Médecine Pharmaceutique: Génétique et génomique dans le développement de médicaments
Highlight de la Société Suisse de Médecine Pharmaceutique

Médecine Pharmaceutique: Génétique et génomique dans le développement de médicaments

Schlaglichter
Édition
2019/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.03452
Forum Med Suisse. 2019;19(0102):37-38

Affiliations
a,b European Center of Pharmaceutical Medicine, Institute of Pharmaceutical Medicine, University of Basel; c Assistenzarzt Seespital Horgen

Publié le 02.01.2019

Médecine personnalisée – un terme très utilisé, étroitement lié à la recherche sur la génétique. Comment le développement de médicaments profite des nouvelles découvertes.

Transformation des méthodes de ­recherche

Sans le séquençage de l’ADN, il aurait été tout à fait impossible d’atteindre notre niveau actuel de connaissances en génétique. En 1973, Gilbert et Maxam nécessitaient encore un mois pour la détermination d’un nucléotide. Présentée par Sanger et Coulson, la nouvelle méthode de séquençage a enfin permis – après quelques perfectionnements – la naissance du projet «Human Genome» qui a été achevé en 2003. Le séquençage «massively parallel» ou «next generation sequencing» (NGS) a entre-temps presque entièrement supplanté le séquençage de Sanger. La nouvelle technique permet désormais de séquencer plus d’un milliard de nucléotides en deux jours [1].
En ce qui concerne le séquençage, la distinction continue d’être faite entre «whole exome sequencing» (WES) et «whole genome sequencing» (WGS). Comme le nom l’indique, seuls les exons sont séquencés lors du WES, tandis que l’ensemble de l’ADN l’est avec le WGS. Les avantages du WGS consistent en la possibilité de mieux reconnaître les variations structurelles telles que translocations, délétions ou insertions, et de détecter les mutations dans le domaine non codé de l’ADN. Les coûts plus élevés ainsi qu’une disponibilité plus faible du WGS par rapport au WES s’avèrent préjudiciables [2].
Outre les progrès des méthodes de séquençage, l’approche méthodique destinée à découvrir les rapports entre les maladies et certaines variations génétiques s’est transformée au fil du temps. A l’origine, des analyses d’arbres génétiques étaient utilisées, au cours desquelles des gènes provoquant des maladies héréditaires étaient identifiés à l’aide de «linkage analysis». Cette méthode ne peut toutefois être employée qu’en cas de maladies héréditaires monogéniques à forte pénétrance et faible prévalence, comme par exemple la fibrose kystique [3], le «breast cancer gene 1» (BRCA1) [4] etc.
En revanche, les maladies polygéniques à faible pénétrance mais forte prévalence ne peuvent pas être analysées selon cette méthode. La «genome-wide association study» (GWAS) constitue l’approche alors utilisée. Elle permet d’associer les tableaux cliniques fréquents en comparant le génome des personnes concernées avec un groupe témoin à des variantes possibles dans le génome, par exemple sous forme de «single nucleotide polymorphisms» ([SNP], mutation d’une seule base avec une prévalence de plus de 1%). Il est ainsi possible d’établir des associations entre des variations génétiques et certaines maladies, bien que tous les porteurs du gène ne soient pas malades [5].

Signification pour le développement et la recherche de nouveaux médicaments

Les informations génétiques peuvent directement contribuer à la recherche sur de nouvelles substances: il a effectivement été démontré que de nouvelles substances atteignaient plus tôt la phase d’étude 3, voire l’autorisation sur le marché, en présence d’informations fondées sur le plan génétique concernant leurs cibles. Diverses entreprises pharmaceutiques tentent par exemple de développer un antagoniste anti-ZnT-8. En effet, ZnT-8 est un transporteur du zinc pour lequel il a été établi au moyen de la GWAS qu’une mutation «loss-of-function» exerce un effet protecteur contre le diabète sucré de type 2 [5]. Un anticorps anti-PCSK9 a déjà trouvé sa voie sur le marché, après qu’une baisse significative du taux de cholestérol LDL a pu être atteinte sous traitement [6]. Cela s’est fondé sur la découverte que des mutations du gène PCSK9 provoquent l’hypercholestérolémie familiale autosomique dominante [7] et que deux variantes non-sens de ce gène conduisent justement à l’abaissement du cholestérol LDL [8]. Le recours à cette épidémiologie génétique a permis de réduire considérablement le temps de développement de ces inhibiteurs de la PCSK9.
La pharmacogénomique offre une autre chance pour le développement de médicaments: des mutations au niveau de gènes codant pour les protéines essentielles sur le plan pharmacocinétique (absorption, distribution, métabolisation et excrétion) peuvent en partie expliquer des taux de réponse faibles ou élevés, des effets indésirables et les doses requises [9]. Des marqueurs pharmacocinétiques correspondants fournissent des indications sur l’efficacité, le dosage et la probabilité de la survenue d’effets indésirables [10]. Il est estimé qu’env. 30–40% de la variabilité fonctionnelle des pharmacogènes peuvent être attribués à de rares (prévalence <1%) «single nucleotide variations» ([SNV], mutations d’une seule base) [11].
L’histoire de Lukas Wartman, un patient atteint de leucémie aiguë lymphoblastique récidivante, fournit un autre exemple frappant du succès du recours génétique en pharmacothérapie. A l’aide du WGS, une mutation des cellules leucémiques a été recherchée, alors qu’aucune mutation thérapeutiquement abordable n’a été détectée. L’analyse de l’expression de l’ARN a révélé une surexpression considérable du Flt3, un récepteur tyrosine kinase, ce qui a pu être utilisé comme cible d’un traitement par sunitinib, un inhibiteur de la tyrosine kinase. Ce cas démontre de manière exemplaire les possibilités d’une médecine personnalisée. Au final, ce qui a été significatif pour la réussite du traitement n’était pas la néoplasie en soi, ni le génotype, mais le phénotype, ce qui signifie ici l’expression des gènes sous forme d’ARN [12].

Discussion

Les nouvelles méthodes s’accompagnent également de nouveaux défis: dans le cadre du séquençage, d’énormes quantités de données sont générées et nécessitent une infrastructure informatique correspondante. La perspective inverse illustre de manière impressionnante la quantité de données contenues dans l’ADN: en 2017, la densité dont dispose l’ADN en tant que support de stockage a été révélée; il a ainsi été possible d’enregistrer une quantité de données de 215 pétaoctets dans 1  gramme d’ADN (1 pétaoctet = 1000 téraoctets) [13].
L’interprétation des immenses quantités de données représente une autre difficulté. Il n’est donc pas étonnant que des géants de l’informatique tels que Google ou Microsoft aient déjà découvert cette branche: ces deux entreprises ont investi dans DNAnexus, une start-up qui propose une approche basée sur le cloud pour l’analyse et l’interprétation de données génétiques et génomiques [14].
Dans un avenir proche, nous pourrons sans aucun doute compter sur de nombreuses nouvelles découvertes dans le domaine de la génétique, qui influenceront fortement le développement de nouveaux médicaments. Ainsi, la tendance vers une médecine personnalisée permettant de trouver le médicament optimal pour chaque patient continuera de s’accentuer.
La citation suivante de Sir Bruce Keogh, Medical Director du «National Health Service England» illustre la portée de ce développement pour la médecine: «Asthe microscope and x-rays revolutionised medicine in the 19th and 20th centuries, so knowledge of the human genome will dramatically change medicine in the 21st century.»
Les auteurs remercient Severin Hörmann, médecin diplômé, pour la relecture du manuscrit.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Thomas Szucs European Center of
Pharmaceutical Medicine
Institute of Pharmaceutical Medicine
University of Basel
Klingelbergstrasse 61
CH-4056 Basel
thomas.szucs[at]unibas.ch