentation entérale (alimentation par sonde). Cette dernière devrait être privilégiée par rapport à l’alimentation parentérale en raison d’un plus faible risque de complications (de cause infectieuse et non-infectieuse). L’atteinte des objectifs nutritionnels devrait être réévaluée toutes les 24–48 heures. En cas de couverture des besoins énergétiques/protéiques <75%, il convient de procéder à une escalade de la forme d’alimentation (d’orale à entérale ou d’entérale à parentérale), car le risque de détérioration de la situation nutritionnelle augmente alors fortement [7]. La figure 1 présente un algorithme pratique permettant de visualiser cette (dés)escalade progressive de la forme d’alimentation, adapté d’après un document de consensus suisse [7]. Le but de cet algorithme est d’atteindre les objectifs nutritionnels correspondant à une alimentation adaptée aux besoins avec la forme d’alimentation la plus physiologique possible (orale > entérale > parentérale). Toutefois, dans la pratique quotidienne, la question de savoir s’il convient ou non de procéder à une telle escalade chez un patient relève d’une décision individuelle, basée sur la situation clinique et le souhait du patient.
Figure 1: Algorithme pratique pour le traitement nutritionnel chez les patients de médecine interne polymorbides à l’hôpital (modifié d’après [7]). PC = poids corporel, méd. = médical, NRS = «Nutrition Risk Screening», h = heures. 
 Augmentation progressive chez les patients avec risque élevé de syndrome de renutrition inappropriée. 
 Par ex. adaptation en cas de pancréatite chronique, d’hypertriglycéridémie, etc. 
 Alternativement à Vitalipid ® + Soluvit ® , l’administration de Cernevit ® (préparation combinée) est également possible.

Suppléments nutritionnels oraux ­(alimentation buvable)

Chez les patients polymorbides hospitalisés qui présentent un risque élevé de malnutrition et chez lesquels les besoins nutritionnels peuvent être couverts par l’alimentation orale, l’administration de suppléments nutritionnels oraux hypercaloriques et hyperprotéiques devrait être envisagée. L’état nutritionnel et la qualité de vie peuvent s’en trouver améliorés. Différentes études ont également mis en évidence les avantages suivants des suppléments nutritionnels oraux: maintien de la masse musculaire et de l’indépendance fonctionnelle (mesurée au moyen de l’indice de ­Barthel) et réduction du taux de complications et de ré-hospitalisations durant 6 mois après la sortie de l’hôpital [12, 13]. L’administration de suppléments nutritionnels oraux chez les patients polymorbides hospitalisés à risque élevé de malnutrition devrait par conséquent être envisagée comme une intervention rentable pour améliorer le devenir des patients. Les études portant sur les alimentations buvables spécifiques sont pour l’heure limitées. D’après les lignes ­directrices, ces produits peuvent être utilisés s’ils contribuent au maintien de la masse musculaire, à la réduction de la mortalité ou à l’amélioration de la qualité de vie.

Moment de début et de fin d’un ­traitement nutritionnel

Chez les patients polymorbides présentant un risque de malnutrition, un traitement nutritionnel devrait être initié le plus rapidement possible (<48 heures après l’admission à l’hôpital). Il est ainsi possible de réduire la sarcopénie et d’améliorer l’autonomie.
Il a été montré que la poursuite du traitement nutritionnel après la sortie de l’hôpital contribuait au ­maintien ou à l’amélioration de l’état nutritionnel/du poids corporel, du statut fonctionnel et de la qualité de vie. Chez les patients polymorbides âgés de >65 ans avec risque élevé de malnutrition ou malnutrition ­manifeste, il convient d’envisager la poursuite du traitement nutritionnel au moyen de suppléments nutritionnels oraux ou du traitement nutritionnel ­individuel après la sortie de l’hôpital, car il a été montré que la mortalité s’en trouvait réduite. Bien qu’il existe des preuves en faveur de la poursuite après la sortie de l’hôpital du traitement nutritionnel chez les patients polymorbides malnutris ou présentant un risque élevé de malnutrition, il est pour l’instant ­impossible de se prononcer sur la durée optimale du traitement.

Détermination d’objectifs thérapeutiques

La plupart des études nutritionnelles utilisent à la fois des paramètres spécifiques à la nutrition (par ex. poids corporel, apports énergétiques, apports protéiques) et des paramètres fonctionnels (par ex. force de préhension, «peak flow») pour évaluer l’efficacité d’un traitement nutritionnel. Afin d’évaluer la réponse à un ­traitement nutritionnel, il convient principalement d’utiliser des paramètres spécifiques à la nutrition. Les paramètres fonctionnels, quant à eux, semblent avoir une meilleure valeur prédictive pronostique, par ex. concernant la survie et la qualité de vie.
Selon les recommandations d’experts, au moins 75% des besoins énergétiques et protéiques calculés devraient être couverts chez les patients de médecine ­interne polymorbides qui sont hospitalisés et ont des apports alimentaires et un statut nutritionnel réduits afin de limiter le risque de devenir défavorable. Une alimentation enrichie en calories et en protéines peut aider à atteindre ces objectifs.

Organisation/offre

L’organisation d’un traitement nutritionnel à l’hôpital requiert une approche interdisciplinaire et implique des prestations thérapeutiques, des prestations de soins, ainsi que des prestations de restauration. Les ­auteurs des lignes directrices estiment que des modifications de l’organisation de l’offre de traitement ­nutritionnel pour les patients de médecine interne polymorbides hospitalisés qui sont malnutris ou ont un risque élevé de malnutrition s’avèrent essentielles et indispensables. En particulier, il convient d’ambitionner des changements qui garantissent une offre de menus enrichis pour les patients à risque, la disponibilité d’une équipe de diététiciens et la mise en place de protocoles de nutrition multidisciplinaires.

Facteurs dépendants du patient

Les apports alimentaires sont influencés par différentes caractéristiques inhérentes au patient et à ­l’environnement. En font par ex. partie la gravité de la maladie, une alimentation réduite en raison des symptômes, l’anorexie, l’alitement, le quotidien hospitalier, les habitudes alimentaires et les régimes que le patient a commencé à suivre à son domicile. Ces facteurs ­dépendants du patient, qui peuvent contribuer à la malnutrition, doivent être pris en compte lors de la planification du traitement nutritionnel.
Bien entendu, un traitement nutritionnel doit toujours être considéré dans le contexte global de la situation du patient. Par exemple, il peut ne pas être judicieux d’imposer un traitement nutritionnel en fin de vie ou en l’absence de consentement du patient.

Polypharmacie

Chez les patients de médecine interne polymorbides, il y a un risque d’interactions médicamenteuses ou d’interactions médicaments-alimentation. Il convient d’en tenir compte. Il peut éventuellement s’avérer pertinent de se concerter avec un pharmacologue clinique expérimenté.

Conclusions/perspectives

Malgré les défis méthodologiques liés à la population hétérogène de patients et à l’absence de grandes études interventionnelles, le groupe de travail de l’ESPEN est parvenu à élaborer des recommandations basées sur l’évidence relatives au traitement nutritionnel non spécifique à une seule maladie chez les patients polymorbides. En ont résulté 22 recommandations pratiques et quatre prises de position qui peuvent être utilisées dans la pratique clinique quotidienne pour la prise en charge des patients polymorbides hospitalisés souffrant de malnutrition. Certaines questions restent ouvertes en raison de preuves absentes ou insuffisantes et requièrent encore des études supplémentaires. L’algorithme de consensus fournit également des instructions pratiques quant à la manière d’implémenter un traitement nutritionnel à l’hôpital. De nouvelles preuves concernant le bénéfice clinique de la nutrition clinique devraient entre autres être apportées par une grande étude nutritionnelle interventionnelle randomisée et contrôlée qui est actuellement en cours en Suisse, l’étude EFFORT [14, 15].

L’essentiel pour la pratique

• La polymorbidité, qui correspond à la survenue concomitante d’au moins deux maladies chroniques, est très fréquente chez les patients de médecine interne hospitalisés.
• 40–50% des patients polymorbides hospitalisés ont un risque de malnutrition, qui à son tour a une influence négative sur le processus de guérison.
• Les lignes directrices cliniques existantes concernant le traitement nutritionnel portent le plus souvent uniquement sur des maladies isolées, sans prendre en compte la polymorbidité.
• En 2017, la Société européenne de nutrition clinique et métabolisme (ESPEN) a élaboré de nouvelles recommandations pour le dépistage et le traitement nutritionnel des patients polymorbides hospitalisés. Un groupe de travail suisse a en outre élaboré en 2016 un algorithme de consensus pratique relatif au traitement nutritionnel des patients de médecine interne hospitalisés.
• Le «Nutritional Risk Screening» (NRS 2002) est un instrument de dépistage adapté pour évaluer le risque de malnutrition chez les patients de médecine interne souffrant d’affections aiguës qui sont hospitalisés.
• Chez les patients polymorbides hospitalisés malnutris ou présentant un risque élevé de malnutrition, l’administration de suppléments nutritionnels oraux hypercaloriques et hyperprotéiques (alimentation buvable) devrait être envisagée comme une intervention rentable pour améliorer l’état nutritionnel.
• En cas d’apports énergétiques et protéiques insuffisants, il est possible de procéder à une escalade de la forme d’alimentation (d’orale à entérale ou d’entérale à parentérale).
PS reports grants from Nestlé, Abbott, SNF Swiss National Science Foundation (SNSF Professorship, PP00 P3_150531/1), Research Council of the Kantonsspital Aarau, Switzerland (1410.000.044), outside the submitted work. ZS reports grants and personal fees from Nestlé and Fresenius and personal fees from Abbott and Nestec, outside the submitted work. No financial support and no other potential conflict of interest relevant to this article were reported by the other authors.
Prof. Dr méd. ­Philipp Schuetz, MPH
Endokrinologie/Diabetes/Klinische Ernährung
Medizinische Universitäts­klinik der Universität Basel
Kantonsspital Aarau
Tellstrasse
CH-5001 Aarau
Philipp.Schuetz[at]unibas.ch
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